Avant même qu’Afrin ait cédé, fleuris­sent, crevant d’un coup le silence, des copiés col­lés de dépêch­es AFP dans “les grands quotidiens”.
Afrin se meurt, mais elle ne mour­rait pas assez vite à leur goût.

Je ne cit­erai aucun de ces titres, bro­dant autour de dépêch­es, dont cer­tains faux amis. Vous les trou­verez aujour­d’hui mar­di, en deux clics sur le net, et chez votre marc­hand de journaux.

Les voilà qui font état de “con­ver­sa­tions télé­phoniques alar­mantes” dis­ant que “le par­ti” “empêche les civils de quit­ter l’en­clave d’Afrin encer­clée”.

Le gou­verne­ment turc, qui vend depuis le début de l’a­gres­sion, sa thèse selon laque­lle il inter­viendrait pour sépar­er le bon grain de l’ivraie ter­ror­iste, est con­forté par cette sim­ple “accu­sa­tion”, dif­fusée main­tenant en boucle un peu partout.

Toute vel­léité de con­tredire ou d’ex­pli­quer ce témoignage revient à embouch­er la trompette de la con­tre pro­pa­gande… et ain­si de suite.

Que la sit­u­a­tion soit extrême­ment con­fuse dans l’en­clave désor­mais encer­clée d’Afrin est une vérité indé­ni­able. Que cette sit­u­a­tion ait été créée par les bom­barde­ments autorisés tacite­ment par toutes les puis­sances inter­na­tionales, les pris­es de vil­lages et local­ités entraî­nant la fuite de civils vers la ville, ne sem­ble pas la pri­or­ité de ces “arti­cles”.

Afrin, et c’est la logique de ces “papiers”, serait depuis tou­jours bel et bien une enclave soumise à la con­fu­sion ter­ror­iste YPG/YPJ. Et la preuve en serait désor­mais apportée par son action, si sem­blable aux boucliers humains de Daech.

Il y a quelques jours, l’a­gence turque AA (Anadolu Ajan­sı) dif­fu­sait des vidéos de drones tueurs, où elle mon­trait “des poseurs de mines du YPG” empêchant la fuite des vil­la­geois sur les routes, et leur “élim­i­na­tion”. Une séquence d’une inter­view d’un habi­tant vouant les YPG/PYD à la con­damna­tion d’Al­lah suiv­ait. Mais… AA serait une agence offi­cielle au même rang que l’AFP ou Reuters, selon cer­tains de nos con­frères jour­nal­istes. La soupçon­ner de “pro­pa­gande” ne serait pas objec­tif. La soupçon­ner d’orchestr­er cette rumeur sur le “boucli­er humain” que ten­terait d’u­tilis­er les “con­sid­érés comme ter­ror­istes” à Afrin serait sans doute égale­ment de par­ti pris.

Ca tombe bien, à Kedis­tan, nous le sommes.

Parce que, bien qu’avec la dis­tance cri­tique et poli­tique qui s’im­pose, nous nous sommes tou­jours intéressés, voire pas­sion­nés, pour le proces­sus en cours au Roja­va, puis dans la Fédéra­tion de Syrie Nord, parce que la ten­ta­tive de ren­dre crédi­ble et opérant, mal­gré les guer­res, un com­mu­nal­isme inspiré de l’é­colo­gie sociale et lib­er­taire nous a sem­blé une des bonnes nou­velles de ces décen­nies écoulées, nous avons con­sacré de nom­breux arti­cles à chercher à analyser, soutenir. D’autres ont écrit des livres, réal­isés des doc­u­men­taires. D’autres sont allés don­ner leur vie, et pas seule­ment con­tre le mon­stre Daech.

Cette dimen­sion poli­tique de recherche d’é­man­ci­pa­tion de peu­ples de la région dans un cadre hors Etat-nation n’é­tait mise en avant en Europe que par des intel­lectuels, chercheurs ou forces poli­tiques en rup­ture avec les gauch­es nation­al­istes tra­di­tion­nelles. Et tant que la lutte con­tre Daech était le seul objec­tif des puis­sances mon­di­ales, ce proces­sus en cours ne dérangeait per­son­ne. On le traitait à coup de chan­tage à l’arme­ment, voilà tout.

Mais sa dimen­sion ne pou­vait qu’ap­pa­raître inadéquate, alors que les grandes tables de négo­ci­a­tions et de partages d’in­flu­ences entre impéri­al­ismes et ambi­tions régionales se pré­ci­saient, après la qua­si défaite mil­i­taire de Daech.

C’est un pro­jet poli­tique, et son incar­na­tion est peu favor­able au sys­tème cap­i­tal­iste mon­di­al­isé et ses sacro-saintes dom­i­na­tions par Etat-nations inter­posés. C’est ce qui est  com­bat­tu là, et con­tre lequel se bat aus­si l’is­lamo nation­al­isme turc, économique­ment libéral, rap­pelons-le au passage.

Comme hier, et depuis presque dix ans au Bakur (Kur­dis­tan turc – bien que le terme soit lui-même sujet à inter­pré­ta­tions nation­al­istes), c’est l’évo­lu­tion d’une reven­di­ca­tion d’indépen­dance nationale, vers la recherche d’un con­fédéral­isme démoc­ra­tique, plus en adéqua­tion avec la mosaïque des peu­ples du Moyen-Ori­ent, qui est com­bat­tue, niée, géno­cidée poli­tique­ment et humainement.

Pour le gou­verne­ment turc, la bataille d’Afrin est le pro­longe­ment des mas­sacres à l’Est de ces dernières années. Et il s’y pré­parait, d’au­tant que l’échec du nation­al­isme kurde en Irak, suite aux manoeu­vres d’un Barzani, lui lais­sait désor­mais le champ libre.
Ce même pro­jet d’au­tonomie kurde, en alliance avec les peu­ples de Mésopotamie, n’a pas de place selon les dirigeants impéri­al­istes, dans les objec­tifs de partages et de recon­struc­tion qui pour­raient suc­céder aux guer­res en cours.

En ce sens, nous revenons, non pas à ce qui serait une sit­u­a­tion his­torique iden­tique d’il y a un siè­cle, lors de la chute de l’Em­pire Otoman, mais à un dilemme inter­na­tion­al sem­blable. Et les puis­sances dom­i­nantes sem­blent ne pas avoir inté­gré un pro­jet pos­si­ble­ment ant­i­cap­i­tal­iste et com­mu­nal­iste lib­er­taire dans leurs prévi­sions de partages d’influence.
Alors, que ce pro­jet en devenir dis­paraisse ou soit pro­fondé­ment et durable­ment affaib­li, ou dévoyé par une coali­tion d’in­térêts, est un effet d’aubaine.

La seule erreur d’ap­pré­ci­a­tion fut de croire à la fable de l’E­tat turc, sur le bon grain et l’ivraie ter­ror­iste, et de ne pas avoir cru capa­ble de résis­tance, ceux et celles là même qui ont con­traint Daech hier. Les forces com­bat­tantes d’Afrin ne pou­vaient résis­ter sans le sou­tien des pop­u­la­tions con­cernées, et il aura fal­lu une cam­pagne de bom­barde­ments mas­sifs pour semer peur et instinct de survie immé­di­ate par­mi ces pop­u­la­tions. Et, à cet égard, on mesure ce qu’au­rait pu être, il y a plusieurs années, lors de la décom­po­si­tion de la révo­lu­tion syri­enne, l’ou­ver­ture d’un front direct avec le régime, en même temps qu’avec Daech et la Turquie…

Qui en voudrait à une famille de quit­ter Afrin aujour­d’hui et son pos­si­ble mas­sacre pro­gram­mé ? Qui en a voulu à des mil­liers de Kur­des de Syrie d’avoir fuit vers les pays européens ? Qui oublie qu’une par­tie de ces “civils” sont déjà des réfugiés de guerre ?

Mais qui fait aus­si sem­blant d’ig­nor­er que les routes autour d’Afrin sont désor­mais tenues par des prof­i­teurs de guerre qui se paient sur les pop­u­la­tions ? Qui fait sem­blant d’ig­nor­er que la seule voie vers les posi­tions tenues par le régime syrien est totale­ment con­trôlée par des passeurs ? Qui fait sem­blant d’ig­nor­er les exac­tions de l’Ar­mée Syri­enne Libre ?… Des commentateurs/trices de copiés collés.

Que les YPG/YPJ affir­ment la néces­sité de rester et de com­bat­tre pour celles et ceux qui en ont la déter­mi­na­tion et la force, devrait sem­bler une évi­dence à tous. Et dès lors que ces mêmes forces appel­lent à une déci­sion inter­na­tionale urgente d’in­ter­dic­tion des bom­barde­ments pour la pro­tec­tion des pop­u­la­tions, l’ur­gence serait de soutenir ce voeu de toutes nos forces, et non de crier “à la prise d’otages”.

Utilis­er la con­tra­dic­tion entre la néces­saire défense des acquits d’Afrin et la peur et le désar­roi créé dans les familles sur place, pour annon­cer des “pop­u­la­tions pris­es en otage”, place de fac­to les com­bat­tants au rang de “ter­ror­istes”, à l’im­age du Daech d’hi­er, et, n’en déplaise, des dji­hadistes syriens proches d’aujourd’hui.

Car les médias prosé­lytes qui repren­nent la pro­pa­gande islamo nation­al­iste de la Turquie ne sont mal­heureuse­ment pas seuls. Et le tir dans le dos, en France par exem­ple, vient d’une cer­taine gauche rad­i­cale elle-même.

Cha­cun sait que, depuis quelques années, un débat tourne les têtes, dès lors où l’on y voudrait trou­ver foulard ou non. Ce débat a sa rai­son d’être, il embrasse à lui seul bien des ques­tions sociales et poli­tiques qui résul­tent des guer­res et exploita­tions colo­niales des Etat-nations des deux siè­cles écoulés, entre autres.
Mais il fait aus­si l’ob­jet d’un enjeu oppor­tuniste d’in­flu­ence poli­tique, au sein d’une gauche, tou­jours nation­al­iste et élec­toral­iste jusqu’au bout des doigts. Curieuse­ment, une cer­taine rad­i­cal­ité qui se présente elle, comme anar­chiste a égale­ment emboîté le pas.
Ce débat “Islam et pop­u­la­tions racial­isées” est loin d’être inutile et abscon. C’est une réflex­ion d’avenir sur les recom­po­si­tions poli­tiques des mou­ve­ment d’é­man­ci­pa­tion, en prise avec le réel. Et il fal­lait ce petit détour pour expli­quer la teneur de bil­lets issus de cette frac­tion poli­tique là. Mais il n’a pas de place ici.

Appli­quer à la Syrie, des polémiques poli­tiques à la sauce fran­co-français­es, et don­ner une dimen­sion révo­lu­tion­naire aux bar­bus de l’ASL, par analo­gie à ce débat aux par­tic­u­lar­ités hexag­o­nales, et divis­er le peu de sou­tien à Afrin exis­tant, devient tout aus­si crim­inel que la déjà pro­pa­gande médi­a­tique existante.

J’au­rais presque envie d’écrire, “ils vien­nent jusque dans nos rangs, étran­gler nos frères et nos com­pagnes…”. Et ils sont arrivés le lun­di matin.

Ain­si a‑t-on vu fleurir des arti­cles, des pris­es de posi­tions, des déc­la­ra­tions, qui, s’ap­puyant sur une envie de trou­ver encore à la Goutha des ves­tiges révo­lu­tion­naires par­mi les ruines du mas­sacre, les ont désignés comme ceux de frac­tions de la dite Armée Syri­enne Libre, en oppo­si­tion qua­si­ment à ce qui, lu entre les lignes, seraient des Kur­des stal­in­iens collaborationnistes.
“Plus révo­lu­tion­naire que les islamistes tu meurs”.

Non, écrire que la con­tre révo­lu­tion islamique a tri­om­phé du soulève­ment syrien, n’est pas cracher sur celles et ceux qui en furent actrices/teurs… Ni nier qu’il en res­ta une expéri­ence, certes trahie et dévoyée, et qui a besoin qu’on par­le d’elle pour qu’elle ne dis­paraisse pas sous les ruines.
Pour les besoins de la démon­stra­tion, le mou­ve­ment kurde devient pour­tant un allié du régime de Bachar au pas­sage, et le sou­tien à Afrin, de fait incon­gru, est opposé au mas­sacre en cours de la Goutha.
Petits, petits, où êtes-vous ? Afrin a besoin de tout le monde…

Et toute cette pro­pa­gande, cette con­fu­sion, ces men­songes ou silences médi­a­tiques, con­duisent à créer un total sen­ti­ment d’im­puis­sance, et surtout à étouf­fer un cri qui se devrait d’être unanime “que les bom­barde­ments en Syrie cessent”, qu’à min­i­ma les puis­sances à voca­tion impéri­al­istes qui siè­gent au Con­seil de Sécu­rité de l’ONU fassent que les mas­sacres s’ar­rê­tent ou ne se pro­duisent pas, à min­i­ma tou­jours, et que, même sans illu­sion, cha­cun appelle les con­sciences à faire pres­sion pour cela. Seule une mobil­i­sa­tion transna­tionale mas­sive, bien au delà des cer­cles mil­i­tants, humaine, per­me­t­trait un coup d’ar­rêt provisoire.

N’est-ce pas un mas­sacre de pop­u­la­tions qu’il faut à tous prix éviter ?

Dernière ques­tion aux médi­acrates impa­tients de tri­om­pher au sujet du Roja­va… Pourquoi ne dénon­cez-vous pas, depuis des années, les nations européennes qui empêchent les pop­u­la­tions de fuir les guer­res, et les con­damnent à mourir en mer ?

Ce n’est pas si sim­ple ? Ha bon ? Je n’ai pas écrit yaka non plus.

Fort heureuse­ment, nous ne sommes pas seuls, lisez donc ce bil­let bien­venu sur ICI.

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Image à la une : l’Hallali du cerf, toile de grande dimension (355 cm × 505 cm ) peinte en 1867 par Gustave Courbet.
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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…