Des jour­nal­istes de Kedis­tan ont suivi les deux journées de la ses­sion du Tri­bunal des Peu­ples, qui s’est tenue à Paris, les 15 et 16 mars 2018. En voici une pre­mière par­tie de compte ren­du, elle-même suc­cincte, en attente de pub­li­ca­tions du Tri­bunal lui-même.

Com­mençons tout d’abord par pré­cis­er à nos lecteurs et lec­tri­ces qui ne con­naî­traient pas ce “tri­bunal”, qu’il s’ag­it d’un tri­bunal dit d’opinion, agis­sant de manière indépen­dante des États et répon­dant aux deman­des de com­mu­nautés et de peu­ples dont les droits ont été vio­lés. Le but des audi­ences se veut être de “restau­r­er l’autorité des peu­ples lorsque les États et les organ­i­sa­tions inter­na­tionales ont échoué à pro­téger leurs droits”. Ce TPP suc­cède au Tri­bunal Rus­sel et s’appuie sur la Déc­la­ra­tion uni­verselle des droits des peu­ples et de tous les instru­ments et jurispru­dence du droit international.

Le Tri­bunal se com­pose de per­son­nes venues du monde entier, pour garan­tir son indépen­dance des Etats. Les sen­tences pronon­cées sont des­tinées à être pub­liées et remise aux instances telles que : Par­lement européen, Cour Européenne des droits de l’Homme, com­mis­sions de l’ONU, organ­i­sa­tions inter­na­tionales, transna­tionales et régionales, human­i­taires, et de façon générale à toute instance de défense des droits humains fondamentaux.
Ces séances n’ont donc rien d’un meet­ing ou d’une réu­nion publique d’information.

tribunal des peuples

La salle accueil­lant le tri­bunal fut comble durant ces deux jours, et les travaux suiv­is avec beau­coup de grav­ité et d’at­ten­tion par des représen­ta­tions d’as­so­ci­a­tions français­es ou transna­tionales, très peu de jour­nal­istes français mal­heureuse­ment, des mem­bres nom­breux de la dias­po­ra kurde et turque, des juristes, des chercheurs et uni­ver­si­taires, des per­son­nal­ités human­istes et des “fig­ures” transna­tionales en sou­tien act­if au peu­ple kurde et son pro­jet poli­tique d’E­colo­gie Sociale et com­mu­nal­iste. En citer les noms serait en oublier…

Nous insis­tons sur le peu de présence médi­a­tique “insti­tu­tion­nelle”, qui s’avère pour­tant très igno­rante sur le sujet lorsqu’elle daigne l’abor­der, et s’en­toure sou­vent de pseu­do-spé­cial­istes de plateaux, tous absentEs eux/elles aus­si, peu ou proue, lors de ces deux journées. Ils/elles décrédi­bilisent eux mêmes leurs paroles futures sur la ques­tion par ce qui s’ap­par­ente à un boy­cott déguisé. Le Général Le Dri­an leur a demandé de ne pas se ren­dre à Afrin, pas de ne pas s’ap­procher de la place de la République !

Sig­nalons quand même quelques politi­ci­ennEs passées en fin de soirée du 16 mars, en extérieur, pour la pho­to. Mais, nous en sommes d’ac­cord, “mieux vaut les avoir avec nous que con­tre nous, et pour Afrin, on a besoin de tout le monde”, comme le dis­ent si bien des amis kurdes.

Sig­nalons une organ­i­sa­tion impec­ca­ble et remer­cions toutes les petites mains de four­mi qui l’ont ren­due pos­si­ble, des enreg­istrements des par­tic­i­pantEs, jusqu’au café bien­venu entre deux témoignages poignants. Remer­cions aus­si la tra­duc­tion simul­tanée avec casque audio, indis­pens­able et effec­tuée avec célérité. Les asso­ci­a­tions qui ont con­tribué à cette mise en place méri­tent, elles, toute notre considération…

Ces deux séances solen­nelles virent se suc­céder une série impres­sion­nante de témoignages oraux, à la barre des témoins ou via visio-con­férence, sur tous les points de l’accusation.

De très nom­breuses pièces écrites, rap­ports, pho­togra­phies ou vidéos furent pro­duites et com­men­tées, archivant les 30 dernières années de crimes de guerre et de crimes d’E­tat de la Turquie con­tre les Kur­des, révélés au grand jour, tout autant que les inter­ven­tions extérieures des “ser­vices occultes” du JITEM1, au sein d’autres Etats, comme les assas­si­nats ciblés de mil­i­tantes réfugiées en France, par exemple.

L’ac­cu­sa­tion et le pro­cureur ont large­ment regret­té l’ab­sence, jusqu’au bout, de représen­tants de l’E­tat turc, ou d’av­o­cats pour leur défense, pour­tant large­ment invités à s’ex­primer dans l’en­ceinte du tribunal.

Des juristes et chercheurs ont con­tex­tu­al­isé les accu­sa­tions, par rap­port au droit cou­tu­mi­er inter­na­tion­al, aux sig­na­tures d’ac­cords, à la jurispru­dence et aux traités, voire aux con­clu­sions de Cours ou d’autres tri­bunaux inter­na­tionaux ad hoc ou permanents.

Con­cer­nant cette présente ses­sion, dont l’ap­pel­la­tion générique était “la Turquie et les Kur­des”, bien sûr, s’ap­puy­er sur les déf­i­ni­tions admis­es inter­na­tionale­ment du “droit à l’au­todéter­mi­na­tion d’un peu­ple” au sein d’un ensem­ble était prédominant.

Ce droit recon­nu par un ensem­ble de textes et jurispru­dences recon­nait à un peu­ple vic­time, le droit de se défendre.

Si celui-ci y est con­traint, il s’ag­it dans les faits d’un état de guerre, et l’E­tat qui y fait face est lui-même con­sid­éré comme par­tie prenante d’une guerre menée con­tre la force com­bat­tante d’un Peu­ple qui se recon­naît dans ses combattantEs.
Ces élé­ments juridiques et de droit inter­na­tion­al, forgés au fil de l’his­toire, et faisant l’ob­jet d’ac­cords et de con­ven­tions, sont extrême­ment utiles à la qual­i­fi­ca­tion des faits, des déroule­ments, des actes, com­mis en l’oc­curence sur le ter­ri­toire de la Turquie.

Ain­si, un débat sur l’ac­cu­sa­tion de “ter­ror­isme” de la part des gou­verne­ments turcs suc­ces­sifs pronon­cée à l’en­con­tre du mou­ve­ment d’au­to-déter­mi­na­tion kurde peut-il aboutir ici à sa réfu­ta­tion, et per­me­t­tre de juger, non de la forme des actions, mais du fond, à savoir une sit­u­a­tion qui relève du “droit com­mun de la guerre” (Eh oui, cela est une réal­ité…). Les actions de guerre con­tre les civils peu­vent ain­si aus­si être caractérisées.
La déf­i­ni­tion elle-même du “ter­ror­isme”, ne fait d’ailleurs pas l’ob­jet d’un accord juridique inter­na­tion­al, et ne fig­ure en creux que dans des textes qui argu­mentent la néces­sité de le combattre.

Et pour­tant, des listes exis­tent, qui n’ont de fait aucun sup­port juridique inter­na­tion­al autre que des alliances à géométrie vari­able et des con­sid­éra­tions de cir­con­stances. La Turquie en use et abuse depuis l’ex­is­tence de sa République, et tout par­ti­c­ulière­ment aujour­d’hui con­tre le Peu­ple kurde et sa défense armée.

Ces points étaient extrême­ment impor­tants pour don­ner au tri­bunal un cadre d’in­struc­tion et des règles pour accepter les témoignages et leur fournir un cadre clair dans un acte d’accusation.

Et ça tombe bien car à Kedis­tan, on aime appel­er un chat un chat.

Cela peut paraître des “arguties juridiques” à cer­tainEs. Mais le con­texte inter­na­tion­al est ain­si fait, à notre corps défen­dant, que les règles et les rap­ports de forces sont fixés par les Etats. Et il est pour­tant heureux qu’il existe un droit “inter­na­tion­al” cou­tu­mi­er, qui se dégage de cet ensem­ble de rap­ports his­toriques entre Etats et Peu­ples, et sur lequel les pro­tag­o­nistes s’ac­cor­dent à min­i­ma. Des luttes et com­bats dans l’his­toire ont égale­ment apporté des pier­res dont per­son­ne n’a à rou­gir et qu’il faut au con­traire préserv­er et défendre.
Des enceintes inter­na­tionales exis­tent, comme l’ONU, des juri­dic­tions de recours recon­nues égale­ment, et quelques traités sur les droits humains se sont con­sti­tués au fil de l’his­toire des Peu­ples jusqu’à être admis par le plus grand nom­bre sur la planète. Admis et vio­lés tour à tour d’ailleurs…

Sans cette longue his­toire, sachons-le, le monde serait un chaos pire encore que celui que le cap­i­tal­isme tri­om­phant et ses rap­ports de dom­i­na­tion provoquent.

Aus­si, lorsqu’un tri­bunal indépen­dant des Peu­ples se saisit d’une accu­sa­tion, ce n’est-ce pas à rejeter d’un revers de main. 

Pour le géno­cide des Arméniens, l’on sait que celui-ci joua un rôle con­sid­érable, dans l’ar­gu­men­ta­tion et l’archivage his­torique pour men­er ici et là à sa recon­nais­sance offi­cielle par des Etats.

Et si c’est dans la rue que ça s’passe, les règles juridiques dont l’hu­man­ité se dote, au delà des oppres­sions et bar­barie ont con­duit pour­tant à des juge­ments de crimes con­tre l’hu­man­ité et quelques unEs de leurs auteurEs. “Le plus jamais ça” est une fari­bole, mais le juge­ment des crim­inels, leur mise hors d’é­tat de nuire à l’é­cart, dans un monde où les rap­ports de classe les appel­lent à repren­dre du ser­vice, n’est pas à négliger.

Et pour un Peu­ple meur­tri, oppressé et nié, dans sa chair, sa cul­ture, sa langue et son his­toire, exis­ter, même dans un cadre “juridique”, est fon­da­men­tal. Que les crimes com­mis à son encon­tre soient décrits, archivés, recon­nus, per­met aus­si à ses com­posantes de s’ap­pro­prier leur his­toire autrement que par le cycle infer­nal des guer­res et du sang.

C’é­tait aus­si une des sig­ni­fi­ca­tions pro­fondes de cette session.

(A suiv­re…)


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