Puisque l’on vous dit que la Turquie est démocratique ! La preuve, on y publie même des sondages d’opinion, dans une presse et sur des médias aux ordres.
Et ces sondages sont d’importance, puisque même pour moi, ils me font changer d’avis.
J’avais décidé, quand le Reis avait clamé partout qu’il voulait devancer l’appel et provoquer des élections anticipées pour se faire réélire comme calife jusqu’en 2023 de regarder ailleurs comment se portait notre état d’urgence.
A ce moment là, le grand parti mou d’opposition se tâtait pour ne pas présenter de candidat et un ex président en bisbille avec son ex-ami Erdoğan semblait porté en avant par une coalition des opportunismes. Ces manchettes de la presse Erdoğan là et de l’opposition mêlées ont fait depuis long feu, bien que je me chauffe à l’électricité.
Depuis, le CHP a trouvé dans ses rangs un oiseau rare, capable de se moucher tous les jours dans le drapeau avec élégance, de rappeler que la Turquie devait protéger ses frontières et que la République était indivisible, et de rendre une visite à Selahattin Demirtaş dans sa prison, ce qui ne mange pas de pain, pour le féliciter de sa candidature.
Bref, ils ont rajeuni le matériel électoral, en gardant l’essentiel, la turcité bien assumée du père de la Nation, dont le portrait reste affiché dans les administrations et dans le Palais. Il a même enlevé de sa boutonnière le sigle de son parti, pour l’échanger contre l’insigne national pour tous.
De quoi ternir un peu la fringance de la dame de fer Meral Akşener qui s’y voyait déjà pourtant.
Il faut avouer que sur ce coup là, ils se sont montré plutôt roublards, en faisant oublier à leurs critiques la collusion avec Erdoğan en 2016, après le coup d’état manqué, les votes pour les levées d’immunité parlementaires contre l’opposition, et le récent soutien à la campagne militaire en Syrie. Un bon tribun, en remplacement du vieux marcheur, et le tour est joué.
N’oublions pas non plus qu’ils ont fait le nécessaire pour que le Bon Parti de la Dame, que d’aucunEs surnomment la Louve, puisse se présenter, y compris aux législatives, en alliance. Du coup, en prêtant une partie du kilim, ils s’essuient les pieds dessus.
Si on compte les ramasseurs de balles de deux petits partis supplémentaires, des % supplémentaires, cette coalition à quatre ratisse large.
Restait à convaincre à la fois le vote des Kurdes, dans toute ses composantes, et celui des gens comme moi.
Tant que la candidature de Selahattin Demirtaş n’est pas menacée par un procès d’injustice en juin, avant le scrutin, c’est chose faite, pour la plus grande part. Des sondages semblant sérieusement faits, dans l’intérêt de tous, et c’est étonnant, sous l’état d’urgence, donnent tous autour de 11 % pour le HDP.
Et je me suis interrogée sur le sérieux de ces sondages. L’enquête a été menée les 22 et 23 mai, paraît-il avec des entretiens menés en face à face avec 4 268 personnes dans 26 provinces. Pour 56 millions et des loukoums d’électeurs/trices, c’est à la louche quand même…
En fait, ils sont tout autant nécessaires pour le Reis, inquiet de la tournure que prend sa précipitation sur fond de problème avec la monnaie nationale et des grognes des “consommateurs” qui s’en suivent, que pour “les oppositions unies”.
Je mets à part le HDP, qui du coup, en tenant la corde, tient entre ses mains le sort de l’AKP au futur Parlement et au 1er tour de la compétition électorale. Enfin… Ses électeurs et électrices.
Aux dernières nouvelles, Erdoğan trébucherait sur la marche d’un premier tour, et perdrait sa majorité au futur Parlement enregistreur de décrets, selon la nouvelle Constitution. Et s’il trébuche la corde au cou…
Et pourtant la Dame Akşener, son good party (Iyi Parti) perdrait son pari, bien qu’elle mangerait bien des voix aux kémalistes et aux bigots réunis.
Me voilà dans de belles urnes !
Mon esprit de contradiction va m’amener à voter le 24 juin prochain.
Et le meilleur bulletin serait sans hésitation pour Selahattin Demirtaş au premier tour, et si la tendance au dessus des 10% se confirme, pour les législatives aussi. Sauf si, en dernière minute, un empêchement venait d’en haut, via des juges, début juin. Le Reis a plus d’une corde à son arc…
Le Reis va l’emporter au 2e tour pourtant. Et ça, tout le monde l’annonce encore, à commencer par lui-même, bien sûr.
Mais si par un prompt renfort, il venait à se se fouler les chevilles sur la marche du 1er tour, en même temps qu’il ne pourrait annoncer de majorité absolue à l’Assemblée, cela pourrait peut être réveiller la Turquie…
Je raisonne là comme une casserole électorale, mais j’en ai tellement assez des mauvaises nouvelles que vous me permettrez de gloser sur des sondages.
Quand on n’a plus que la politique du pire comme point de mire, à mon âge, on n’est plus à une entorse près sur les principes, et on en oublierai presque que l’état d’urgence permet toutes les triches, et que cette fausse démocratie électorale n’est que le décor des purges qui continuent.
Alors, on se la rehausse, cette marche du 1er tour ?
Et Erdoğan ne pourrait pas dire “l’ai-je bien descendu ?”, car pour une fois nous pourrions lui dire “evet”.
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