La nou­velle vient de tomber, après 40 ans de lutte et près de 10 ans d’oc­cu­pa­tion, l’aéro­port de Notre-Dame-des-Lan­des ne se fera pas : vic­toire ! … en demi-teinte, car elle était précédée de l’an­nonce de l’ex­pul­sion des élé­ments « les plus dan­gereux » de la Zone A Défendre, puis suiv­ie d’une promesse d’évic­tion totale « au print­emps », qui com­mencera par la libéra­tion des routes d’ac­cès « d’i­ci à la fin de la semaine prochaine ». Il s’ag­it néan­moins d’un beau suc­cès pour les luttes sociales et écologiques sur le ter­ri­toire de l’E­tat français, qui sera célébré, défendu et pro­longé le 10 févri­er sur la ZAD, mais qui ne devra pas être con­fon­du avec une largesse empreinte de roman­tisme écologique de la part de l’E­tat : l’a­ban­don de ce pro­jet a été con­quis par une lutte de long terme sur le ter­rain et par une con­tes­ta­tion, argu­men­tée par de sérieux travaux d’in­ves­ti­ga­tion, des raisons et des faits avancés en faveur de l’aéro­port. L’a­ban­don n’a donc pas été accordé de bonne grâce. En témoignent les réac­tions des nota­bles de toutes les droites, y com­pris celles « de gauche », voy­ant là une capit­u­la­tion de la part de ce gou­verne­ment qui nous avait habitué à un par­ti pris total du côté des multi­na­tionales – béton­nières ou autres – et à des mesures tou­jours plus autori­taires. Mais ne soyons pas aveuglés par les phares du cap­i­tal­isme qui voudrait reverdir son bla­son, l’a­ban­don du pro­jet ne doit pas servir à mieux faire pass­er la pilule de la répres­sion à venir qui, elle, est bien aux couleurs vertes – mil­i­taires – que Macron et Col­lomb savent nous faire voir : entre 1000 et 3000 CRS et gen­darmes en tout genre sont atten­dus dans les jours et semaines à venir pour faire régn­er l’or­dre éta­tique sur la graine d’al­ter­na­tive qu’est la ZAD. Pré­parons-nous à la soutenir, elle ain­si que les autres ZAD d’i­ci et d’ailleurs : Bure, Roy­bon, la récente ZAD du Moulin, TOSU au pays basque, la forêt d’Ham­bach en Alle­magne, Coop­er­a­tion Jack­son aux USA, le quarti­er d’Exarcheia à Athènes ou encore la lutte con­tre le pro­jet d’aéro­port à Kastel­li en Pedi­a­da, Crète. Et ce, par­mi tout un tas d’al­ter­na­tives fleuris­sant de par le monde, de la ferme bio col­lec­tivisée à la révo­lu­tion armée, comme c’est le cas au Chi­a­pas et au Kur­dis­tan turc et syrien.

Autre nou­velle : l’an­nonce de l’at­taque de l’ar­mée turque sur le can­ton d’Afrin, util­isant l’ar­gu­ment de la présence de « groupes ter­ror­istes » pour jus­ti­fi­er celle-ci. D’après le porte-parole des YPG [inter­view à lire ici], Nuri Mehmud, ce serait une ten­ta­tive pour « négoci­er » ce can­ton con­tre celui d’Idlib, con­trôlé par al-Qaï­da, où le mou­ve­ment de libéra­tion serait plus exposé à la répres­sion par le gou­verne­ment syrien et, au-delà de ça, cela réduirait à néant le tra­vail des con­fédéral­istes démoc­ra­tiques pour chang­er les insti­tu­tions dans ce can­ton du Roja­va, au nord de la Syrie. La Turquie entend donc pro­pos­er un choix entre meurtre ou sui­cide. Après avoir mis en déroute l’EI et avoir ain­si pro­tégé le reste du monde de leurs attaques ter­ror­istes et fas­cistes, le mou­ve­ment des peu­ples con­fédérés du Roja­va se retrou­ve seul (la coali­tion inter­na­tionale ayant cessé de voir un intérêt dans leur sou­tien) face à son pire enne­mi : les Etats-nations, notam­ment l’E­tat turc qui pra­tique la répres­sion des kur­des depuis près de 100 ans et celui, syrien, qui cherchera à rétablir sa sou­veraineté sur le ter­ri­toire de Syrie une fois la paix annon­cée. La paix éta­tique équiv­aut donc ici à la guerre démocratique.

En Espagne, si le vil­lage de Mari­nale­da [vidéo] ain­si que d’autres ini­tia­tives d’au­to­ges­tion écologique (eco-aldeas, jardins partagés urbains…) exis­tent de part et d’autres du pays, elles sont de moins en moins tolérées, notam­ment en Cat­a­logne. Suite au référen­dum cata­lan, l’ap­pli­ca­tion de l’ar­ti­cle 155, le recul de la fer­veur indépen­dan­tiste ain­si que la vic­toire des union­istes de cen­tre-droit Ciu­dadanos aux élec­tions de décem­bre ont fait office d’é­tat d’ur­gence en Cat­a­logne, ouvrant le champ à la répres­sion des mou­ve­ments soci­aux et à la fer­me­ture des lieux com­mu­naux des plus rad­i­caux (squats, cen­tres soci­aux auto­gérés) aux plus mod­érés (cen­tres cul­turels, jardins de quarti­er). Tout ce qui est plus vert et plus alter­natif que « l’al­ter­natif offi­ciel » est vu d’un mau­vais œil, les soi-dis­ant par­tis d’ex­trême-gauche et nation­al­istes de tout bord se fas­cisant, même la maire de Barcelone pré­sumée « rad­i­cale » de par son passé mil­i­tant, Ada Colau, laisse mourir les mou­ve­ments soci­aux de sa ville. On voit là le déperisse­ment des engage­ments écol­o­gistes et soci­aux que provoque l’ac­ces­sion au pou­voir par voie élec­torale, quand les con­di­tions ne sont pas réu­nies pour dis­soudre ce pou­voir au prof­it d’assem­blées pop­u­laires. Ain­si ne reste-t-il que quelques frag­ments de l’héritage con­tes­tataire de la « Rose de feu » et de la Cat­a­logne, pour­tant emblé­ma­tique des luttes alter­na­tives de par son expéri­ence de com­mu­nisme lib­er­taire de 1933 à 1936 (avant que Staline et les répub­li­cains ne vien­nent met­tre des bâtons dans les roues de cette révo­lu­tion, lais­sant le pou­voir aux fas­cistes). N’ou­blions pas de rap­pel­er que le pays basque est tou­jours sous le joug de lois sem­blables aux lois appelées « scélérates »,1instau­rées par l’E­tat français après l’as­sas­si­nat du prési­dent Sadi Carnot.2Ain­si, un.e basque peut, en 2018, écop­er de 3 ans de prison pour la pub­li­ca­tion d’écrits « subversifs ».

Nous voyons donc qu’en ce début 2018, les suc­cès démoc­ra­tiques et écologiques s’ac­com­pa­g­nent du dévoile­ment plus ou moins pronon­cé de la face répres­sive des Etats-nations. Celle-ci s’ac­centue, du fait de l’in­sta­bil­ité économique, écologique et poli­tique de notre époque. En effet, en août 2017 une note de con­jonc­ture de la banque Natix­is [Chal­lenges] fai­sait crain­dre aux investis­seurs une révolte des salariés en France. Les raisons à cela ? « Des iné­gal­ités des revenus tou­jours plus fortes, la défor­ma­tion du partage des revenus en faveur des prof­its, la hausse de la pau­vreté, la faible hausse du salaire réel depuis 2000 et la hausse de la pres­sion fis­cale ». Les risques ? « Une hausse rapi­de des salaires […], une chute des marchés et une hausse des taux d’in­térêt et de l’in­fla­tion » dont « cer­tains ménages béné­ficieraient, mais pas les action­naires, les finances publiques et les grands groupes ». Depuis, les ordon­nances du gou­verne­ment Macron n’ont fait qu’a­jouter du sel à la plaie, mon­trant leur vrai vis­age d’en­ne­mis du peu­ple et de la « nation », allant jusqu’à oser dire aux salariés de se deman­der ce qu’ils pour­raient faire pour sa « Nation » chaque jour, lui qui ne manque pas d’u­tilis­er de son pou­voir pour faire des cadeaux aux rich­es, qui sont sa vraie patrie. Vous pou­vez retrou­ver ici (https://www.kedistan.net/2017/07/24/racines-identite-territoires-nation/) une déf­i­ni­tion de la « nation » démoc­ra­tique face à la « Nation » bour­geoise et étatique.

Une crise économique mon­di­ale [Slate] pour­rait servir de jus­ti­fi­ca­tion à une austérité encore plus grande, appuyée d’un ren­force­ment des bras armés ain­si que des « forces douces » — de pro­pa­gande — des Etats-nations. C’est le chemin que suit l’Ar­gen­tine, ce lab­o­ra­toire du néolibéral­isme, depuis l’élec­tion de Macri (que l’on peut facile­ment con­fon­dre avec Macron tant les simil­i­tudes sont frap­pantes) il y a deux ans de cela : ultra-néolibéral­isme affiché, gou­verne­ment par décrets, mil­i­tari­sa­tion des organes de répres­sion, assas­si­nats d’op­posants poli­tiques dis­simulés par l’E­tat ou don­nant des non-lieux, presse pos­sédée à 98 % par les proches du gou­verne­ment [Le Grand Soir]… Sur les « soft pow­ers », on relèvera les lois anti-« fake news » de Trump et de Macron qui, de pair avec une cen­tral­i­sa­tion des médias dans la main de peu d’in­di­vidus, leur per­me­t­tra de taire les voix d’opposant.es tout en dégo­b­il­lant eux-mêmes des flots de vérités tron­quées et de faits invéri­fiés sur elleux. Pour autant, comme le rap­pelle ici David Har­vey, les crises sys­témiques du cap­i­tal­isme sont autant l’op­por­tu­nité pour celui-ci de faire une mue et de revenir plus fort, que pour les chercheur.ses d’al­ter­na­tives démoc­ra­tiques de chang­er le cours de l’évo­lu­tion de la société en prof­i­tant de sa remise en ques­tion. Ain­si, face à des Etats prenant des allures de dic­tature et à une économie aux iné­gal­ités his­torique­ment iné­galées, face égale­ment aux révéla­tions du patri­ar­cat fonc­tion­nant en tant que sys­tème via les dénon­ci­a­tions par mil­liers des har­cèle­ments de gens de pou­voir, 2018 sera-t-elle l’an­née d’un change­ment systémique ?

2018 sera-t-elle l’an­née de la mise en place con­crète d’une société écologique, à la fois au sens de l’en­tre­tien et de la préser­va­tion des ressources naturelles com­munes et au sens d’un envi­ron­nement social sain ? Cela pour­rait l’être, petit à petit. En effet, beau­coup de pos­si­bil­ités d’ac­tions et d’in­vestisse­ments, en temps autant qu’en argent, s’of­frent à nous : AMAPs, cir­cuits courts, coopéra­tives, asso­ci­a­tions cul­turelles ou sociales locales, défense de l’a­gri­cul­ture paysanne (via l’Ate­lier paysan par exem­ple) et d’autres alter­na­tives agri­coles (per­ma­cul­ture, agro­foresterie, agroé­colo­gie), défense de l’en­vi­ron­nement, développe­ment des com­muns, récupéra­tion de nour­ri­t­ure, vie en col­lec­tiv­ité, assem­blées de quarti­er, con­férences-débats, édu­ca­tion pop­u­laire, lieux de tran­si­tion, jardins urbains, art mil­i­tant, écri­t­ure engagée, jour­nal­isme véri­ta­ble, lec­tures théoriques et pra­tiques sur les formes d’or­gan­i­sa­tions ou de philoso­phies poli­tiques alter­na­tives, for­ma­tions en ligne (MOOCs) et auto-for­ma­tions en mécanique, soins… mais aus­si grèves, man­i­fes­ta­tions, occu­pa­tions, actions non-vio­lentes, désobéis­sance civile, voy­ages mil­i­tants… Le cal­en­dri­er peut être chargé pour qui veut s’y met­tre ! Une fois de plus, il est encore temps d’en faire votre réso­lu­tion… Et ce, dans l’e­spoir de retir­er peu à peu du pou­voir des insti­tu­tions trop liées aux pou­voirs éta­tiques et hiérar­chiques, dans une per­spec­tive de grad­u­al­isme révo­lu­tion­naire, qui ver­ra le rem­place­ment pro­gres­sif de la moder­nité cap­i­tal­iste par une moder­nité démoc­ra­tique qui, bien qu’à con­stru­ire, a déjà fait l’ob­jet de théori­sa­tions par Bookchin, Öcalan, les zap­atistes et les jinéo­logues, entre autres. S’il man­quait encore quelque chose pour vous con­va­in­cre de pass­er à l’acte, faites un état des lieux du cli­mat actuel avec Main­tenant du Comité Invis­i­ble qui offre une bonne syn­thèse des leçons à tir­er des mou­ve­ments soci­aux face aux lois Tra­vaille !, mal­gré ses tonal­ités mélo­dra­ma­tiques, ou encore l’ar­ti­cle Sit­u­a­tion [Lun­di AM] de Frédéric Lor­don, qui aura été un bon avant-goût, quoique peu acces­si­ble, de l’ère macroni­enne, don­né post-élec­tions. Enfin, vous pour­rez vous pro­cur­er Pour un munic­i­pal­isme lib­er­taire de Mur­ray Bookchin, qui pour­ra servir de base de réflex­ion à com­ment reformer la Cité humaine, et ne pas se per­dre dans l’u­til­i­tarisme urbain.

Bonnes lec­tures, bon activisme et bonne année.

Lougar Rayn­marth


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