Selon le “Classement mondial de la liberté de presse 2018” publié par RSF (Reporters sans frontières) la Turquie a encore baissé de deux places et se retrouve au 157 ème rang sur 180 pays dans le monde.:
“L’espace post-soviétique et la Turquie restent aux avant-postes de la dégradation mondiale de la liberté de la presse”
Le rapport attire l’attention sur l’absence de pluralisme des médias : “Près de 150 médias ont été fermés, sans procès, dans le cadre des décrets-lois adoptés sous l’état d’urgence. Le pluralisme est désormais réduit à une poignée de journaux harcelés et à faible tirage.” (RSF — Sous l’état d’urgence : une année noire pour les journalistes en Turquie)
“La plus grande prison du monde”
RSF exprime que la Turquie est à ce jour, “la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias, la Turquie (157e) réussit à perdre encore deux places par rapport à l’an dernier.”
Selon RSF, “au 1er décembre 2017, 326 journalistes sont en détention dans le monde”. Et “la Turquie reste la plus grande prison du monde pour les journalistes professionnels (42 + 1 collaborateur)”. (RSF — Les journalistes détenus)
Notons cette précision : le mot “professionnel” peut faire penser que seulEs les journalistes possédant des cartes de presse sont visiblement comptabiliséEs par RSF… Ce qui questionne.
Car sur le blog “Tutuklu gazeteciler” (Journalistes déténuEs) qui tient la liste des journalistes incarcéréEs à jour, le nombre annoncé le 19 Avril 2018 est de : 224. Quant au syndicat des journalistes TSG, il publie le 26 Avril 2018, la liste des journalistes emprisonnéEs annonçant le nombre de 149. Durant l’année 2017, ces listes ont annoncé un nombre de journalistes détenuEs bien au dessus de 42…
Il faut savoir qu’en Turquie, un nombre considérable de journalistes exercent leur métier sans pouvoir obtenir de carte, et ne sont donc pas considéréEs comme journalistes, et cela les met encore plus en danger.
Depuis la résistance de Gezi, devant la carence d’information, puis, la censure généralisée, ou l’autocensure le plus souvent, et suite à la fermeture de nombreux médias par décret-loi, sous état d’urgence, des initiatives de médias et de portails d’information pratiquant ce qu’on nomme “le journalisme basé sur le droit à l’information” (hak temelli gazetecilik) ont fleuri sur le principe “si l’information manque, nous la ferons nous-mêmes”. Ainsi ces “journalistes” ne sont-ils pas “professionnels”, au sens ou RSF l’entend.
La détention provisoire comme arme punitive
RSF, précise dans son rapport, que les journalistes arrêtéEs, passent environ un an et demi en incarcération, en attendant leur procès : “La Turquie utilise la détention provisoire comme arme punitive” (RSF — Les journalistes détenus)
En effet, systématiquement accusés “d’appartenance à des organisations illégales” ou “propagande pour organisation illégale”, les journalistes sont arrêtés non pas pour journalisme, pour avoir exercé leur métier, mais pour “terrorisme”. Le parcours est quasiment le même pour chacunE, misEs en garde-à-vue, ensuite incarcéréEs, ces femmes et hommes attendent durant des mois, voire années, la constitution de leur dossier par les procureurs, sans savoir exactement de quoi ils-elles sont accuséEs, et donc sans pouvoir préparer une quelconque défense.
“Des propos critiques du pouvoir, une collaboration avec un média “suspect”, un contact avec une source sensible ou l’usage d’une messagerie cryptée suffisent généralement à faire jeter des journalistes en prison pour “terrorisme”. La grande majorité d’entre eux/elles n’a même pas été condamnée : la détention provisoire, censée être une mesure exceptionnelle, tend à devenir permanente et systématique en Turquie. Certains journalistes attendent ainsi derrière les barreaux, depuis un an et demi, un verdict qui ne vient pas” (RSF — Les journalistes détenus)
Etat de Droit ?
Le rapport du RSF affirme que les journalistes et les organes de presse fermés sont privés de leurs droits juridiques : “La Turquie (157e) réussit à perdre encore deux places par rapport à l’an dernier. 2017 a vu se succéder les procès de masse : après plus d’un an de détention provisoire, des dizaines de journalistes ont commencé à être jugés pour complicité présumée avec la tentative de putsch de juillet 2016. Les premières condamnations vont jusqu’à la prison à vie. L’état d’urgence en vigueur depuis près de deux ans a permis aux autorités d’éradiquer ce qui restait de pluralisme, ouvrant un boulevard au président Erdogan pour faire adopter la réforme constitutionnelle qui grave dans le marbre sa mainmise sur le pays. L’Etat de droit n’est plus qu’un souvenir, comme le confirme la non-exécution d’arrêts de la Cour constitutionnelle ordonnant la remise en liberté immédiate de deux journalistes emprisonnés en janvier 2018.” (RSF — Classement mondial 2018)
N’oublions pas les centaines de journalistes avec ou sans carte qui ont été obligéEs de quitter la Turquie et qui subissent l’exil et toutes ses difficultés dans nos pays européens ou ailleurs…
Ce rapport interroge bien sûr encore davantage dans cette situation ubuesque d’élections anticipées, où le plus grand groupe de presse vient de surcroît de tomber dans l’escarcelle AKP, et sous état d’urgence.
Dans ces circonstances, la liberté d’information n’a plus droit de cité, ni l’information pluraliste de sens. Et il est donc impératif avant tout de faire sortir de prison les plus de deux cents personnes “informatrices et informateurs” qui s’y trouvent jetés.
“Le journalisme n’est pas un crime !”
Image à la une : Lors d’une manifestation, “Liberté pour les journalistes”