Parce que le con­trat social est rompu de par le monde.1

Parce que le pou­voir a une chance de ne pas être immé­di­ate­ment per­ver­ti si et seule­ment si il va du bas vers le haut, et que des struc­tures con­fédérales d’assem­blées de base déti­en­nent les pou­voirs exé­cu­tif, lég­is­latif et judi­ci­aire, lais­sant l’ad­min­is­tratif à de sim­ples délégué.es révo­ca­bles. [Munic­i­pal­isme lib­er­taire.]

Parce que ce sont de tels fonde­ments rad­i­cale­ment démoc­ra­tiques qui ont été érigés au Roja­va, et notam­ment là, à Afrin, sur la base d’une éthique qui est celle con­cep­tu­al­isée par Emmanuel Kant et dévelop­pée par le mou­ve­ment de libéra­tion kurde : une loi puisant sa source dans la pleine recon­nais­sance de la per­son­ne humaine, dans la croy­ance en l’ac­tiv­ité, la dig­nité et la qual­ité des indi­vidus rationnels qui créent les lois.

Parce que la cita­tion com­plète est “l’homme est un loup pour l’homme, quand on ne sait pas qui il est” (Plaute). Aus­si, une société pro­fondé­ment humaine doit être “à vis­age humain”, et per­me­t­tre de con­naître en “face-à-face” [Bookchin] les autres acteurs de la com­mu­nauté, par des assem­blées de base ne dépas­sant pas les 150 per­son­nes avec qui notre cerveau nous per­met d’en­tretenir une rela­tion humaine sta­ble.2

Parce que le déploiement de la pra­tique assem­bléaire est notre meilleure chance de garan­tir des pris­es de déci­sion écologiques, à échelle locale et glob­ale, ain­si que l’in­clu­sion de tous les gen­res, de toutes les eth­nies, de toutes les con­fes­sions, et de pren­dre en compte les intérêts des ani­maux non-humains via des comités spécifiques.

Parce que dès qu’on ôte le pou­voir de créa­tion de lois à une caté­gorie d’être humains, sous un quel­conque pré­texte de dis­tinc­tion, on cesse de les recon­naître comme étant des êtres rationnels pou­vant délibér­er sur “quoi faire” dans quoi que ce soit qui les con­cerne. On leur enlève tout poten­tiel d’ac­tion sur la vie. On les con­sid­ère comme des non-per­son­nes, non-vivantes.

Parce que c’est cela le fonde­ment des Etats-nations, qui ne con­sid­èrent comme étant réelle­ment des per­son­nes que ceux qui ont le pou­voir de créer des lois, ou d’a­gir sur ce proces­sus de création.

Parce que les Etats-nations sont le cadre préser­vant les lois qui per­me­t­tent l’ap­pari­tion de per­son­nes légales aux pou­voirs les dépas­sant eux-mêmes, via leur pou­voir d’in­flu­ence sur led­it proces­sus de créa­tion de loi.3

Parce que la présence d’un rap­port de forces démesuré était à la base-même de la créa­tion du gou­verne­ment représen­tatif, sa con­di­tion néces­saire de nais­sance sinon trop dan­geureux, pour aus­si égal­i­taire qu’il ait pu se pré­ten­dre à ce moment-là.

Parce que les patrons d’in­dus­trie, hier, et de multi­na­tionales aujour­d’hui sont, par leurs intérêts croisés et par leur influ­ence omnipo­tente, les véri­ta­bles gou­verneurs du bateau-prison sur lequel nous sommes con­damnés à galér­er à leurs pieds, dont la coque en aci­er suit les normes légales délivrées par l’E­tat qu’ils ont créé, tan­guant et déri­vant sur les flots mor­tifères de la cor­rup­tion indi­vidu­elle des représen­tants locaux.

Parce que ce navire-fan­tôme dis­pose à sa tête d’un sans-âme, un con­cen­tré de pul­sions de mort issu non pas de l’être humain, mais d’un bête mécan­isme, qui s’est répan­du plus vite que la peste à toutes les sphères de la vie humaine sur Terre : la réduc­tion des coûts pour mieux se plac­er sur un marché économique. De là la com­péti­tion sauvage pour être celui qui engrange le plus de prof­its, de là la crois­sance infinie en milieu fini. Une malé­dic­tion sécu­laire lancée par un appren­ti sor­ci­er : l’homme, et qui lui est retombée sur le nez. Une boîte de Pan­dore qui n’en peut plus de nous hanter.

Parce que les Etats-nations, par leur fonc­tion amadouante et leur mono­pole de la vio­lence organ­isée, sont les prin­ci­paux acteurs de notre soumis­sion aux iné­gal­ités d’ac­cès aux ressources, nous don­nant une illu­sion de par­tic­i­pa­tion dans l’en­tre­tien de ces geôles que sont les fron­tières éta­tiques et dans le main­tien des dif­férences économiques qu’ils pro­tè­gent et nourrissent.

Parce que les politi­ciens par­tic­i­pant aux Etats-nations met­tent les intérêts des peu­ples au ser­vice de leur gloire per­son­nelle, comme le mon­trent si bien le cal­ife-sul­tan auto-proclamé et son très com­plaisant homo­logue français dit “Jupiter”, deux exem­ples qui sat­is­font la règle qui n’a pas d’exception.

Parce que, sou­vent, les intérêts de ceux qui prési­dent ces mas­ca­rades de démoc­ra­ties se trou­vent être intime­ment liés aux intérêts des patrons de multi­na­tionales. Par­fois, les intérêts de l’E­tat se con­juguent aux intérêts per­son­nels du chef d’E­tat, et se trans­for­ment en mon­naie son­nante et trébuchante dans leurs nobles poches. Dans un cas en par­ti­c­uli­er, le beau-fils du prési­dent se trou­ve être le min­istre de l’En­ergie, per­me­t­tant ain­si d’en­richir sa famille en faisant com­merce de pét­role avec Daech.

Parce qu’il faut arrêter de croire aveuglé­ment qu’il y a des bien­faits dans la cen­tral­i­sa­tion du pou­voir et de la richesse sociale en des mains autres que nos pro­pres mains. Pré­ten­dre que les dérives du pou­voir dirigeant et pyra­mi­dal peu­vent être ignorées face aux béné­fices déci­sion­nels que celui-ci apporterait, cela équiv­aut à légitimer la mort par mal­nu­tri­tion de 3,5 mil­lions d’en­fants par an et le meurtre guer­ri­er de cen­taines de mil­liers de per­son­nes, dans un monde qui pro­duit large­ment de quoi sus­ten­ter ses habi­tantEs et qui est capa­ble de leur fournir les con­di­tions de leur accès au bonheur.

Parce que c’est dans tout ce con­texte-là, celui où les prin­ci­pales dépens­es de l’hu­man­ité sont l’arme­ment et la pub­lic­ité (dans sa ten­ta­tive d’au­to-per­sua­sion), celui où la Turquie est la deux­ième force armée de l’OTAN avec 720 646 act­ifs et dis­pose d’armes issues du très rentable savoir-faire européen, que l’ar­mée turque marche sur la plus grande ten­ta­tive de ce début de 21e siè­cle de fournir les bases d’une vie pleine et en sécu­rité pour toutE l’hu­man­ité et pour les siè­cles à venir, sans lim­i­ta­tion causée par la destruc­tion sociale ni écologique.

Parce que nous assis­tons en ce moment-même à Afrin à un crime con­tre l’hu­man­ité, que l’on trou­ve désigné comme suit :

L’un quel­conque des actes ci-après lorsqu’il est com­mis dans le cadre d’une attaque général­isée ou sys­té­ma­tique lancée con­tre toute pop­u­la­tion civile et en con­nais­sance de cette attaque :

a) Meurtre
b) Extermination
[…]
h) Per­sé­cu­tion de tout groupe ou de toute col­lec­tiv­ité iden­ti­fi­able pour des motifs d’ordre poli­tique, racial, nation­al, eth­nique, cul­turel, religieux ou sexuel
[…]
k) Autres actes inhu­mains de car­ac­tère ana­logue cau­sant inten­tion­nelle­ment de grandes souf­frances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la san­té physique ou mentale.

En témoignent les pre­miers rap­ports, images et vidéos, mon­trant la mort et les blessures de dizaines d’en­fants, de femmes et d’hommes par­mi les civilEs, parce qu’illes sont Kur­des ou sim­ple­ment parce qu’illes se trou­vent à Afrin, comme c’est le cas de cen­taines mil­liers de réfugiéEs et de déplacéEs internes syriens.

Parce que ce n’est pas une nou­veauté. L’une des pre­mières util­i­sa­tions de cette incrim­i­na­tion était à l’en­con­tre du géno­cide arménien, exé­cuté par l’empire ottoman auquel Erdoğan se réfère si souvent.

Parce qu’en Turquie, le néga­tion­nisme du géno­cide arménien est insti­tu­tion­nal­isé, refu­sant tout “dén­i­gre­ment de l’i­den­tité turque” [turcité]. À ce titre-là, l’écrivain et prix Nobel Orhan Pamuk avait été traduit en jus­tice pour avoir déclaré : “Un mil­lion d’Ar­méniens et 30 000 Kur­des ont été tués sur ces ter­res, mais per­son­ne d’autre que moi n’ose le dire”. La répres­sion des Kur­des est égale­ment insti­tu­tion­nal­isée puisqu’elle est la con­séquence de la for­ma­tion-même des fron­tières de la Turquie par les accords de Sykes-Picot signés par la France et le Roy­aume-Uni, et que la con­sid­éra­tion des Kur­des en tant que sous-citoyens a été recon­nue par le prési­dent en 2009, après 85 ans de déni. L’in­ter­dic­tion de la langue kurde, couram­ment par­lée par 20 % de la pop­u­la­tion de la Turquie, est tou­jours en vigueur.

Parce que cette répres­sion ne cesse de s’ac­célér­er, notam­ment depuis le coup d’E­tat de 2016, ouvrant grand le champ à une traque sans faille de l’op­po­si­tion pro-kur­des qu’illes soient intel­lectuelLEs, artistes, mil­i­tantEs du PKK ou non. Le tout sur fond d’un nation­al­isme exac­er­bé, qui n’est pas sans rap­pel­er “les heures les plus som­bres de l’His­toire” provo­quées par un célèbre mous­tachu qui fai­sait lui aus­si référence à l’empire ottoman dans ses méth­odes d’ex­ter­mi­na­tion de tout ce qui n’é­tait pas nation­al-éta­tique­ment reconnu.

Parce que cette attaque se place dans le con­texte du con­flit ouvert en Syrie depuis 7 ans, une guerre civile qui n’a d’autre intérêt main­tenant que de servir les fer­veurs impéri­al­istes des super-puis­sances de tou­jours et de leurs axes d’al­liance respec­tifs, inclu­ant les fon­da­men­tal­istes fas­cistes à la guise de leurs prof­its sans éthique aucune. Je ren­voie vers l’ex­cel­lent arti­cle de Dilar Dirik [pub­lié par Bal­last] : “L’offensive n’aurait pu être engagée sans l’accord de la Russie, qui con­trôle l’espace aérien au-dessus d’Afrin, ain­si que le con­sen­te­ment d’Assad et de l’Iran. […] Dans le même temps, les Etats-Unis […] restent silen­cieux quant à l’ambition de leur allié de l’OTAN de sac­ri­fi­er les héros de la guerre con­tre Daech”. Les peu­ples syriens n’ont rien à gag­n­er, mais déjà tout per­du, dans cette guerre civile main­tenant une “zone grise”, per­me­t­tant le “pétro-busi­ness as usu­al” des USA, soit les échanges com­mer­ci­aux les plus immoraux et dévas­ta­teurs de l’é­colo­gie qui soient.

Parce que la lutte du mou­ve­ment de libéra­tion n’est certes pas sans défauts ni con­tra­dic­tions, mais elle reste la plus grande ten­ta­tive de faire vivre les idéaux lib­er­taires de par le monde, et elle met de telles reven­di­ca­tions sur le tapis de la diplo­matie transna­tionale, forçant les gauch­es du globe entier à pré­cis­er leurs idées, à se for­mer idéologique­ment, pour ne pas rester dans la con­fu­sion aphasique que le cap­i­tal­isme et ses agents ont réus­si à leur imposer.

Parce que le manque de dig­nité humaine, représen­tatif du sys­tème en place, va jusqu’à faire ouverte­ment référence à “1984” en appelant cette opéra­tion mil­i­taire “Rameau d’o­livi­er”, à la façon d’une super-dic­tature dystopique, qui fal­si­fie son immonde réal­ité avant même de réécrire le cours des choses. Orwell dis­ait vis-à-vis de la ten­ta­tive de com­mu­nisme lib­er­taire de 36 : “Hom­mage à la Cat­a­logne”. Rétab­lis­sons son héritage et crions : “Hom­mage au Roja­va”.

Au nom du bon­heur humain, nous vous arrê­tons, “démoc­ra­ties” qui n’en ont que le nom, que vous soyez occi­den­tales, ori­en­tales ou d’ailleurs.

Au nom du bon­heur humain, nous vous arrê­tons, Recep Tayyip Erdoğan, vous, votre méga­lo­manie, votre auto­cratie et vos logiques de clan.

Soutenons Afrin !

Lougar Rayn­marth


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