Türkçe | Français

Ce reportage est le pre­mier d’une série de qua­tre, con­cer­nant les femmes ézi­dies, pub­liés début 2015, sur JINHA, l’a­gence de presse exclu­sive­ment fémi­nine, co-fondée à l’époque par Zehra Doğan et d’autres jour­nal­istes femmes. Nom­bre d’en­tre elles furent arrêtées ou empris­on­nées depuis, après l’interdiction et la fer­me­ture défini­tive de l’agence JINHA, et de celles qui furent créées dans son prolongement.

Les attaques géno­cidaires de Daech con­tre les Ezi­diEs datent d’août 2014.

Cet arti­cle ne sus­ci­ta guère de pré­cip­i­ta­tion pour le pub­li­er lors de sa sor­tie. Il arrivait dans un con­texte où la “coali­tion” anti-Daech néces­si­tait de ne pas froiss­er cer­taines “par­ties” dont les puis­sances impéri­al­istes avaient besoin pour fournir la “pié­taille” qui com­bat­trait au sol, et qui per­mit les vic­toires mil­i­taires que l’on sait, dont Mossoul et Raqqa sont l’évo­ca­tion générique. On con­naît aus­si la suite, dont les pro­longe­ments et revire­ments d’al­liances inter­na­tionales sont inscrits dans la trahi­son d’Afrin.

Cet épisode met­tait égale­ment à nu des visions forte­ment dif­féren­ciées dans le mou­ve­ment kurde, entre nation­al­istes et con­fédéral­istes, et la place qu’elles accor­daient aux peu­ple­ments de la région, dont bien sûr les Ezi­diEs. Il y eut deux atti­tudes pro­pre­ment mil­i­taires, mais qui furent tout autant des choix poli­tiques : aban­don­ner de fait les Ezi­diEs à leur sort, ou ouvrir un couloir human­i­taire con­tre Daech, ce que firent avec suc­cès et courage les forces soutenues par le Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan. (PKK).

Zehra Doğan a obtenu le prix de jour­nal­isme “Metin Gök­te­pe” pour ces reportages, qu’elle livra sur cette ques­tion des femmes ézi­dies. Une vidéo est à dis­po­si­tion en fin d’article, tournée lors de cette remise de prix, bien loin d’une céré­monie de con­grat­u­la­tions dans l’entre-soi d’une profession.

Il nous est apparu néces­saire de re-pub­li­er ce reportage, en ver­sion fran­coph­o­ne et anglo­phone, alors que Zehra, aujourd’hui incar­cérée à Amed, dans une prison de haute sécu­rité pour femmes, vient à nou­veau d’être remar­quée et récom­pen­sée pour son com­bat.

Ce texte en qua­tre par­ties se place par­mi les témoignages aux­quels la presse inter­na­tionale n’a daigné prêter atten­tion que lorsque le sujet “femmes ézi­dies et Daech” est devenu por­teur d’audience. Il y eut ensuite une défer­lante sur les réseaux soci­aux, jusqu’à la prise de parole à l’ONU que l’on con­naît. Il sem­blera donc être du “déjà lu” pour cer­tainEs, comme pour toutes les ques­tions où le “pathos” et le sen­sa­tion­nel ont pris le dessus ensuite, en arti­cles con­cur­rents, jusqu’à tuer même l’information. Zehra Doğan s’ex­prime d’ailleurs sur le silence des médias, lors de son dis­cours de remise de prix de jour­nal­isme Metin Gök­te­pe (voir vidéo en fin d’ar­ti­cle).

Il est pour nous essen­tiel aujourd’hui, alors que les médias inter­na­tionaux glosent sur la fin de Daech en Syrie et en Irak, comme une vic­toire mil­i­taire qui leur revient et leur donne la clé des futures tablées de Paix, sans regard sur ce que sera ou non la recon­struc­tion d’un peu­ple mar­tyrisé, et sa place dans un pro­jet poli­tique avec d’autres et pour lui-même. Nous avons d’ailleurs vu com­ment une par­tie majeure des rescapéEs du géno­cide Ezi­di, réfugiée à Afrin, s’est vue à nou­veau déplacée et dis­per­sée dans les nou­veaux camps de réfugiéEs, sans que cela ne soucie per­son­ne de les voir à nou­veau vic­times de l’épu­ra­tion eth­nique et religieuse engagée par la Turquie, via ses séides dji­hadistes recyclés.

La rai­son prin­ci­pale de cette pub­li­ca­tion tient aus­si à la nature des médias d’in­for­ma­tion dont l’ac­tiv­ité majori­taire et prin­ci­pale est de com­menter l’ac­tu­al­ité immé­di­ate à l’in­fi­ni, et de recou­vrir “en même temps” d’une chape d’ou­bli les élé­ments essen­tiels de celle d’hi­er, racines pour­tant d’une com­préhen­sion pour aujourd’hui.

Zehra Doğan, tant par ses oeu­vres pic­turales de 2016, 2017, que par ses textes, arti­cles et écrits, a “archivé” une réal­ité du Moyen-Ori­ent, et de la Mésopotamie en par­ti­c­uli­er, qui per­met de lut­ter con­tre cette cul­ture de l’oubli.

Ses textes fer­ont prob­a­ble­ment et néces­saire­ment l’ob­jet d’un livre, ceux-ci et bien d’autres nou­velles, dès qu’unE éditeur/trice en saisira l’im­por­tance, et pour nom­bre d’en­tre eux, le tal­ent qu’ils recè­lent, tout comme ses oeu­vres pic­turales. Alors, avis aux éditeurs/trices !

Vous pou­vez accéder aux autres par­ties du reportage en cli­quant sur “Zehra Doğan inter­view” 


Le cri des femmes ézidies qui fuient les marchés d’esclaves de Daech

DUHOK – Les femmes qui ont réus­si à fuir Daech racontent :

Ils nous ont habil­lées de hijap noirs, nous ont attaché les mains, nous ont mis­es en rang, et nous ont ven­dues à des prix com­mençant par 10 dol­lars. Nous ne nous sou­venons plus com­bi­en de fois nous avons été ven­dues. Par­mi celles qui ont été vio­lées, il y a aus­si des enfants de 3 à 6 ans. Ils nous vendaient dans des marchés instal­lés à Tıl Alfer, Baaj, Asey­ba, Rabia, Şen­gal, Koço, Tıl Azêr, en Ara­bie Saou­dite et en Syrie, dans dif­férentes villes, à com­mencer par Raqqa.”

Selon les don­nées non-offi­cielles, lors des attaques de Daech du 3 août, visant Sin­jar, plus de 7 milles femmes et enfants ont été enlevés.

Dans ces derniers temps, 500 femmes on réus­si à s’échap­per des mains des gangs, par dif­férents moyens. En tant que JINHA, nous avons fait une série d’en­tre­tiens avec ses femmes dans la région fédérale du Kur­dis­tan, et au Roja­va. Il est très dif­fi­cile d’at­tein­dre ces femmes qui sont des vic­times de la guerre. A Zaxo, Hewler et Souley­manieh, suite aux ren­con­tres avec les autorités, n’ayant pas réus­si à obtenir les autori­sa­tions, nous avons atteint ses femmes par d’autres moyens, pour écouter la per­sé­cu­tion que ces gangs inhu­mains ont fait subir, de la pre­mière bouche. Ensuite nous nous sommes ren­dues à la mon­tagne de Sin­jar, pour par­ler du sys­tème de con­seils et d’au­todéfense que les femmes ont instau­rés depuis, en cla­mant “plus jamais à nouveau !”

10 familles à chaque étage d’une construction

Par ce jour d’hiv­er glacial, la neige tombe durant tout le tra­jet. Le sys­tème de chauffage de notre voiture ne suf­fit pas à nous réchauf­fer. Nous par­venons enfin à notre des­ti­na­tion. Nous sommes à Duhok. Les habi­tantEs de Sin­jar, qui se sont refugiéEs dans un immeu­ble en chantier, essayent d’y sur­vivre par leurs pro­pres moyens, dans des “cabanes” ten­dues de nylon. Dans cette con­struc­tion inachevée, dont chaque étage est occupée qua­si par dix familles, cha­cune des cabanes cache une tragédie dif­férente. Notre accom­pa­g­na­teur nous fait mon­ter au deux­ième étage. Dès que le pan de cou­ver­ture qui sert de porte s’en­trou­vre, nous sommes immergés dans un film d’hor­reur et de tragédie, dont le scé­nario est peu­plé de  marchés aux esclaves, de vio­ls et de massacres.

La pre­mière scène de ce film s’ou­vre donc dans une des cabanes. Murs sans enduit, plas­tiques ten­dus sur les fenêtres, comme boucliers dérisoires con­tre le vent, un tapis fin, la cou­ver­ture accrochée en guise de porte, quelques vieux coussins… Et, dans la cham­bre qu’un poêle à gaz, inca­pable de se réchauf­fer lui-même, laisse dans le froid, se trou­vent trois actri­ces du film d’hor­reur : deux femmes et une jeune fille…

Personne pour panser leurs blessures

V.X. 17 ans, H.X. 20 ans, Z.X. 24 ans, dont le père, les frères, les oncles, les cousins, ont été décapités le jour de leur enlève­ment, et leurs sœurs tou­jours dans les mains de Daech, essayent de sur­vivre dans cette cabane avec leur jeune frère de 12 ans et leur mère. Ces femmes, qui ont réus­si à s’échap­per il y a trois mois, n’ont vécu aucune réha­bil­i­ta­tion à ce jour, et per­son­ne n’a son­né à leur porte pour les aider.

Daech nous a encerclés tout à coup

Après un long moment de silence, Z.X., qui paraît la plus solide, com­mence à racon­ter ce qu’elles ont vécu, comme si elle nous dis­ait par là : “je sais pourquoi vous êtes venues”. Nous allons sim­ple­ment vous tran­scrire leurs paroles, sans les trans­former en un arti­cle rédigé, paroles directe­ment énon­cées de leurs bouches.

Ce jour-là, nous avons enten­du que les attaques avaient com­mencé. Dès les pre­mières lueurs du matin, notre père nous avait mis dans sa voiture et nous avions pris avec d’autres la route vers les mon­tagnes du Sin­jar. Nous nous sommes arrêtéEs au vil­lage de mon oncle. Nous voulions déje­uner là-bas, et ensuite fuir en empor­tant avec nous la famille de mon oncle. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme nous l’avions pen­sé. Peu de temps après, Daech nous a encerclé.e.s et a com­mencé à tir­er sur la mai­son. C’é­tait ter­ri­fi­ant. Mon père et mon oncle nous ont défenduEs, mais ils ont échoué. Les mem­bres de Daech sont entrés dans la mai­son, et ils ont fait sor­tir les femmes et les enfants. Ils ont cade­nassé les 27 hommes restants à l’in­térieur. Ensuite, ils nous ont séparé en deux groupes, les femmes âgées et les enfants ensem­ble, et les jeunes femmes. Ils ont mis les femmes nou­velle­ment mar­iées, depuis un an jusqu’à trois ans, dans notre groupe.”

Ils ont versé de l’essence sur les femmes et enfants”

Ils ont ver­sé de l’essence sur le groupe de femmes âgées et des enfants, dans lequel se trou­vaient ma mère et la femme de mon oncle. Notre groupe a été mis en attente dans un véhicule. Notre groupe était con­sti­tué de 23 femmes, et celui de ma mère, de 12 femmes, et d’un grand nom­bre d’en­fants dont je ne peux me sou­venir. Ils étaient sur le point de brûler le groupe dans lequel se trou­vait ma mère, quand un télé­phone a son­né. Quelqu’un leur a dit: “Amenez les jeunes au vil­lage de Siba Sheykh Xıdır, ensuite revenez pour brûler les autres”. Pen­dant qu’ils nous con­dui­saient au vil­lage Siba Sheykh Xıdır et qu’ils reve­naient, je sais que ma mère et les autres femmes ont réus­si à s’échapper. Mais le groupe de 27 hommes, enfer­més dans la mai­son, n’a pas pu pren­dre la fuite. Ils les ont décapités. Mon père, mon oncle et mon cousin on été tués. Un de mes cousins a survécu en se cachant sous le cadavre de son pro­pre père.”

Ils ont séparé celles qui étaient vierges des autres”

Ensuite, ils nous ont amenées au vil­lage Baaj. Nous sommes restées deux heures là-bas. Puis ils ont amené les autres femmes à Mossoul. Nous étions 500 femmes et fil­lettes. Ils nous ont enfer­mées dans le sous-sol. Nous ne savions jamais, si c’é­tait le jour ou la nuit. Ensuite ils ont séparé celles qui étaient vierges des autres. Ils m’ont arraché mes sœurs et la fille de mon oncle. Une des filles de mon oncle était enceinte, alors ils ne m’ont pas amenée sur le marché pour me ven­dre, pour que je “prenne soin” d’elle.

Nous n’é­tions plus que 300, dans le vil­lage Baaj. Chaque jour pas­sait sous des coups. Qu’on fasse ce qu’ils nous demandaient ou non, nous étions battues. Un jour, plus tard, leur chef est arrivé. Il a choisi mon amie Cilan, qui avait 24 ans, pour lui-même. Mon amie n’a pas sup­porté cela. Elle s’est enfer­mée dans la salle-de-bain, et s’est suicidée.”

Il y avait un nombre très important de petites filles”

Après avoir passé 8 jours à Baaj, nous, les 27 femmes, sommes amenées, au vil­lage Tıl Kasır. Cet endroit ser­vait de point d’échange sans cesse. Il y avait des cen­taines de femmes et d’en­fants. Le nom­bre de fil­lettes marchandées de 6 à 9 ans était très impor­tant. Un chef m’a achetée, juste pour faire la cui­sine. Je cuisi­nais donc d’abord pour les chefs, ensuite pour les femmes et enfants. Après avoir passé 10 jours dans cet endroit, j’ai été reven­due à quelqu’un du vil­lage Verdiye, local­ité de Tıl Azir. J’y suis restée trois jours. J’ai été battue tous les jours. Ensuite l’homme à qui j’avais été ven­due à Tıl Kasır, a appelé par télé­phone le nou­v­el acheteur et a demandé mon retour, en lui expli­quant qu’il venait d’a­cheter quelques petites filles, et que je devais cuisin­er pour elles. Une de ces enfants avait 7 ans. Elle était sourde et muette et elle était sans cesse violée.”

Il a attaché mes mains, couvert mes yeux et il m’a violée”

Je suis restée avec les petites filles pen­dant cinq jours. Ensuite, un chef m’a amenée. Il m’a attaché les mains, cou­vert ma bouche et mes yeux, et m’a vio­lée sur la route. Puis, il a téléphoné à sa femme, et il lui a dit qu’il avait choisi une femme pour lui, et qu’il voulait l’amen­er à la mai­son. Comme sa femme n’a pas accep­té, il a été obligé de me ramener.

Une fois rev­enue, j’avais retrou­vé Cilan, qui ne s’é­tait pas encore sui­cidée, et ses sœurs de 9 et 6 ans. Puis un homme était venu. Il nous a amenées, moi, mes amies Ğali de 12 ans, Cihan et Şaha, 14 ans, dans un lieu que nous ne con­nais­sions pas. Il nous a men­ti en nous dis­ant ‘Je vous amène à Sin­jar’. L’en­droit où nous nous trou­vions n’é­tait pas Sin­jar. Il nous a dit ensuite ‘Les routes sont abimées, je vous y amèn­erai plus tard’.”

Ils ont violé les enfants maintes et maintes fois”

Un jour, en pleine nuit, quelques hommes sont arrivés et ils ont pris Ğali et Şaha. Ils m’ont dit ‘elles vont dormir cette nuit dans nos lits’. J’ai voulu les empêch­er. Ils m’ont attachée mains et pieds. Les mem­bres de Ebu Kerem et Ebu Abbas, des gangs de Daech, m’ont battue durant des heures. Même main­tenant, je n’ar­rive pas à marcher aisé­ment. Ils m’ont blessée, cassé la tête. Ils ont vio­lé plusieurs fois Ğali et Şaha jusqu’au matin. J’en­tendais leur cris, mais je ne pou­vais rien faire. Et le lende­main matin, ils m’ont ren­voyée avec Cihan à Tıl Kasır, et ils sont par­tis avec Ğali et Şaha à Mossoul. Je n’ai plus jamais plus eu de nou­velles d’elles.”

Un enfant de 9 ans violée”

A cause du viol, mon amie Nazar a per­du l’e­sprit. Une enfant de 9 ans, Şihan, a été vio­lée aus­si de nom­breuses fois en pré­tex­tant des cours de Coran. L’homme l’en­fer­mait dans une cham­bre en dis­ant qu’il lui appre­nait le Coran. Une autre amie n’a pas voulu laiss­er Şihan seule. Au bout de trois jours, il l’a enfer­mée dans la cham­bre, seule, et il l’a vio­lée (on par­le de Şihan ou de l’amie je ne com­prends pas). Puis il l’a ven­due à un Syrien qui vivait à Mossoul. Je n’ai plus eu de nou­velles d’elle.”

Ils ont violé des enfants sourds et muets”

J’ai à nou­veau été ven­due, et j’ai com­mencé à garder des enfants. Les enfants étaient très nom­breux et elles étaient toutes vio­léEs. Dans une des mai­son où j’é­tais gardée, deux filles de 7 et 8 ans ont été vio­lées. Ils ont bat­tu leur cou­sine qui essayait de les en empêch­er. Sa tête est ouverte à deux endroits. Ensuite, ils m’ont enmenée avec une autre fille de 13 ans, dans un autre lieu, où il se trou­vait encore des enfants. Ils nous dis­aient sans cesse, “Nous allons vous enmen­er en Ara­bie Saou­dite ou en Syrie pour vous ven­dre”. Une nuit, je n’en pou­vais plus, j’ai cher­ché un moyen de m’échap­per. Je ne sais pas com­ment, j’ai trou­vé une pos­si­bil­ité et j’ai voulu ten­ter le coup. J’ai pris avec moi, une fille de 13 ans, et on a com­mencé à fuir. Je n’ai pas pu pren­dre les autres avec moi. Elles sont restées.
Nous avons réus­si à attein­dre une mai­son, à pied. Les habi­tants de cette mai­son nous ont aidées, mais ils nous ont mis à la rue le matin, en dis­ant “Ils nous tueront, nous aus­si”. Nous avons erré pen­dant deux jours, sans boire et sans manger… Nous avons réus­si à marcher à pied jusqu’au groupe Kasım Şeşo, et nous avons été sauvées…

Lorsque j’étais là, il y avait 5000 femmes prises en otage”

Je n’ar­rive tou­jours pas croire que ces jours sont der­rière nous. Vous savez, ils mélangeaient de l’eau usée à l’eau potable, et ils nous la fai­saient boire. Ils nous tor­tu­raient avec de l’eau froide. Lorsque j’é­tais là, j’ai vu qu’il y avait 5000 femmes pris­es comme esclaves. Récem­ment, une amie a pu m’ap­pel­er et m’a dit qu’elle était à Tıl Alfer. Je sais très claire­ment que les femmes sont encore aujour­d’hui ven­dues sur les marchés aux esclaves des villes Ils nous vendaient dans des marchés instal­lés à Tıl Alfer, Baaj, Asey­ba, Rabia, Şen­gal, Koço, Tıl Azêr en Ara­bie Saou­dite et en Syrie dans dif­férentes villes à com­mencer par Raqqa, et aus­si au Quatar. Les vierges sont ven­dues à 2 500 dol­lars. Au début, de nom­breuses femmes réus­sis­saient à échap­per à la vente en dis­ant qu’elles étaient “tombées enceintes”. Ensuite, ils ont com­mencé à faire des tests de grossesse. De toutes façons, il y avait des cen­taines de femmes enceintes et cer­taines femmes ont en présen­té avec l’urine des femmes enceintes à la place des leurs, et ont ain­si réus­si à échap­per un temps à la vente.

Moi, j’ai été ven­due une fois à 700 dol­lars. J’ai été ven­due près de 30 fois. Le prix est descen­du jusqu’à 10 dollars.”

Ils torturent les femmes en les brûlant”

C’est la souf­france con­tin­ue de rester entre leurs mains. Ma sœur est tou­jours en Syrie, nous n’ar­rivons pas la sauver. Elle est encore battue et vio­lée tous les jours. Lorsque j’é­tais là-bas, j’ai été témoin même du fait qu’ils tor­tu­raient les femmes en les brûlant. Dans les maisons où j’ai été retenue, des petites filles, même de 3 ans, 6 ans, ont été vio­lées. J’ai pen­sé à me sui­cider plusieurs fois. Mais en voy­ant les petites autour de moi, je lais­sais tomber cette idée, pour ne pas les laiss­er seules. Je suis encore aujour­d’hui sous le choc. Je n’ar­rive pas décrire [suff­isam­ment] la situation.”

Quand X.Z finit de par­ler, un silence rem­plit la pièce pen­dant un long moment. Et, alors que nous nous taisons, mais nous crions dans nos têtes “S’il te plait, cesse de racon­ter !”, elle demande : “Voulez-vous boire un thé ?”.

Ensuite c’est H.X. qui elle, a 20 ans, qui com­mence à par­ler, yeux rivés au sol, en frot­tant con­vul­sive­ment ses mains… Nous l’é­cou­tons avec la cul­pa­bil­ité d’être unes de celles et ceux qui vien­nent en délé­ga­tion, pour­tant pour les aider, mais qui ne font rien, après leur avoir fait racon­ter leur témoignage, en leur faisant revivre de fait ces moments, encore et encore.

Je ne me souviens pas combien de fois j’ai été vendue”

As-tu bien com­pris ? Ils ont arraché la tête de mon père”, c’est ain­si que H.X. com­mence à par­ler et qu’elle con­tin­ue : “Après avoir été retenues pen­dant 10 jours, au vil­lage Baaj, avec ma grande sœur et mes trois petites sœurs, ils nous ont séparées de notre grande sœur et nous ont amenées à Mossoul. Nous avions très peur. Nous étions autour de 500. Ils nous ont fait pronon­cer la Cha­ha­da.1

Celles qui ne le fai­saient pas étaient battues. Après la Cha­da, ils nous ont habil­lées de hijap noirs, qui ne lais­saient vis­i­bles que nos yeux. Ils nous ont attaché les mains et ils nous ont séparées par groupes de 30, et nous ont ven­dues à une per­son­ne. Et cette per­son­ne nous a reven­dues au marché. Je ne me sou­viens pas com­bi­en de fois j’ai été ven­due. J’ai été ven­due maintes et maintes fois.”

J’ai été vendue au même homme avec ma cousine et ma sœur”

Ils m’ont ven­due en Syrie, à Baaj, à Sin­jar, à Tıl Alfar et à Mossoul. Ils nous vendait à un prix très bas. Ils m’ont ven­due d’abord à un sheikh. Je suis restée entre ses mains, durant trois mois. Ma sœur et la fille de mon oncle ont été ven­dues égale­ment à ce sheikh. Il nous a vio­lées. Ensuite ce sheikh qui nous avait achetées, nous a offertes à ses amis. Ces hommes nous ont choisies en jouant aux paris. Ils ont fait tourn­er une somme d’ar­gent, la pre­mière per­son­ne qui dev­inait la somme était la pre­mière à choisir. Ils nous ont pos­sédées de cette façon.

J’ai passé des jours atro­ces. Com­ment auraient-ils pu être autrement, ces jours qui se passent dans les souf­frances, vio­ls, tabas­sages et agres­sions ? Nous avons eu des jours entiers où nous étions battues par des gens qui nous ont pos­sédées sans con­sen­te­ment. Ils nous par­laient en s’adres­sant à nous comme “les kafir2Dans leurs mains, je me sen­tais très dés­espérée, comme morte. Ensuite, ils m’ont ven­due à un homme très vieux. Celui-ci est mort sans qu’il puisse me vio­l­er. Puis un autre m’a achetée. Un jour, il y a eu une attaque aéri­enne et ce dernier est mort lors de l’at­taque. J’ai réus­si à m’échap­per. J’ai mis le hijap noir et j’ai com­mencé à courir, pieds nus, aus­si loin que je pou­vais. Et je me suis sauvée.”

Tout était terrifiant”

Après H.X., c’est le tour de la jeune fille de 17 ans, W.X. Les autres nous avaient dit “Depuis le jour où elle s’est sauvée, elle n’a pas dit un seul mot. Elle est restée silen­cieuse. Elle ne par­lera pas.” Mais W.X. se lève d’un coup, vient près de moi, et me dit “Je veux par­ler, moi aus­si”.

Ils m’ont séparée de ma fratrie. J’avais très peur. J’ai tou­jours eu très peur. J’é­tais à Mossoul. J’é­tais témoin des ventes tous les jours sur les marchés. Ils ont ven­du un enfant de 10 ans qui restait avec moi, à un homme de 50 ans. La fil­lette pleu­rait en hurlant. Tout était terrifiant.”

W.X., se tait un moment, en grig­no­tant ses ongles, puis reprend. Nous lui dis­ons “Si tu préfères, ne par­le pas” mais elle n’é­coute pas et continue.

J’ai été achetée en étant tirée au sort. Ma grande sœur aus­si. Je ne voulais pas par­tir, alors il m’a enmenée en me bat­tant. Il m’a amenée à Mossoul. Il n’y avait per­son­ne à la mai­son. Le deux­ième jour, ils ont amené ma sœur aus­si. Il y avait aus­si une autre amie. Il est venu une nuit près de moi. Il m’a attaché les mains et il m’a violée.

Nous sommes restées pen­dant deux mois, dans une mai­son où se trou­vaient plusieurs enfants (fil­lettes). Là-bas, j’ai subi plusieurs vio­ls. J’ai essayé de m’échap­per plusieurs fois, mais je n’ai pas réus­si. Il y avait une fille de 10 ans avec moi et elle était vio­lée sans cesse par cet homme de 40 ans. Durant les nuits, j’en­tendais sa voix.

Ma vie d’a­vant à Sin­jar, était belle. Je fai­sais des études et j’avais des rêves. J’avais mon père. Main­tenant il n’est plus, et je n’ai plus de rêves. Je n’ai pas d’é­cole non plus. Je ne me sens pas bien psy­chologique­ment. Je hais tous les hommes qui leur ressem­blent. Toutes les nuits, ils devi­en­nent des cauchemars. Je cauchemarde que je suis vio­lée. Même en par­lant d’eux, j’ai peur. J’ai peur, mais vrai­ment très très peur.”

W.X. reste silen­cieuse pen­dant un moment. Elle grig­note ses ongles. Elle reste songeuse durant une dizaine de sec­on­des, ensuite relève sa tête et sourit. Nous com­prenons que cet enfant, qui n’a reçu l’aide de per­son­ne, essaye de se guérir toute seule, et qu’elle a besoin de sourire pour panser ses blessures.

Auteure invitée :
Zehra Doğan

Artiste et jour­nal­iste, actuelle­ment tou­jours incar­cérée dans la prison pour femmes d’Amed.
Con­sul­tez aus­si  le dossier spé­cial Zehra Doğan


La remise du prix de jour­nal­isme, Metin Gök­te­pe, pour ces reportages.
(Activez les sous-titrages en français)

 

En com­plé­ment, vision­nez ce film, au delà de son teas­er, ou allez le voir, s’il passe dans une ini­tia­tive de sou­tien près de chez-vous. Il traite à la fois d’un par­cours de réfugié ézi­di, et con­tient des témoignages. Un film soutenu par les Ami­tiés Kur­des de Bre­tagne.


Traductions & rédaction par Kedistan.Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Zehra Doğan on FacebookZehra Doğan on Twitter
Zehra Doğan
Auteure, mem­bre d’hon­neur de Kedistan
Jour­nal­iste, artiste. Jour­nal­ist, artist. Gazete­ci, sanatçı.