Cet aspect de la militarisation radicale de la société civile turque, et d’une partie de sa jeunesse, est encore extrêmement ignorée par les commentateurs de la Turquie. Cela se déroule pourtant sous nos yeux.
En trois clics sur Internet, apparaissent des centaines de vidéos comme celles que nous publions ici.
Ces vidéos, pour la plupart montées avec soins, beaucoup en provenance de médias “officiels”, démontrent qu’un travail de fond est orchestré en Turquie, en s’appuyant sur l’offensive en Syrie des forces spéciales turques, aidées par les supplétifs du djihadisme syrien recyclé.
Cette militarisation ultra-nationaliste et bigote est parfaitement décrite en détail dans les deux derniers articles qu’Etienne Copeaux vient de publier sur son blog récemment. Nous vous conseillons fortement, après le visionnage des vidéos ci-dessous, d’en prendre connaissance sur son blog incontournable qu’est Susam Sokak.
Et même si la version kémaliste d’antan était assez croquignolesque, elle avait pourtant déjà aussi un caractère d’endoctrinement qui faisait adorer le père de la Nation à jamais.
Cette militarisation aujourd’hui synthèse du kémalisme dans sa version la plus ultra-nationaliste avec l’islamisme politique et ses renvois explicites vers l’inconscient turc du génocide refoulé et la puissance ottomane ancienne “en danger”, pour faire court, galvanise des couches sociales et générationnelles, dans des mises en scène qui fond froid dans le dos.
De la maternelle aux “étudiants”, en passant par les collèges et lycées, ces cérémonies remplacent celles des rentrées scolaires précédentes, célébrant les héros de la Nation et les martyres du coup d’état manqué. Elles ne les remplacent pas exactement, mais les prolongent en désignant cette fois les “ennemis extérieurs” et en exaltant la “défense de nos terres”. Retour en arrière sinistre d’un siècle.
Ainsi se compose un paysage que l’on pourrait pressentir comme pré-électoral, mais qui contient en lui-même le fascisme islamiste quotidien de la société nouvelle turque, rêvée par Erdogan.
Rappelons que les prémisses de cette radicalisation là était déjà fortement présents dans les graffitis et mises en scène des forces armées, lors des massacres perpétrés sous couvre-feux depuis 2015. Si, à cette époque, les gülenistes (FETÖ), depuis écartés, étaient également du nombre des massacreurs, le noyau dur des forces armées aux ordres du Reis s’est depuis épuré et radicalisé à l’extrême droite. Sans compter les groupes paramilitaires qui se sont constitués. Par ailleurs, la société civile de l’Ouest de la Turquie était plongée dans l’ignorance et la propagande, médias à l’appui, mais pas encore à ce point manipulée dans son inconscient collectif.
Une étape supplémentaire vient donc d’être franchie avec Afrin, préparée par les vagues de purges, d’incarcérations et une politique de peur sous influence, qui fut celle de juillet 2016 à 2018.
Le vote du budget de guerre colossal annonçait la suite qui se déroule aujourd’hui, sous la houlette du nouvel Atatürk, version ottomane et fascisante. Le retour à la turcité triomphante contre tous ces “ennemis” de l’intérieur et de l’extérieur l’emporte désormais sur les louanges de la Turquie “moderne” et bétonneuse de 2023, difficultés économiques obligent.
Kedistan exagère, comme toujours … Et d’ailleurs, c’est si loin de l’Europe…
Regardez la suite, et vous aurez la réponse à la question : “Loup gris, pourquoi as-tu une si grande barbe ?”
Dans les lycées et collèges
A Kelkit, district de Gümüşhane
Chorégraphie. Ensuite, garde à vous, salut et serment :
“Repète à voix haute”
“Que cela soit le serment prêté à Allah qui fait exister, et qui remplit notre poitrine de la lumière de la foi, au Coran, à la Patrie, au drapeau et au fusil.
Que mes Şehit (martyrs) dorment tranquilles, que mes gazi (blessés de guerre) soient en sûreté.
tant que jeunesse turque, notre combat,
contre les traitres, les séparatistes, les terroristes et toutes sortes d’intrus
durera, jusqu’au dernier soupir, dernier soupir, et la dernière goutte de sang.
Dans notre combat, nous ne serons pas de ceux qui fuient, qui se cachent, qui se résignent.
Nous ne nous résignerons pas. Nous ne nous effondrerons pas.
Nous vaincrons ! Nous vaincrons !
Que Allah protège et élève la Nation turque. Amin.”
Il existe des centaines de vidéos semblables avec des serments plus ou moins différents mais du même style.
Mais continuez donc à lire, car il n’y a pas que les “grands enfants” qui sont concernés. Nous descendrons jusqu’aux maternelles…
A Alanya, district d’Antalya
763 élèves réalisent une chorégraphie de soutien aux militaires en opération à Afrin. Les élèves composent le drapeau et un rameau d’olivier, et écrivent “Nous sommes tous des Mehmet” (Prénom générique utilisé traditionnellement, pour parler du “soldat ordinaire”). Suivi du discours du directeur, en résumé : “Les élèves ont écrit des lettres aux soldats, et nous avons fait une récolte d’argent qui, pour nous, ont un sens plutôt symbolique, afin de montrer ce dont est capable de faire la Nation de cette Patrie”. Se termine sur des images montrant les 7 658 livres turques récoltées…
Yozgat (Lycée)
Le Proviseur : “A‘ūdhu billāhi min ash-shaitāni r‑rajīmi (Je demande la protection d’Allah contre Satan le banni.) Bismi-llahi r‑Rahmani r‑Rahimi (Au nom d’Allah clément et miséricordieux). Ya Rabb (Seigneur), enlève les nuages noires qui survolent notre pays ces jours-ci, Ya Rab. (Les élèves : Amen !). Ya Rab ne donne pas l’opportunité aux ennemis intérieurs et extérieurs qui veulent diviser notre pays, Ya Rab. (Amen). Ya Rab, les Etats n’arrivent pas prendre le dessus et envoient les terroristes sur nous Ya Rab. Fais les disparaitre de ce monde, Ya Rab. (Amen). Ya Rab, nous saluons nos soldats qui combattent en ce moment en Syrie, à Afrin, pour l’unite de notre Nation, et l’intégrité de notre Patrie, Ya Rab. (Amen)
[…] Ya Rab, notre Nation est une telle Nation qu’elle peut se passer de toutes les beautés du monde pour sa Patrie. La plus beaux exemples [pour illustrer cela] êtes vous mêmes, qui lors du 15 juillet, avez crié depuis le sol, ‘descend!” à l’avion qui passe, et bouché le pot d’échappement des chars, voire se coucher devant de tout votre corps, Ya Rab. (Amen)
[…] Ya Rab, fais en sorte qu’un jour nous protégions la Patrie nous aussi, Ya Rab. (Amen). El Hamdouli’Allah (grâce [soit rendue] à Allah)…”
Kayseri (Lycée)
A Bursa (Lycée)
Marche Mehter (Marche militaire ottomane, faisant référence aux Janissaires) au démarrage… Composition chorégraphique Afrin et “Rameau d’olivier”
Elmadağ, Ankara (Collège)
Ecole primaire…
A Yenipazar, district de Yozgat.
“Ecole de Yeni Pazar, répète ce que je dis”
“De Yozgat à Afrin — nous envoyons des salutations.
Les courageux à Afrin — que allah vous protège.
Cette Patrie ne peut être divisée — Nos martyrs ne meurent pas.
Nous sommes des petits enfants ottomans — nos poignets ne peuvent être tordus.
Frappe mon Mehmet, que ça résonne — que tout le monde nous entende
Ceux qui nous font du mal — qu’ils aillent six pieds sous terre
Les prières des mères — le rêve des pères
l’espoir des frères/soeurs — les lions à Afrin,
D’un côté le PYD — de l’autre côté le PKK,
Même si vous venez tous ensemble — votre force n’est pas suffisante pour nous
Nous sommes la génération de Fatih (Mehmet le conquérant) — Nous sommes l’essence de Yavuz (sultan génocidaire des Alévis)
Sur le chemin d’Atatürk — nous sommes des jeunes de la République
Les salah (appel à la prière) dans les mosquées — des prières sur les langues
Notre dos ne touchera pas le sol — personne ne pourra nous diviser
La région de Yozgat Bozat — district de Yenipazar
Salut de notre part aux lions d’Allah”
A Sivas
Un aigle dans mes cieux, tu es un loup dans mes montagnes.
Ce devoir est devoir sacré, que mon Dieu te protège
Que des salutations infinies aillent de Sivas à Afrin
Que tous mes ennemis, soit chassés de mes terres.
Petit Mehmet qui défend ma Patrie, que ma vie soit sacrifié pour toi.
Que des salutations infinies aillent de Sivas à Afrin
Pères, mères, compagne/nons, enfants, vous avez laissé derrière vous.
L’objectif et la “Pomme rouge” et le courage dans le coeur
[Pomme Rouge :
Que des salutations infinies aillent de Sivas à Afrin
[vous êtes partis] Des bras des mamans, vers les foyers du prophète,
De l’enfance chaleureuse, au cercueil couvert du drapeau
Que des salutations infinies aillent de Sivas à Afrin
Nous mourrons un, nous naitrons mille. La Patrie ne peut être divisée.
Celui qui meut pour la Patrie, ne peut être effacé de l’Histoire.
Que des salutations infinies aillent de Sivas à Afrin
La dernière armée de l’Islam, est toujours près de l’opprimé
Les lions d’Allah sont à la porte d’Afrin.
Que des salutations infinies aillent de Sivas à Afrin
Tant de martyrs nous avons donné pour cette Patrie
Chez nous, les Petits Mehmet ne finissent pas, pour cette Patrie
Je suis le soldat turc, tu me trouveras dans les quatre coins de mon pays
Tu me reconnaitras de mon casque sur ma tête et mes bottes sur mes pieds.
que celui qui ne connait pas mon prénom, m’appelle Petit Mehmet.
Cette Patrie est à nous, il n’y a pas besoin de loi
A l’endroit où le soldat est présent, l’étranger ne peut entrer.
.….Suivi de la chorégraphie du drapeau et Afrin.…
A Çemisgezek, district de Tunceli
“Nous sommes les citoyenNEs de la République de Turquie.
Nous sommes prêts à donner volontiers, notre vie pour notre Patrie.
Nos soldats qui se battent à Afrin, sacrifient leur vie pour notre sécurité,
et nous sommes prêts à donner volontiers, notre vie pour cette Patrie.
Allah aide nos soldats à Afrin.
On peut vivre sans mère et sans père,
mais on ne peut pas vivre sans Patrie.
Patrie, je sacrifie ma vie pour toi !” (salut militaire).
Suivi de l’expression des enfants, dans le même style.…
Denizli
Le reportage s’intitule : “Ils/elles comprennent”
Voix off : “Ils/elles sont ceux qui peuvent remplir dans leur minuscule coeur un amour infini. Ils sont ceux qui peuvent voir la vie dans son état le plus innocent. Ils sont ceux qui donnent le sens à nos vies. Ils sont nos enfants…”
Les enfants :
“Nous avons trois ans. (chaque phrase est répétée).
Nous avons quatre ans.
Nous avons cinq ans.
Mais nous comprenons.
Vous êtes là-bas pour nous, nous le savons.”
Suivi de commentaires de la voix off. 310 enfants ont donc participé à ce soutien. Nous apprenons que les pères des enfants en uniforme militaire participent actuellement aux opérations menées à Afrin. Les noms des enfants sont clairement communiqués.
Cela continue… Un enfant en uniforme fait répéter aux autres :
“Nous, ici
grâce à vous
sommes en sécurité.”
Ensuite les enfants, s’expriment… et certains pleurent. Les mères s’expriment également. La vidéo de cette initiative, les messages, dessins et lettres des enfants sont envoyés à leur père, sur le front. La directrice explique qu’en tant qu’école, ils ont souhaité participer à un projet de “responsabilité sociale”. “Nous nous sommes sentis obligés de réaliser ce projet, car nous avons 9 élèves dont les pères sont au front. Nous nous sommes concertés avec parents et enfants. Il n’y a pas que 9 pères au front, mais 1700 pères. Pour ne pas faire de l’égoïsme nous avons préparé 2000 petites serviettes (spécialité de la région).”