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Le sou­venir de mes années d’in­car­céra­tion dans les pris­ons de Turquie, mar­qué au fer dans ma con­science, se réveille, et fait ressur­gir une époque bien précise.

Celles et ceux qui ont vécu ces années le savent, les généraux putschistes qui ont trans­for­mé la Turquie aux aurores du 12 sep­tem­bre 1980 en une prison à ciel ouvert, ne se sont pas sat­is­faits de con­fis­quer la lib­erté de mil­lions de per­son­nes, mais les ont aus­si for­cées à se pass­er de leur identité.

Les pre­mières vic­times du proces­sus de“réhabilitation” des généraux putschistes, furent les démoc­rates pro­gres­sistes et les révo­lu­tion­naires. Toutes les pris­ons mil­i­taires, en com­mençant pas celles d’Is­tan­bul, d’Ankara et de Diyarbakır, furent trans­for­mées en de ter­ri­bles “lab­o­ra­toires de reddition”.

Les résistances et les grèves de la faim

Dans les pris­ons de la dic­tature, l’outil le plus impor­tant d’op­pres­sion et de sanc­tion était l’im­po­si­tion de l’u­ni­forme,  dit “vête­ment unique”. Pen­dant que cette per­sé­cu­tion de “vête­ment unique” se pra­ti­quait dans toutes les pris­ons, et de toutes tailles [chez les hommes], le 14 juil­let 1982, dans la prison mil­i­taire de Diyarbakır, un “jeûne de la mort” [grève de la faim sans absorp­tion d’eau sucrée ou salée] débuta.

Lors de cette grève, Kemal Pir, Mehmet Hayri Dur­muş, Akif Yıl­maz et Ali Çiçek ont per­du leur vie. Avec la cir­cu­laire n° 13–1, pro­mul­guée en 1983, le port du “vête­ment unique” a été imposé à nou­veau en Jan­vi­er 1984, en com­mençant par la Prison mil­i­taire de Metris, à Istanbul.

Les 14–15 jan­vi­er 1984, les vête­ments civils des pris­on­niers ont été confisqués.

Le 11 avril 1984, les détenus des pris­ons de Metris et Sağ­mal­cılar, ont com­mencé une grève de la faim, avec les reven­di­ca­tions, “arrêt de la pra­tique du vête­ment unique”, “fin des tor­tures”, “instau­ra­tion de con­di­tions car­cérales humaines et sociales” et “recon­nais­sance du statut d’in­car­céra­tion poli­tique”. La grève de la faim, à laque­lle 400 pris­on­niers par­tic­i­paient, s’est trans­for­mée au bout de 45 jours, en un jeûne de la mort. A la fin de la résis­tance Abdul­lah Mer­al, Hay­dar Başbağ, Fatih Oktul­muş et Hasan Tel­ci ont per­du leur vie.

Suite aux protes­ta­tions des pris­on­niers, le 11 févri­er 1986, le régime putschiste, a rangé l’im­po­si­tion de l’u­ni­forme au tiroir. Mais les prob­lèmes dans les pris­ons n’ont pas dis­parus… Vio­la­tion des droits,  pra­tiques de tor­tures, vio­ls, isole­ments, ont con­tin­ué à exis­ter comme des con­stantes poli­tiques de “red­di­tions” des gou­verne­ments suc­ces­sifs, donc poli­tique de l’E­tat. Et dans les péri­odes ultérieures, de fortes et larges mobil­i­sa­tions de grève de la faim, et de jeûne de la mort ont à nou­veau inscrit vic­times et vio­lences d’E­tat dans l’his­toire de la Turquie.

Les résis­tances des années 90 dans les pris­ons, ont été trans­for­mées en des luttes destruc­tri­ces comme des jeûnes de la mort, des immo­la­tions, de sac­ri­fices en mar­tyr. Le pris­on­niers ont été aveuglés, non pas pour vivre, mais pour mourir… Des cen­taines de per­son­nes pré­cieuses et pleines de vie, ont été motivées à mourir et devenir des mar­tyrs. Aus­si bien dans les pris­ons qu’à l’ex­térieur, des per­son­nes ont été détru­ites avec cette approche et moti­va­tion, sans qu’il n’y ait de gain.


Petit rappel de Kedistan :
— En 1996 une grève de la faim de masse revendiquant l’annulation d’un circulaire concernant les prisons, a commencé à la prison de Diyarbakır par les détenus emprisonnés pour appartenance au PKK. Elle s’est élargie aux 2174 prisonniers dans 43 prisons, et 355 prisonnier ont fait un jeûne de la mort. 10 personnes ont perdu la vie lors de cette résistance.
— Le 20 octobre 2000, une grève de la faim a débuté simultanément dans plusieurs prisons. Les résistants revendiquaient entre autres, la fermeture des prisons de type F, l’annulation de la loi de lutte contre le terrorisme. Cette grève de la faim, entamée par 816 prisonniers, s’est transformée, en un mois, en un jeûne de la mort. Des opérations ont été menées par les forces de sécurité dans les prisons qui ont couté la vie de 2 gendarmes, 30 prisonniers et fait de nombreuses victimes de différentes maladies, particulièrement du syndrome de Wernicke Korsakof et des blessées, dont Veli Saçılık, qui y a laissé son bras. Cette ensemble d’opérations était nommé “Retour à la vie” (Oui l’Etat turc a beaucoup d’humour, rappelons nous de l’opération “Rameau d’olivier” menée actuellement à Afrin).
— Dans les grèves de la faim de masse, on peut également citer celle des travailleurs de TEKEL en 2010.
— D’autres grèves de la faim, furent menées récemment par Kemal Gün revendiquant la dépouille de son fils, et Nuriye Gülman, Semih Özakça enseignantEs licenciéEs par décret en fin 2016, et Esra Özakça, en soutien, auxquelLEs Kedistan a consacré un dossier spécial.

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Le “Vêtement unique” revient encore dans l’actualité

Finale­ment, la pra­tique du port de l’u­ni­forme dans les pris­ons, est rev­enue dans l’ac­tu­al­ité comme une poli­tique d’E­tat, 31 ans plus tard, en 2017, remise au goût du jour par le Prési­dent de la République Recep Tayyip Erdoğan, et est entrée en vigueur après la pro­mul­ga­tion d’un récent décret.

De plus, il y a de nou­velles pris­ons, de types spé­ci­fiques, qui sont con­stru­ites. Par ailleurs, le Min­istère de Jus­tice “prévoy­ant” que le nom­bre de détenuEs con­damnéEs ou en attente de juge­ment en déten­tion devait attein­dre en 2018, les 275 milles, plan­i­fie de com­pléter par 45 nou­velles pris­ons. Celles-ci, comme les pris­ons exis­tantes, appli­queront le port de l’u­ni­forme, con­traire­ment aux anci­ennes péri­odes, sans dif­férenci­er les déténuEs hommes ou femmes.

Et voilà, moi qui avait lais­sé der­rière moi mes années passées de 1980 à 1987, dans les pris­ons de Selimiye, Alem­dağ, Kabakoz, Metris et Sağ­mal­cılar, je vois que 37 ans plus tard, dans cette péri­ode actuelle de dic­tature, les pris­ons se trou­vent encore une fois devant l’im­po­si­tion du “vête­ment unique”.

Cette fois-ci, ceux et celles qui sont incar­céréEs, encore plus nom­breux-ses, sont les jour­nal­istes. Et pen­dant que j’écris ces lignes, j’ap­prends d’ailleurs qu’un de mes col­lègues et amiEs otages, le jour­nal­iste pho­tographe aux “pas qui courent” des années 90, Ahmet Şık a été libéré…

Ahmet Şık libéra­tion… 9 mars 2018

Une histoire d’indomptables

Vous le com­pren­drez aisé­ment, les sou­venirs de prison ne sont pas très agréables. Mais cette laideur ne vient pas des déten­teurEs de ces sou­venirs, mais se ressour­cent des turpi­tudes que le sys­tème leur a fait subir. Et c’est exacte­ment ce que j’ai expéri­men­té ces années-là. Je tiens à exprimer que mal­gré toutes la répres­sion dont j’ai été témoin à cette époque, je pense que les pra­tiques lib­er­ti­cides et la répres­sion subies par les pris­on­nierEs, les jour­nal­istes, intel­lectuelLEs, hommes et femmes poli­tiques et touTEs les opposantES aujour­d’hui dépassent large­ment celles du passé.

Avec l’his­toire que je vais vous racon­ter, je pense que vous com­pren­drez encore mieux l’essence de cette péri­ode passée maudite.

Tout le vécu des pris­ons de post coup d’é­tat mil­i­taire de 12 sep­tem­bre 1980, a une impor­tance péd­a­gogique, pour com­pren­dre, non seule­ment la résis­tance extra­or­di­naire de toute une généra­tion de jeunes, pro­gres­siste révo­lu­tion­naire et lib­er­taire, en face des généraux putschistes, mais aus­si pour saisir les par­tic­u­lar­ités d’une nou­velle généra­tion sociale “mono­type”, apoli­tique, créée par le dic­tat de l’E­tat, à la baïon­nette des per­sé­cu­tions, inter­dits, intim­i­da­tions, ter­reur et démagogies.

Si je mets à jour ce que j’écrivais plus haut, je dois dire : “37 ans plus tard, comme la péri­ode de 80–87, les pris­ons se trou­vent encore une fois devant l’im­po­si­tion du “vête­ment unique” et celle-ci, en tant que poli­tique d’E­tat, cible la déper­son­nal­i­sa­tion et la red­di­tion des opposantEs.” et je vous invite de ce pied, dans mon his­toire d’indomptables…

Etant un par­mi des mil­liers de jeunes pris en otage par la junte des années 80, je fais par­tie de cette histoire.

Le procès principal de Devrimci Sol 


Petit rappel de Kedistan :
Devrimci Sol, ou Dev-Sol (Gauche révolutionnaire), organisation d’extrême gauche marxiste-léniniste, ayant été active de 1978 à 1994, fait partie de tout un processus historique, que l’extrême gauche en Turquie a suivi, en gardant une certaine tradition, de scissions en démantèlements, renaissant parfois de ses cendres… Dev-Sol a précédé le DHKP‑C, (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple) fondé en 1994, toujours existant aujourd’hui.

J’é­tais une des 1243 per­son­nes jugées dans le procès dit “procès prin­ci­pal de Dev-Sol”, qui est con­sid­éré comme l’un des plus impor­tants sym­bol­es d’ab­sence de Droit du post 12 septembre. 

C’est en 1981 à la Cour de Loi Mar­tiale n°1, que com­mençait ce procès devenu “géant”, du fait que tous les dossiers des mil­i­tantEs ou per­son­nes liées à l’or­gan­i­sa­tion, accuséEs de toutes sortes de crimes, de “résis­tance à la police”, de “destruc­tion de bien pub­lic” ou “direc­tion d’une organ­i­sa­tion illé­gale” ou “meurtre”, pour lesquelles peine de prison, per­pé­tu­ité ou encore peines de mort [pour 250 per­son­nes] étaient demandées. Ce procès, pas­sant par divers­es étapes, appels, irrégu­lar­ités, pertes de dossiers,  a duré des années…

Moi, j’ai été jugé selon l’ar­ti­cle 146/1, et je suis resté der­rière les bar­reaux jusqu’en 1987, env­i­ron 7 ans et demi.

Le procès s’est ter­miné en 2009. J’ai été acquit­té. La Cour suprême a con­fir­mé les déci­sions en 2013, et le Procès prin­ci­pal de Dev-Sol fut au bout de 32 ans, enfin terminé.


Note de Kedistan : 
La plupart des personnes qui étaient accusées en vertu de l’article 146/1 du Code pénal turc, étaient passibles de la peine capitale. En 2009, Les secours rouges relayaient la fin de l’histoire. “Après avoir perdu les centaines de classeurs qui constituaient le dossier pénal, les tribunaux ’civils’ auront délibéré dans le sens de leurs prédécesseurs militaires. 39 des 1243 (!) accusés ont été condamnés à la prison à perpétuité. Vu l’ancienneté de faits, les quelques condamnés qui auront survécu au terrorisme d’Etat (nombreux sont les inculpés qui ont été assassinés durant les années 90) bénéficieront de prescription. Les peines de prison à vie ont été converties en peines de prison de huit années d’emprisonnement en vertu de la loi sur le terrorisme pour ce type de délits. La plupart des condamnés ayant déjà été emprisonné huit ans ou plus sont ressortis libres du tribunal. Un des avocats a déclaré qu’ils iraient en appel de cette décision. Il met en avant le fait que ce procès a débuté durant la période du coup d’Etat, période durant laquelle la seule méthode d’enquête était la torture. Vingt militants accusés dans ce procès ont également porté plainte devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour procès inéquitable.”

Voici une vidéo d’archive du procès prin­ci­pal Dev-Sol, enreg­istrée le 14 mars 1982, dans laque­lle je me trouve…

Le procès s’est déroulé dans une salle de sport. Nous voyons certains accusés se présenter. Nom, Prénom, adresse… Lorsque le Juge demande leur métier, ils répondent tous “révolutionnaire”.

(Nous sommes désolés, la vidéo a été sup­primée de Youtube. Nous cher­chons une copie)

Un instan­ta­né de la vidéo. J’ai tout juste 18 ans. (00:18)

Les bourreaux de la geôle à la prison de Metris

L’an­née 1983, fut un point cul­mi­nant pour la lutte dans la prison de Metris, que les généraux putschistes n’ont pas pu vain­cre quoi qu’ils fassent. En 1982, dans la prison de Diyarbakır, appelée tra­di­tion­nelle­ment “geôle”, les généraux ont pra­tiqué sur des Kur­des patri­otes, des méth­odes de per­sé­cu­tion et de tor­ture inouïes, ont ren­con­tré une résis­tance extra­or­di­naire, et qua­tre détenus de la faim ont sac­ri­fié leur vie lors des grèves de la faim. Cette résis­tance, qui a apporté d’im­por­tants béné­fices pour le réveil de l’i­den­tité kurde, fut égale­ment une grande source de sou­tien moral à toutEs les détenuEs qui résis­taient dans les pris­ons de la dic­tature, en com­mençant pas Metris. De nom­breux otages patri­otes kur­des, ayant vécu dans la geôle de Diyarbakır, ces jours de sauvagerie, n’ont pas pu sor­tir du trau­ma­tisme de cette péri­ode, pen­dant des années. Les sou­venirs de ces ter­ri­bles années inspirèrent de nom­breux poèmes, nou­velles, romans, pein­tures, films et pièces de théâtre.

Grève de la faim et commandant expert en tortures

Dans l’his­toire de résis­tance de la prison de Metris, la défaite vécue de la grève de la faim menée pen­dant 28 jours, en juil­let août 1983, fut la pre­mière brisure et mar­que de faib­lesse des autorités “de gauche” en prison [les cadres des struc­tures organ­isées empris­on­nés], et meneurs de la grève.

Dès le début 83, les per­sé­cu­tions s’é­taient inten­si­fiées. D’abord le nom­bre de let­tres à écrire autorisé aux pris­on­niers avait été lim­ité à deux par semaine. Ensuite, la pos­ses­sion de papiers et crayons fut inter­dite. Ain­si, on enl­e­vait la pos­si­bil­ité de défense des pris­on­nier et à la fois, on les empêchait de com­mu­ni­quer avec leurs proches. Peu de temps après, même les rasoirs sont devenus introu­vables. Les livres étaient con­fisqués, les sor­ties à la prom­e­nade étaient inter­dites. Nous allions com­pren­dre seule­ment plus tard, lorsque le port du “vête­ment unique” allait venir dans l’ac­tu­al­ité, que ces pra­tiques, qui tombaient pile dans la péri­ode de la nou­velle prison de type spé­cial de Sağ­mal­cılar, n’é­taient pas un sim­ple hasard. Ces oppres­sions psy­chologiques sys­té­ma­tiques et inter­dic­tions étaient dirigées par le com­man­dant Muzaf­fer, expert en tor­tures, venu de la geôle de Diyarbakır.

Afin de ten­ter de défaire le “pro­gramme de red­di­tion” des généraux, à Metris, 2000 pris­on­niers (oui, deux milles !) ont entamé une grève de la faim. Mais, pen­dant que les détenus pro­je­taient de pour­suiv­re la grève sans inter­rup­tion, jusqu’à l’ob­ten­tion des reven­di­ca­tions, c’est à dire finalis­er par une vic­toire claire, l’ad­min­is­tra­tion de la prison, sous la super­vi­sion du com­man­dant Muzaf­fer, a effec­tué une manoeu­vre subite. Les survête­ments des pris­on­niers leur ont été ren­dus, et l’ad­min­is­tra­tion a déclaré que per­son­ne ne serait for­cé de porter le “vête­ment unique”, et que les autres reven­di­ca­tions trou­veraient égale­ment répons­es dans le temps. Or, il s’agis­sait là d’une entour­loupe et elle était intel­ligem­ment pen­sée pour bris­er la force mas­sive et l’in­flu­ence de la résis­tance. La plu­part des autorités de gauche organ­isée ont décidé, sans pour autant com­pren­dre cette manoeu­vre subite et éton­nante, de cess­er la grève de la faim. Et celle-ci fut ter­minée au bout de 28 jours.

Les promess­es n’ont pas  été réelle­ment tenues par la suite.

1982, jour de “vis­ite ouverte” (sans cab­ine)
Sadık Çelik à gauhe en haut, Sul­tan Çelik, deux­ième à droite.

Avant le jeûne de la mort de 1984

Trois pris­on­niers révo­lu­tion­naires autonomes [n’ap­par­tenant à aucune struc­ture organ­isée de gauche], posaient donc cette ques­tion au 28ème jour de la grève de la faim. “Les promess­es seront-elles réelle­ment tenues ?”, et soulig­naient que c’é­tait une erreur de ter­min­er la résis­tance avant l’ob­ten­tion de toutes les reven­di­ca­tions et déclaraient qu’ils pour­suiv­raient la grève de la faim. J’é­tais l’un d’eux.

La déci­sion de pour­suite de la grève de ces trois pris­on­niers inté­grés dans le “quarti­er des malades” E‑20, avait été con­sid­érée par les autorités de gauche comme “inutile et anar­chiste”. Quelque part, ils nous avaient éti­quetés pré­co­ce­ment, avant que nous nous recon­nais­sions… Hon­nête­ment, pour ma part, j’en étais plutôt content…

Au 30ème jour, l’ad­min­is­tra­tion de la prison qui n’avait jamais ren­con­tré de grève de la faim au delà de 28, 29 jours, a paniqué. Ils nous ont amenés en urgence et de force, à l’in­firmerie et ont essayé de nous met­tre sous per­fu­sion. Suite à notre refus, ils nous ont trans­férés en ambu­lance, d’abord l’un d’en­tre nous, puis les deux restants, à l’hôpi­tal mil­i­taire Hay­darpaşa. A l’hôpi­tal, comme nous avons con­tin­ué de refuser les per­sua­sions des médecins pour le sérum, ils ont essayé de nous con­va­in­cre, par l’in­ter­mé­di­aire des pris­on­niers qui avaient arrêté la grève en cours d’hos­pi­tal­i­sa­tion et qui étaient encore présents sur les lieux. Les deux pre­miers jours nous avons tenu tête avant de ter­min­er la grève au 32è jour, avec notre pro­pre déci­sion col­lec­tive. Notre objec­tif était certes de pro­test­er con­tre les oppres­sions et inter­dits, mais aus­si con­tre l’in­co­hérence des autorités de gauche qui avaient mené cette résis­tance à l’échec. Les promess­es n’ont d’ailleurs pas été tenues et en très peu de temps les per­sé­cu­tions et inter­dits sont rev­enues sournoise­ment dans l’actualité.

C’est ain­si que le proces­sus trag­ique de la résis­tance du jeûne de 1984 avait com­mencé. Si les 2000 par­tic­i­pants avaient pu mon­tr­er la déter­mi­na­tion et la vivac­ité d’e­sprit, pour pour­suiv­re la grève de la faim de 28 jours, par encore quelques jours, la résis­tance qui suc­cèdera et eut son lot de vic­times aurait été évitée.

A la suite du jeûne de la mort de 1984, après une courte péri­ode de calme à Metris, en 1985 les per­sé­cu­tions ont recommencé.

Les généraux putschistes, ont ouvert les portes de la prison de type spé­cial Sağ­mal­cılar, con­tru­ite pour les résis­tants qui refu­saient de capit­uler, au deux­ième groupe d“indomptables”. Des cen­taines de pris­on­niers ont été retirés de la prison mil­i­taire de Metris et “exilés” à la prison de Sağmalcılar.

J’é­tais, en tant que révo­lu­tion­naire autonome, par­mi ces exilés “indompt­a­bles”.

Une pho­to culte de cette époque.

Mon meilleur ami por­tait l’uniforme…

Arrivés à la prison de type spé­cial Sağ­mal­cılar, nous sommes accueil­lis avec le “vête­ment unique” et autres sanc­tions. Puisque nous refu­sions de porter l’u­ni­forme et les fouilles à nu, nous avons subi des pas­sages à tabac et fala­ka [coups de bâton sur la plante des pieds].

Sadık Çelik. Prison de Metris, 1982

Comme, “indompt­a­bles” était notre répu­ta­tion, que voulez-vous, il fal­lait leur mon­tr­er qu’ils ne pou­vaient pas nous apprivois­er. A la fin de la journée, dans les couloirs, il n’y avait plus que des uni­formes déchirés, trans­for­més en ser­pil­lères, nos corps ensanglan­tés, meur­tris, trainés au sol, et nos slo­gans qui reten­tis­saient encore sur les murs. Nous fûmes jetés dans des cel­lules de six personnes.

En très peu de temps, nous pen­sâmes nos blessures pour com­mencer notre nou­velle vie en mode cellule.

J’ai enten­du dire que mon com­pagnon de route “Y”, dont je par­lais tou­jours en dis­ant “mon ami de dehors et de dedans”, avec qui, mal­gré des dizaines de deman­des déposées à l’ad­min­is­tra­tion de Metris, je n’avais pas réus­si à me trou­ver dans le même quarti­er, aurait accep­té de porter le “vête­ment unique”… C’é­tait pour moi, une sit­u­a­tion remuante et triste. Il fal­lait que je fasse quelque chose. J’ai réfléchi et j’ai pris une déci­sion qui peut vous paraître sur­prenante. J’al­lais accepter de porter l’u­ni­forme et j’al­lais faire une demande pour aller dans le même quarti­er que Y. J’ai d’abord par­lé de cette déci­sion et de ses motifs à mes cama­rades de cel­lule. Ils ont accueil­li cette idée avec com­préhen­sion et respect. “C’est une folie, mais ça vaut le coup d’es­say­er” a dit, un de mes camarades…

Le lende­main, lors de l’ap­pel du matin, j’ai ten­du ma demande écrite au gar­di­en. Après l’ap­pel, j’ai pré­paré mes affaires et j’ai com­mencé à atten­dre. L’échap­pa­toire [la porte] de notre cel­lule s’est ouverte vers midi, et le gar­di­en chef a annon­cé “Sadık Çelik, ta demande a été accep­té. Pré­pare tes affaire et sors !”. J’é­tais déjà prêt…

J’ai dit au revoir à mes cama­rades de cel­lule et, avec les gar­di­ens, j’ai repris le sens inverse les couloirs que j’avais tra­ver­sé il y a quelque temps, en étant trainé au sol, en sang. Je suis arrivé au Bloc B. Le gar­di­en en chef et le lieu­tenant étaient tout heureux. Voilà donc enfin, ils avait pu faire capit­uler un “indompt­able” ! Et moi, je souri­ais intérieure­ment, et je vivais une autre joie. Lorsqu’on est arrivé devant le quarti­er de Y, le lieu­tenant m’a dit “Sadık Çelik, nous te met­tons dans le quarti­er d’à côté. Mais ne t’in­quiète pas, vous allez utilis­er la même prom­e­nade”. Le gar­di­en en chef a ajouté tout en me ten­dant un sac plas­tique con­tenant l’u­ni­forme “tiens, ce sont tes nou­veaux vête­ments”.

Nous avons donc avancé encore un peu. Ils m’ont ouvert la porte. Et les pris­on­niers sous uni­forme m’ont accueil­li avec des sourires. Je me sou­ve­nais de cer­tains d’en­tre eux, de la prison de Metris. Il s’agis­sait des détenus, jugés dans le procès de E.B. Après un peu de papotage, ils m’ont mon­tré le lit super­posé sur lequel j’al­lais dormir. J’ai pris mes affaires, et je m’y suis instal­lé. Mais ce “vête­ment unique” a atten­du un long moment sur le coin de mon lit. J’avais du mal à ten­dre la main. Je me sou­viens que finale­ment, je l’ai attrapé et mis, tout en dis­ant à moi-même “qu’est-ce qu’il est froid !”…

Dans l’après-midi, il y a la deux­ième séance de prom­e­nade. J’avais dit à mes cama­rades de quarti­er que je voulais faire une sur­prise à mon ami Y, et je les ai prié de ne  pas dire mon nom, si quelqu’un du quarti­er voisin demandait qui été arrivé. Ils en étaient “d’ac­cord”. Et la porte de la prom­e­nade com­mune s’ouvre.

La prison de Mamak 1981

Comme les pris­on­niers accè­dent à la prom­e­nade selon les numéros des quartiers, les gar­di­ens ouvrent d’abord la porte de celui de Y. Quelques min­utes plus tard, la nôtre. Et voilà, mon ami est en face de moi…

Lorsqu’il me voit face à lui, por­tant l’u­ni­forme, il reste d’abord sans voix, sur­pris. Ensuite nous nous enlaçons en toute ami­tié… Puis, dans un coin de la prom­e­nade, près du mur, nous com­mençons à faire les cents pas. Je lui dis “je suis venu ici pour te par­ler, l’u­ni­forme est pré­texte”. “Com­ment ça, après tu vas enlever le “vête­ment unique” ?” demande-t-il avec éton­nement. Je lui réponds en souri­ant, “oui, et même peut être nous l’en­lèverons ensem­ble…”. Il s’ar­rête un moment, silen­cieux. Puis reprend “je te com­prends et je te respecte. Mais sur ce sujet, je pense main­tenant dif­férem­ment de toi. Je ne veux pas ral­longer l’in­car­céra­tion avec des sanc­tions dis­ci­plinaires. Je veux rester tran­quille et être libéré le plus rapi­de­ment pos­si­ble”.

C’é­tait bien sûr, la préférence de plein de gens. Mais mal­gré tout, je ne m’at­tendais à enten­dre cela d’un résis­tant mil­i­tant. J’ai con­tin­ué un moment à marcher, en silence, sans savoir quoi dire. Ensuite j’ai com­mencé à par­ler des objec­tifs de cette pra­tique d’u­ni­forme, et quelles seraient ses con­séquences. Je voulais le con­va­in­cre, pour qu’il enlève l’u­ni­forme. Je le con­nais­sais, et je savais com­bi­en il était capa­ble de résistes aux con­di­tions d’op­pres­sion. Il n’é­tait pas une per­son­ne qui aban­don­nait vite, qui se résig­nait facile­ment. Nous avions accueil­li les mil­i­taires de la dic­tature du  12 sep­tem­bre 1980, à la prison d’Alem­dağ, ensem­ble, coude-à-coude. Notre colère envers les généraux qui avaient volé notre jeunesse presqu’en­fant, était grande, et nous ne con­nais­sions aucune force qui pou­vait tenir devant cette colère légitime. De plus, nous étions deux per­son­nes révo­lu­tion­naires indépen­dantes, qui avions pu sor­tir de la hiérar­chie idéologique organ­i­sa­tion­nelle et autori­taire. C’é­tait impor­tant, parce qu’en tant que “per­son­nes indépen­dantes, il était très dif­fi­cile, même impos­si­ble de faire face au ter­ror­isme de tor­tures, inter­dits et d’op­pres­sion que les généraux putschistes, fai­saient pra­ti­quer sys­té­ma­tique­ment dans la prison. Nous étions oblig­és de dépass­er cette réal­ité avec un courage proche de la folie, et nous l’avions réussi.

La seule chose qui nous tenait debout, nous les révo­lu­tion­naires indépen­dants, était le sou­tien et l’af­fec­tion de nos familles et proches qui essayaient de lut­ter pour nous, dehors, dans des con­di­tions encore plus dif­fi­ciles. Par­ti­c­ulière­ment, la sol­i­dar­ité de nos mères, leur résis­tance, était la pré­cieuse source de morale de notre résis­tance. Con­traire­ment à ce qu’on peut penser, nous n’é­tions pas seuls, ni dés­espérés. Quelles que soient les con­di­tions, tous les deux, nous ne nous étions pas ren­dus devant le ter­ror­isme des généraux enne­mis du peuple.

On se posait des ques­tions. Com­ment cela fai­sait-il que nous nous trou­vions, deux com­pagnons de route, devant un tel car­refour, une sépa­ra­tion de chemins ? Que résoudrait l’ac­cep­ta­tion de porter l’u­ni­forme aujour­d’hui ? L’u­ni­forme fai­sait par­tie de la répres­sion que les putschistes pra­ti­quaient depuis cinq ans, afin de bris­er la force et la légitim­ité de la résis­tance. Nous avions même eu des morts sur le chemin de cette résistance.

Ce jour là, pen­dant l’heure de la prom­e­nade, et tous les jours qui l’ont suivi, nous avons dis­cuté pour répon­dre à ces ques­tions. J’ai fini par com­pren­dre avec tristesse, que je n’al­lais pas avoir les répons­es que j’at­tendais, et que notre fra­ter­nité de résis­tance n’y était plus. Et Y et moi, avons échangé nos dernières paroles, et nous nous sommes salués pour ne plus se retrou­ver dans la même prom­e­nade à faire les mêmes cent pas.

Je me suis dit intérieure­ment “la fra­ter­nité et l’e­sprit mil­i­tant que nous avions entretenus depuis des années, devaient donc s’ar­rêter ici” et je lui ai exprimé ce que je ressen­tais “Nous avons dit tout ce que nous pou­vions nous dire. Je pense qu’il serait insen­sé de par­ler davan­tage. Je ne serais pas ici, au prochain jour de prom­e­nade. Demain, lors de la vis­ite, je vais expli­quer à ma mère, pourquoi j’ai porté l’u­ni­forme. ensuite je vais l’en­lever et je retourn­erai à la résis­tance. Fais bonne route mon frère, prends soin de toi.”

Fils, tu m’as fichu la frousse”

Le lende­main, après l’ap­pel du matin, l’heure des vis­ites arri­va… Ma mère, vien­dra-t-elle à ma vis­ite ? Parce que je ne lui ait ni écrit de let­tre, ni envoyé de télé­gramme…  Je ne l’ai pas fait, c’é­tait volon­taire. Parce que j’é­tais venu con­va­in­cre Y, et ma sit­u­a­tion était tem­po­raire. Elle ne savait donc pas encore que j’avais accep­té de porter l’uniforme.


Note de Kedistan :
Sultan Çelik, mère de Sadık Çelik, est une des fondatrices/teurs de TAYAD, l’Association de solidarité avec les familles des prisonniers. Elle a fait partie de la lutte des familles de détenuEs, dans la période post coup d’Etat du 12 septembre 1980. Devenue une des figures marquantes de cette période, elle a été surnommée “Mère Sultan”. Elle est également une fondatrice de Özgür-Der (Association droit à l’opinion libre et à l’enseignement) et DEMKAD (Femmes dans la lutte pour la démocratie). Elle est décédée le 25 juillet 2003 suite à un cancer.

Sultan Çelik

Sul­tan Çelik

Jour de vis­ite ou non, ma mère, ou “Sul­tan ana”, Mère Sul­tan de TAYAD, tient tous les jours la garde, devant la prison, avec d’autres mères et pères dirigeantEs de l’as­so­ci­a­tion. Cette garde de sol­i­dar­ité, per­met aux familles de suiv­re de près les nou­velles con­cer­nant les pris­on­niers, et de main­tenir la vivac­ité du soutien.

Les vis­ites sont inter­dites aux pris­on­niers qui refusent l’u­ni­forme mais pas à ceux qui le por­tent. Lors des jours de vis­ite, les sol­dats lisent aux vis­i­teurEs, la liste des pris­on­niers qui ont accep­té de porter l’u­ni­forme et si ces derniers ont de la vis­ite, ils les prévi­en­nent. Alors, aujour­d’hui, se serait une journée de sur­prise pour ma mère. Comme l’idée que je puisse accepter le “vête­ment unique”, ne tra­verse même pas son esprit, lorsqu’elle enten­dra mon nom, elle n’ac­cueillera pas cela très chaudement…

Vers la fin de l’heure de vis­ite, la porte de notre quarti­er s’ou­vre, et le sol­dat lit sur la liste, mon nom.“Sadık Çelik. Tu as de la vis­ite, prépare-toi !”

Je me pré­pare et j’at­tends près de la porte. Je suis un peu ému et ten­du. La porte s’ou­vre, et mes pieds me por­tent, moi qui n’ai pas vu de vis­i­teurE depuis des mois, vers la cab­ine. En com­pag­nie du sol­dat, j’at­teins la cab­ine. Et j’attends.

Je revois ma mère après des mois, avec une impres­sion d’in­quié­tude sur le vis­age. Je lui dis “ne t’in­quiète surtout pas. C’é­tait une sit­u­a­tion bien par­ti­c­ulière. J’ai mis l’u­ni­forme pour aller con­va­in­cre Y, mais mal­heureuse­ment je n’ai pas réus­si. Demain j’en­lèverai l’u­ni­forme et je retourn­erai à mon quarti­er de résis­tance. Aujour­d’hui, j’ai voulu accepter les vis­ites, car je voulais t’en informer. Je n’au­rais pas voulu que tu me vois comme ça”. Ma mère, ayant com­pris la sit­u­a­tion respire un grand coup, “Fils, tu m’a fichu la frousse. Tu ne peux pas savoir comme je me suis sen­tie mal quand ton nom a été lu. Si Sev­gi ne m’avait pas dit, ‘Va soeur Sul­tan, va voir, peut être qu’il y a une rai­son’, je n’au­rais pas  mis pieds ici. Je n’ou­blierai jamais com­ment les gens m’ont regardée quand le sol­dat a lu ton nom. Ce genre de sit­u­a­tions est com­pliqué pour nous, les familles. Surtout si le fils d’unE des dirigeantEs de TAYAD fait une chose pareille. C’est encore plus dif­fi­cile d’ex­pli­quer cela aux familles. Fils, ne recom­mence pas, ne mets pas sur ton dos cette ser­pil­lère et ne m’ap­pelle pas dans la cab­ine de vis­ite. Je ne voudrais pas venir te ren­dre vis­ite avec honte” me dit-elle. Je lui réponds “vrai­ment désolé de t’avoir fait honte, mais ne t’in­quiète pas, la prochaine fois, tu vien­dras à ma vis­ite non pas avec honte mais avec joie. Juste­ment, pour que ce jour arrive, on con­tin­ue à se bat­tre, nous dedans, vous dehors, avec sol­i­dar­ité. Ton fils sait qu’il n’est pas seul, quelles que soient les cir­con­stances. Je suis fier d’avoir une mère bien­veil­lante et pleine de sol­lic­i­tude. C’est avec les mêmes sen­ti­ments que je salue toutes nos mères, nos pères, frères et soeurs qui sou­ti­en­nent notre résis­tance. Nous allons vain­cre avec la force que nous prenons de votre affec­tion et amour, j’en suis con­va­in­cu”. Ma mère aux joues œil­lets, me regarde avec ses yeux rem­plis de ten­dresse, “oui, fils, on vain­cra ensem­ble. Que mon amour et ma ten­dresse t’ac­com­pa­g­nent tou­jours, toi, et tous mes autres enfants empris­on­néEs”. Elle quitte la cab­ine de vis­ite, tête haute, coeur léger…

A ce moment de mon réc­it, je me dois de faire une pause, avant de vous décrire l’an­née suiv­ante, que me réser­va l’ad­min­is­tra­tion des pris­ons, dans l’isole­ment le plus complet.

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L’u­ni­forme dans les pris­ons de Turquie • Les indompt­a­bles | 2 


Pho­to à la une : Une scène du film “Kan­lı Postal” (Bottes ensanglan­tées). L’his­toire de ce film réal­isé par Muham­met A.B. Arslan, sor­ti le 11 sep­tem­bre 2015, se passe lors du coup d’E­tat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980, à la prison de Diyarbakır (Video en turc)


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REDACTION | Journaliste 
Pho­tographe activiste, lib­er­taire, habi­tant de la ZAD Nddl et d’ailleurs. Aktivist fotoğrafçı, lib­ert­er, Notre Dame de Lan­des otonom ZAD böl­gesinde yaşıy­or, ve diğer otonom bölge ve mekan­lar­da bulunuyor.