Terminons ce compte-rendu du petit festival d’écologie politique de Morlaix en exposant les idées de l’écologie sociale et la pratique du communalisme.
Commune libertaire, municipalité participative, zones à défendre, coopérative intégrale, confédéralisme démocratique… Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Morlaix • Écologie politique ? Non ! Écologie sociale Partie 1 | Partie 2 | Partie 3
Intervention de Floréal Romero sur la pensée de Murray Bookchin,
pour une écologie sociale et radicale
“Les autres présentations étaient plutôt sur le mode de la défensive. Comme si on était sur un bateau qui coule et qu’on cherchait à freiner sa chute… Mais peut-être qu’il est temps de mettre un autre bateau à l’eau ?”
Ecologie sociale : le terme est associé à Murray Bookchin mais il n’en est pas l’inventeur. Il inventa cependant les termes de “communalisme” et de “municipalisme libertaire” pour nommer le modèle d’organisation découlant de l’écologie sociale. Le premier terme renvoie vers les Communes libres, desquels il s’est inspiré. “Mais de toute façon, ce ne sont pas les étiquettes qui importent mais les idées qu’il y a derrière”
L’écologie sociale c’est la proposition d’un cadre comprenant deux tableaux : analyse critique et proposition politique.
I. Analyse critique
La vie humaine est régie par 3 natures. La première est celle qu’on entend généralement par “nature”, à ceci près que ce n’est pas l’environnement extérieur, quelque chose qui serait “là-bas”, mais quelque chose dont nous faisons partie, par notre biologie. La seconde, c’est la culture, c’est notre imaginaire, nos codes sociaux et nos traditions, informelles. La troisième nature, ce sont nos institutions, c’est-à-dire nos codes formels, nos lois, nos structures d’organisation, de production.
L’analyse faite par l’écologie sociale permet de trouver l’origine des problèmes à la fois écologiques et sociaux, d’où son nom. Cette analyse est que les destructions écologiques (de première nature) ont pour fondement les injustices sociales (de seconde nature), elles-mêmes provoquées par les institutions sociales du système de domination dans lequel nous vivons (troisième nature).
Mais les structures de domination sont-elles inhérentes aux sociétés humaines ?
Les sciences sociales montrent que non. Les structures de domination ne sont pas un phénomène “biologique” ou “naturel” (au sens de première nature) chez l’être humain. Les prédispositions psychologiques (première nature) de l’être humain sont égalitaires et communautaires. En effet, il y a présence chez nous de deux éléments constitutifs de notre bien-être moral : une exigence de liberté ainsi qu’une exigence de responsabilité.
Cette exigence de liberté doit s’entendre dans le sens d’une liberté de choisir comment on s’implique dans la vie communale, selon des valeurs définies par une éthique propre. Cela s’oppose à la liberté néolibérale de consommer et de vendre des ressources, humaines ou naturelles, dérobées à la communauté par expropriation. La responsabilité, quant à elle, est celle donnée par le groupe affinitaire ou la communauté, celle des gens dont on est effectivement proches, responsabilité attribuée individuellement et mise au service du collectif.
L’apparition des hiérarchies, comme fait social (deuxième nature) puis comme système (troisième nature), remonterait à – 5000 (en sachant que l’histoire humaine est de 300 000 ans), car on a retrouvé des tombes plus anciennes montrant l’absence de hiérarchies de pouvoir, les tombes étant égales, sans distinction entre riches et pauvres ni dominantEs et dominéEs.
Mais il y eut un changement de climat en – 5000 : des tribus nomades, par la sécheresse, se retrouvent dans la nécessité de conserver des aliments. Certaines tribus se mettent à faire des réserves et d’autres non, ce qui conduit à une lutte pour les ressources quand celles-ci viennent à manquer. Les chasseurs se transforment en guerriers et les sorciers en sacerdotes. La hiérarchie commence à être représentée dans la culture (notre seconde nature, jusque-là communale, change alors), notamment dans les monuments, culminant avec les pyramides.
Ce que l’on peut voir avec cela, et avec ce qui suit, c’est qu’une situation environnementale (première nature), la secheresse, a forcé un changement culturel (seconde nature) : passage de la coopération à la compétition, qui s’est institutionnalisée (troisième nature), renforçant par la suite l’hégémonie culturelle de la domination (seconde nature) jusqu’à réprimer les prédispositions de l’être humain (première nature), entraînant son mal-être (d’après l’OMS, la moitié de la population mondiale souffrira de dépression d’ici 2030).
La société de marché, ou capitalisme, est-elle la suite logique de la société marchande ?
Non. Si c’était le cas, le capitalisme serait apparu en Asie ou en Afrique qui représentaient les plus grands marchés mondiaux, jusqu’à leur colonisation et sujétion au marché capitaliste européen puis occidental au sens large.
Peut-on situer la naissance du capitalisme tel qu’on le connaît ?
Oui, en Angleterre au 16e siècle. S’y trouvent l’État le plus développé de l’époque, contrôlant l’intégralité du trafic fluvial, ainsi que le grand marché de Londres. La religion anglicane y apporte un terreau favorable en ayant rompu les barrières morales (notamment avec la possibilité de faire payer des intérêts sur les emprunts). Il aura donc fallu, pour que surgisse le capitalisme, ces trois conditions (Etat puissant, qui peut ouvrir et fermer un marché délimité, et pas de restriction morale), ainsi que les événements qui suivent.
À ce moment-là, l’aristocratie et la bourgeoisie disposaient de la propriété des terres anglaises. Celles-ci étant limitées du fait que la Grande-Bretagne est une île, il y eut hausse de la demande, de la part des paysans, pour travailler les terres. Les baux de location des terres ont donc été mis sur le marché, et ils revenaient aux plus offrants. Pour pouvoir offrir davantage, les paysans durent faire baisser leurs coûts de production et augmenter ladite production. C’est la naissance de la logique de marché, véritable boîte de Pandore qui commença alors à se déverser comme la peste au Royaume-Uni, puis dans le reste de l’Europe.
Cette logique de marché s’exprime au départ comme une logique de rentabilisation de la terre. Les meilleures terres, les plus chères, sont alors enclosées pour permettre leur exploitation isolée et privée (au profit du locataire, souvent masculin). Si ces terres étaient jusqu’alors utilisées par la communauté locale, dont la gestion était souvent féminine, alors il faudra détruire ces communautés et détruire ces femmes : début de la chasse aux sorcières, où l’on constatera le mariage des dominants de l’époque, Etat, bourgeois, aristocrates, Eglise, c’est-à-dire le patriarcat.
On verra aussi à ce moment-là la domination du masculin sur le masculin avec l’isolation des travailleurs agricoles qui acceptent ainsi, par désespoir et crainte (suite à la destruction de leurs communautés), de travailler pas cher, ce qui contribue à faire baisser les prix : c’est l’apparition du salariat capitaliste, rapport de chantage encore en activité.
La science (celle de Newton, Bacon et Descartes) et la médecine (celle des hommes, de l’Église et de l’État) en profiteront pour s’accaparer les savoirs communaux et faire disparaître leurs origines féminines puis, sur ces bases-là, se développer et mettre leurs techniques au service du capital, libres de toute morale.
On notera que des foyers parallèles de naissance du capitalisme ont pu exister, comme ce fut le cas avec le commerce triangulaire de l’État portugais à Sao Tomé-et-Principe, dans le golfe de Guinée, où l’on chercha, pour la première fois, à optimiser la rentabilité d’un sujet humain, rendu objet : l’esclave. Ce marché s’est ensuite intégré au marché européen en plein essor, et contribuera à donner à la civilisation capitaliste les bases esclavagistes qu’on lui connaît.
Dans un cas comme dans l’autre, on remarquera la destruction des sociétés pré-capitalistes, avec disparition de l’autonomie paysanne. Karl Polanyi disait ainsi qu’en 1830, moins de deux siècles après l’apparition du capitalisme en Angleterre, sans l’État, les gens se tueraient tellement la compétition est forte. Là où il y avait coopération, il y a maintenant compétition sauvage. Et, en effet, comme il le suggère, le rôle de l’État est fondamental dans cette histoire, celle de la civilisation capitalo-patriarcale. Car l’État gère alors au Royaume-Uni les voies fluviales, les marchés, les normes, jusuqu’à décider de l’ouverture ou non d’un champ en Irlande.
L’État ouvre les marchés (et non l’inverse, ce n’est pas le marché qui est régulé par l’État) et il maintient la paix sociale, pour permettre d’aller plus loin dans l’exploitation capitaliste. Pour cela, il emploie la technique de la carotte et du bâton, il promet un état de bien-être, une voie piétonne de consommation décomplexée, avec sécurité sociale, tout en réprimant ses opposantEs dans le sang. Mais ce qu’il est important de noter, c’est que sans l’État, le capital meurt.
Ce qu’il s’est passé en Angleterre et ailleurs, c’est l’institutionnalisation des règles du capitalisme (passage à la troisième nature), sous la forme de l’État-nation, garant du maintien des règles.
L’impasse sociale et écologique de la civilisation capitaliste
Le capital souffre de deux contradictions : une contradiction interne, qui est l’exploitation infinie des ressources humaines (interne, car exploitation de l’humain par l’humain), et une contradiction externe, qui est celle de l’exploitation infinie des ressources naturelles, dans un monde fini. L’histoire de la naissance du capitalisme met déjà en lumière ces phénomènes, puisqu’il se base sur la domination des êtres et la domination de la terre.
On ne peut donc pas faire de capitalisme vert, ni de capitalisme à visage humain. En effet, son objectif est croître ou mourir, mais pour croître il doit exploiter le social et l’écologique, le capitalisme est donc mortifère, et puisqu’il ne peut pas croître indéfiniment dans un monde aux ressources humaines et naturelles finies, il va vers sa propre mort, nous entraînant avec lui. Mais, ce qui doit rester bien clair, c’est qu’il finira de nous achever avant de mourir lui-même. Il disparaîtra seulement quand les ressources qu’il exploite auront disparu à jamais, sinon il continuera de les exploiter.
C’est pour cela que nous devons le combattre, mais pour le combattre il faut le connaître et savoir le reconnaître. Le reconnaître sous toutes ses formes, car c’est une hydre, un ensemble de structures de domination qui font système, qui forment un système-monde, une civilisation, celle de la soumission forcée, hiérarchique. “L’État et le capital sont deux faces de la même pièce”… une pièce à faces multiples, en constante redéfinition (dans ses apparences seulement, les principes restant toujours les mêmes).
II. Proposition politique
L’avantage de l’écologie sociale c’est qu’elle ne fait pas qu’une analyse, une critique, mais elle fait aussi une proposition.
On faisait remarquer, en seconde partie de compte-rendu, que personne, dans le paysage politique français, n’a de proposition cohérente à donner aux problèmes que l’on connaît.
Or, Camus disait qu’une vie sans projection, c’est une vie de chien. Car, si l’on n’a pas de force de proposition, alors viennent le désenchantement, la dépression et l’humiliation. Et, à défaut de meilleures propositions, les idéaux se portent sur les pulsions de mort, tout aussi fascinantes que les pulsions de vie : nationalismes, fascismes et théo-fascismes. L’écologie sociale vient résoudre cela.
Comme décrit dans l’analyse, le capitalisme mène à la mort. Si nous voulons défendre la vie (et nous le voulons !), il nous faut donc le combattre. Or, depuis le 16e siècle, le capitalisme est institutionnalisé, sous forme de l’État-nation. Le changement à mener n’est donc pas un simple changement culturel (deuxième nature), comme il était proposé dans la partie 1, c’est un changement de structure, d’institutions (troisième nature). Car ce sont les institutions qui entraînent la destruction sociale et culturelle (deuxième nature) puis la destruction naturelle (première nature). Ce n’est donc pas une question de “qui mène la barre ?”, mais bien de mécanisme interne. En effet, remplacer le personnel de l’État, sous couvert d’un parti ayant de “meilleures” intentions que les autres, ne changera rien, comme l’histoire a déjà pu nous le montrer. Il faut renverser l’État, pour pouvoir renverser le capitalisme. Car l’État a besoin du capitalisme pour payer ses fonctionnaires.
C’est sur ce point que l’écologie sociale se distingue du communisme car, si les communistes avaient le mérite de proposer un idéal, illes se trompaient sur la manière de l’atteindre. De façon générale, la gauche est lamentable, les cadres des différents partis et syndicats ayant été incapables de voir que l’État fait partie du capital, qu’il en est une catégorie. Illes portent la responsabilité intellectuelle de la situation dans laquelle on se trouve (en tant qu’opposition), les militantEs de base ne pouvant se livrer à l’exercice d’analyse qui est nécessaire, faute de temps dans cette société du travail intensif.
Le navire pétrolier “Capital” a le gouvernail bloqué vers l’iceberg, sautons tant qu’il est encore temps, et construisons de plus belles caravelles pour y accueillir nos camarades laisséEs derrière !
Sortons du capitalisme, oui, mais construisons d’ores et déjà l’avenir. Réclamons notre liberté de donner suite à la critique, la liberté non pas d’être “contre”, mais d’être “pour” !
Soyons pour des communautés humaines qui s’intègrent dans les écosystèmes. Et, pour cela, il faut partir du local.
Réclamons la technique, celle qui permet de vivre dans l’abondance et qui permet les échanges.
Le Rojava (Kurdistan Ouest) nous donne un bel exemple de fonctionnement à partir du local, avec de la technologie mise au service du social (et non la destruction du social au service de la technologie !).
Il est temps de satisfaire les besoins politiques des gens, de répondre à l’exigence de responsabilité que chacun porte. La gestion politique de la ville doit se faire par les gens eux-mêmes !
Partant de communautés de base, à l’échelle d’un village, d’un quartier ou d’une rue, nous pouvons former une mosaïque de peuples. Pour cela, le fédéralisme : des assemblées régionales auxquelles les assemblées locales envoient des mandatéEs révocables, pour simplement y répéter ce qui a été convenu localement. Cela permet, au niveau des bases, de conserver et de développer un maximum de biodiversité des peuples, menant à un écosystème social plus fort. La force dans la multiplicité, c’est le concept de résilience, qui fonctionne pour les humains aussi bien que pour les plantes.
Qu’il n’y ait plus de différences entre les moyens et les fins : l’instauration d’une société décentralisée, limitant structurellement les hiérachies et dominations, ne peut se faire via une organisation centralisée et pyramidale (parti ou syndicat). Elle ne peut se faire qu’au jour le jour, entre voisinEs, entre gens partageant les mêmes intérêts parce qu’ils vont rester au même endroit pendant des années, à s’enraciner dans un écosystème.
Marx définissait le sujet révolutionnaire comme étant le prolétaire, mais Bookchin s’est rendu compte que celui-ci était trop ancré dans le capital pour s’en extraire. Aussi, le sujet révolutionnaire, au vu des menaces que forme le capitalisme, ce sont tous les gens qui ont des problèmes écologiques et sociaux, à savoir, au stade où on en est, tout le monde.
Bookchin a étudié le confédéralisme espagnol, qui disposait d’un fonctionnement horizontal, c’est ce qui lui a redonné espoir après avoir été déçu par le marxisme. La CNT espagnole fonctionnait en fédérant des groupes d’identités, Bookchin propose, lui, une confédération de groupes locaux.
Il est nécessaire de créer des structures locales au sein du monde capitaliste, pour le gruger de l’intérieur.
C’est cela, la proposition de l’écologie sociale : instaurer des institutions locales de démocratie de base, non-étatiques. C’est la seule manière de provoquer un changement au niveau de la troisième nature, celle qui impacte toutes les autres.
Notons que notre situation (à Morlaix, mais en Occident de façon générale) est d’être dans ce qui est appelé la “zone piétonne” ou “centre” du capitalisme, qui est différente des périphéries. En effet, dans les périphéries, il reste une culture des communautés (seconde nature) voire même leurs structures (troisième nature). Tandis qu’ici, la culture des communautés a été détruite et remplacée par celle de la civilisation de la domination. Nous partons donc de loin!
Mais il existe des brèches dans le capitalisme, notamment en périphérie, pour la raison que nous venons d’évoquer. Au Chiapas, illes ont refusé une avant-garde constituée en parti (qui aurait répété la domination) ainsi que l’État, pour créer un fonctionnement alternatif, celui du « buen gobierno » (le bon gouvernement) : celui du peuple par le peuple, des communautés par les communautés.
C’est le cas aussi au Kurdistan, où 100 ans de répression par les 4 Etats qui se trouvent sur leur territoire (entre Turquie, Syrie, Iran et Irak), ont fini de leur apprendre qu’illes devaient trouver une solution de démocratie sans Etat. Plus encore, illes ont complété l’analyse de Bookchin par une analyse poussée de leur propre contexte, les menant à considérer que, si le capitalisme ne peut être vaincu qu’en combattant l’État, l’État, quant à lui, ne peut être vaincu qu’en combattant le patriarcat. C’est pourquoi cette expérience révolutionnaire de démocratie de base est avant tout un mouvement d’autodéfense des femmes par les femmes.
Bien évidemment, l’écologie sociale s’accorde à cette thèse, c’est pourquoi nous devons commencer à exclure de nos comportements tout élément qui proviendrait du patriarcat et de sa culture de la domination. Du patriarcat proviennent la compétition, l’individualisme, le militarisme, l’autorité. Ce à quoi nous opposons, comme proposition, l’empathie, l’entraide et la bienveillance. En entamant cette démarche collectivement, de pair en pairE, nous parviendrons petit à petit à construire le seul modèle humain enviable : celui d’un village de 7 milliards d’amiEs.
Aux avancées faites par les femmes du Rojava et du Bakûr dans la théorie anti-domination, nous ajouterons peut-être cet élément de réflexion : si dans leur contexte, et probablement celui de l’Occident, c’est le patriarcat qui est le premier des maux, il se peut que dans d’autres endroits ce soit le colonialisme. Pour cela, nous laissons, comme il se doit, les personnes les plus concernées étudier la question.
Questions/Réponses :
Que penser des oasis de Pierre Rabbhi ?
Elles manquent d’une vision politique, ce qui entraîne le risque de leur récupération par le système capitaliste. Certes, il s’agit d’initiatives à soutenir, comme le sont toutes les initiatives écologiques et positives socialement. À ce propos, l’écologie sociale vise clairement à ne pas jouer le jeu de « l’autorité » morale, qui crée la division et fait le jeu du capitalisme. Mais nous sommes au bord d’un triple effondrement, énergétique, climatique, alimentaire, alors il est nécessaire, pour celles et ceux qui sont à l’écoute, à la recherche d’une cohérence et d’une force de proposition, de s’assurer de la validité politique (c’est-à-dire analyse critique suivie d’un projet qui correspond) des actions entreprises. C’est ce que le cadre de l’écologie sociale permet de faire.
Comment générer la mobilisation nécessaire ?
En se connectant directement avec les gens, car c’est cela qu’on propose, la démocratie en face-à-face. Si l’on veut voir cette proposition fleurir, il nous faut savoir générer de l’empathie, mettre nos égos de côté, écouter ce que nos voisinEs ont à dire et être dans la bienveillance et l’entraide.
Doit-on attendre la dégradation du système, que le changement devienne une nécessité vitale ?
Non, la nécessité sociale est déjà là. Et nous aurons besoin d’avoir déjà des institutions alternatives en place quand le vieux système finira par s’écrouler. Au Rojava, quand la guerre civile syrienne a éclaté, les mécanismes d’entraide étaient déjà en place, ce qui leur a permis de prendre soin les unEs des autres beaucoup mieux que dans les autres régions. Faisons en sorte que nos initiatives locales s’inscrivent déjà dans une forme de municipalisme libertaire. Et n’abandonnons pas notre vie politique aux politicienNEs !
Comment faire de l’écologie sociale, ici à Morlaix, dès à présent ?
Un exemple simple : il y a un nid-de-poule dans la rue. Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on va aller demander individuellement au maire de s’en occuper ? En risquant que cela prenne un an et demi pour qu’un fonctionnaire vienne finalement remplir le trou ? Ou est-ce que cette rue ce n’est pas avant tout la rue de ses habitantEs ? Dans ce cas-là, vous passez deux-trois coups de fil ou vous toquez aux portes de vos voisinEs en leur demandant s’ils sont d’accord pour que vous bouchiez le trou, si possible ensemble. Et là, en 15 minutes, le problème est réglé ! C’est ça le pouvoir local, c’est ça la vraie démocratie.
Pour le reste, commencez par parler à vos voisinEs, à apprendre à les connaître. Soumettez-leur ces idées, de se réapproprier le pouvoir politique de la rue, puis petit à petit ce sera tout le quartier qui se prendra en charge. Faites confiance à votre imagination collective pour résoudre vous-mêmes les problèmes.
En quoi le communalisme est-il écologique ?
Parce qu’il n’y a plus de recherche de profit. Et même plus : on va chercher à valoriser l’écosystème, humain et naturel. C’est comme, par exemple, la permaculture, on fait évoluer 2 plantes ensemble afin qu’elles s’entraident, et donnent mutuellement de meilleurs fruits, et de là naît une vraie richesse, écologique et sociale.
Intervention de Thierry Desmarres, élu local à Europe Ecologie Les Verts
“L’écologie est le parent pauvre de la politique”. On connaît les problèmes mais il n’y a aucune réaction, et le déni, de surcroît, empêche l’action. De son expérience, le fonctionnement municipal étatique est d’une lenteur insupportable et, même en proposant des projets écologiques avec un coût zéro pour les collectivités publiques (en revendant de l’énergie photovoltaïque), la mauvaise foi des autres acteurEs de la vie politique locale empêche de mener à bien ce genre de projet. “On se heurte à beaucoup d’irrationnel”.
Thierry Desmarres finit donc de nous convaincre de l’impasse que représente la participation électorale, étatique.
Sa question, vis-à-vis de l’écologie sociale : où mettre son énergie ? Comment employer son temps ? Que se passera-t-il si on abandonne l’aspect social de l’État, qui existe, quand même ?
En effet, on pourrait craindre que l’État ne devienne que sa propre “main droite” : celle qui réprime, si on ne le tire plus vers le social. Mais l’analyse de l’écologie sociale montre qu’il est nécessaire, de façon urgente, de développer déjà, en parallèle, les institutions de demain. Pour cela, il faut que les convaincuEs fassent effectivement l’effort d’abandonner le vieux système. Pour autant, celui-ci ne va pas disparaître ! Plein de modéréEs s’occuperont de le maintenir en état… Mais les écologistes et socialistes convaincuEs, ainsi que les déçuEs par l’électoralisme, devraient mettre leurs forces dans la construction d’un nouveau bateau, pour une mise à l’eau proche…
Intervention de Vincent Gay, auteur de Ecologie et capitalisme
Après une énumération des dégradations écologiques et des inégalités sociales, Vincent Gay nous rappelle que les problèmes écologiques touchent surtout les pauvres, et que le capitalisme est un système basé sur le pillage et l’esclavage. C’est un système basé sur la création de besoins en permanence, celui de la voiture personnelle notamment. Système dans lequel les cycles de valorisation économique vont plus vite que les cycles de la nature. Système dans lequel on pense à comment occuper les espaces plutôt que comment les préserver.
Le capital, c’est aussi le système des énergies fossiles : leur développement s’est fait en parallèle et une hyper-interdépendance s’est constituée, ainsi il n’est plus possible d’imaginer l’un sans l’autre. Le développement des techniques d’extraction des énergies fossiles a permis de repousser la question énergétique à seulement aujourd’hui car les ressources semblaient infinies.
Par ses contradictions énergétiques et sociales actuelles, le systéme étatiste-capitaliste est forcé d’accélérer ses attaques, il mène une guerre sociale, militaire et énergétique.
Son “masque écolo” se développe, avec les grenelles de l’environnement, la COP 21 et Nicolas Hulot au gouvernement, mais en même temps il crée des comités de transition écologique constitué du fleuron de l’industrie et du capital français…
“Nous avons besoin de modestie et de clairvoyance” : modestie sur ce qu’on doit faire individuellement, et clairvoyance vis-à-vis des duperies des gouvernements et entreprises.
La question paysanne est centrale car l’agriculture est et sera très importante, et c’est un secteur très touché par les problèmes écologiques et sociaux. Organisons la défense des territoires !
Mettons fin à la croyance que progrès technique = progrès social.
Démarchandisons nos vies, et mettons la question de “qu’est-ce que la vie bonne ?” au coeur du débat.
Opposons la valeur collective à la valeur de la réussite individuelle, et mettons fin au mythe des Trente Glorieuses : époque où le modèle culturel proposé, individuel, était désirable, car il ne l’est plus.
Remarque : il y a danger à vouloir trop décrire les décrets et mécanismes précis du capital et des Etats dans leur destruction de l’écologique et du social. À trop manipuler le langage bureaucratique de l’UE (même si c’est pour le critiquer), on finit technocrate soi-même ! Sans doute pas… Mais on renforce l’idée que l’écologie c’est quelque chose de pointu, de technique, alors que non ! L’écologie, c’est social, c’est la vie ! L’intervention de Floréal Romero nous a montré que des propositions simples, de modèle humain, de façon de se lier les uns aux autres, peuvent toucher beaucoup plus qu’un vocabulaire technique, quand bien même vrai et témoignant d’un sérieux travail de recherche.
ANNEXE : Historique incomplet des expériences et des revendications communalistes
Difficile de retracer un historique complet de celles-ci, puisque l’accès à l’écriture a longtemps été limité aux dominantEs, qui étaient ennemiEs des communautés locales collectivistes et qui ne les documentaient donc pas, sauf avec condescendance ou par exotisme. C’est pour cela que nous avons par exemple beaucoup plus de documents, pour la Grèce Antique, sur Athènes, la ville esclavagiste, patriarcale, aristocrate, colonialiste et centralisatrice, que sur les communautés paysannes grecques, pourtant riches en culture de communion humain-nature, adoptant un rythme de vie en symbiose avec le territoire local. La même « sélection » historique s’est appliquée aux dénominéEs barbares, primitifs, sauvages, païenNEs et sorcières, pourtant souvent plus proches de communautés écologiques et libertaires que ne l’étaient les héros des récits mythiques nationaux.
C’est pourquoi il est nécessaire de développer l’histoire de l’oppression des peuples, de la domination des communautés locales et, surtout, de la colonisation des femmes.
Dans l’histoire documentée, on constate l’apparition de mouvements de révolte tout au long de l’histoire. Révoltes face à la hiérarchie sous toutes ses formes (militarisme, colonialisme, esclavage, patriarcat, églises, étatisme, féodalisme, classes socio-économiques, patronat, management néolibéral, éducation et culture élitistes, partis politiques, syndicats…), mais surtout en défense des modèles communaux et humains1.
Ainsi, la révolte chrétienne mit au pas le modèle tyrannique de l’empire de Rome (auquel s’opposait, à la même époque, le modèle communal des Germains2), la guerre des paysans a secoué le Saint-Empire romain germanique au début du XVIe siècle, le mouvement makhnoviste d’Ukraine vit s’organiser et se défendre la communauté paysanne, se situant au sein de tout une histoire d’opposition paysanne aux régimes communiste et tsariste (autodéfense paysanne appelée “armées vertes”, qui virent apparaître le drapeau vert et noir pour la première fois) et, plus largement, les jacqueries constituèrent ce type de revendications tout au long du Moyen-Âge, dans lesquelles on pourrait aller jusqu’à inclure la lutte du Larzac, comme héritière.
N’oublions pas non plus les mouvements d’opposition aux autoritarismes étatiques à tendance fascistes, actuels et passés, et qui sont aussi des mouvements de proposition de sociétés libertaires, tels que les Communes face aux Républiques et la révolution sociale espagnole face au fascisme franquiste, ou encore la défense du modèle communal et de la culture basques face à la répression conjointe des Etats français et espagnol.
En mer, la piraterie constitue également une opposition farouche aux hiérarchies si durement présentes dans les bateaux marchands et militaires, puisque les bateaux pirates fonctionnaient souvent en autogestion avec unE capitaine éluE et révocable. Les pirates s’opposaient, de plus, à la traite négrière et à l’hégémonie masculine du métier de marin.
Plus récemment, et en ne s’arrêtant que sur les Amériques, on peut évoquer le mouvement communal du Nicaragua, le Mouvement des Sans Terre au Brésil, l’expérience communaliste du Chiapas ainsi que toutes les luttes d’autodéfense communautaire des peuples indigènes (littéralement : “qui viennent de là”) et afro-étatsuniens, afro-caribéens ainsi qu’afro-brésiliens des Amériques, en plus des mouvements municipalistes aux Etats-Unis.
À échelle globale, les réseaux de coopératives tels que FairCoop ou encore l’association internationale paysanne Via Campesina militent pour des modèles économiques et humains hors de la civilisation étatiste (capital-Etat-patriarcat-colonialisme), en proposant, développant et défendant d’autres modèles d’agriculture et de vie.
Et, bien sûr, le Kurdistan révolutionnaire…
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