Reza Zarrab, vous connaissez ? Un grand seigneur pourtant. Et surtout un grand bavard devant l’Eternel de la justice américaine, avec quelques conséquences côté Turquie.
Nous ne nous sommes pas trop étendus sur l’affaire Reza Zarrab, jeune homme d’affaires turco-iranien véreux, trafiquant et escroc, qui fut un temps arrêté en Turquie, puis libéré par le régime, avec des excuses. Il fut au coeur des affaires de corruption de 2013, qui désignaient clairement l’entourage du Seigneur au sommet de l’Etat.
On le retrouve aujourd’hui très bavard, aux Etats-Unis, empêtré dans un procès où il plaide coupable, et devient témoin, pour tenter d’échapper à la sentence. Le marchand d’or est objet de scandale politico-financier, dont la presse turque gentiment opposante fait des choux gras. L’affaire profitera sans doute aujourd’hui à l’opposition ultra-nationaliste montante, mains propres, et à ceux qui se turent en 2013, trop occupés à défendre la République et l’unité de la Nation, et à faire oublier leurs propres turpitudes passées, alors que la jeunesse contestait l’installation au pouvoir d’une AKP dans le vent.
Le scandale n’est qu’une pièce du puzzle, et un épisode des relations turco américaines, bien au delà des “affaires intérieures” turques. Aussi, l’évoquer avec humour fait-il du bien.
L’article de Reyya Advan publié le 10 décembre 2017 sur Gazete Duvar.
Il n’a pas honte le Seigneur des cœurs !
C’était le mois d’avril de l’année 2014. Notre belle journée de printemps, s’était embellie avec l’émission de comédie, prétendue “Le reportage de l’année” avec Reza Zarrab sur la chaîne A Haber. Monsieur Reza, chantait mélodieusement encore, comme un rossignol, en harmonie, avec joie et goût.
Avec ses yeux qu’il clignait sans cesse, ses paroles tremblantes, ses gestes de main qu’il n’arrivait pas à synchroniser avec ce qu’il disait, ses mimiques discordantes, ses attitudes belliqueuses, sa façon de sauter du coq à l’âne et de répondre aux questions par des questions (d’un amateurisme que je ne trouve pas digne de lui), il mentait.
Même s’il était assis là, comme un monument à l’honnêteté (aux cheveux en brushing), il avouait par son langage corporel, qu’il alignait des mensonges. Il était tellement à l’aise avec le drapeau turc qui se trouvait derrière lui, que le fait qu’il mente n’était même pas un problème. De toutes façons, qui d’entre nous ne mentait pas dans ce monde de mensonges.
A cette époque, il ne restait plus que 5 mois, pour que Reza atteigne ses 31 ans. Il n’avait encore que 30 ans, mais il était champion à l’exportation. Pour les services qu’il avait rendus à la Turquie et les contributions qu’il avait apportées à notre économie, il avait reçu des prix. C’était un homme d’affaire “bienfaisant”, en pleine réussite. Comme le fait qu’il soit bienfaiteur n’était pas suffisant, il était en plus romantique. Il écrivait des paroles de chansons et des poèmes sentimentaux. Malgré les milliards avec lesquels il jonglait, il était extrêmement humble.
C’était quasiment un papillon d’amour, Reza. Il était le “Seigneur du coeur” d’Ebru [célèbre chanteuse en Turquie]. Il aimait beaucoup son Ebru, et de temps en temps, il lui faisait des petites surprises. Ces petites surprises pouvaient être parfois un yacht, ou une villa, et parfois deux, villas. S’il achetait deux villas, il connectait les villas par un passage en tube. L’amour n’était-il pas de faire construire des passages en tube ?
Ce soir, avec le drapeau turc au dos, il a raconté tout, à deux personnes en face de lui, programmées pour le croire. Il commerçait depuis qu’il avait 1 an. (Oui, il a dit cela. Il avait appris à marcher, pendant que vous ne saviez pas marcher.)
Il a répondu à la question “Etes-vous un espion iranien ?”, par la question “Ai-je une posture d’espion iranien ?” A ce moment précis, les présentateurs ont pensé “quelle posture aurait donc un espion iranien ?”. En vérité il n’était pas utile qu’ils pensent trop longtemps. Tout le monde savait comment se tenaient les espions, et Reza ne se tenait absolument pas comme cela. En même temps que les présentateurs, nous avons touTes respirées. (De toutes façons, s’il était espion, il l’aurait dit tout de suite. Tous les espions avouent qu’ils sont espions, lorsqu’on leur demande. Ceci est la règle d’or de l’établissement de l’espionnage.)
Ensuite une question plus consciente est arrivée : “Alors, êtes-vous contrebandier d’or ?” Bien sûr qu’il ne l’était pas. Reza, “Il ne peut pas exister une chose telle la contrebande d’or” a‑t-il dit. Puis, (en essayant d’apprendre des présentateurs) il a demandé, “Comment la contrebande d’or peut-elle exister, le savez-vous ?” Les présentateurs se sont pétrifiés, la vie s’est arrêtée. Cette question n’avait pas de réponse, parce que la contrebande d’or n’existait pas. Le sujet fut clos.
Ensuite Reza (on ne sait pas pourquoi) s’est énervé subitement. Il a commencé à poser question sur question au présentateurs. Sa voix s’est levée, sa cravate s’est desserée, une partie de ses cheveux ont commencé à danser avec concordance, ses bras ont pris la forme des accoudoirs du fauteuil sur lequel il était assis. Il y avait peu pour que les présentateurs soient déclarés espions, contrebandier, exportateurs de (faux? je t’expliquerai) ou encore corrompus. Reza était exalté. Reza était fâché. A chacune de ses phrase il attirait notre attention et nous soulignait.
Après que toutes les attentions furent attirés et que nous soyons subjuguéEs, Reza a fait exploser la bombe : “Tout cela n’est qu’un ‘compleut’ construit sur Reza Zarrab !”. (Compleut, peut dire un “complot très violent”, peut être.)
Il commerçait honnêtement via la banque Halk Bankası. Tout était documenté, et conforme aux lois et au Droit. C’était donc quoi toutes ces inventions ? Des mensonges, de fausses exportations, des pots-de-vin, des blanchiements d’argent, des ruptures d’embargo ? Reza n’arrivait pas y croire. “87 milliards d’euros, 50 millions d’euros, 500 mille euros ? Est-ce tout ça a une logique, un sens ? Ca sort d’où tout ça ?” demandait-il. Il n’arrivait même pas prononcer tous ces chiffres, le garçon.
Il était comme tous les hommes d’affaires normaux de 30 ans, qui commercent des tonnes d’or et qui gagne des milliards de folie. Il était intelligent, perspicace et moral. Et il ne savait pas ce que voulait dire pot-de-vin.
Les thèses qui disaient qu’il avait rompu l’embargo de l’Amérique (mis sur l’Iran) avaient blessé beaucoup le coeur sensible de Reza. Alors qu’il se mouvait conformément à la législation de l’embargo d’Amérique. Alors qu’il était si soigneux sur l’embargo. Reza était si ému, qu’en rentrant le soir, il pouvait écrire des paroles de chanson.
Le titre de sa chanson était “Je suis innocent, monsieur le juge”. Il allait absolument caser dans les paroles, la phrase prononcée lors de l’émission “Comment les calomniateurs qui disent que j’ai offert des montres, versé des millions en pot-de-vin, vont me demander des excuses, je suis curieux de le savoir.”
Ce ne fut pas.
Maintenant, aux Amériques, Reza Zarrab n’arrive plus à terminer les aveux qu’il a commencé (avec un talent qui rendrait les rossignols jaloux) que par “Il est vrai que j’ai dit des mensonges”. Il arrive à prononcer les milliards qu’il ne savait pas articuler. Et il arrive à poser joliment sur des organigrammes tout ce qu’il déclarait illogique et insensé.
Pendant que l’actualité fait des va-et-vient entre “Reza et ses aveux” et “Ebru et ses larmes”, pendant que nous autres, essayons de calculer combien de livres turques ferait le bakchich contenu dans la phrase “J’ai versé un pot-de-vin de 50 millions d’euros”, un enfant afghan de 11 ans, qui vivait dans un camp de réfugiés à Vienne, avec ses 6 frères et soeurs, s’est suicidé.
Dans un camp de réfugiés, un enfant de 11 ans, responsable de ses 6 frères et soeurs, dont on ne sait pas où sont les parents, ne pouvant plus supporter, s’est suicidé. 11 ans, suicidé.
Ne dépensons pas pour rien, notre droit de nous indigner que nous utilisons largement dans ces dernier temps, au nom de Reza, Ebru, et de multiples personnalités politiques. Parce que les histoires de magouilles… Au lieu d’avoir honte d’eux, ayons honte touTEs ensemble de nous mêmes, et ensuite de la terre entière.
Reyya Advan