The New Munic­i­pal Move­ments”, par Eleanor Fin­ley, pub­lié dans le numéro 6 de ROAR Mag­a­zine. Illus­tra­tions par David Ist­van


Potentiel révolutionnaire

Bien plus qu’une sim­ple stratégie de gou­ver­nance locale, le munic­i­pal­isme rad­i­cal est en train d’ap­pa­raître comme chemin vers la lib­erté sociale et la démoc­ra­tie sans Etat.

Les nouveaux mouvements municipaux

Il y a de cela très peu de temps, l’idée que les Etats-Unis d’Amérique élisent le mag­nat de l’im­mo­bili­er Don­ald Trump à leur prési­dence sem­blait presque incon­cev­able. Mais main­tenant que cette propo­si­tion impos­si­ble s’est con­crétisée, un nou­v­el espace s’est ouvert pour les pen­sées vision­naires. Si élire Don­ald Trump est effec­tive­ment pos­si­ble, quelles autres impos­si­bil­ités pour­raient être réalisées ?

Jusqu’à aujour­d’hui, l’op­po­si­tion pop­u­laire à Trump s’est large­ment exprimée par des man­i­fes­ta­tions mas­sives et des protes­ta­tions dans la rue. Le jour de l’in­au­gu­ra­tion de Trump, on estime à 2,9 mil­lions le nom­bre de per­son­nes ayant man­i­festé dans les rues d’une douzaine de villes des USA. Ces moments cri­tiques, comme la Marche des Femmes ou la Marche pour la Sci­ence, représen­tent des oppor­tu­nités plus que néces­saires pour ressen­tir une cathar­sis, exprimer de la sol­i­dar­ité et recon­naître des valeurs partagées. Pour­tant, en tant que protes­ta­tions, elles sont intrin­séque­ment lim­itées. Plus exacte­ment, elles échouent à faire sur­gir un pro­gramme pour la pro­fonde trans­for­ma­tion insti­tu­tion­nelle dont notre société a si dés­espéré­ment besoin.

Der­rière les mobil­i­sa­tions très vis­i­bles, des formes pop­u­laires et munic­i­pales d’op­po­si­tion à Trump sont en train de se con­stituer. Sous la ban­nière des “villes sanc­tu­aires”, des organ­i­sa­tions com­mu­nau­taires, des groupes de croyant.es, des défenseur.es des droits, des cen­tres pour travailleur.es et des citoyens engagés ont mis en place des réseaux de crise pour soutenir les familles d’immigrant.es vivant sous la men­ace de la dépor­ta­tion. Ces pro­jets, struc­turés pou la plu­part sur une base de voisin.e à voisin.e, défient le mod­èle dom­i­nant vis-à-vis de la par­tic­i­pa­tion poli­tique et soulèvent la ques­tion cru­ciale de ce qu’être un.e citoyen.ne sig­ni­fie réellement.

Pen­dant ce temps, des maires et élu.es de villes sont apparu.es comme étant par­mi les opposant.es de Trump se faisant le plus enten­dre. En juin dernier, près de 300 maires, dont 9 des 10 plus grandes villes des Etats-Unis d’Amérique, ont désobéi aux vœux du prési­dent et se sont réen­gagés à suiv­re l’Ac­cord de Paris sur le Cli­mat (issu de la COP 21, NDT). Reste à savoir si ces déc­la­ra­tions con­stituent en soi des actes de défi­ance poli­tique ou de sim­ples gestes sym­bol­iques entre­pris par des élites locales cher­chant à avancer leurs car­rières. Mais ce qui importe, c’est que durant cette péri­ode d’ag­i­ta­tion poli­tique sans précé­dents, les gens en appel­lent à leurs représentant.es locaux.les d’a­gir au nom de leur com­mu­nauté – indépen­dam­ment de la citoyen­neté – plutôt que de suiv­re les vel­léités d’un régime d’ex­trême droite. Illes regar­dent vers leurs pro­pres munic­i­pal­ités, les voy­ant comme des lieux d’ac­tion poli­tique fondée et d’au­torité morale.

L’alternative municipaliste

Au milieu de ce tohu-bohu, une petite con­stel­la­tion de plate­formes civiques a émergé, avec pour but de trans­former com­ment les villes et munic­i­pal­ités des USA sont gérées. En effaçant les lignes entre mou­ve­ment social et gou­ver­nance locale, ces expéri­ences munic­i­pal­iste organ­isent la base des munic­i­pal­ités ou des quartiers exis­tants, récla­mant des solu­tions écologiques et sociale­ment justes aux prob­lèmes qui con­cer­nent toute la com­mu­nauté. Leur but com­mun va cepen­dant bien au-delà de l’élec­tion de par­tis pro­gres­sistes aux man­dats locaux. Patiem­ment, par un mélange d’é­d­u­ca­tion poli­tique, de mobil­i­sa­tion de base et de réformes, les munic­i­pal­istes visent à remet­tre le pou­voir de prise de déci­sion dans les mains des citoyen.nes. Le munic­i­pal­isme n’est pas sim­ple­ment une nou­velle stratégie de gou­ver­nance locale, mais plutôt un chemin vers la lib­erté sociale et la démoc­ra­tie sans Etat.

Le terme “munic­i­pal­isme” dérive lui-même du “munic­i­pal­isme lib­er­taire”, pen­sé durant les années 80 par le théoricien social et philosophe Mur­ray Bookchin. En le procla­mant “lib­er­taire”, Bookchin invo­quait le sens orig­inel de l’a­n­ar­chisme du 19è siè­cle. Selon lui, les con­cepts essen­tiels tels que “lib­erté” avaient été détournés et réap­pro­priés par la droite, et il était temps que la gauche les réclame. Néan­moins, la dénom­i­na­tion de “lib­er­taire” a été aban­don­née par nom­bre des nou­velles expéri­ences munic­i­pales. Récem­ment, la plate­forme citoyenne cata­lane Barcelona en Comú (Barcelone en Com­mun) a aidé à pop­u­laris­er le munic­i­pal­isme en le ren­dant par­tie inté­grante de son pro­jet poli­tique en Cat­a­logne. Leur ver­sion du munic­i­pal­isme a beau­coup à voir avec la théorie et la pra­tique des com­muns, aux­quelles illes font appel pour défendre la ville con­tre le tourisme sauvage et le développe­ment urbain.

Le munic­i­pal­isme se dis­tingue par son insis­tance sur le prob­lème sous-jacent de notre société qu’est la dépos­ses­sion du pou­voir. Le cap­i­tal­isme et l’E­tat provo­quent non seule­ment une souf­france matérielle et une iné­gal­ité extra­or­di­naires, mais ils nous dérobent égale­ment notre capac­ité à jouer un rôle empli de sens dans nos pro­pres vies et com­mu­nautés. En prenant le pou­voir sur les pris­es de déci­sion, ils nous privent de notre pro­pre human­ité et de notre sens d’u­til­ité – ils nous privent de sens.

La solu­tion, telle qu’elle est vue par les munic­i­pal­istes, est la démoc­ra­tie directe. Pour y par­venir, nous pou­vons cul­tiv­er la nou­velle société au sein de la coquille de l’an­ci­enne en éro­dant la légitim­ité pop­u­laire de l’E­tat et en dis­solvant son pou­voir dans des assem­blées et des con­fédéra­tions où règne le face-à-face. Cela implique d’avoir foi en l’in­tel­li­gence des gens et en leur désir de change­ment. Pour repren­dre Bookchin, le munic­i­pal­isme lib­er­taire “pré­sup­pose chez les gens un désir authen­tique de démoc­ra­tie, pour arrêter les pou­voirs gran­dis­sant de l’E­tat-nation”. Les gens peu­vent, et devraient, être les experts de leurs pro­pres besoins.

Tous les mou­ve­ments qui s’alig­nent avec le pro­gramme munic­i­pal­iste ne s’y réfèrent pas en tant que tels. Par exem­ple, le mou­ve­ment de libéra­tion kurde défend un mod­èle très sim­i­laire, sous le nom de “con­fédéral­isme démoc­ra­tique”. Bookchin lui-même adoptera plus tard le terme de “com­mu­nal­isme” pour indi­quer son affinité avec la Com­mune de Paris de 1871. Toute région et cul­ture du monde, ou presque, dis­pose sous une forme ou une autre d’un héritage his­torique d’assem­blées pop­u­laires, de démoc­ra­tie trib­ale ou d’au­to-gou­ver­nance sans Etat. La ques­tion est de savoir com­ment faire revivre ces héritages et com­ment les utilis­er pour éroder la dom­i­na­tion du cap­i­tal­isme et de l’E­tat sur toute la société.

Bookchin mouvements municipauxLe rôle des villes

Les munic­i­pal­ités, les villes, les vil­lages et les quartiers four­nissent l’échelle physique réelle à laque­lle une telle poli­tique d’au­tonomi­sa­tion peut s’é­panouir. His­torique­ment, les villes ont su rassem­bler les gens et favoris­er la diver­sité en encour­ageant l’in­ter­ac­tion inter­cul­turelle. Cette car­ac­téris­tique inhérente insuf­fle aux villes une sen­si­bil­ité human­iste et, par exten­sion, un poten­tiel rad­i­cal. Comme l’a dit Han­nah Arendt, “la poli­tique est basée sur le fait de la plu­ral­ité humaine”. Les villes tis­sent, à par­tir de dif­férents types de per­son­nes, une riche mosaïque de la vie quotidienne.

La peur et la méfi­ance à l’é­gard des villes ont été un pili­er cen­tral du mou­ve­ment d’ex­trême-droite de Trump. Les trump­istes ont peur des immigré.es, des Noir.es et de celleux qui jouent avec les normes de genre. Ils craig­nent les élites, la dom­i­na­tion poli­tique et la pré­car­ité économique que représen­tent les villes, impi­toy­able­ment éblouis­santes. Toute une gamme de car­i­ca­tures sont s’a­gen­cent en une seule image annon­ci­atrice d’un cos­mopolitisme décadent.
Ces antag­o­nismes sont d’au­tant plus graves que l’iné­gal­ité qui existe dans les grandes métrop­o­les est grande et fla­grante. La “gen­tri­fi­ca­tion”, ou “embour­geoise­ment”, est loin d’être une expli­ca­tion suff­isante pour le déplace­ment interne mas­sif qui se pro­duit aux États-Unis. À San Fran­cis­co, une petite mai­son mod­este coûte env­i­ron 3,5 à 4 mil­lions de dol­lars, les apparte­ments d’une cham­bre coû­tent entre 3500 $ et 15000 $ par mois à louer. Sous les tours scin­til­lantes des mil­liar­daires de la tech­nolo­gie, les vil­lages de tentes s’é­chouent vétuste­ment entre les piliers de béton des pas­sages souter­rains des autoroutes. Pen­dant ce temps, les tra­vailleurs pau­vres sont exilés dans des ban­lieues isolées, où il y a peu de vie de rue et sou­vent pas de trans­ports publics viables.

Alors que les mou­ve­ments européens récla­ment la préser­va­tion du “droit à la ville” des citadins, aux Etats-Unis, nous sommes dans la posi­tion de trou­ver com­ment sim­ple­ment réin­té­gr­er les gens ordi­naires dans le paysage urbain. Le cap­i­tal­isme a don­né nais­sance à des villes améri­caines défor­mées. Leurs formes vastes et sail­lantes traduisent l’im­puis­sance et l’al­ié­na­tion des rela­tions sociales cap­i­tal­istes. Le peu d’e­space hab­it­able qui existe ces dernières années a été englouti par l’im­mo­bili­er et la haute finance. Cette dis­tor­sion de la vie urbaine s’é­tend tou­jours vers l’ex­térieur, trans­for­mant des ter­res agri­coles en ter­rains de sta­tion­nement, des com­merces famil­i­aux en Wal­marts et des com­mu­nautés rurales très unies en arrière-pays ban­lieusards ternes.

Le munic­i­pal­isme peut lut­ter con­tre la ten­dance des tra­vailleurs des zones rurales à se méfi­er des villes — et des divers­es per­son­nes qui les occu­pent — en remet­tant le pou­voir entre les mains des gens. Dans les villes, les munic­i­pal­ités peu­vent met­tre en place des pro­grammes pour trans­former leurs car­ac­téris­tiques physiques et matérielles inhu­maines. Un pro­gramme munic­i­pal­iste chercherait en fin de compte à recon­quérir les zones urbaines comme des endroits où les gens vivent réelle­ment, et non pas sim­ple­ment aller faire du shop­ping. Dans les con­textes ruraux et sub­ur­bains, les munic­i­pal­ités peu­vent offrir une vision de la décen­tral­i­sa­tion et de l’indépen­dance par rap­port à l’É­tat qui est dénuée de fanatisme et d’abus. Les allégeances rurales aux indus­tries extrac­tives peu­vent être brisées en offrant des modes de vie écologiques liés à la prise de déci­sion locale et civique. Ces tâch­es ne sont pas faciles, mais elles sont essen­tielles au change­ment social holis­tique dont nous avons si cru­elle­ment besoin.

mouvements municipaux

Organiser le pouvoir municipal

Le mou­ve­ment munic­i­pal­iste aux Etats-Unis aujour­d’hui est comme un semis. Il est petit et déli­cat, frais et plein de poten­tiel. Bien que nous recher­chions sou­vent un lead­er­ship de gauche dans les grandes villes comme New York ou Chica­go, ces nou­veaux dirigeants munic­i­paux sont enrac­inés dans des villes rel­a­tive­ment petites comme Jack­son, Mis­sis­sip­pi et Olympia, Wash­ing­ton. Ça ne devrait peut-être pas nous sur­pren­dre. Alors que les grandes villes sont vidées de leurs habi­tants et de leur car­ac­tère d’o­rig­ine, les villes petites et moyennes offrent rel­a­tive­ment plus de pos­si­bil­ités d’in­ter­ac­tion et d’or­gan­i­sa­tion communautaires.

Cet été, j’ai eu l’oc­ca­sion de ren­con­tr­er des dirigeants de plusieurs pro­jets munic­i­paux, dont Coop­er­a­tion Jack­son, le Seat­tle Neigh­bor­hood Action Coun­cils (NAC), Port­land Assem­bly, Olympia Assem­bly et Genese Gril­l’s Dis­trict City Advi­sor à Burling­ton, au Ver­mont.  Ces mil­i­tantes ont con­stam­ment apporté des analy­ses sophis­tiquées, soulevé des ques­tions dif­fi­ciles et partagé des approches nova­tri­ces en matière d’or­gan­i­sa­tion. Mais ce qui m’ a frap­pée le plus, c’est leur capac­ité à artic­uler des idées utopiques avec des poli­tiques de bon sens visant à réelle­ment amélior­er la vie des gens. Leurs aspi­ra­tions poli­tiques sont sérieuses et fondées sur la con­vic­tion que le pou­voir pop­u­laire peut réelle­ment offrir des solu­tions supérieures aux prob­lèmes soci­aux difficiles.

A Seat­tle, la Coali­tion d’ac­tion de quarti­er (NAC) s’est for­mée au lende­main de l’élec­tion de Trump. Comme de nom­breux groupes antitrump, leur but pre­mier est de pro­téger les groupes ciblés con­tre les crimes haineux et de leur fournir des ser­vices immé­di­ats. Pour­tant, au lieu de con­vo­quer de grandes “assem­blées générales” amor­phes comme Occu­py Wall Street, le CNA délim­ite ses chapitres en fonc­tion de la douzaine de quartiers de Seat­tle. Chaque sec­tion de quarti­er est habil­itée à choisir ses pro­pres activ­ités et de nom­breux groupes ont évolué grâce à des cam­pagnes d’é­coute porte-à-porte.

Le CNA crée de nou­velles formes de ren­con­tres entre les citoyens et les fonc­tion­naires munic­i­paux. Seat­tle est actuelle­ment en pleine élec­tion munic­i­pale et n’ a pas de can­di­dat sor­tant. Le CNA organ­ise ain­si une série d’assem­blées publiques publiques inti­t­ulée “Jeop­ardy des can­di­dats”, au cours desquelles les can­di­dats sont inter­rogés sur une sélec­tion de ques­tions écrites par des citoyens. Comme le jeu mon­tre Jeop­ardy, ils doivent choisir entre des ques­tions faciles et dif­fi­ciles. Qui choisira les ques­tions les plus faciles “, lit un appel d’événe­ment dans le Seat­tle Week­ly,” Qui choisira les plus dif­fi­ciles? Aurons-nous un Ken Jen­nings­des élec­tions de 2017? Venez le découvrir!”

Le CNA pour­rait éventuelle­ment trou­ver un vis­age ami­cal au bureau. Nikki­ta Oliv­er, l’un des lead­ers, est un activiste de Black Lives Mat­ter qui tra­vaille sur une plate­forme visant à tenir les fonc­tion­naires locaux respon­s­ables devant le pub­lic. Si elle gagne, la sit­u­a­tion de Seat­tle pour­rait ressem­bler à celle de Barcelone, où Ada Colau, mil­i­tante rad­i­cale pour le droit au loge­ment, occupe la mairie.
Port­land, dans l’Ore­gon, l’or­gan­i­sa­tion Port­land Assem­bly utilise un mod­èle sim­i­laire de “con­seil des porte-parole” et

recrute de nou­veaux mem­bres pour les asso­ci­a­tions de quarti­er exis­tantes de Port­land. Ils tra­vail­lent actuelle­ment à la créa­tion d’une coali­tion à l’échelle de la ville, en faveur des sans-abri; ils plaident pour une réforme rad­i­cale de la police. Ce print­emps, les amis de Port­land Assem­bly ont fait la une des jour­naux avec le pro­jet “Port­land Anar­chist Road Care” Après un hiv­er record, des activistes vêtus d’un habit de “bloc noir” — avec des vête­ments noirs et des ban­danas recou­vrant leurs bouch­es — se sont lancés dans les rues de la ville avec de l’as­phalte et des nids-de-poule. L’en­tre­tien des routes anar­chistes boule­verse de façon ludique l’idée que ceux qui prô­nent une société apa­tride sont réac­t­ifs, destruc­teurs et irréal­is­ables. C’est aus­si un excel­lent exem­ple de ce que Kate Shea Baird appelle le “prag­ma­tisme dur” — l’u­til­i­sa­tion de petits gains pour démon­tr­er qu’un change­ment réel est vrai­ment possible.

Le mou­ve­ment munic­i­pal le plus impor­tant et le plus promet­teur aux États-Unis est peut-être actuelle­ment Coop­er­a­tion Jack­son, une ini­tia­tive civique basée dans le Grand Sud améri­cain. Dans une ville où plus de 85 % de la pop­u­la­tion est noire et où 90 % des richess­es sont détenues par des Blancs, Coop­er­a­tion Jack­son cul­tive le pou­voir pop­u­laire grâce à un développe­ment économique par­tic­i­patif. Au fil des décen­nies, Coop­er­a­tion Jack­son et ses prédécesseurs ont for­mé une fédéra­tion de coopéra­tives de tra­vailleurs et d’autres ini­tia­tives pour la pro­duc­tion démoc­ra­tique et écologique. Cette base économique est ensuite liée aux assem­blées pop­u­laires, qui déter­mi­nent large­ment les pri­or­ités du projet.

Comme le CNA de Seat­tle, Coop­er­a­tion Jack­son par­ticipe aux élec­tions locales et à la gou­ver­nance des villes. Le nou­veau maire du Mis­sis­sip­pi, Chok­we Antar Lumum­ba, est issu d’une famille de fameux rad­i­caux noirs et est étroite­ment lié au mou­ve­ment. Lumum­ba a soutenu l’ini­tia­tive de Coop­er­a­tion Jack­son pour la con­struc­tion du Cen­ter for Com­mu­ni­ty Pro­duc­tion, un cen­tre com­mu­nau­taire pub­lic spé­cial­isé dans l’im­pres­sion 3D et la pro­duc­tion numérique.

Le potentiel révolutionnaire du municipalisme

Ce ne sont là que quelques-unes des expéri­ences munic­i­pales qui se déroulent aux États-Unis. Ces ini­tia­tives sont-elles le signe de la nais­sance d’un mou­ve­ment démoc­ra­tique révo­lu­tion­naire? Vont-ils nous sauver des mâchoires du fas­cisme et réalis­er notre poten­tiel pour une société véri­ta­ble­ment mul­ti­cul­turelle, fémin­iste et écologique? Peut-être — et nous devri­ons tous l’e­spér­er. En effet, quelque chose comme un nou­veau par­a­digme munic­i­pal prend forme avec la recon­nais­sance que l’an­tiracisme, la libéra­tion fémin­iste, la jus­tice économique et la démoc­ra­tie directe sont inter­dépen­dants. L’en­t­hou­si­asme pour ce par­a­digme se man­i­feste au niveau de la ville, où les divers peu­ples sont encour­agés par leur envi­ron­nement à adopter des points de vue humanistes.

Cepen­dant, il y a de bonnes raisons pour que les munic­i­pal­ités soient pru­dentes et pru­dentes. Tan­dis que les par­tis rad­i­caux de gauche pré­par­ent le ter­rain à l’en­gage­ment poli­tique de la base, les organ­i­sa­tions de réforme libérales et “pro­gres­sistes” comme MoveOn et Indi­vis­i­ble sont prêtes à absorber et à détourn­er cette énergie vers la poli­tique des par­tis. Des ter­mes ambi­gus comme “démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive” sont des out­ils effi­caces pour engager les gens qui ne sont pas à l’aise avec des ter­mes comme “rad­i­cal” ou “révo­lu­tion­naire”, mais ils peu­vent aus­si être facile­ment exploités par des insti­tu­tions comme le Par­ti démoc­ra­tique, qui, humil­iés et amoin­dris de crédi­bil­ité, regar­dent main­tenant avec avid­ité les élec­tions munic­i­pales et municipales.

Ain­si, s’en­gager dans des mou­ve­ments “pro­gres­sifs” sera sans doute une chimère. D’une part, ils peu­vent être d’im­por­tants alliés dans les cam­pagnes munic­i­pales et des points d’en­trée pour les nou­veaux arrivants poli­tiques. D’autre part, ils peu­vent frap­per un mou­ve­ment pop­u­laire. Et lorsque ces plans cen­trés sur l’É­tat échoueront, les gens seront boulever­sés et désil­lu­sion­nés — poten­tielle­ment en réori­en­tant leur mécon­tente­ment vers le sou­tien à l’ex­trême droite.

Nous n’avons pas besoin, comme La Nation l’ap­pelle gaiement, d’une nou­velle ère de “pro­gres­siv­ité dans les grandes villes”, mais d’un mode de vie non hiérar­chique qui con­fère abon­dance et lib­erté à tous. Pour les mou­ve­ments munic­i­paux d’au­jour­d’hui, cela sig­ni­fie que :

Nous devons val­oris­er la ville non pas telle qu’elle est, mais telle qu’elle pour­rait être.

Nous devons insuf­fler un nou­veau sens à l’idée de citoyen­neté et appel­er à une citoyen­neté rad­i­cale fondée sur la par­tic­i­pa­tion au sein de la com­mu­nauté munic­i­pale, et non sur l’ap­pro­ba­tion bureau­cra­tique d’un État.

Nous devons résis­ter à la ten­ta­tion d’im­put­er notre foi aux maires bien­veil­lants et aux autres per­son­nal­ités, aus­si charis­ma­tiques ou bien inten­tion­nées soient-elles, à moins qu’ils ne cherchent à dis­soudre les pou­voirs qu’ils détiennent.

La révo­lu­tion est un tra­vail de patience. Nous avons tous peu de chances de vivre la révo­lu­tion que nous recher­chons. Pour­tant, nous dis­posons de plus d’outils que nous ne le pen­sons. La mytholo­gie des États-Unis est celle de la décen­tral­i­sa­tion. Dans son livre La Troisième Révo­lu­tion, Mur­ray Bookchin racon­te les vagues d’assem­blées pop­u­laires qui se sont détachées de leur base en Nou­velle-Angleterre rurale pen­dant la Révo­lu­tion améri­caine et qui se sont abattues sur les colonies du Sud. Les statuts de la Con­fédéra­tion et la Déc­la­ra­tion des droits sont des con­ces­sions à la pres­sion pop­u­laire.  La pen­sée con­fédérale per­siste dans l’imag­i­naire pop­u­laire de cer­tains des indi­vidus les plus apparem­ment con­ser­va­teurs de notre société.

Aujour­d’hui, la plu­part des gens croient qu’on ne peut rien faire pour leur gou­verne­ment. Pour­tant, rien n’est plus éloigné de la vérité. L’amère leçon de la vic­toire de Trump est que le change­ment — que ce soit pour le meilleur ou pour le pire — est la seule con­stante dans les affaires humaines. Comme l’écrivaine de sci­ence-fic­tion et de fan­taisie Ursu­la K. LeGuin l’a si élo­quem­ment dit : “Nous vivons dans le cap­i­tal­isme. Sa puis­sance sem­ble inéluctable. Ain­si que le droit divin des rois. A tout pou­voir humain peut s’op­pos­er une résis­tance, et tout pou­voir humain peut être mod­i­fié par des êtres humains”. Le mou­ve­ment munic­i­pal­iste est peut-être petit, mais son poten­tiel est révolutionnaire.

Eleanor Fin­ley

Mouvement municipauxEleanor Fin­ley est écrivaine, enseignante, activiste et municipaliste.

Elle est égale­ment mem­bre du con­seil d’ad­min­is­tra­tion de l’In­sti­tute for Social Ecol­o­gy (ISE) et doc­tor­ante en anthro­polo­gie à l’U­ni­ver­sité du Mass­a­chu­setts, Amherst.


The New Municipal Movements” on ROAR Magazine — traduction Lougar Raynmarth
Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Ji kerema xwere dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
Por respeto hacia la labor de las autoras y traductoras, puedes utilizar y compartir los artículos y las traducciones de Kedistan citando la fuente y añadiendo el enlace. Gracias
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.