L’épu­ra­tion eth­nique entre­prise par la Turquie à Afrin, peut com­mencer avec la com­plic­ité européenne et inter­na­tionale maintenue.

Après un mois de bom­barde­ments inces­sants con­tre les pop­u­la­tions du can­ton d’Afrin, après avoir con­traint les habi­tants des vil­lages à fuir ou se réfugi­er vers le cen­tre ville, le siège s’é­tait qua­si refer­mé ces jours derniers, mal­gré la forte résis­tance des dernières semaines. La non assis­tance à peu­ples en dan­ger organ­isée, et la force mil­i­taire destruc­trice ont amené à priv­ilégi­er la survie des populations.

Sans toutes les com­plic­ités inter­na­tionales, les forces armées turques et leurs sup­plétifs dji­hadistes n’au­raient pu men­er à bien le plan d’Erdogan.

Sur le plan mil­i­taire, celui-ci n’est guère dif­férent des actions de guerre menées con­tre les villes à majorité kur­des de Turquie ces dernières années. Il s’agis­sait de ter­roris­er les civils, par des bom­barde­ments aveu­gles, avec avi­a­tion, artillerie lourde et chars, pour qu’un max­i­mum d’en­tre eux quit­tent la zone. Vieille tac­tique de la “terre brûlée”, du vil­lage aux quartiers des villes, util­isées dans toutes les guer­res, pour forcer l’ex­ode de pop­u­la­tions ciblées. Le con­trôle aérien absent est celui des “coali­tions inter­na­tionales”, le matériel et l’arme­ment est en grande par­tie européen, celui aus­si du mem­bre de l’OTAN qu’est la Turquie.

Sur le plan des alliances tacites, sou­venons nous déjà du silence total à l’en­con­tre des crimes de guerre en nom­bre com­mis au Bakur ces dernières années, en échange de la par­tic­i­pa­tion de “l’al­lié” turc à la lutte con­tre l’en­ne­mi com­mun Daech. Ce silence est même allé jusqu’à accepter un dou­ble jeu de l’E­tat turc, d’ailleurs tou­jours présent aujour­d’hui dans le recy­clage per­ma­nent du dji­hadisme sur le ter­ri­toire syrien.

Les Etats européens repren­nent pied quelque part dans la guerre d’in­térêts en Syrie, en organ­isant le silence autour d’Afrin et en sou­tenant la “légitim­ité pour la Turquie de défendre ses fron­tières”. C’est bien un change­ment de par­a­digme poli­tique, impul­sé en par­tie par la France, qui, d’un sou­tien à min­i­ma aux com­bat­tantEs de la fédéra­tion de Syrie Nord à majorité kurde, passe à celui de la Turquie, con­tre la trop grande présence améri­caine, et en par­tie con­tre l’al­lié russe du régime Bachar. Que cette poli­tique per­me­tte à court terme une con­sol­i­da­tion d’un arc dji­hadiste au Nord de la Syrie, et une pos­si­bil­ité pour Daech d’y prospér­er à nou­veau ne fait vis­i­ble­ment pas par­tie de cette poli­tique à courte vue des diplo­maties de guerre des Etats européens. Que la guerre “trie” la mosaïque de peu­ples de la région et pousse les pop­u­la­tions par mil­liers à migr­er sur les ter­ri­toires ne sem­ble pas pos­er de prob­lèmes non plus, bien que cela soit le signe annon­ci­a­teur de cat­a­stro­phes human­i­taires. Il sem­ble que la “con­fi­ance” mise dans l’al­lié turc, pour con­tenir les exodes éventuels vers l’Eu­rope, soit dev­enue totale.

Afin que les mas­sacres n’aient lieu en place publique, cer­tains gou­verne­ments européens ont même organ­isé l’au­to-cen­sure médi­a­tique, en con­seil­lant aux “agences” de ne pas faire “courir de risques inutiles” à leurs jour­nal­istes, et, comme en France, en met­tant en garde con­tre les “indépen­dants” non fiables sur le plan de l’in­for­ma­tion. Le Min­istre Le Dri­an est ain­si devenu dans les faits celui des “affaires étrangères, de la guerre et de la propagande”.

On peut glauser à l’in­fi­ni sur la “lâcheté”, la “trahi­son”, la “veu­lerie”. Il s’ag­it bien d’une poli­tique com­mune, et le sen­ti­ment d’im­puis­sance qu’elle engen­dre est total, il faut le reconnaître.
Et pour­tant, le décalage total entre cette poli­tique de sou­tien à la Turquie et la dite “opin­ion publique” est aujour­d’hui très grand. Mais l’ef­fet de sidéra­tion et d’im­puis­sance réduit les rangs des oppo­si­tions à cette poli­tique de diplo­matie cynique. Même si, de par le monde, les réac­tions publiques sont “vis­i­bles”, elles n’ont pas la force de peser pour le moment con­tre cette coali­tion d’in­térêts con­tra­dic­toires à pro­pos du Moyen Ori­ent. Et, en Europe, les gou­verne­ments qui font réprimer la con­tes­ta­tion par leurs polices devi­en­nent de plus en plus nombreux.

Le pro­jet poli­tique en ges­ta­tion au Nord de la Syrie con­naît une défaite pro­vi­soire à Afrin. Celle-ci s’a­joute à la répres­sion et l’écrase­ment “physique” des forces por­tant un pro­jet sem­blable en Turquie, et aux con­séquences désas­treuses induites par le référen­dum barzaniste de 2017. L’al­liance de l’ob­scu­ran­tisme islamo fas­cisant et des intérêts géo-stratégiques des uns et des autres, impéri­al­ismes ou puis­sances régionales est, dans la pra­tique, l’in­stru­ment d’un proces­sus que l’on peut qual­i­fi­er de con­tre révo­lu­tion­naire au Moyen-Ori­ent, et cela dans la droite ligne de la dégénéres­cence et du pour­risse­ment en guerre civile maffieuse et religieuse du soulève­ment anti Bachar en Syrie. C’est un recul évi­dent, mais pas une défaite historique.

La com­préhen­sion de cet imbroglio est ren­due très dif­fi­cile, car en quelques mois, nous sommes passés, après les vic­toires mil­i­taires à Mossoul et Raqqa, de deux “coali­tions anti Daech”, bour­rées de con­tra­dic­tions d’in­térêts, à une nou­velle recom­po­si­tion, tout aus­si hétéro­clite, der­rière l’ef­fet d’aubaine de la volon­té d’épu­ra­tion eth­nique à ses fron­tières de l’E­tat islamo fas­cisant turc.

Car l’E­tat turc a son pro­pre agen­da, intérieur et extérieur, ses pro­pres intérêts régionaux, ses pro­pres armes diplo­ma­tiques à four­bir pour des négo­ci­a­tions de partages inter­na­tionaux à venir. Exclue du proces­sus pour Raqqa, puis cor­naquée par la Russie, elle rede­vient le cheval “incon­tourn­able” util­isé par les Etats européens, qui sera prob­a­ble­ment sac­ri­fié lui aus­si quand il aura servi dans ce jeu d’échecs.

Car cette vic­toire mil­i­taire pro­vi­soire à Afrin, com­porte pour l’E­tat turc plus de con­tra­dic­tions qu’elle n’en résous, et le con­trôle de l’E­tat turc sur ses affidés dji­hadistes est extrême­ment pré­caire. Le mas­sacre en cours à la Goutha va accentuer encore davan­tage ces con­tra­dic­tions, tout comme le retour de la pres­sion russe qui ne man­quera pas de se man­i­fester dans les semaines à venir. Nous sommes loin de l’ac­cep­ta­tion inter­na­tionale d’une zone tam­pon tur­co-islamiste au Nord de la Syrie, ou d’un feu vert vers Manbij…

Tous sem­blent avoir pour­tant choisi la pour­suite des guer­res, jusqu’à une “épu­ra­tion” du jeu poli­tique que cha­cun voit à sa porte. Des pop­u­la­tions par cen­taine de mil­liers en sont mortes, d’autres, plus nom­breuses encore sont chas­sées, meur­tries, con­traintes, privées de tous droits. Les murs de l’Eu­rope forter­esse les privent même d’une pos­si­bil­ité de sécuris­er leur avenir ailleurs, les lais­sant aux mains de leurs bourreaux.

Dans ce cadre, par­ticiper tacite­ment de la destruc­tion d’un proces­sus poli­tique démar­ré au Roja­va, et qui avait sécurisé et sauvé des cen­taines de mil­liers de per­son­nes au sein de ce chaos syrien, relève de la com­plic­ité de crimes de guerre.
Cette atti­tude inter­na­tionale n’est pour­tant pas nou­velle dans l’his­toire de ces cinquante dernières années.

Nous décou­vrirons sans doute dans les semaines à venir, l’am­pleur des crimes qui seront com­mis par la sol­datesque de l’E­tat turc et la bar­barie dji­hadiste qui l’ac­com­pa­gne à Afrin et dans le can­ton. Les rares images exis­tantes mon­trent déjà la volon­té d’épu­ra­tion de ces troupes là. Nos médias main­stream, n’en dou­tons pas, sauront jouer les vau­tours qui attendaient l’heure en tournoyant.

Les forces com­bat­tantes YPG/YPJ, qui ont active­ment per­mis à des cen­taines de mil­liers de civils de fuir les com­bats ces derniers jours, ne sont pas vain­cues et se réor­gan­is­eront en résis­tance.

Une riposte mon­di­ale con­tre ces crimes s’esquisse, comme ce fut le cas pour Kobanê, mal­gré le dés­espoir qui pour­rait s’emparer des sou­tiens con­tre la barbarie.

Savoir que cette bar­barie n’est pas soutenue par les opin­ions publiques inter­na­tionales donne des respon­s­abil­ités à toutes celles et tous ceux qui, large­ment, doivent per­me­t­tre que s’ex­prime haut et fort la dés­ap­pro­ba­tion de cette poli­tique de cynisme diplo­ma­tique et mil­i­taire qui fait le lit de la pour­suite des destruc­tions et des guer­res pour la décen­nie à venir, tout en encour­ageant la pousse de barbes à géométries vari­ables dans la région entière.

Toutes les con­sciences, et pris­es de con­sciences, sont bien­v­enues pour ampli­fi­er la lutte aujour­d’hui isolée des dias­po­ras de par le monde, et pas seule­ment kurdes.

Une journée de mobil­i­sa­tion mon­di­ale pour Afrin se pré­parait pour le 24 mars prochain, mais le com­bat sera aus­si celui des années qui se présen­tent devant nous.

Et pour les con­soeurs et con­frères qui ne veu­lent pas que jour­nal­isme rime avec cen­sure, il serait temps de réagir…


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…