Après l’invasion d’Afrin par les groupes djihadistes supplétifs de l’armée turque, et la destruction symbolique de la sculpture de Kawa, voici une réflexion qui s’impose, dans un article de Nuray Sancar.
Cet article doit être lu en tenant compte de la censure officielle qui s’impose toujours à propos d’Afrin, pour toute la presse turque, et bien au delà…
Buda, Palmyra, Kawa de Nuray Sancar publié en turc sur Evrensel
En 2001 les Taliban avaient détruit dans la ville de Bâmîyan en Afghanistan, les deux sculptures de Buddha par explosifs. Aucune autre chose que la destruction de ces sculptures géantes qui avaient résisté plus de 500 ans, ne fut autant le symbole de la barbarie taliban. L’explosion des sculptures, comme preuve de l’enracinement d’une idéologie totalitaire qui ne supporte pas autres croyances et cultures dans les terres où elle s’étendait, n’était pas seulement une démonstration de force. Dans le même temps, elle anéantissait toutes les richesses culturelles des habitantEs de la région, et les preuves de la continuité qui donnait sens à leur existence tant que ces sculptures se tenaient à leur place. En vérité, ce qui était altéré par cette intervention, était la perception du temps de la population. Le Taliban déclarait que le temps commençait par lui, et qu’un passé qui plonge au-delà des générations, mais qui n’est pas confirmé par lui même, devait être effacé, pour lui même. L’avenir c’était lui.
Ensuite, Daech, a détruit, en Syrie, la Mariée du Désert, la ville de Palmyre. La représentation d’une “déviance” que ce gang djihadiste voyait, ne supportant pas les rituels ultérieurement ajoutés à la religion Islam, comme le Mawlid1 fut brisée. Ils voyaient dans les vestiges une ville témoignant d’une époque de dieux multiples. Elle a été détruite sans quasi laisser une seule pierre debout. La richesse culturelle de l’histoire de Syrie venant de très loin jusqu’à nos jours était donc effacée brutalement par une mentalité féodale.
Bien évidemment, tous les peuples et sociétés ont une relation de dette et d’avoir avec l’Histoire. Les vestiges historiques, les rituels traditionnels, les légendes apportent le sens au présent d’un peuple, en lui rappelant ses racines.
Le fait que lors de l’opération d’Afrin, les forces [armées] pénètrent le centre-ville le jour de la victoire de Dardanelles 2a une relation avec ces comptes de dettes et d’avoir, a été souligné dans les discours de commémoration. Le rêve de rectification de la “perte” sur la table à Lausanne, qui va jusqu’à définir une plaque d’immatriculation à Mossoul et Kirkouk, et qui est attisé de temps à autre sur la mer Égée et ses îles, apparaissait comme possible point de départ pour la révision de l’Histoire. Par conséquent, les photos de l’opération, se sont mélangées à celles du détroit des Dardanelles “impénétrable”, de la table de Lausanne et d’autres batailles gagnées. Afin de renforcer le message concernant la libération des Dardanelles et le “sauvetage” d’Afrin, des flashbacks ont été faits vers des siècles passés. Nous ne savons pas encore si c’était une opportunité de révision. Le temps le montrera !
Mais nous avons vu que les militants de l’ASL qui ont détruit la sculpture de Kawa, à peine avoir pénétré le centre-ville, ne se souciaient pas d’entrer dans cette affaire de révision historique précisément, mais avaient leur agenda. Et ce n’est pas le temps qui a démontré cela, mais le présent.
Bien que le fait que l’opération ne ciblait pas paraît-il le peuple kurde, mais était menée dans le but de “résoudre le problème de sécurité de la Turquie”, et que Afrin allait “être laissée aux peuples vivant dans la région” comme il avait été déclaré de nombreuses fois, l’ASL, détruisant une représentation de l’existence symbolique des Kurdes, a déclaré ainsi qu’elle avait bien elle un problème avec le passé historique des Kurdes.
Dans la déclaration faite par les Forces armées de la Turquie, il est annoncé que “pour les forces armées de la Turquie, la vie des civils innocents, l’environnement, les œuvres historiques et les édifices religieuses et culturelles sont intouchables.” Mais ce message, insinue également qu’une sculpture de Kawa installée ultérieurement peut ne pas être considérée comme œuvre historique. Apres tout, cette sculpture ne datait pas des siècles précédents.
Mais l’Histoire ne vit pas seulement dans les œuvres historiques, elle est présente dans la vie quotidienne, dans les croyances. Pour cette raison là, il ne faudra pas que la destruction de la sculpture du forgeron Kawa, juste quelques jours avant le Newroz, soit oubliée dans les bilans à régler de l’Histoire.
Les peuples de cette région ont un avenir qu’ils devront construire ensemble. Il est utile de ne pas perdre de vue que cet avenir doit être construit, avec un respect mutuel des valeurs culturelles réciproques, historiques et sacrées provenant des ancêtres.
Si cela est perdu de vue, il sera difficile de restaurer les relations empathiques, et de sortir du chaos.
Bon Newroz/Nevruz à tous les peuples du Moyen-Orient.
Nuray Sancar
Buda, Palmyra, Kawa de Nuray Sancar publié en turc sur Evrensel
Image à la une : Bülent Kılıç AFP