Zehra Doğan, journaliste et artiste incarcérée à la prison de type E à Diyarbakır (Amed), a adressé une réflexion succincte, à l’intention de Jin News, sur le rôle de l’Art et des femmes dans le combat contre la domination. Jin News est une agence d’information centrée sur la femme, constituée de journalistes et d’éditrices femmes, dans la tradition de JINHA interdite et fermée par décret le 30 octobre 2016. Zehra en était une co-fondatrice.
SeulEs l’Art et les femmes peuvent anéantir les hégémonies
Les efforts du pouvoir pour faire plier la société sous son joug se perpétuent par l’intermédiaire des politiques de violences ouvertes ou cachées, par l’usage des notions de démocratie, justice, droit, qui fonctionnent comme des virus et anesthésient les individus. Sans se satisfaire des emprisonnements, destructions, occupations, pillages, guerres, massacres, le pouvoir continue, grâce aux rapports de classe qu’il a instaurés depuis des milliers d’années, à formater les cerveaux, et crée ainsi des esclaves inconscients qui marchent dans ces pas selon leur époque. La part d’humanité qui fait face avec opiniâtreté ne se suffit pas devant une telle violence. Une violence de haute intensité règne aujourd’hui, face à elle nous devons faire preuve de la plus grande résistance, et dire “non” à voix haute intelligible. Et une des façons majeures de dire “non” est représentée par l’Art.
Des temps anciens à nos jours, les dieux de l’hégémonie, à grands coups sur la société, par la main des cités-États des monarchies sumériennes, ont fait ployer sous le joug, d’abord l’Art, dont ils avaient le plus peur. Jean-Jacques Rousseau dit, “La civilisation a tué l’Art”. Les prêtres sumériens, en mettant fin au Néolithique, tout en esclavagisant la femme, n’ont pas manqué de monopoliser l’Art centré sur la femme. Les Sumériens ont monopolisé les inventions et créations artistiques les précédant de plusieurs milliers d’années, appartenant à cette période de liberté de genres, peintures, sculptures, mémoriaux, architecture et urbanisme, colonnes, dômes, paysages, roue, médecine, ornements, broderies, épopées, contes. Ils les ont considéré comme les leurs. Or, ils n’ont rien produit de nouveau, ils n’ont fait que perfectionner et domestiquer les créations et inventions existantes.
L’Art et le pouvoir ne peuvent cohabiter
Nous pouvons découvrir sans difficulté que les inventions considérées comme premières par les historienNEs, appartiennent en vérité au Néolithique ou précédemment. Ce qui nous amène naturellement à donner raison à Rousseau. Les Sumériens n’ont pu quasiment rien inventer, ils se sont contentés d’améliorer. Cela veut dire que le pouvoir et l’Art, ne peuvent jamais cohabiter ! La même vision a été défendue également par Abdullah Öcalan : “Lorsque nous nous penchons sur l’histoire, nous constatons que la survenue et la généralisation d’inventions et découvertes entre les années 6000–4000 av-JC, période où l’Etat n’existait pas, n’a pas perduré à partir de la mise en place des cités-Etats sumériennes et dans les périodes suivantes. Les productions dans cette période de 5000 ans, (années 6000 av-JC), sont extrêmement rares, voire inexistantes. Bien que l’inventivité se soit quelque peu réveillée entre 1600–1900 après JC, elle n’a pas été suffisamment marquantes et durables.”
* Note : Avec cette citation elle fait référence à un ouvrage, tiré des écrits de prison, d’Öcalan, et plus précisément de “Libérer la vie — La révolution des femmes”. Pour compléter le caractère forcément lapidaire de la citation, rendez-vous page 16 de l’ouvrage, “L’Ere Néolitique”. Profitez-en pour mettre ce lien de côté, car cet ouvrage est aussi une réflexion essentielle pour la compréhension du parcours politique et intellectuel d’Öcalan)
Dans les systèmes de pouvoir de nos jours, la même mentalité poursuit son existence sous des masques différents, et maintient ses efforts pour tenir l’Art et l’artiste sous son joug.
Une posture révolutionnaire est nécessaire
L’Etat essaie de rendre l’artiste dépendant, avec force subventions ou postes de service public. Ainsi, il affaiblit ou élimine tout ce qui pourrait apparaitre comme menace pour son intégrité. Parce qu’il sait que la force la plus importante capable d’anéantir son pouvoir dominant ne peut être que la lutte par l’Art ! C’est ainsi que le fait d’exercer un Art contraint, produit dans un cercle vicieux ne peut donner que des résultats artificiels et qui se répètent. L’artiste larbin du pouvoir, ne pensant pas librement, ne peut créer. Donc une posture révolutionnaire est nécessaire.
Les femmes créatrices rendues invisibles
Le fait que le nombre d’artistes femmes soit infime n’est pas le fruit du hasard. Leur visibilité est censurée. Les femmes issues de l’époque matricentrée qui a enfanté l’Art, ne parviennent pas à trouver d’espaces de création depuis des milliers d’années. Ce n’est pas un hasard non plus que cela vienne en avant dans ce sale monde dirigé par des politiques sournoises d’hégémonie.
Enfin, si particulièrement, les peuples du Moyen-Orient aujourd’hui en sont arrivés au point de ne pouvoir produire d’Art, et y sont condamnés par l’idée normative que les territoires de l’Art seraient l’Europe ou les Etats-Unis, ce n’est pas non plus un hasard.
Cela vient du fait que les hégémonies, les matrices idéologiques les plus fortes, se désignent comme le centre de l’Art. Or, l’Art a grandi sur les terres du Moyen-Orient. Et les créations de toute une planète ne peuvent être limitées à un seul lieu. Le Moyen-Orient est la terre la plus importante de l’Histoire de l’Art. L’épopée de Gilgamesh [Texte intégral ICI], poésie, l’écriture cunéiforme, les lois, les recettes médicinales, les chansons épopées, sculptures, peintures, les nombreuses créations et inventions sont nées et ont évolué sur ces terres.
Prenons nos destins en main, à travers nos racines
Ces terres que les hégémonies essayent de vider de leurs contenus, par les virus de la guerre, du pillage et de la maladie d’intégrisme, sont présentées comme des terres les plus arriérées. En faisant cela, les puissances trouvent également un cache-sexe pour leurs pillage. Il y a des milliers d’années, le vol a commencé par celui des mythologies, des Sciences et de l’Art. Ceci est connu. Plus récemment, les chercheurs dirigeant les fouilles emportaient toutes leurs trouvailles dans leurs pays respectifs. Les oeuvres du Moyen-Orient sont exposées dans leurs musées, au Louvre, au British Muséum… Et nous admirons là notre propre histoire pour quelques minutes, après avoir fait de longues queues et versé de l’argent. Lorsque Daech a attaqué le musée en Irak, nous avons touTEs ressenti de la tristesse. Puis, en apprenant que les originaux des œuvres se trouvaient en Europe, nous avions soufflé. Et lorsque la ville antique de Palmyre a été anéantie, la plupart d’entre nous avions dit “Si les oeuvres avaient été protégé en Europe…”, mais nous ne nous sommes pas questionnéEs sur qui a généré la naissance de Daech et les organisations semblables…
Les artistes du Kurdistan et du Moyen-Orient ne doivent jamais cesser de produire. Et nous devons faire cela en nous ressourçant des terres qui nous ont donné vie par leurs veines principales. L’Art est le travail des temps difficiles. Pour l’Art, une vie de derviche est nécessaire. Ces “hégémones” insatiables de sang et d’exploitation ne peuvent être anéanties que par l’Art et les femmes.
Auteure invitée
Zehra Doğan
Geôle d’Amed, novembre 2017
Image à la une :
©Zehra Doğan. Acrylique sur toile 108 x 160 cm. Le tableau représente le dieu Nergal, et la déesse Ishtar. Les manchettes des journaux parlent des enfants tués dans les villes kurdes de la Turquie. Cette peinture fait partie de l’exposition “Les œuvres évadées” en tournée en Europe. Livre “Les yeux grands ouverts” pages 84–85.
English: Kedistan • Zehra Doğan : Women and Art against Power and Domination Click to read
Kurdî: Jin News • Zehra Dogan:Hêza ku zîhniyeta mêr tine bike huner e
Türkçe: Jin News • Zehra Doğan: Erk zihniyeti yok edecek güç sanattır!