La théorie de l’é­colo­gie sociale et sa pra­tique demeurent notre meilleur espoir pour repouss­er un avenir dystopique et pour refaçon­ner de manière sen­sée le des­tin de l’hu­man­ité sur cette planète.

Article paru dans ROAR Magazine #7 : System Change. Auteur : Brian Tokar, illustrations par David Istvan. Photos par Rob Crandall / Shutterstock.com — traduction Lougar Raynmarth

Depuis les années 1960, la théorie et la pra­tique de l’é­colo­gie sociale ont guidé les efforts visant à artic­uler un point de vue écologique rad­i­cal et anti-sys­témique, dans le but de trans­former la rela­tion de la société avec la nature non-humaine. Depuis de nom­breuses décen­nies, les écol­o­gistes soci­aux expri­ment une cri­tique écologique fon­da­men­tale du cap­i­tal­isme et de l’É­tat, et pro­posent une vision alter­na­tive de com­mu­nautés humaines autonomes, organ­isées con­fédérale­ment, en quête d’une rela­tion plus har­monieuse avec le monde naturel au sens large.

L’é­colo­gie sociale a con­tribué à façon­ner la nou­velle gauche des Etats-Unis, les mou­ve­ments anti­nu­cléaires dans les années 1960 et 1970, elle a sus­cité l’émer­gence de poli­tiques vertes dans de nom­breux pays, le mou­ve­ment alter­mon­di­al­iste de la fin des années 1990 et du début des années 2000, et plus récem­ment la lutte pour l’au­tonomie démoc­ra­tique des com­mu­nautés kur­des en Turquie et en Syrie, ain­si que la résur­gence de nou­veaux mou­ve­ments munic­i­paux dans le monde entier — de Barcelona en Comú à Coop­er­a­tion Jack­son dans le Mississippi.

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La vision philosophique de l’é­colo­gie sociale a été for­mulée pour la pre­mière fois par Mur­ray Bookchin entre le début des années 1960 et le début des années 2000, et elle a depuis lors été dévelop­pée par ses col­lègues et bien d’autres. C’est une syn­thèse unique de la cri­tique sociale, de l’in­ves­ti­ga­tion his­torique et anthro­pologique, de la philoso­phie dialec­tique et de la stratégie poli­tique. L’é­colo­gie sociale peut être vue comme le développe­ment de plusieurs couch­es dis­tinctes de com­préhen­sion et de per­spi­cac­ité, cou­vrant tous les domaines cités et plus encore. Elle com­mence par une appré­ci­a­tion du fait que les prob­lèmes envi­ron­nemen­taux sont fon­da­men­tale­ment de nature sociale et poli­tique, et qu’ils sont enrac­inés dans les héritages his­toriques de dom­i­na­tion et de hiérar­chie sociale.

Capitalisme et changement climatique

Communalisme

Bookchin a été par­mi les pre­miers penseurs occi­den­taux à iden­ti­fi­er l’im­pératif de crois­sance du sys­tème cap­i­tal­iste comme une men­ace fon­da­men­tale pour l’in­tégrité des écosys­tèmes vivants, et il a con­stam­ment soutenu que les préoc­cu­pa­tions sociales et écologiques sont fon­da­men­tale­ment insé­para­bles, remet­tant en ques­tion les approches étroites avancées par de nom­breux envi­ron­nemen­tal­istes pour abor­der dif­férents prob­lèmes. Pour les activistes cli­ma­tiques d’au­jour­d’hui, cela pousse à com­pren­dre qu’avoir une approche rationnelle de la crise cli­ma­tique exige une vision sys­témique du rôle cen­tral de la con­som­ma­tion des com­bustibles fos­siles dans l’émer­gence et dans le main­tien con­tin­uel du cap­i­tal­isme. En effet, le cap­i­tal­isme tel que nous le con­nais­sons est pra­tique­ment incon­cev­able sans la crois­sance expo­nen­tielle de la con­som­ma­tion d’én­ergie — et le rem­place­ment général­isé du tra­vail par l’én­ergie — que le char­bon, le pét­role et le gaz ont per­mis. Comme l’a expliqué le groupe de recherche Cor­ner House, basé au Roy­aume-Uni, dans un doc­u­ment de 2014 :

« L’ensem­ble du sys­tème con­tem­po­rain con­sis­tant à faire des prof­its à par­tir de la main-d’œu­vre dépend absol­u­ment du car­bone fos­sile bon marché [et par con­séquent] il n’y a pas de sub­sti­tut bon marché — ou poli­tique­ment envis­age­able — aux com­bustibles fos­siles dans la triple com­bi­nai­son “com­bustibles fos­siles — moteurs ther­miques — main-d’œu­vre exploitée” qui sous-tend les taux actuels d’ac­cu­mu­la­tion de capital. »

Le point de vue de l’é­colo­gie sociale nous per­met donc de voir que les éner­gies fos­siles ont longtemps été au cen­tre du mythe cap­i­tal­iste de la crois­sance per­pétuelle. Elles ont entraîné des con­cen­tra­tions tou­jours plus grandes de cap­i­taux dans de nom­breux secteurs économiques et ont favorisé la régu­la­tion et la pré­car­ité crois­sante du tra­vail humain dans le monde entier. Dans Fos­sil Cap­i­tal, Andreas Malm explique en détail com­ment les pre­miers indus­triels bri­tan­niques ont choisi de pass­er d’une énergie hydraulique abon­dante à des moteurs à vapeur, ali­men­tés au char­bon, pour faire fonc­tion­ner leurs usines, mal­gré des coûts accrus et une fia­bil­ité incer­taine. La capac­ité de con­trôler la main-d’œu­vre était au cœur de leur déci­sion, car les citadins pau­vres se mon­traient beau­coup plus enclins à la dis­ci­pline indus­trielle que les ruraux plus indépen­dants qui vivaient le long des cours d’eau rapi­des de la Grande-Bre­tagne. Un siè­cle plus tard, de nou­velles décou­vertes mas­sives de pét­role au Moyen-Ori­ent et ailleurs dans le monde ont induit des aug­men­ta­tions jusqu’alors inimag­in­ables de la pro­duc­tiv­ité du tra­vail humain, et don­né une nou­velle vie au mythe cap­i­tal­iste de l’ex­pan­sion économique illimitée.

Pour faire face à toute l’am­pleur de la crise cli­ma­tique et main­tenir une planète hab­it­able pour les généra­tions futures, nous devons bris­er ce mythe une bonne fois pour toutes. Aujour­d’hui, la supré­matie poli­tique des éner­gies fos­siles — et des intérêts qui y sont liés — dépasse large­ment l’am­pleur de leurs con­tri­bu­tions aux cam­pagnes élec­torales ou de leurs prof­its à court terme. Elle découle de leur rôle cen­tral per­ma­nent dans l’a­vance­ment du sys­tème qu’ils ont con­tribué à créer eux-mêmes. Nous devons ren­vers­er à la fois les com­bustibles fos­siles et l’é­conomie de la crois­sance, ce qui néces­sit­era une remise en ques­tion pro­fonde de bon nom­bre des hypothès­es fon­da­men­tales qui sous-ten­dent les sociétés con­tem­po­raines. L’é­colo­gie sociale four­nit un cadre pour cela.

La philosophie de l’écologie sociale

Heureuse­ment, à cet égard, les objec­tifs de l’é­colo­gie sociale ont con­tin­ué d’évoluer au-delà du niveau de la cri­tique. Dans les années 1970, Bookchin s’est lancé dans des recherch­es appro­fondies sur l’évo­lu­tion de la rela­tion entre les sociétés humaines et la nature non-humaine. Ses écrits remet­tent en ques­tion la notion occi­den­tale com­mune selon laque­lle les humains cherchent intrin­sèque­ment à domin­er le monde naturel, con­clu­ant au con­traire que la dom­i­na­tion de la nature est un mythe enrac­iné dans les rela­tions de dom­i­na­tion entre les peu­ples qui ont émergé de l’ef­fon­drement des anci­ennes sociétés trib­ales en Europe et au Moyen-Orient.

L’é­colo­gie sociale met en lumière les principes soci­aux égal­i­taires que de nom­breuses cul­tures autochtones — passées et présentes — ont en com­mun, et les a élevés au rang de piliers pour un ordre social renou­velé : des con­cepts tels que l’in­ter­dépen­dance, la réciproc­ité, l’u­nité dans la diver­sité et une éthique de la com­plé­men­tar­ité, c’est-à-dire l’équili­bre des rôles entre les dif­férents secteurs soci­aux, com­pen­sant active­ment les dif­férences entre les indi­vidus. Dans son grand-œuvre, L’é­colo­gie de la lib­erté, Bookchin détaille les con­flits qui se dévelop­pent entre ces principes directeurs et ceux des sociétés hiérar­chiques de plus en plus strat­i­fiées, et la manière dont cela a façon­né les héritages — con­flictuels — de dom­i­na­tion et de lib­erté pour une grande par­tie de l’his­toire humaine.

Au-delà de ça, le ques­tion­nement philosophique de l’é­colo­gie sociale exam­ine l’émer­gence de la con­science humaine à par­tir des proces­sus d’évo­lu­tion naturelle. En remon­tant aux racines de la pen­sée dialec­tique, d’Aris­tote à Hegel, Bookchin a dévelop­pé une approche unique de l’é­co-philoso­phie, soulig­nant les poten­tial­ités latentes dans l’évo­lu­tion des phénomènes naturels et soci­aux tout en célébrant le car­ac­tère unique de la créa­tiv­ité humaine et de l’au­toréflex­ion. L’é­colo­gie sociale évite la con­cep­tion com­mune de la nature comme un sim­ple roy­aume de néces­sités, mais perçoit plutôt la nature comme une ten­ta­tive, dans un sens, d’ac­tu­alis­er par l’évo­lu­tion une poten­tial­ité sous-jacente de con­science, de créa­tiv­ité et de liberté.

Pour Bookchin, un point de vue dialec­tique de l’his­toire humaine nous oblige à rejeter ce qui est actuelle­ment, et nous invite à suiv­re les poten­tial­ités inhérentes à l’évo­lu­tion vers une vision élargie de ce qui pour­rait être et, en fin de compte, de ce qui devrait être. Alors que la réal­i­sa­tion d’une société libre et écologique est loin d’être inévitable — et peut sem­bler tou­jours moins prob­a­ble face au chaos cli­ma­tique immi­nent — c’est peut-être le résul­tat le plus rationnel de qua­tre mil­liards d’an­nées d’évo­lu­tion naturelle.

La stratégie politique de l’écologie sociale

Ces explo­rations his­toriques et philosophiques four­nissent à leur tour un fonde­ment à la stratégie poli­tique révo­lu­tion­naire de l’é­colo­gie sociale, qui a été dis­cutée précédem­ment dans ROAR Mag­a­zine par plusieurs col­lègues de l’é­colo­gie sociale. Cette stratégie est générale­ment qual­i­fiée de munic­i­pal­isme lib­er­taire ou con­fédéral, ou plus sim­ple­ment de com­mu­nal­isme, car hérité de la Com­mune de Paris de 1871.

Comme les com­mu­nards, Bookchin a plaidé pour des villes libérées, des villes et des quartiers gou­vernés par des assem­blées pop­u­laires ouvertes. Il a estimé que la con­fédéra­tion de ces munic­i­pal­ités libérées pour­rait sur­mon­ter les lim­ites de l’ac­tion locale, en per­me­t­tant aux villes, vil­lages et quartiers de main­tenir un con­tre-pou­voir démoc­ra­tique sur les insti­tu­tions poli­tiques cen­tral­isées de l’É­tat, tout en sur­mon­tant l’e­sprit de clocher et les risques d’u­ni­formi­sa­tion, en pro­mou­vant l’in­ter­dépen­dance et en faisant pro­gress­er un vaste pro­gramme de libéra­tion. De plus, il a fait val­oir que l’anony­mat étouf­fant du marché cap­i­tal­iste peut être rem­placé par une économie morale dans laque­lle les rela­tions économiques et poli­tiques sont guidées par une éthique de mutu­al­isme et de réciprocité.

Les écol­o­gistes soci­aux croient que si les insti­tu­tions du cap­i­tal­isme et de l’E­tat ren­for­cent la strat­i­fi­ca­tion sociale et exploitent les divi­sions entre les peu­ples, les struc­tures alter­na­tives enrac­inées dans la démoc­ra­tie directe peu­vent favoris­er l’ex­pres­sion d’un intérêt social général en faveur du renou­veau social et écologique. « C’est dans la munic­i­pal­ité », écrit Bookchin dans Urban­iza­tion With­out Cities, « que les gens peu­vent se recon­stituer, à par­tir de mon­ades isolées, en un corps poli­tique créatif et créer une vie civique qui est vitale exis­ten­tielle­ment… une vie civique qui a une forme insti­tu­tion­nelle aus­si bien que du con­tenu civique ».

Des per­son­nes inspirées par ce point de vue ont intro­duit des struc­tures de démoc­ra­tie directe, par le biais d’assem­blées pop­u­laires, dans de nom­breux mou­ve­ments soci­aux aux Etats-Unis, en Europe et au-delà, depuis les cam­pagnes pop­u­laires d’ac­tion directe con­tre le nucléaire à la fin des années 1970 jusqu’aux mou­ve­ments alter­mon­di­al­istes plus récents et Occu­py Wall Street. La dimen­sion pré­fig­u­ra­tive de ces mou­ve­ments — anticiper et met­tre en œuvre les divers élé­ments d’une société libérée — a encour­agé les par­tic­i­pants à remet­tre en ques­tion le statu quo tout en faisant pro­gress­er des visions trans­for­ma­tri­ces de l’avenir. Le dernier chapitre de mon récent ouvrage, Toward Cli­mate Jus­tice (New Com­pass 2014) décrit ces influ­ences en détail, en met­tant l’ac­cent sur le mou­ve­ment anti­nu­cléaire, les poli­tiques vertes, l’é­cofémin­isme et d’autres courants impor­tants du passé et du présent.

Contributions aux mouvements contemporains

Aujour­d’hui, les écol­o­gistes soci­aux sont active­ment engagés dans le mou­ve­ment mon­di­al pour la jus­tice cli­ma­tique, qui unit des courants con­ver­gents provenant d’une grande var­iété de sources, notam­ment les mou­ve­ments autochtones et d’autres mou­ve­ments de peu­ples du Sud glob­al récla­mant des ter­res, les mil­i­tants de la jus­tice envi­ron­nemen­tale issus des com­mu­nautés de couleur du Nord glob­al, et les courants déjà exis­tants, issus des mou­ve­ments mon­di­aux de jus­tice ou d’al­ter­mon­di­al­i­sa­tion d’il y a dix ans. Il vaut la peine d’ex­am­in­er plus en détail cer­taines des con­tri­bu­tions directes de l’é­colo­gie sociale à ce vaste mou­ve­ment de jus­tice climatique.

Bookchin Ecologie sociale

Pre­mière­ment, l’é­colo­gie sociale offre une per­spec­tive écologique intran­sigeante qui remet en ques­tion les struc­tures de pou­voir bien enrac­inées du cap­i­tal­isme et de l’É­tat-nation. Un mou­ve­ment qui ne parvient pas à s’at­ta­quer aux caus­es sous-jacentes de la destruc­tion de l’en­vi­ron­nement et de la per­tur­ba­tion du cli­mat ne peut, au mieux, s’at­ta­quer que super­fi­cielle­ment à ces prob­lèmes. Les activistes de la jus­tice cli­ma­tique com­pren­nent générale­ment, par exem­ple, que les fauss­es solu­tions cli­ma­tiques telles que les tax­es car­bone, la géo-ingénierie et le gaz de schiste obtenu par le frack­ing, ven­dus comme des “car­bu­rants de tran­si­tion”, sur le chemin des éner­gies renou­ve­lables ser­vent prin­ci­pale­ment l’im­pératif du sys­tème qui est de con­tin­uer à croître. Pour s’at­ta­quer pleine­ment aux caus­es du change­ment cli­ma­tique, il faut que les acteurs du mou­ve­ment aient des exi­gences de trans­for­ma­tion à long terme, que les sys­tèmes économiques et poli­tiques dom­i­nants pour­raient se révéler inca­pables de satisfaire.

Deux­ième­ment, l’é­colo­gie sociale offre une per­spec­tive pour mieux com­pren­dre les orig­ines et l’émer­gence his­torique de l’é­colo­gie rad­i­cale, depuis les mou­ve­ments nais­sants de la fin des années 1950 et du début des années 1960 jusqu’à nos jours. L’é­colo­gie sociale a joué un rôle cen­tral dans la con­tes­ta­tion du biais anti-écologique inhérent à une grande par­tie du marx­isme-lénin­isme du XXe siè­cle, et sert donc de com­plé­ment impor­tant aux efforts actuels pour récupér­er l’héritage écologique de Marx. Si la com­préhen­sion des écrits écologiques longtemps ignorés de Marx, avancés par des auteurs tels que John Bel­lamy Fos­ter et Kohei Saito, est au cœur de la tra­di­tion émer­gente de l’é­co-gauche, il en va de même pour les débats poli­tiques et les ques­tion­nements théoriques qui se sont déroulés au cours de nom­breuses décen­nies charnières, lorsque la gauche marx­iste était sou­vent, et de façon véhé­mente, dés­in­téressée par les ques­tions environnementales.

Troisième­ment, l’é­colo­gie sociale offre le traite­ment le plus com­plet des orig­ines de la dom­i­na­tion sociale humaine et de sa rela­tion his­torique avec les abus des écosys­tèmes vivants de la Terre. L’é­colo­gie sociale met en évi­dence les orig­ines de la destruc­tion écologique dans les rela­tions sociales de dom­i­na­tion, con­traire­ment aux idées reçues selon lesquelles les impul­sions visant à domin­er la nature non-humaine sont le pro­duit d’une néces­sité his­torique. Pour s’at­ta­quer de manière rationnelle à la crise cli­ma­tique, il fau­dra ren­vers­er de nom­breuses man­i­fes­ta­tions du long héritage his­torique de dom­i­na­tion et il fau­dra un mou­ve­ment inter­sec­to­riel visant à remet­tre en ques­tion la hiérar­chie sociale en général.

Qua­trième­ment, l’é­colo­gie sociale offre un fonde­ment his­torique et stratégique com­plet pour con­cré­tis­er la promesse d’une démoc­ra­tie directe. Les écol­o­gistes soci­aux tra­vail­lent depuis les années 1970 à inté­gr­er la pra­tique de la démoc­ra­tie directe dans les mou­ve­ments pop­u­laires, et les écrits de Bookchin offrent un con­texte his­torique et théorique essen­tiel à cet échange con­tinu. L’é­colo­gie sociale offre une per­spec­tive stratégique glob­ale qui va au-delà du rôle des assem­blées pop­u­laires en tant que forme d’ex­pres­sion publique et d’indig­na­tion, en pro­posant d’aller vers une auto-organ­i­sa­tion et une con­fédéra­tion pleine­ment mise en place, comme oppo­si­tion révo­lu­tion­naire aux insti­tu­tions étatistes enracinées.

Enfin, l’é­colo­gie sociale affirme l’in­sé­para­bil­ité entre une activ­ité poli­tique d’op­po­si­tion effi­cace et une vision recon­struc­tive d’un futur écologique. Bookchin con­sid­érait que la plu­part des écrits dis­si­dents les plus pop­u­laires étaient incom­plets, se con­cen­trant sur la cri­tique et l’analyse sans pro­pos­er, de pair, une solu­tion cohérente pour aller de l’a­vant. En par­al­lèle, les écol­o­gistes soci­aux se sont pronon­cés con­tre le com­pro­mis avec de nom­breuses insti­tu­tions alter­na­tives — y com­pris de nom­breuses coopéra­tives et col­lec­tifs autre­fois rad­i­caux – pour éviter un statu quo cap­i­tal­iste étouffant.

La con­ver­gence des courants d’op­po­si­tion et de recon­struc­tion est une étape cru­ciale vers un mou­ve­ment poli­tique capa­ble de con­tester et de recon­quérir le pou­voir poli­tique. Cela se fait dans le cadre du mou­ve­ment cli­ma­tique inter­na­tion­al à tra­vers la créa­tion de nou­veaux espaces poli­tiques qui incar­nent les principes du “blocka­dia” et de “l’al­ter­nat­i­ba”. Le pre­mier terme, pop­u­lar­isé par Nao­mi Klein, a d’abord été inven­té par les mil­i­tants du blo­cus des sables bitu­mineux au Texas, qui se sont engagés dans une longue série d’ac­tions non-vio­lentes pour blo­quer la con­struc­tion de l’oléo­duc Key­stone XL. Le deux­ième est un mot basque, côté français, adop­té comme thème d’une tournée cycliste qui a tra­ver­sé la France durant l’été 2015 et qui a mis en évi­dence des dizaines de pro­jets locaux de con­struc­tion alter­na­tive. Le plaidoy­er de l’é­colo­gie sociale en faveur d’une par­tic­i­pa­tion humaine créa­tive dans le monde naturel nous aide à voir com­ment nous pou­vons trans­former rad­i­cale­ment nos com­mu­nautés, tout en guéris­sant et en restau­rant les écosys­tèmes vitaux, grâce à une var­iété de méth­odes sophis­tiquées et écologiques.

Communalisme

Inertie globale, réponses municipales

Suite à la con­clu­sion, célébrée mais finale­ment déce­vante, de la Con­férence des Nations Unies sur le cli­mat qui s’est tenue à Paris en 2015, de nom­breux mil­i­tants pour le cli­mat se sont ral­liés à la cause locale. Alors que l’Ac­cord de Paris est large­ment salué par les élites mon­di­ales — et que les militant.es ont con­damné à juste titre le retrait de l’ad­min­is­tra­tion Trump -, l’ac­cord présente un défaut fon­da­men­tal qui empêche dans une large mesure la pos­si­bil­ité de par­venir à une atténu­a­tion sig­ni­fica­tive du change­ment cli­ma­tique. Cela remonte aux inter­ven­tions de Barack Oba­ma et Hillary Clin­ton lors de la con­férence de Copen­h­ague en 2009, qui ont réori­en­té la diplo­matie cli­ma­tique des réduc­tions d’émis­sions juridique­ment con­traig­nantes du Pro­to­cole de Kyoto de 1997 vers un sys­tème d’en­gage­ments volon­taires, ou « Con­tri­bu­tions déter­minées nationale­ment », qui con­stituent désor­mais la base de l’ac­cord de Paris. La mise en œuvre et l’ap­pli­ca­tion de l’ac­cord se lim­i­tent à ce que le texte de Paris décrit comme un comité inter­na­tion­al d’ex­perts, struc­turé de manière à être « trans­par­ent, non con­tra­dic­toire et non puni­tif ».

Bien enten­du, le pro­to­cole de Kyoto ne prévoy­ait pas non plus de mécan­ismes d’ap­pli­ca­tion con­séquents, et des pays comme le Cana­da et l’Aus­tralie ont régulière­ment dépassé leurs pla­fonds d’émis­sions pre­scrits par celui-ci. Le Pro­to­cole de Kyoto a égale­ment lancé une série de “mécan­ismes flex­i­bles” pour met­tre en œuvre des réduc­tions d’émis­sions, con­duisant à la pro­liféra­tion mon­di­ale de marchés du car­bone, à des sys­tèmes de com­pen­sa­tion dou­teux et à d’autres mesures inspirées par les cap­i­tal­istes qui ont large­ment béné­fi­cié à des intérêts financiers sans béné­fici­er au cli­mat. Alors que la Con­ven­tion des Nations Unies sur le cli­mat de 1992 a con­sacré divers principes visant à remédi­er aux iné­gal­ités entre les nations, la diplo­matie cli­ma­tique qui a suivi ressem­ble sou­vent à une course démoral­isante vers le pire.

Il y a quand même des signes d’e­spoir. En réponse à l’an­nonce du retrait des États-Unis de l’ac­cord de Paris, une alliance de plus de 200 villes et comtés améri­cains a annon­cé son inten­tion de respecter les engage­ments pru­dents mais néan­moins sig­ni­fi­cat­ifs que l’ad­min­is­tra­tion Oba­ma avait pris à Paris. Sur le plan inter­na­tion­al, plus de 2 500 villes, d’Oslo à Syd­ney, ont soumis des plans aux Nations Unies pour réduire leurs émis­sions de gaz à effet de serre, par­fois au mépris des engage­ments beau­coup plus pru­dents de leurs gou­verne­ments nationaux. Deux con­sul­ta­tions pop­u­laires locales en Colom­bie ont fait rejeter l’ex­ploita­tion minière et pétrolière sur leur ter­ri­toire, dans un des cas en s’as­so­ciant au mou­ve­ment “Slow Cities” basé en Ital­ie — une con­séquence du célèbre mou­ve­ment Slow Food qui a con­tribué à rehauss­er le statut social et cul­turel des pro­duc­teurs locaux d’al­i­ments en Ital­ie et dans de nom­breux autres pays. Une déc­la­ra­tion de principes des Slow Cities sug­gère qu’en « œuvrant pour le développe­ment durable, la défense de l’en­vi­ron­nement et la réduc­tion de notre empreinte écologique exces­sive », les com­mu­nautés « s’en­ga­gent à redé­cou­vrir le savoir-faire tra­di­tion­nel et à val­oris­er nos ressources par le recy­clage et la réu­til­i­sa­tion, en appli­quant les nou­velles tech­nolo­gies ».

La capac­ité de ces mou­ve­ments munic­i­paux à sus­citer un sou­tien et des pres­sions en faveur de change­ments insti­tu­tion­nels plus larges est essen­tielle à leur impor­tance poli­tique dans une péri­ode où les pro­grès soci­aux et envi­ron­nemen­taux sont au point mort dans de nom­breux pays. Les actions ini­tiées à par­tir d’en bas peu­vent aus­si avoir une plus grande fac­ulté à rester en place que celles qui sont man­datées d’en haut. Elles sont beau­coup plus sus­cep­ti­bles d’être struc­turées démoc­ra­tique­ment et de ren­dre des comptes aux per­son­nes les plus touchées par les résul­tats. Elles aident à établir des rela­tions entre voisin.es et ren­for­cent la capac­ité d’au­to­suff­i­sance. Elles nous per­me­t­tent de con­stater que les insti­tu­tions qui domi­nent aujour­d’hui nos vies sont beau­coup moins essen­tielles à notre sub­sis­tance quo­ti­di­enne que nous nesommes sou­vent amenés à le croire. Et, ce qui est peut-être le plus impor­tant, de telles ini­tia­tives munic­i­pales peu­vent remet­tre en ques­tion les mesures régres­sives mis­es en œuvre depuis en haut, ain­si que les poli­tiques nationales qui favorisent les entre­pris­es d’én­ergie fos­sile et les intérêts financiers connexes.

Dans l’ensem­ble, les ini­tia­tives munic­i­pales récentes aux États-Unis et ailleurs ont évolué dans une direc­tion pro­gres­siste. Plus de 160 villes et comtés des États-Unis se sont déclarés comme des “sanc­tu­aires”, au mépris des lois améri­caines sur l’im­mi­gra­tion que l’ad­min­is­tra­tion Trump a faites pass­er — une évo­lu­tion très impor­tante à la lumière des migra­tions futures qui résul­teront du change­ment cli­ma­tique. Ces luttes poli­tiques et juridiques en cours au sujet des droits des munic­i­pal­ités con­tre les États témoignent du poten­tiel rad­i­cal des mesures sociale­ment et écologique­ment pro­gres­sistes qui émer­gent d’en bas.

Les mil­i­tants états-uniens en faveur de la jus­tice sociale et envi­ron­nemen­tale con­tes­tent égale­ment la ten­dance aux vic­toires élec­torales de droite en menant et en rem­por­tant des cam­pagnes auda­cieuses pour une var­iété de posi­tions munic­i­pales. Le plus remar­quable est sans doute la cam­pagne réussie de Chok­we Antar Lumum­ba, élu maire de Jack­son (Mis­sis­sip­pi) en 2017, au cœur du Sud pro­fond, avec un pro­gramme axé sur les droits de l’homme, la démoc­ra­tie locale et le renou­veau économique et écologique fondé sur les quartiers. Lumum­ba a été la voix d’un mou­ve­ment con­nu sous le nom de Coop­er­a­tion Jack­son, qui s’in­spire des tra­di­tions noire améri­caine et du Sud mon­di­al, y com­pris des luttes de résis­tance des esclaves africains avant et après la guerre civile améri­caine, du mou­ve­ment zap­atiste dans le sud du Mex­ique et des soulève­ments pop­u­laires récents dans le monde entier.

Coop­er­a­tion Jack­son a mis en avant de nom­breuses idées qui ont forte­ment réson­né avec les principes de l’é­colo­gie sociale, y com­pris des assem­blées de quarti­er ren­for­cées, l’é­conomie coopéra­tive et une stratégie poli­tique à deux pou­voirs. D’autres, qui ten­tent de résis­ter au statu quo et de ren­forcer le pou­voir local, organ­isent directe­ment des assem­blées de quarti­er démoc­ra­tiques, de New York à la côte Paci­fique nord-ouest, et met­tent sur pied un nou­veau réseau nation­al pour faire avancer les straté­gies des munic­i­pal­ités, comme l’a dit Eleanor Fin­ley dans son essai sur les nou­veaux mou­ve­ments munic­i­paux, paru dans le numéro 6 de ROAR Magazine.

Visions d’avenir

Il reste à voir si des efforts locaux comme ceux-là peu­vent con­tribuer à l’in­tro­duc­tion d’un mou­ve­ment munic­i­pal­iste cohérent et unifié en sol­i­dar­ité avec les ini­tia­tives de “villes rebelles” dans le monde entier. Un tel mou­ve­ment sera néces­saire pour que les ini­tia­tives locales s’in­ten­si­fient et finis­sent par catal­yser les trans­for­ma­tions qui sont néces­saires à l’échelle mon­di­ale pour écarter la men­ace immi­nente d’une panne com­plète des sys­tèmes cli­ma­tiques de la Terre.

En effet, les pro­jec­tions de la sci­ence du cli­mat soulig­nent sans cesse la dif­fi­culté de trans­former nos sociétés et nos économies assez rapi­de­ment pour empêch­er la descente vers une cat­a­stro­phe cli­ma­tique plané­taire. Mais la sci­ence affirme aus­si que les actions que nous entre­prenons aujour­d’hui peu­vent faire la dif­férence entre un futur régime cli­ma­tique qui sera dis­rup­tif et dif­fi­cile à met­tre en place, et un régime qui descen­dra rapi­de­ment vers des extrêmes apoc­a­lyp­tiques. Si nous devons être tout à fait réal­istes face aux con­séquences poten­tielle­ment dévas­ta­tri­ces de la pour­suite des per­tur­ba­tions cli­ma­tiques, un véri­ta­ble mou­ve­ment de trans­for­ma­tion doit s’en­racin­er dans une vision d’avenir, d’amélio­ra­tion de la qual­ité de vie de la plu­part des pop­u­la­tions du monde dans un avenir libéré de la dépen­dance aux com­bustibles fossiles.

Les mesures par­tielles sont loin d’être suff­isantes, et les approches au développe­ment des éner­gies renou­ve­lables qui se con­tentent de repro­duire les formes cap­i­tal­istes pour­raient s’avér­er sans issue. Cepen­dant, l’im­pact cumu­latif des efforts munic­i­paux pour con­tester les intérêts bien ancrés et actu­alis­er les solu­tions de rechange vivantes — com­binés à des visions, une organ­i­sa­tion et des straté­gies révo­lu­tion­naires cohérentes vers une société rad­i­cale­ment trans­for­mée — pour­rait peut-être suf­fire à repouss­er un avenir dystopique de pri­va­tion et d’autoritarisme.

Les ini­tia­tives munic­i­pal­istes démoc­ra­tique­ment con­fédérées demeurent notre meilleur espoir de façon­ner de façon sen­sée le des­tin de l’hu­man­ité sur cette planète. Peut-être que la men­ace du chaos cli­ma­tique, com­binée à notre pro­fonde con­nais­sance du poten­tiel d’un avenir plus humain et plus har­monieux sur le plan écologique, peut en effet con­tribuer à inspir­er les pro­fondes trans­for­ma­tions néces­saires pour que l’hu­man­ité et la Terre con­tin­u­ent à prospérer.

Bri­an Tokar

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Brian TokarBri­an Tokar est activiste et auteur, pro­fesseur d’é­tudes envi­ron­nemen­tales à l’U­ni­ver­sité du Ver­mont et mem­bre du con­seil d’ad­min­is­tra­tion de l’In­sti­tute for Social Ecol­o­gy et de 350Vermont. Son ouvrage le plus récent est Toward Cli­mate Jus­tice : Per­spec­tives on the Cli­mate Cri­sis and Social Change (New Com­pass Press, 2014).


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