“Ils ont bétonné ‘Göbekli Tepe’, il n’y a qu’à moi que cela fait mal ?” dénonce sur les réseaux sociaux Çiğdem Köksal Schmidt, archéologue, photos à l’appui…
Çiğdem est la compagne et collègue de Klaus Schmidt, qui a mené les travaux de recherches archéologiques au Göbekli Tepe, du 1995 au 2014 jusqu’à son décès.
Göbekli Tepe, littéralement “colline au nombril” doit son nom à sa forme. Il s’agit d’une butte artificielle haut de 15 mètres et d’une diamètre de 300 mètres. Elle se trouve à une vingtaine de km au nord-est de la ville de Şanlıurfa, au sud-est de l’Anatolie, près de la frontière de Syrie.
Même Wikipédia informe les néophytes “Göbekli Tepe est un site archéologique occupé de la fin du Mésolithique (voir Khiamien) au début du Néolithique (plus précisément le Néolithique précéramique A)”.
On remonte donc jusqu’aux chasseurs-cueilleurs…
Selon Klaus Schmidt; les enceintes symbolisent des assemblées humaines, et les pierres levées, disposées en cercle, représentent des personnages stylisés. Et même si la domestication des animaux n’aura lieu que mille cinq cents ans plus tard, et si les graminées récoltées sont encore de type sauvage, le site a dû, selon Klaus, jouer un rôle important dans le passage d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société agricole et aussi être le lieu d’une “révolution religieuse”.
Le site a été proposé en 2011 pour une inscription au patrimoine mondial et figure sur la “liste indicative” de l’UNESCO dans la catégorie patrimoine culturel.
Çiğdem faisait déjà part de ses inquiétudes déjà fin décembre 2017, en informant que pour dégager les eaux de pluie, des canaux avaient été creusés dans les vestiges, et que de nombreux murs et parties avaient été découverts. Elle demandait, avec bon sens, la suspension des travaux d’aménagement , afin d’observer les nouvelles trouvailles.
Pendant ce temps là, le Ministère faisait sa com sur le site fermé au public depuis juin 2016 : “Göbeklitepe a été inscrit sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO il y a cinq ans et sera l’un des candidats de la Turquie à entrer sur la liste permanente, au cours de la 42e session du Comité du patrimoine mondial cette année. Les derniers préparatifs sont en cours pour la candidature de l’UNESCO. La construction d’un toit de protection de 4 000 mètres carrés, d’un coût de 6,6 millions d’euros, vise à soutenir l’application. Le toit facilitera la préservation à long terme de l’ancienne colonie.”
Décidément la Turquie est moderne et le ciment est l’avenir… Les travaux à Göbekli Tepe continueraient donc par un projet de route réalisé par Doğuş Gurubu, un groupe international d’investissement turc, existant depuis près de 70 ans. Le groupe gère plus de 300 entreprises et ne compte plus ses 35 000 salariés qui s’activent dans huit domaines, automobile, construction, tourisme et services, médias, immobilier, énergie, restauration, distribution… Le groupe annonce sur son site avoir “réalisé plus de 190 projets de méga-infrastructure et de superstructure depuis 1951 pour une valeur totale de 17 milliards de dollars”… C’est donc l’entreprise de la situation… Nous avons l’habitude de croiser Vinci par-ci, Areva par-là, dans les projets mégalos et destructifs d’Erdoğan, et là, en deux clics nous apprenons que Group Doğuş joue dans la cour des grands et profite lui, “de la synergie crée” comme il l’annonce sur son site, en faisant copain copain dans la construction avec Alstrom.
Bétonner les racines de l’humanité…
Notre bijou néolithique aura donc bientôt sa route en asphalte pour lui tout seul. Tout comme les “yayla”, ces plateaux précieux et sauvages sur les montagnes de la Mer Noire, auxquels l’Etat turc a décidé d’offrir, ‑bien sûr tout en créant des synergies qui rapportent‑, une grande route bordée de “structures touristiques de qualité”. Cette route est nommée “La route verte”, pour cacher sans doute les kilomètres carrés de forêt rasés. Oui, l’Etat turc a de l’humour, rappelons donc le nom de l’opération destruction, menée actuellement à Afrin ; “Rameau d’olivier”.
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Bref revenons à la colline au nombril.
Çiğdem Köksal Schmidt dénonce et s’indigne :
“Ici c’est Göbekli Tepe. Ce qu’on voit juste à côté de la zone fraichement bétonnée, est l’édifice F, que nous avons nommé ‘Temple du rocher’. Et la zone que les machines de travaux n’ont pas cessé d’écraser est à trois mètres de ces vestiges architecturaux appartenant à l’époque néolithique. Lorsqu’ils ne voient rien sur la surface, ils pensent qu’il n’y a rien en dessous non plus…”
“Là-bas, à 15 cm de profondeur, sur la roche principale, il se trouve des traces datant de l’époque néolithique. En 2015, ils avaient démonté une partie du chemin de visite en bois. Pourquoi ? Ils prévoyaient de changer d’itinéraire… Le nouvel itinéraire défini se trouve sur une zone que Klaus avait volontairement tenu à l’écart de l’intensité des visites. Ils avaient dit quand Klaus était encore en vie, “Nous allons construire le chemin de bois sans interruption jusqu’au centre de la visite. Nous n’étendrons absolument pas de béton sur la zone du site, nous ne mettrons pas d’asphalte”. Ils se dépêchent de faire tout ce dont il ne voulait pas, toutes les choses qu’il savait destructrices pour Göbekli Tepe. Il n’est impossible de décrire le niveau de destruction que j’ai vu en visitant Göbekli Tepe ce matin. Moi, je parle de destruction, eux, construisent une route. Ils disent que c’est le projet. Sur la zone, il n’y a pas unE seulE archéologue, unE représentantE du Ministère, ou personnel des musées. Alors qu’unE archéologue ne peut faire un seul pas, même en faisant des visites, sans la présence d’unE représentantE du ministère, donne-t-on aux entreprises de construction ayant obtenu l’appel d’offre, une permission de circulation sans durée déterminée sur les sites classés, et une autorisation qui dit “fais ce que tu veux” ?