La lutte pour la baie de Lannion, la lutte pour la baie de Morlaix, la lutte pour les ZAD, la lutte sociale (anti-capitaliste, anti-patriarcale, anti-colonialiste), la lutte écologique, contre la technocratie, contre l’emprise du numérique et pour un modèle bienveillant de communauté humaine, c’est la même lutte, c’est la lutte des communes.
Morlaix • Écologie politique ? Non ! Écologie sociale Partie 1 | Partie 2 | Partie 3
Compte-rendu militant du petit festival de l’écologie politique
Morlaix, le 14 avril 2018
Ce compte-rendu n’a pas pour but de rendre compte exactement des interventions qui ont eu lieu lors du petit festival. Il représente plutôt une tentative de tisser des liens entre les réflexions qui se sont exprimées lors des présentations, provenant d’inspirations diverses et de différentes expériences.
Nous proposons de lier les événements, les données et les réflexions citées au sein d’un cadre analytique qui leur donne sens, celui de l’écologie sociale. Nous tenterons, à partir de là, de poursuivre la réflexion avec cohérence, en lui donnant comme suite logique la proposition d’organisation politique issue de l’écologie sociale : le communalisme ou municipalisme libertaire, comme réponse à l’analyse faite des structures de domination écologique et sociale.
Extraction de sable en baie de Lannion :
intervention d’Yves-Marie Le Lay, de l’association Sauvegarde du Trégor
L’extraction de sable en baie de Lannion a déjà commencé, mais elle est à stopper, sous peine d’aggraver la situation. D’autant plus que ce n’est pas un phénomène isolé. D’une part parce que d’autres baies et plages sont actuellement exploitées ou menacées de l’être, comme c’est le cas de celle de Morlaix. D’autre part, parce que l’extraction de sable a à voir, de près ou de loin, avec d’autres fronts de contestation et d’indignation populaires tels que les marées vertes et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
En effet, analysons ensemble le cercle vicieux de l’extraction de sable.
La baie de Lannion dispose de sable coquillier, différent du sable minéral qui, lui, sert à faire du béton. L’extraction de sable coquillier est supposée répondre à des besoins agricoles. Car les terres bretonnes étant acides, elles ont besoin de calcaire pour réduire leur pH. On épand alors ce sable coquillier sur les terres pour leur donner l’apport en calcaire dont elles ont besoin. À ce titre, la CAN (Compagnie Armoricaine de Navigation), filiale du groupe Roullier, dispose d’une autorisation officielle qui lui permet d’extraire d’une dune sous-marine 250 000 mètres cubes de sable coquillier par an. Pour donner un ordre d’idée, depuis la signature en 2015 du décret d’autorisation par un certain Emmanuel Macron, c’est l’équivalent de la Tour Montparnasse qui a été ôtée aux côtes bretonnes.
En effet, l’Etat, depuis le 16è siècle, gère le domaine public maritime. S’il prétend ainsi défendre que le littoral est à tout le monde, la réalité économique, une fois étudiée, nous permet de nier la nature de bien commun qu’aurait le sable des littoraux. Il s’agit en réalité d’une propriété d’Etat, qui se montre bien complaisant à attribuer des décrets d’autorisation d’extraction en échange de quelques euros symboliques. Quand le prix du mètre cube vaut entre 10 et 15 euros, l’Etat ne taxe que 60 à 70 centimes. Le sable coquillier, de l’or pur pour les rapaces du capital, à portée de pelleteuse.
L’extraction de sable coquillier, ce sable créé par l’accumulation de coquillages au cours des années, dispose déjà d’un impact écologique en soi. En effet, en plus de l’évidente érosion des littoraux, son impact le plus grave est de se répercute sur la faune et la flore. Les pêcheurEs s’opposent ainsi à l’extraction de sable car des espèces vivent et se reproduisent sur les sites en question. Les lançons, notamment, ne reviennent plus jamais aux endroits où l’extraction s’est poursuivie durant 2 années de suite. Ceux-ci nourrissent ensuite les bars, entre autres.
En parallèle, l’extraction crée ce qu’on appelle un panache de turbidité, c’est-à-dire de l’eau chargée en sédiments fins, qui sera aisément portée par les courants, jusqu’à atteindre de façon notoire 7 îles, dont une réserve ornithologique. Les sables fins se posent sur les parties rocheuses, ce qui a pour conséquence de recouvrir les algues, empêchant leur photosynthèse et entraînant donc leur mort. C’est tout le biotope qui est ainsi remis en cause.
Extraction du littoral, exploitation animale et agriculture intensive :
cocktail chimique
Allons plus loin. Le prétexte de besoins agricoles ne sert que de façade pour ce à quoi sert le sable coquillier en réalité : il est transformé pour servir de constituant à des engrais aménagés ainsi qu’à de la nourriture animale. De fait, le groupe Roullier, dont l’actionnaire principal est Daniel Roullier, classé 29e fortune de France avec sa famille, est “spécialisé dans la production et la transformation chimique de nutriments et d’aliments pour les plantes, les animaux et les hommes”. Le sable coquillier nourrit une activité d’élevage industriel qui, de par trop contestée en Bretagne, force le groupe à se revêtir d’intentions purement “agricoles”. Notons par ailleurs la complaisance de l’Etat à se servir des mêmes éléments de langage. Or, l’intérêt dans cette extraction est bien entendu économique et privé, et en rien en défense des sols publics.
Le sable coquillier est donc en lien avec les élevages de cochons et l’épandage d’engrais, dans le cadre de l’agriculture intensive. Ces deux activités, en plus de l’odeur nauséabonde qu’elles génèrent, ont pour point commun de fabriquer des excédents de nitrates (le lisier porcin étant riche en ions nitrates et, vis-à-vis des engrais, les nitrates sont l’indice même de pollution des eaux). Ceux-ci se retrouvent dans les nappes phréatiques et rivières, puis dans la mer. Les engrais des terres finissent par engraisser la mer, ce qui génère la prolifération des algues marines.
Cet enchaînement de causes et de conséquences, qui ne revient malheureusement pas au début comme dans un cercle vertueux, débouche sans limite sur des marées vertes qui mènent ensuite à la question juridique (ou quelque part entre le droit et le politique comme on le verra) puisque l’Etat cache la toxicité de ces phénomènes.
Le moment où le serpent se mord la queue, c’est dans la justification initiale de vouloir diminuer l’acidité des terres bretonnes. En effet, les ions nitrates (négatifs) s’associent et entraînent avec eux les ions calcium (positif), de la terre à la mer. Cette décalcification des terres provoque leur acidification. Le cercle vicieux se referme. Par volonté (prétendue) de diminuer l’acidité des terres et permettre des cultures plus appropriées, l’Etat permet à des entreprises privées d’exploiter le littoral et de s’en servir en lien avec des activités rendant toxiques les sols et les eaux, finissant par rendre les terres plus acides. La seule façon d’arrêter cette incohérence, cette absurdité, ou plutôt cette attaque mafieuse organisée, et d’améliorer véritablement et durablement la qualité de la terre, c’est d’arrêter la production d’excédents de nitrates.
Arrêter, donc, l’agriculture intensive et l’élevage de cochons en Bretagne.
Ce que ce cycle permet de mettre en lumière, outre la nécessité d’approfondir l’étude scientifique et critique des liens économiques et politiques qui régissent la symbiose entre capital et Etat dans leur destruction organisée des systèmes écologiques et sociaux (on pourrait d’ailleurs creuser les liens entre entreprises d’extraction de sable et Vinci, principal acteur du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), c’est que la lutte contre l’extraction de sable et la lutte contre les marées vertes, c’est le même combat.
Légalité toxique
TouTEs les habitantEs de la zone de Lannion se sont sentiEs concernéEs par les problèmes de l’extraction de sable et des algues vertes, menant à des manifestations nationales. L’Etat, dans sa configuration d’alors, à savoir le trio (dans l’ordre) Hollande, Valls, Macron, a quand même donné le titre minier pour extraction. Notons d’ailleurs que la même réglementation s’applique à l’extraction en terre et en mer alors qu’il s’agit de milieux différents. Rien d’étonnant quand on sait le peu de cas que font les capitalistes et étatistes du respect des milieux naturels, comme avec l’occupation militaire de la ZAD, en ce moment-même, ou dans les grands projets d’altération du territoire en général.
Les recours menés par l’association ainsi que par des élus locaux auprès des tribunaux “compétents” (conseil d’Etat, tribunal administratif) ont été rejetés. À savoir qu’il existe 2 fronts juridiques car si l’Etat autorise l’extraction, c’est la préfecture qui ouvre les travaux. Deux fronts, donc, mais dans les deux cas les recours juridiques vont au profit des démolisseurs, comme à la ZAD.
Les regroupements en défense des communs ont donc perdu la bataille juridique… mais l’extraction a tout de même été arrêtée ! Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas que le droit qui décide, il y a aussi l’avis des populations locales.
La légalité est du côté des destructeurs d’environnement, mais pas la légitimité, qu’on l’appelle populaire ou commune.
Face au monstre froid que constitue le système Etat-capital-propriété-patriarcat, c’est en constituant des assemblées populaires de contestation que l’on parvient à créer le rapport de forces nécessaire pour faire reculer l’attaque conjointe des entreprises et de l’Etat envers la nature.
Car, légalement, le groupe Roullier a le droit d’extraire le sable coquillier de la baie de Lannion mais, face à une mobilisation importante, il a pris peur. En effet, le jour où l’extraction devait être autorisée, une manifestation avait été appelée, en anticipation du premier coup de pelle. Quand celui-ci a été donné, le soir même, 5000 personnes ont fait savoir leur révolte.
Comme à Notre-Dame-des-Landes, l’auto-organisation et l’expression concertée sont les plus efficaces des actions politiques.
Prenons-en de la graine et étendons les domaines de lutte (ZAD partout et tout le temps !) car, si la lutte à Lannion a pu porter ses fruits (ou plutôt les défendre), il n’en va pas de même à Morlaix. La différence ? Pas de mobilisation… Le capital et son perroquet, l’Etat, voguent en suivant le vent de l’aubaine, suivant les courants des tourbillons de misère sociale, quand le manque de solidarité communale devient le plus grand atout des vautours du profit…
Ne soyons pas dupes, non plus, de l’engagement à demi-mots des éluEs localEs. S’illes ont pris position sur ces questions c’est bien parce qu’il y avait mobilisation populaire, et parce que l’échelle locale les rend naturellement débiteurEs du pouvoir qui leur a été attribué. Ces éluEs localEs ne résolvent que leurs problèmes locaux, là où ça les touche électoralement, puisque c’est leur logique rentière, aussi en voit-on peu de Lannion protéger Morlaix. On touche là au problème de l’électoralisme tel qu’il est rendu possible dans les institutions actuelles : unE éluE compte être réeluE. Il est nécessaire de changer les structures pour changer les perspectives des mandatéEs (révocabilité ?). Il est également nécessaire de changer les structures qui guident nos vies écologiques et sociales, pour permettre une récupération de pouvoir et une résistance populaires, et une modification du rapport à la nature, qu’elle ne soit plus un stock de ressources dans lequel on peut taper à l’infini, mais un élément constitutif de la communauté humaine, un bien commun.
Cela ne fait qu’aller dans le sens du besoin d’institutions radicalement démocratiques, à savoir : des assemblées locales, fédérées en régions puis confédérées, où le pouvoir d’agir localement revient à la communauté locale. Ce qui constitue un renversement vis-à-vis du système actuel où un pouvoir central agit de façon coloniale dans les localités, sans que celles-ci ne puissent se défendre, ou seulement au prix d’efforts extraordinaires, souvent stigmatisés.
Si l’on devait poursuivre l’analyse de la légalité toxique et de la connivence intérêts privés-intérêts des éluEs d’Etat, on pourrait citer le jugement mémorable, prononcé en 2007 lors d’un procès contre l’Etat au sujet des marées vertes, où ses représentantEs, les préfetTEs, ont été accuséEs de ne pas appliquer la loi. Même quand la loi est au service de la destruction écologique, ses représentantEs la devancent. De même, parlons des cochons qui, élevés illégalement en zones d’excédents structurels, se font régularisés, comme démarche qui fait norme. Quand une ferme est limitée à 1000 cochons, ils en élèvent 1300. Et la réponse de l’Etat, face à ces cochons clandestins ? Plutôt que de les supprimer ou de les déplacer, d’autant plus dans un contexte de marées vertes (car + de cochons, + de lisier), ils se font légalisés, sans peine, sans sanction.
Cela va même plus loin car l’Etat subventionne l’agrandissement des élevages : c’est le PMPOA. D’où une accélération de l’élevage intensif (avec la fameuse ferme des 1000 vaches… bientôt 10 000 ?), qui coûte cher aux collectivités et aux terres locales, mais qui rapporte un max aux entrepreneurs privés. Les marées vertes continueront de proliférer… et les vaches seront bien gardées (et atrocement assassinées).
On voit là le vrai visage du système de domination, ou quand l’illégalité devient loi, aux yeux de touTEs et au service des intérêts privés destructeurs, comme en fait cela a toujours été le cas dans le processus de création de l’Etat en tant que catégorie du capitalisme. Là encore on pourrait faire un parallèle avec l’occupation militaire de la ZAD, ou même avec la répression de tous les mouvements sociaux contre les lois travail. La police bénéficie elle aussi d’une “régularisation” de ses exactions illégales : justice clémente, bavures effacées… un terme existe pour cela, on parle d’illégalité-impunité.
Alors, qui sont les “voyous” ?
L’Etat reste le plus grand des voyous
Les voyous ou, plutôt, le plus grand des voyous, comme le disait si bien la Fonky Family, c’est peut-être bien l’Etat, et la mafia locale et internationale qu’il représente. Mais l’Etat c’est qui ? Ce sont des sinistres, des préfetTEs, des éluEs, des administrateurEs… qui n’hésitent pas à être hors-la-loi, comme cela a été montré à plusieurs reprises. En effet, en 2007, l’Etat a été accusé de carence sur le sujet des algues vertes. Le jugement indique qu’entre 1994 et 2000 il y a eu non-respect des législations dans les politiques publiques. Quand les collectivités locales se retournent contre l’Etat, pour que celui-ci paye le nettoyage d’urgence des marées vertes qu’il a causées (700 000 € par an), elles obtiennent gain de cause. En février 2018, l’Etat est toujours carent, et il lui reste encore à payer un plan de nettoyage d’envergure des marées vertes qui coûterait quelques 55 millions d’euros. Plan qui ne serait d’aucune utilité si les causes ne sont pas traitées. Les limitations légales qui sont proposées ne sont pas suffisantes pour stopper les marées vertes.
Déjà, sur le plan du droit, l’Etat est dans le tort. Mais alors, sur le fait de changer les lois, ce qui constitue le sens le plus profond du mot “politique”, doit-on faire confiance à celleux qui ne respectent pas leurs propres lois pour en définir de meilleures ? Doit-on continuer de leur confier ce pouvoir ? Rousseau avait déjà statué qu’il n’existe de démocratie que quand chacunE peut participer au processus d’élaboration de loi, de façon égale. La démocratie représentative n’est donc en aucun cas une véritable démocratie, puisqu’elle a été structurée autrement, en connaissance de cause (Rousseau faisant partie de ses penseurs). Elle est une forme, parmi d’autres, d’un Etat qui sert les intérêts qui sont les siens : ceux du capital, en ouvrant des marchés (mettant ainsi à la vente des biens communs tels que les littoraux) et en maintenant la paix sociale, que ce soit à coups de pots-de-vin pour les notables locaux ou à coups de matraque pour les contestataires notoires.
Sur la réponse à apporter, je me détache de ce qu’en dit Yves-Marie Le Lay, il ne s’agit pas simplement de changer le personnel politique. Les gouvernements élus ne vont rien changer à une mécanique bien huilée, qui tourne et détourne au-delà des simples cadres légaux d’un Etat-Nation.
La lutte contre l’extraction de sable, la lutte contre les marées vertes, contre les élevages animaux intensifs, contre l’agriculture intensive et pour une solidarité communale et de territoire, c’est la lutte contre l’Etat, le capital, la légalité et l’électoralisme. C’est la lutte pour les communes, telle la ZAD, et pour une écologie sociale et radicale.
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