Une cam­pagne élec­torale sous état d’ur­gence en Turquie n’est pas qu’en­nuyeuse et déséquili­brée. Du can­di­dat du HDP Demir­taş en prison au Reis qui con­cocte sa triche, voici un petit aperçu.

Commençons par des “brèves de bouilloire”.

Demir­taş, le can­di­dat du HDP aux élec­tions prési­den­tielles anticipées, privé de tous moyens, signe une pre­mière dans l’his­toire : un meet­ing de cam­pagne élec­torale au téléphone.

Il a util­isé son droit à la com­mu­ni­ca­tion télé­phonique avec sa com­pagne, prévu le 6 juin dernier à 11h, pour par­ler aux électeurs et élec­tri­ces, en direct. Il a par­lé depuis la prison, avec sa famille, qui elle, était réu­nie à la mai­son, et le dis­cours a été émis en direct sur les réseaux sociaux.

Le rôle des réseaux soci­aux et autres moyens de com­mu­ni­ca­tion virtuels pour créer une chaîne est pri­mor­dial. Les mes­sages, par­fois man­u­scrits, les twitts, les vidéos per­ti­nentes des anci­ennes inter­ven­tions de Demir­taş, tou­jours d’ac­tu­al­ité, tra­versent en vague en ce moment les réseaux soci­aux. Et pour celles et ceux qui préfèrent rester dis­crets, ils voy­a­gent sur mes­sen­ger ou WhatsApp…

Demir­taş est incar­céré depuis 4 novem­bre 2016. Début sep­tem­bre 2017, son compte Twit­ter a recom­mencé à être act­if. Suite aux pre­miers twitts, Sela­hat­tin a subi une fouille dans sa cel­lule. L’ad­min­is­tra­tion de la prison ne com­prenant pas qu’il twit­tait par l’in­ter­mé­di­aire de ses avo­cats, cher­chait un smart­phone qui aurait sans doute été caché quelque part…

Demir­taş avait par­lé de cette fouille : “Bon­jour les amiEs. Je ne pub­lie pas ces twitts depuis la prison. Ils sont envoyés de l’ex­térieur. Ne me dites pas ‘on le sait’, car à Ankara, il y en a qui ne le savent pas. Lorsque mon compte a twit­té, dans notre cel­lule de prison, une fouille hors rou­tine a été effec­tuée. Cette intel­li­gence gou­verne­men­tale tra­gi-comique, qui met aus­si le per­son­nel de la prison en dif­fi­culté, ne me sur­prend plus. Naturelle­ment, dans la cel­lule, aucun twit­ter n’a été trou­vé. Il y avait juste une bouil­loire pour le thé. Et il a été con­staté qu’on ne peut pas twit­ter avec. Si vous avez peur même de l’oiseau du Twit­ter, ne plantez pas de millet”.

Car­i­ca­ture de Murat Ipek (Cliquez pour agrandir)

C’est après ce mes­sage, qui a fait le tour des réseaux, que la bouil­loire, est dev­enue un symbole.

Aujour­d’hui, Sela­hat­tin twitte “Le temps que la bouil­loire se chauffe, l’ac­tu­al­ité change !”, ou encore, en par­lant de son récent dis­cours de cam­pagne au télé­phone, il pré­cise “Cela m’a fait penser à mes années d’u­ni­ver­sité. Nous fai­sions la queue devant le télé­phone. A l’époque il y avait des jetons, main­tenant ils sont à carte. Les télé­phones, à la prison, ont  des encais­seurs intel­li­gents. Ils sont intel­li­gents pour rac­crocher touts seuls lorsque les 10 min­utes aux­quelles vous avez droit s’é­coulent. Je ne pense pas acheter une nou­velle bouil­loire. Je suis con­tente de celle-ci”

Figen Yük­sek­dağ, l’ex coprési­dente du HDP, députée égale­ment incar­cérée, quant à elle à Kandıra, twitte à son tour “Enfin, moi aus­si j’ai une bouil­loire. La cam­pagne élec­torale se pour­suit à Kandıra, à pleine vapeur !”

Récem­ment, dans le quarti­er Besik­taş à Istan­bul, de nom­breux graf­fi­tis de bouil­loire ont décoré les murs. Et pas qu’à Besik­taş, d’ailleurs… Le 5 juin, dans le quarti­er rebelle Gazi, deux jeunes ont été arrêtés “pour pro­pa­gande ter­ror­iste”, car ils avait graf­fé un mur, d’une bouil­loire et des mots “espoir” et “HDP”.

Demir­taş com­mu­nique sa déter­mi­na­tion… “Erdoğan affirme que s’il est élu, il me fera exé­cuter. Regardez donc la promesse d’un can­di­dat prési­dent de république en 2018. Moi, je sac­ri­fierais ma vie pour notre peu­ple, mille fois. Je ne ferais pas un seul pas en arrière.” (11 juin Twit­ter)

Il répond aus­si aux ques­tions de citoyenNEs, avec humour.

Entre les ques­tions poli­tiques, sociales, sur les écoles, les ouvri­erEs, la cor­rup­tion, les pris­on­nierEs jour­nal­istes, auteurEs, intel­lectuelLEs, uni­ver­si­taires, hommes et femmes poli­tiques.… En voilà deux au hasard.

Ques­tion : “Erdoğan a dit lors de son dis­cours à Diyarbakır ‘Grâce à dieu, nous avons résolu le prob­lème kurde’. Dans quelle mesure l’in­car­céra­tion de vos cama­rades et de vous même à facil­ité cette “réso­lu­tion” ?”
Réponse de Demir­taş : “Vous savez bien, Erdoğan se van­tait sou­vent en dis­ant que les Kur­des pou­vaient désor­mais s’en­tretenir en prison dans leur langue mater­nelle. Il croit qu’en jetant touTEs les Kur­des dans les pris­ons, le prob­lème de langue mater­nelle sera résolu. Logique­ment juste, mais morale­ment faux”. (8 juin Twit­ter)

Ques­tion : “Quand Erdoğan par­le de vous, que ressentez-vous ?”
Réponse : “Je ne vois pas qui c’est Erdoğan. Salu­ta­tions.” (8 juin Twit­ter)

bouilloire elections demirtas erdogan

Et à l’in­verse de l’his­toire de bouil­loire qui twitte, le can­di­dat prési­dent de l’AKP lui, s’in­quiète et pérore, se répand en dis­cours, publics et privés et envoie ses par­ti­sans agress­er les mil­i­tantEs HDP, voire ouvrir le feu sur eux comme à Suruç… Sur fond de cam­pagne soudaine­ment vir­u­lente du can­di­dat du CHP (cen­tre droit libéral kémal­iste) présen­té en Europe comme “chaud bouillant”…

Continuons donc par des nouvelles de la fraude en préparation.

Un enreg­istrement sauvage, partagé sur les médias soci­aux s’est propagé à la vitesse de l’é­clair. Il s’ag­it d’un extrait du dis­cours d’Er­doğan, pronon­cé devant des “respon­s­ables de quartiers de l’AKP, lors d’une réu­nion interne fer­mée à la presse, et qui s’est déroulée dans la nuit du 9–10 juin à Istan­bul, annon­cée comme “céré­monie de repas de rup­ture de jeûne”.

Voici les pro­pos d’Erdoğan :

Je ne par­lerai pas de cela dehors. J’en par­lerai ici, avec vous. Pourquoi ? Parce que le fait qu’ils [HDP] restent en dessous du bar­rage [de 10%] veut dire l’amélio­ra­tion de notre sit­u­a­tion. Par con­séquent, les amis doivent tra­vailler dans chaque local­ité, par­ti­c­ulière­ment sur eux. Parce que vous savez très bien qui est qui. N’est-ce pas ? Parce que si nos représen­tants de quarti­er ne savent pas qui est qui, ils devraient laiss­er tomber ce tra­vail. Ils faut qu’on le sache. Vous pren­drez les listes d’électeurs devant vous, et vous devez men­er un tra­vail spé­ci­fique selon qui est qui sur la liste de cet urne. Et se suis con­va­in­cu que cela nous apporterait un résul­tat tout à fait dif­fer­ent. Prenez [les] en marquage”.

Lors de la réu­nion, Erdoğan détaille la méth­ode de “mar­quage” :

Dans ces quartiers, quelle famille, à quelle posi­tion ? Qui va con­stater tout cela ? C’est la direc­tion des quartiers qui le con­stat­era. Par con­séquent, nous devons le définir à par­tir des listes d’électeurs des urnes. Après cela, il faut égale­ment qu’on mène un tra­vail dessus. Le délai restant est de 13 jours. Ce n’est pas un long délai. C’est avec ce tra­vail que nous allons faire que nous les pren­drons en mar­quage un par un. Les élec­tions se gag­nent dans les urnes. Lors de ces élec­tions vous allez mon­tr­er une per­for­mance. Avec cette per­for­mance, nous allons voir d’une façon très nette, quelle est votre dom­i­na­tion sur les urnes dans les quartiers. Bien sûr, le tra­vail que vous allez men­er dès main­tenant sur les listes d’électeurs a une très grande impor­tance. Sur ce point, aus­si bien nos branch­es de femmes et de jeunes que le niveau prin­ci­pal, doivent men­er ce tra­vail avec suc­cès. Je donne beau­coup d’im­por­tance par­ti­c­ulière­ment au tra­vail des dames. Car la forter­esse se con­quiert de l’intérieur”.

Erdoğan pré­cisé égale­ment que ces élec­tions ne sont pas “dans la poche” et que la sit­u­a­tion de l’AKP ne s’an­nonce pas très bien sur les sondages. Il souligne l’im­por­tance des résul­tats d’Istanbul :

Istan­bul est le ther­momètre de cette affaire. Existe-il une seule ville qui n’est pas présente ici ? Ici, il y a des gens de toutes les villes. Par con­séquent, que nous donne le résul­tat obtenu à Istan­bul ? La Turquie.” Il ajoute “il ne faut pas pren­dre cette affaire à la légère. Nous avons vécu tout cela dans le passé. Si nous assurons cela, nous allons pli­er l’af­faire à Istan­bul, avant même que cela com­mence. Bien sûr les amis, il reste encore 13 jours. C’est à dire que ce n’est pas dans la poche, je vous le dis. Regardez les sondages et tout, l’af­faire n’est pas ter­minée, je vous le dis aus­si. Et que mon­tre cela ? Nous ne devons pas revivre les choses que nous avons vécues pen­dant les élec­tions précé­dentes, celles du 7 juin [2015], du 1er novem­bre [2016]… Écoutez, nous ne devons pas revivre un deux­ième 7 juin. Pareille­ment, nous ne devons pas vivre un deux­ième 1er novem­bre. C’est à dire qu’il ne doit y avoir aucun fil de rasoir. Je voudrais que vous sachiez ceci ; Les 81 villes de Turquie sont représen­tées à Istan­bul. Le résul­tat qui sor­ti­ra d’i­ci sera le résul­tat de la Turquie. Cela ne rassem­ble pas à un autre endroit. Istan­bul et le point prin­ci­pal de l’af­faire”.

LIRE AUSSI 
Turquie • A propos d’une bouilloire électorale

Image à la une : Car­i­ca­ture de Murat Ipek

Traductions & rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Ji kerema xwere dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Translating & writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
Por respeto hacia la labor de las autoras y traductoras, puedes utilizar y compartir los artículos y las traducciones de Kedistan citando la fuente y añadiendo el enlace. Gracias
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.