Même si nous pou­vions nous y atten­dre, quand la nou­velle de la con­fis­ca­tion des œuvres clan­des­tines de Zehra Doğan, qu’elle réal­i­sait en prison, nous est par­v­enue, tristesse et colère s’é­taient mêlées. Depuis, son com­bat d’artiste continue.

Zehra résiste entre les qua­tre murs de pier­res de la prison de haute sécu­rité pour femmes de Diyarbakır (Amed), où elle a été jetée, depuis juin 2017.

Elle résiste en con­tin­u­ant à dessin­er, pein­dre, écrire, aux côté de ses co-détenues politiques.

Dessin­er, pein­dre, mal­gré les inter­dits, mal­gré l’ab­sence de matériel. Elle trans­forme avec son tal­ent, son intel­li­gence, sa fureur de vivre, le moin­dre des sup­ports, en œuvre d’art. Elle recy­cle le réel et trans­forme l’en­fer­me­ment en création.

Fort heureuse­ment, quelques œuvres ain­si réal­isées ont pu être sauvées avant cette rafle, que décrit une de ses co-détenues récem­ment libérées. Elles se join­dront très bien­tôt à l’ex­po­si­tion qui com­mence à cir­culer eu Europe.

Plus que jamais, dans ces moments dif­fi­ciles, Zehra a besoin de sou­tien, de vis­i­bil­ité, de pro­tec­tion, même à distance.

L’ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire turque a décidé de réa­gir et de porter le coup là où cela fait mal, en con­fisquant et détru­isant des œuvres, con­sid­érées par elle comme des “déchets”. Elle sait ain­si que cette démarche aveu­gle et bru­tale a valeur de tor­ture psy­chologique. Zehra, qui a vécu comme jour­nal­iste, la mort autour d’elle, depuis deux ans sous états de siège, en a vu d’autres certes, et recèle la force suff­isante pour ne pas céder. Elle le prou­ve à toutEs les amiEs qui l’en­tourent, de près ou de loin. Mais le sou­tien doit être total.

Nous vous appelons à réa­gir, à ne pas laiss­er Zehra seule, face à l’ad­min­is­tra­tion bureau­cra­tique. Ses co-détenues l’en­tourent, for­mons une deux­ième ligne. Artistes, jour­nal­istes, intel­lectuels, vous qui avez la pos­si­bil­ité de dif­fuser autour de vous et sur des sup­ports médi­a­tiques, mobilisez-vous avec nous ! Vous toutes et vous tous qui lirez ces lignes, votre sty­lo peut devenir une arme de défense…

Aux côtés du PEN Inter­na­tion­al, envoyez aux autorités péni­ten­ti­aires et au min­istère en Turquie vos protes­ta­tions, dans la langue qui est la vôtre, et avec vos mots.

Min­istre de la Jus­tice: abdulhamit.gul@tbmm.gov.tr
Pre­mier Min­istre: binali.yildirim@tbmm.gov.tr

Envoyez à Zehra vos sou­tiens par écrit. Nous vous pro­poserons bien­tôt de nou­veaux mod­èles de let­tres en turc, en plus de ceux-ci.

ATTENTION : Une mesure d’éloignement for­cé vient d’être prise par l’Etat turc con­tre Zehra Doğan. Le 23 octo­bre 2018, elle a été envoyée dans la sin­istre prison de Tar­sus (Tarse). LIRE : Turquie • Zehra Doğan déportée avec 20 pris­on­nières et partagez autour de vous comme sur les réseaux sociaux.
Toute cor­re­spon­dance vers l’ancienne adresse à la prison de Diyarbakır ne retrou­vera pas Zehra. Nous com­mu­niquons sa nou­velle adresse :

Zehra Doğan C‑3
Tarsus Kadın Kapalı CİK 
Alifakı Mahallesi Alifakı sokak 
Tarsus – MERSİN 
TURKEY

Et lui ren­voy­er une de ses “femmes rouges”, serait un plus, et un pied de nez à l’u­nivers car­céral. Nous tenons des cartes à votre dis­po­si­tion, pour des ate­liers d’écriture…

Sevgili Zehra,
Yal­nız değilsin. Emeğin­le gurur duyuy­or, cesare­ti­ni kut­luy­oruz. Sesinin dünya­da duyul­duğunu bil­meni istiy­oruz. Özgür­lüğün için mücadele ver­meyi sürdüreceğiz.
Sevgiler.

Traduction : Chère Zehra, Vous n’êtes pas seule. Nous sommes fiers de votre œuvre et célébrons votre courage. Votre voix est entendue dans le monde et nous continuerons à réclamer votre liberté. Avec amitiés.

Zehra

Enfin, organ­isez une expo­si­tion de tirages d’œu­vres de Zehra, faites les vivre hors de prison.

Et lisez ce témoignage, aidez à faire mon­ter la demande de libéra­tion d’une jeune femme, jour­nal­iste et artiste kurde, qui n’a rien à faire en prison, comme toutes ses com­pagnes otages poli­tiques du régime.

Mukad­des Alataş, defenseure des droits humains, mil­i­tante pour les droits de femmes, arrêtée en mai 2017, était incar­cérée dans le même quarti­er que Zehra. Elle décrit dans un arti­cle pub­liée sur Gazete Karın­ca com­ment les oeu­vres de Zehra Doğan, son amie co-détenue, qui con­tin­ue à dessin­er mal­gré toutes les dif­fi­cultés, avaient été con­fisquées en octo­bre. Depuis, le bras de fer con­tin­ue… Mukad­des elle, a été libérée en instance de jugement.

Les dessins de Zehra se sont fait “arrêter en prison”

La porte de la prom­e­nade s’est ouverte. Tous les yeux se sont retournés vers cette porte. Celle qui entrait sous nos regards, était une femme comme une oeu­vre ; cheveux abon­dants, sour­cils et yeux tout noirs. “Je suis venue moi aus­si” a‑t-elle dit en souriant.

Comme nous le faisons pour toutes les nou­velles arrivantes, nous l’avons entourée. Nous avons com­mencé à dis­cuter. Ensuite, nous l’avons aidée pour qu’elle prenne ses repères. Et vint le moment de la blague de prison. La pièce, les comé­di­ennes, tout était impro­visé. La pièce a com­mencé. Nous atten­dions avec curiosité, com­ment Zehra allait réa­gir. La per­for­mance de nos comé­di­ennes était très vraisem­blable. Zehra suiv­ait. Elle était hési­tante. Ensuite, elle s’est penchée douce­ment et a mur­muré à mon oreille “Ce ne serait pas la blague de prison qu’on me fait là ?” Sur ces paroles nous avons éclaté de rires.

Les jours suiv­ants, en obser­vant que tout ce qui con­cerne Zehra lui sem­blait si “nor­mal”, je lui ai par­lé de cela. Elle m’a répon­du en riant “Pen­dant que je fai­sais du jour­nal­isme, j’ai été témoin de telle­ment de choses anor­males que tout cela me parait tout à fait normal.”

Zehra… Une pein­tre, une jour­nal­iste, une keça Kur­dan [fille kurde]

Elle avait peint sur le car­ton d’une brique de lait. Oh là ! C’é­tait un si grand prob­lème. “Com­ment ce car­ton avait-il pu pass­er à l’in­térieur ?”. Le car­ton et le dessin se sont donc fait “arrêter” ! Cette sit­u­a­tion “méri­tait une enquête”, il fal­lait donc “enquêter tout de suite”.

D’abord, elle a dess­iné sur des pages de jour­naux, avec un sty­lo bic, Zehra. Parce que le matériel de dessin était inter­dit à l’in­térieur. Et peu de temps après, elle est passée à l’é­tape de pro­duire du matériel. Elle a com­mencé à faire du vert avec du per­sil, du jaune avec le cur­cuma. Allait-elle pou­voir retrou­ver la couleur mar­ron, à par­tir du marc du café ? Je dois avouer que par­fois, ces mélanges nous empêchaient de dormir. Imag­inez donc, l’odeur que la sauce tomate huileuse, retirée des plats, peut dif­fuser une fois sur le papi­er jour­nal. Il arrivait qu’elle obti­enne de très belles couleurs. Par exem­ple, en faisant dégorg­er la tein­ture de mes cheveux… Après avoir fait d’une aile d’oiseau son pinceau, des fruits et légumes sa pein­ture, et des pages de jour­naux sa toile, Zehra était passée à la “pro­duc­tion à la chaîne”.

Nous accro­chions les dessins que Zehra fai­sait sur les pages des jour­naux, tous ensem­ble, sur les murs de la prom­e­nade. Nous le fai­sions, pour pou­voir nous faire pren­dre en pho­to devant et pour les envoy­er à l’ex­térieur. Notre pein­tre avait souhaité, elle aus­si, être prise en pho­to, devant ses oeu­vres, en train de dessin­er sur le jour­nal avec son pinceau d’aile d’oiseau. Lorsque nous avons demandé ce cliché au pho­tographe de la prison, nous avons appris que notre pein­tre avait com­mis encore un “crime”. “Comme il n’é­tait pas suff­isant de dessin­er à l’in­térieur, pho­togra­phi­er cela, en plus, ce n’é­tait pas pos­si­ble”. En voilà une sit­u­a­tion de plus, qui mérite une enquête. Pour­tant, nous avions man­i­festé notre ent­hou­si­asme, “Non, il faut met­tre ce dessin là, celui-ci plus haut !”… Ce n’est pas rien, trente femmes veut dire trente avis …

Zehra n’a jamais été oisive. Elle a écrit les his­toires de vie des femmes, elle a don­né des cours de dessin, elle a appris à dessin­er, à toutes, qu’elles sachent tenir un cray­on ou non. Moi aus­si, je fus ain­si son élève.

Elle, elle a con­tin­ué à dessin­er et à les met­tre de côté. Une nuit, soudain, il y a eu une descente. Toute l’ad­min­is­tra­tion de la prison est entrée dans le quarti­er avec fureur. Ils nous ont sor­ties toutes à la prom­e­nade. La fouille a duré quelques heures. Ils ont mis à sac toutes les affaires, les casiers. Ils frap­paient avec leurs mail­lets partout, à droite à gauche. On ne sait jamais, on aurait peut être creusé un tun­nel ! Lorsque la fouille s’est ter­minée, ils avaient enfin trou­vé un “preuve de crime”. Ils avaient entre leurs mains, les dessins que Zehra avait fait sur les pages des jour­naux. Ils avaient aus­si, entassés quelques livres, au cas où. Ils sont par­tis. Nous sommes restéEs à regarder der­rière eux. Le range­ment nous a pris des heures. Et les yeux de Zehra, qui avait vu ses dessins par­tir, étaient rem­plis de larmes.

Ils étaient mes meilleurs dessins. J’avais pro­duit les pein­tures telle­ment dif­fi­cile­ment. Et puis, ces cheveux, j’avais obtenu ces couleurs si difficilement.”

Nous pes­tions toutes.

Comme nous étions heureuses lorsque j’avais fait couler la tein­ture de mes cheveux pour don­ner aux femmes des dessins. Et ils ont emporté aus­si ces femmes aux cheveux rouges. Peut être même, les ont-ils jetés dans une poubelle un peu plus loin…

Zehra avait dess­iné Nusay­bin toute détru­ite. Elle avait com­mis un “crime” et elle avait été con­damnée. Elle avait aus­si com­mis un “crime” en relayant l’in­fo de Nusay­bin, et elle avait été con­damnée. En prison, nous avons telle­ment de fois vu Nusay­bin, dans ses larmes.

Zehra est très inven­tive, elle n’a pas jeté l’éponge. Elle con­tin­ue à écrire et à dessin­er. Et ses traits qu’elle a posés sur mon corps avant ma libéra­tion, sont tou­jours là.

Mukad­des Alataş

Et n’ou­bliez pas qu’un livre, dédié à Zehra est en vente.…. Vous pou­vez le trou­ver sur Kedis­tan.

 

Lire aus­si :

Sou­tien • Zehra Doğan s’expose à Genève


Eng­lish: Works by Zehra Doğan con­fis­cat­ed or destroyed Click to read

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