Ceci est un avant-goût du compte rendu militant du “Petit festival de l’écologie politique” qui s’est déroulé à Morlaix, le samedi 14 avril.
Réflexions sur l’intervention de Franck Simonnet, revenant de 10 jours à la ZAD
Rebondissant sur la dernière phrase de Thierry Desmarres : “Il faut redonner du sens au métier de vivre”, Franck nous indique que “lutte et vie sont imbriquées sur la ZAD”.
En effet, la ZAD dispose d’une organisation horizontale, comme au Rojava et au Chiapas, qui permet cette imbrication. D’autant plus que les gens qui sont venus l’ont fait véritablement pour investir les lieux par leur vie sur place et dans l’intention de pratiquer ce type d’horizontalité.
Il y a arrivée constante et coexistence prolongée de différentes composantes, allant des citoyennistes (agissant par les voies institutionnelles, organisés en associations déclarées) aux “radicaux” (faute d’autre mot à consonance moins péjorative) tels que les primitivistes ou anti-civilisation, en passant par les naturalistes du collectif “Naturalistes en lutte”. La coexistence est néanmoins assurée par des personnes faisant le pont entre les diverses tendances. Ainsi, la ZAD n’est pas tout à fait une cohabitation de structures divergentes, ni complètement un continuum harmonieux, mais quelque chose entre les deux, ou bien les deux à la fois. Exactement de la même façon que la lumière est à la fois onde et particule, comme on l’a découvert en sciences physiques, autrefois appelées sciences naturelles. La ZAD, comme la vie même, n’est pas un cliché, c’est une réalité en mouvement, multi-dimensionnelle.
La ZAD reçoit, héberge, accueille et est constituée en partie (et non en majorité) de gens désocialisés, maltraités par la non-vie qui est proposée dans cette anti-société que sont les structures de domination co-opprimantes. Ces personnes trouvent à la ZAD un lieu de vie où elles peuvent être acceptées comme elles sont, laisser libre cours aux pratiques qui leur permettent de décharger leurs souffrances et, bien souvent, elles parviennent in fine à s’en passer en trouvant du sens à leur vie, quand pourtant cela semblait impossible, par la mort morale imposée dans tous les espace-temps contrôlés par l’Etat policier, la milice du capital.
Ne nous méprenons pas, la ZAD n’est pas une zone autonome, qui se suffirait à elle-même. Au contraire, les échanges avec l’extérieur (les extérieurs ?) sont une clé de voûte de l’expérience. Gens de passage, provenant d’horizons très différents, qui repartent chargés d’utopie, récits de luttes qui s’auto-diffusent aux quatre coins de l’Hexagone et images symboliques qui nourrissent l’imaginaire du reste des métropolitains, parmi tant d’autres observateurs intéressés.
Des échanges, oui, mais non-marchands, autant que faire ce peut. Par exemple avec la tenue d’un non-marché chaque semaine, où les productions locales sont mises à disposition de la collectivité, à prix libre.
Hors “normes”, aussi (car elles n’existent pas en réalité, ou avec si peu de légitimité), et ce jusqu’à la gestion des conflits. Ainsi le “cycle des 12” se propose d’intervenir dans la gestion de conflits interpersonnels, si l’on accepte de faire appel à lui. Ces 12 volontaires, tirés au sort, proposent un service de médiation, mettant en relation les personnes qu’un conflit sépare, pour résoudre ensemble leur différend, en étudiant sa source. La résolution passe par le dialogue, la pédagogie, l’éducation conjointe. Ainsi, affecté et affecteur, ou co-affectés et co-affecteurs, apprennent à se connaître, se comprendre et, naturellement, à se respecter. Parfois des mesures de réparation sont établies, mais celles-ci doivent être marquées par la volonté de l’endommageur de réparer. Ainsi on sort d’une culture de la sanction et de la justice expéditive, et on sort du recours systématique à l’Etat pour la gestion de conflits. C’est un processus qui prend du temps, mais cela est en accord avec le fait que la vie (la nature, la communauté) ait besoin de temps pour se régénérer, après avoir été blessée.
Même si la ZAD est composée d’objecteurs aux lois comme de proposeurs de cadres, la discussion entre toutes et tous au fil des années a permis de mettre d’accord les deux tendances sur la nécessité d’établir quelques limites morales dans la vie collective pour ne pas laisser faire les exactions les plus graves (interdiction des armes à feu, des agressions physiques…), tout en faisant également confiance au sens de responsabilité individuelle (dans le sens non-capitaliste, communal, du terme) pour agir de façon appropriée et légitime, sans avoir à expliciter des lois inflexibles et impersonnelles. Ainsi, quand conflit il y a, il ne s’agit pas seulement de se comprendre l’un l’autre pour résoudre le problème, il s’agit aussi de comprendre l’impact que cela a sur le collectif, puisque chacun en est composante.
Les autonomes les plus fervents acceptent ainsi de voir qu’ils sont autonomes dans le collectif, et qu’une responsabilité individuelle vis-à-vis du collectif leur en incombe de fait, car on ne peut s’extraire absolument d’un contexte social, puisque société il y a dès lors que deux êtres communiquent. Au même titre que les moralistes, ceux qui veulent imposer un comportement uniforme, identique au leur, car auto-jugé parfait pour l’intérêt général, ceux-ci apprennent l’auto-critique, à reconnaître que leur modèle personnel, intime, façonné pour soi, n’est pas exportable à l’infini. Les partisans du collectif apprennent ainsi à accepter qu’on ne puisse établir des lois universalistes, intrusives et imposantes, dans la recherche d’une société qui respire. La place est laissée à l’individualité dans le collectif, à la diversité dans l’unité. De même qu’à l’opposé, des limites sont co-pensées et co-acceptées, dans la reconnaissance d’un proto-cadre de société déjà existant, de fait, et dont il est nécessaire d’expliciter quelques valeurs, ne serait-ce que celles de base, pour permettre le vivre ensemble désiré.
L’auto-organisation, c’est compliqué et ça prend du temps, mais c’est le rythme adéquat pour une vie débattive. Hors, depuis quelques semaines, l’Etat est parvenu à imposer son rythme antisocial, ce qui a pu générer divergences d’opinion dans les actions à entreprendre dans l’urgence. Notamment vis-à-vis du déblocage de la route des chicanes, et dans le fait d’entreprendre, ou non, des négociations avec les institutions étatiques. Car restaient encore, avant l’attaque, à ces sujets-là et sur d’autres, des prises d’initiatives non-discutées collectivement, allant jusqu’à des actions à l’encontre de ce que le collectif a décidé. La légitimité de l’action individuelle, face à une urgence ou selon des convictions qui sont partagées ou pas par le collectif, est une des problématiques qui reste à creuser. Toutefois la guerre sociale déclarée par l’Etat a permis d’établir qu’en temps de résistance, toute action individuelle, en soutien du collectif, est souhaitée.
Franck Simonnet, membre du Groupe Mammalogique Breton et, avec celui-ci, directeur de la publication d’un Atlas des mammifères de Bretagne (éditions Locus Solus), nous parle aussi de la nature exceptionnelle existante à la ZAD. Mais il rappelle aussi que cette nature était banale à la base, mais c’est la destruction généralisée des écosystèmes (à l’échelle européenne, 80 % des insectes ont disparus) qui la rend exceptionnelle, en provoquant l’extinction d’espèces qui étaient autrefois communes.
Sur la zone, la protection de la nature est faite par les gens qui vivent là, car leur sensibilité écologique pour l’écosystème local s’est naturellement développée avec leur ancrage sur la zone. D’aucuns diraient “on ne chie pas là où on mange”. Ce bon sens s’exprime très concrètement, quand on laisse le temps à l’enracinement de se faire, à contre-courant de nos individualisations progressives, et du déracinement qui s’en suit.
La vie sur la ZAD est organique, c’est-à-dire vivifère, et non mortifère comme l’est la croissance infinie du capital et son mécanisme de réduction infinie des coûts
. La vie y est vivante et, comme une boucle, elle se mord la queue, comme une spirale, elle se contemple elle-même. Ainsi, le temps vécu sur la ZAD permet de se poser à nouveau les questions du rapport à la vie et à ce qui la compose, parfois en excès, comme le travail, parfois en carence, comme l’amitié. La ZAD c’est un espace existentiel, où l’on se pose les questions existentielles. Ce sont ces espaces que l’Etat veut tuer.De ces espaces, il en existe d’ailleurs pléiades sur le territoire occupé par l’Etat français. Des collectifs informels (c’est-à-dire non-déclarés auprès de l’Etat) qui remplissent les nécessités sociales que l’Etat ne remplit pas (quand il ne les provoque pas lui-même, les nécessités sociales), et cela sans perdre leur temps avec la paperasse qui sert à vérifier si leurs actions altruistes et désintéressées rentrent en accord avec les lois définies par les intérêts du capital. C’est le cas des Centres Sociaux Autogérés (CSA), présents dans de nombreuses villes, proposant activités sociales et culturelles, ouvertes au plus grand nombre, gratuites ou à prix libre. On peut parler aussi des street médics, ces soigneurs bénévoles qui viennent réparer les dégâts physiques causés par le “dialogue social” à coups de matraque qui nous est proposé par la démocrature. Des cratères dans la chair, c’est cela la politique sociale du gouvernement parisien.
Bien sûr, en espaces existentiels, il y a aussi les groupes affinitaires en tous genres, se retrouvant pour manifester ensemble et défendre leurs droits, mais aussi pour aller au cinéma, boire un verre. Groupements provoqués par des liens d’affinité qui se sont créés par proximité, par hasard, et qui amènent les gens, naturellement, à défendre ensemble leurs droits à s’aimer et à vivre dignement, à être humains, tout simplement. Et oui, les cercles d’amies et d’amis, ainsi que les bonnes relations entre collègues et camarades de classe, ce sont aussi des Zones À Défendre ! Il n’est pas encore besoin de déposer une demande en préfecture pour se réunir dans un espace public et jouer au foot ou faire une partie de pétanque, mais jusque quand ? La prochaine attaque considérée terroriste pourrait faire franchir ce pas, et imposer un couvre-feu permanent comme celui qui a cours dans les régions du Bakûr et du Rojava, au Kurdistan, cette ZAD de 2 millions de personnes occupée par l’Etat turc.
L’amitié, donc, est encore libre, mais les familles, elles, sont déjà ultra-contrôlées et normalisées (un papa, une maman…), les relations amoureuses aussi, de plus en plus, puisque Facebook oriente qui apparaît sur nos murs, selon si ses ingénieurs (et pas des “algorithmes” abstraits) pensent qu’untel ou unetelle a un profil qui pourrait “matcher” avec le nôtre… Match ? Oui, cela rappelle Tinder, je n’en dis pas plus, l’ubérisation des relations interpersonnelles est ici sans équivoque. Et encore, on n’a pas parlé de la CAF qui regarde qui couche dans votre lit pour décider à votre place si vous êtes en couple ou non…
Parfois, pour faire vivre ces lieux existentiels, des compromis sont faits et une association se crée, comme pour le centre de réfugiés autoconstruit de Vercheny. Les espaces existentiels ce sont aussi des expériences d’autonomie, comme quand vous faites un potager communal dans votre quartier, ou même rien que dans votre jardin. Ce sont aussi, à échelle un poil plus grande, des municipalités rebelles voire libertaires, comme celle de Commercy, ou simplement écologiques et sociales, comme celle de Saillans. La revue Silence vous fournira nombre d’exemples défiant le leitmotiv “rien ne bouge, ça ne prend pas”.
La diversité, sur la ZAD, s’exprime aussi dans les méthodes d’action : les non-institutionnelles (sabotage, désobéissance… mais aussi l’amitié comme dit plus haut) en plus des citoyennistes, souvent regroupés dans l’ACIPA (l’Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre-dame-des-Landes).
Diversité dans les soutiens également, provenant de tous les côtés, notamment au-delà, à travers les frontières. Et diversité dans les manières de soutenir : pancartes, rassemblements, actions coup de poing (occupations de mairie à Forcalquier et à Die). Même des évêques apportent leur soutien à Notre-ZAD-des-oiseaux-de-fer. Soutien pas seulement à ce que c’est, mais à ce que cela représente, à ce que cela pourrait être, à ce que cela veut dire. Soutien à cette indéfinissable recherche de liberté et de responsabilité, individuelles, collectives, populaires, de base, directes, écologiques, amicales et amoureuses. La ZAD est spirituelle, elle remplit les âmes d’un nouveau souffle de vie.
Image à la une : photo Sadık Çelik, Navarrete, Espagne.