La dés­in­for­ma­tion a déjà com­mencé sur l’at­taque du can­ton d’Afrin au nord de la Syrie. La sacro-sainte objec­tiv­ité jour­nal­is­tique voudrait que l’in­for­ma­tion ne prenne pas par­tie. Mais utilis­er le vocab­u­laire et les sources d’Er­doğan, qu’est-ce donc ?

La Turquie s’en prend aux mil­ices kur­des d’au­to-défense du PKK à sa fron­tière syri­enne… Rap­pelons que le PKK fig­ure sur la liste européenne des organ­i­sa­tions ter­ror­istes… bla bla bla” ou encore “La Turquie défend sa fron­tière con­tre la men­ace kurde…”. “Cette région située à la fron­tière entre la Turquie et la Syrie est dom­inée par la mil­ice kurde du Par­ti de l’Union démoc­ra­tique, con­sid­éré comme ‘ter­ror­iste’ par Ankara.” écrit à son tour une con­soeur du Monde aujour­d’hui dimanche. Je me dois de m’y attarder un instant.

Je ne sais pas pourquoi, cet arti­cle du Monde respire une sorte de par­fum qui me fait penser à la con­de­scen­dance méprisante qu’ont longtemps eu les Turcs blancs kémal­istes de l’in­tel­li­gentsia d’Is­tan­bul à l’é­gard du petit per­son­nel venu d’Ana­tolie pro­fonde. Les Kur­des, pour­tant chas­sé en majorité même de la con­duite des taxis jaunes, et relégués comme por­teurs sur les marchés, seraient-ils devenus si peu fréquenta­bles, qu’il faille qu’une jour­nal­iste française leur accole l’é­ti­quette “con­sid­érés comme ter­ror­istes” à tout bout d’ar­ti­cle ? Les guillemets n’y changent rien. Surtout que dans le même arti­cle, elle ne peut s’empêcher de rel­a­tivis­er la mobil­i­sa­tion de sou­tien impro­visée à Kadıköy, rive asi­a­tique du Bospho­re, s’empresse-t-elle d’a­jouter, sans doute pour soulign­er qu’elle con­naît bien les lieux. Et citer comme source Yeni Şafak, tor­chon nation­al, ou l’agence offi­cielle Anadolu (la voix de son maître), n’est pas pour­tant de pre­mière objec­tiv­ité, puisque voix de l’a­gresseur. Bref, à vouloir ne pas chercher de sources auprès du mou­ve­ment kurde, on finit par servir Erdoğan, dans sa poli­tique de dés­in­for­ma­tion, ou docile­ment ron­ron­ner ce que veut enten­dre la macroni­enne direc­tion de son jour­nal. Ha Marie, si tu savais… Mais c’est vrai aus­si que le CHP kémal­iste a clamé ce soir “nous sommes der­rière l’opéra­tion d’Afrin”… Bon, là dessus et pour en finir, je m’en vais aus­si plagi­er Erdoğan “Ô Monde, qu’est-ce que tu racon­tes sur notre Turquie ?”

En Turquie, c’est le “pour la défense de la Nation” qui emporte la palme dans la presse “alliée”, et c’est la lutte con­tre le ter­ror­isme aux fron­tières de la “Nation” qui l’emporte au final, jus­ti­fi­ant ain­si le bud­get de guerre 2018 hors normes validé par le Par­lement docile.

Car cette offen­sive turque dite “Rameau d’o­livi­er” est en pro­longe­ment de l’ir­rup­tion passée de chars à Jer­ablus, dans le dos des com­bat­tants des Forces Démoc­ra­tique Syri­ennes et des YPG en leur sein, alors en pleine offen­sive con­tre Daech, et en pro­gres­sion vers Raqqa aujour­d’hui libérée. Erdoğan a, par tous moyens, tou­jours, émis l’idée de la “zone tam­pon” en Syrie, pour garder un cor­ri­dor ouvert et empêch­er toute jonc­tion des can­tons de la par­tie fédérale du Nord. Tan­tôt en pro­posant à la coali­tion d’y installer ensuite des réfugiés, tan­tôt en armant des mil­ices qu’il avait lancé jadis con­tre Assad, et qu’il compte retourn­er con­tre la Fédéra­tion démoc­ra­tique, plus large aujour­d’hui que le sim­ple Rojava.

Tout le monde sait que dans cet enchevêtrement géo-poli­tique, où intérêts régionaux et impéri­al­ismes se con­juguent con­tre tout pro­jet qui don­nerait force à une gou­ver­nance autonome en appui sur une réelle col­lab­o­ra­tion de toutes les com­posantes de la mosaïque de Mésopotamie et au delà, les Etats-nation en crise ont plus volon­tiers le sou­tien des pré­da­teurs internationaux.

Mieux vaut aujour­d’hui un Bachar ou un Erdoğan, ou leur relève auto­cra­tique et autori­taire si besoin, qu’un pro­jet de paix basé sur la col­lab­o­ra­tion poli­tique des peu­ples de la région, aux yeux des puis­sances à volon­té hégé­moniques, pour garder la maîtrise des richess­es en énergie fos­sile, et les têtes de pont mil­i­taro-poli­tiques qui vont avec.

Iran, Ara­bie, Turquie riment cha­cun avec leurs alliés et four­nisseurs occi­den­taux. Daech, en grande par­tie mil­i­taire­ment vain­cue, grâce à la “chair à canon kurde”, il fau­dra main­tenant pass­er à la table du grand partage, et cela demande encore de se débar­rass­er du pro­jet poli­tique né au Roja­va, et pour la nième fois, met­tre au pas l’ensem­ble du mou­ve­ment d’au­tonomie kurde.

Le référen­dum mal­heureux, lancé par le leader Barzani en Irak en 2017, qui eut pour con­séquence un retour aux fron­tières de 2003 pour l’en­tité kurde d’I­rak, avait déjà ligué toutes les forces inter­na­tionales con­tre le mou­ve­ment kurde. La deux­ième phase, soigneuse­ment pré­parée, et au vu et su de tous par Erdoğan, s’en­clenche avec Afrin.

Les forces russ­es ont en principe la maîtrise du con­trôle aérien dans cette par­tie, en col­lab­o­ra­tion avec les coali­tions anti-Daech. Les bom­barde­ments de l’avi­a­tion turque se font pour­tant sans inter­dic­tions appar­entes, et se pour­suiv­ent. Trump a per­du son téléphone…

Et c’est alors qu’ap­parurent les puis­sances occi­den­tales. Elles appel­lent en choeur à “agir avec retenue”.

Point trop n’en faut… Quand même… “Les forces kur­des ont tiré plusieurs roquettes sur Rey­han­lı, la ville turque de la région du Hatay de l’autre côté de la fron­tière. Une per­son­ne a été tuée et 32 blessés ont été admis à l’hôpital de Rey­han­lı selon le maire de la ville, Hüseyin Şan­ver­di…” (source Le Monde). Don­ner les chiffres côté Afrin serait de la pro­pa­gande, je m’ab­stiens donc.

Les chaînes d’in­fos français­es font ser­vice min­i­mum pour l’in­stant, en sous-titres des pages sport.

Atten­dons-nous à une dés­in­for­ma­tion, où la notion de bon kurde opposé au méchant PKK va être la règle. Lors des mas­sacres des deux dernières années au Kur­dis­tan turc, la mort des pop­u­la­tions n’a-t-elle pas été due aux “mil­ices d’au­to-défense” et à une “guerre per­due du PKK”, même source mon­di­al­isée d’alors…

Kobanê fut en son temps sym­bole de la pre­mière vic­toire con­tre Daech, et de la force don­née à un pro­jet en Syrie Nord. Erdoğan veut faire d’Afrin le coup d’ar­rêt de cette promesse d’avenir. Les pop­u­la­tions kur­des, assyri­ennes, arabes… les réfugiés… les défenseurEs des lib­ertés en Syrie Nord, vain­queurEs de Daech, ont besoin d’un sou­tien urgent, au delà de vagues trac­ta­tions du Con­seil de Sécu­rité. Elles ont droit à l’au­to-défense, sans se faire qual­i­fi­er de terroristes…

Face à ces urgences, je ne vous salue pas Marie…

Ajout du 2 février : 

Il aura fal­lu 10 jours pour qu’en­fin (en ver­sion payante), Marie, vous vous aperce­viez que le nation­al­isme turc dis­tille des poi­sons qu’il faudrait éviter de fréquenter de trop près… Mer­ci quand même

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…