L’expérience kurde du municipalisme radical nous oblige à repenser la question de la violence étatique et à imaginer comment de nouveaux mondes peuvent être créés et défendus.
Article de Nazan Üstündağ, publié dans ROAR Magazine Numéro 6, illustré par David Istvan.
Ces dernières années, à la suite de l’effondrement du processus de paix entre l’État turc et le mouvement de libération kurde, la lutte pour l’autonomie dans les villes et villages du nord du Kurdistan, appelé Bakur, a connu un changement significatif, passant d’une réorganisation non-violente de la vie sociale et politique à un mouvement militant d’autodéfense.
La déclaration de couvre-feu 24 heures sur 24 à l’été 2016 a laissé de nombreuses villes kurdes, de facto, dans un état de siège par l’armée, ce qui a ouvert la voie à une guerre urbaine. Les jeunes locaux.les ont creusé des tranchées et construit des barricades pour protéger leurs quartiers et leurs initiatives démocratiques autonomes contre les raids de la police. Alors que les guérillero.as qui étaient resté.es jusqu’alors dans les montagnes venaient soutenir la jeunesse, les forces spéciales turques ont mis à feu et à sang villes et villages, en rasant des quartiers entiers. Selon un rapport de l’ONU, au moins 2000 personnes sont mortes au cours de ces affrontements.
La dévastation de la guerre n’était cependant pas seulement matérielle. Le fait que les forces spéciales turques aient brûlé vif des civils, dénudé des personnes, empêché l’enterrement des corps des personnes tuées, et que des images de cadavres mutilés et de membres coupés aient été largement diffusées via les réseaux sociaux pour célébrer leur victoire, a marqué durablement le peuple kurde. Aujourd’hui, l’expérience de l’autonomie démocratique dans le Kurdistan urbain a pris fin, des milliers de personnes sont emprisonnées, des organisations ferment leurs portes, des élu.es sont démis.es de leurs fonctions et des villes et des villages sont occupés par des forces de sécurité lourdement armées.
DE L’ANTICOLONIALISME À L’AUTONOMIE DÉMOCRATIQUE
L’idée d’autonomie démocratique s’est développée au Kurdistan à la fin des années 2000, dans le cadre d’une lutte armée contre l’occupation et la colonisation turques. Dans son livre Les damnés de la Terre, Frantz Fanon affirme que la colonisation est une violence. La caractéristique déterminante d’un régime colonial est que sa violence détruit la nature, les gens et la culture sans jamais avoir besoin d’obtenir un consentement. De nombreux régimes juridiques libéraux occidentaux ont été formés dans le cadre de la colonisation. Ces régimes protègent le monopole de l’État sur la violence contre les communautés colonisées, ainsi que le droit de l’État d’exercer la violence contre les “autres”. En faisant allusion à la menace que représente “l’autre” pour recourir à la violence afin de se défendre, le droit libéral transforme ce potentiel danger en une urgente question de sécurité et, par conséquent, il légitime et légalise ainsi sa propre violence organisée.
Seul discours pour les opprimés reconnu internationalement, les revendications de violations des droits de l’homme sont à leur tour accablées par la nécessité de prouver que l’État a transgressé son usage légal et légitime de la violence qu’il monopolise. De plus, afin de maintenir leur légitimité, les institutions des droits de l’homme sont obligées de condamner sans conteste la violence utilisée par des acteurs autres que l’État et de contribuer ainsi à la normalisation du monopole de l’État sur la violence. Fanon invite celleux qui luttent contre la colonisation à créer un monde différent de celui des instituts juridiques libéraux occidentaux.
Les écrivains postcoloniaux qui suivent les traces de Fanon critiquent les États-nations qui ont émergé après les luttes anti-coloniales. Ils soulignent que le nationalisme a créé une nouvelle hégémonie dans ces États, en transférant le pouvoir des élites coloniales vers les élites nationales, et en agissant comme un moyen par lequel les peuples colonisés entrent dans l’étape du capitalisme mondial en tant que travailleurs et capitalistes. Dans ce processus, les paysans et paysannes, les femmes en général et les pauvres — qui ont participé activement à la lutte anti-coloniale — sont renvoyés chez elleux, et les moyens de gouverner, de produire, de se reproduire et de se défendre leur sont confisqués par le nouvel appareil d’État indépendant. Ils sont ensuite transformés en sujets citoyens capables d’opérer et de se soumettre au contexte social, économique et juridique façonné par une réalité capitaliste globale.
Au Kurdistan, l’idée d’autonomie démocratique est apparue comme une réponse à cette expérience coloniale et postcoloniale. Le mouvement de libération kurde peut être compris comme un mouvement qui cherche à récupérer les moyens de l’autogouvernance, de l’autoproduction, de l’autocréation et de l’autodéfense auprès de l’État turc et des élites dirigeantes du Kurdistan. L’autonomie démocratique invite à transgresser les rapports sociaux et les loyautés qui lui sont imposées depuis longtemps. Elle promeut des espaces où les formes de représentation et d’appartenance peuvent se multiplier pour résister à l’effet d’homogénéisation de l’État-nation, de la famille nucléaire, du capital et de la science positiviste.
L’autonomie n’est pas un tournant vers l’intérieur, ni une indépendance vis-à-vis des relations extérieures. Au contraire : l’autonomie implique un engagement à plusieurs niveaux de conversation, de négociation et d’échange. Elle suggère l’horizontalité au lieu de la verticalité instituée par l’État-nation et le capital. Alors que le capital cherche à sécuriser les découpages géographiques pour maximiser l’accumulation, que le système étatique cherche à homogénéiser les identités sociales, et tandis que le système juridique moderne cherche à monopoliser la loi et l’usage légitime de la force, l’autonomie démocratique ouvre ces éléments à un avenir d’indétermination et de possibilités.
Pour le mouvement de libération kurde et son dirigeant, Abdullah Öcalan, l’autonomie démocratique est donc une forme politique dans laquelle les Kurdes, les Turcs et d’autres peuples du Moyen-Orient peuvent aspirer à l’autonomisation et à la libération, et lutter contre le nationalisme, le patriarcat et le capitalisme sans avoir recours à la forme de l’État. En tant que tel, le mouvement soutient que la recherche de l’autonomie démocratique peut être un moyen de rétablir la paix dans la région au sens large.
L’AUTONOMIE ET LE PROCESSUS DE PAIX
Les spécialistes des sciences sociales se demandent depuis longtemps pourquoi les sociétés post-conflit — de l’Irlande à l’Afrique du Sud — sont souvent confrontées à la perte d’autonomie des forces sociales émancipatrices. Certain.es pensent que c’est le résultat du fait que les régimes nationaux et les processus de paix ont souvent été formulés par des acteur.rices capitalistes mondiaux dont le but premier est de garantir l’accumulation du capital, de consolider l’État-nation et d’invalider les idéologies alternatives au néolibéralisme.
Après avoir tiré les leçons des expériences négatives du passé, les retardataires du processus de résolution des conflits, comme le PKK et les FARC, soutiennent donc que le processus de paix doit être considéré comme une lutte sociale et politique plus qu’une entreprise diplomatique — comme un moyen plutôt que comme une fin en soi. La société doit exercer son autodéfense et accroître sa capacité de liberté pendant le processus de paix. En d’autres termes, les espaces qui s’ouvrent lors des négociations de paix et des luttes pour la paix doivent être exploités comme des espaces d’exercice de la liberté ici et maintenant. Seule une société qui peut se défendre et se gouverner seule peut parvenir à la paix sans perdre son potentiel de transformation sociale radicale et sa capacité à construire des mondes alternatifs.
C’est pourquoi le mouvement de libération kurde en Turquie a créé diverses institutions locales, nationales et internationales, réuni différentes sections de l’opinion publique kurde et turque, et formé de nouvelles alliances au cours du processus de paix. Il visait à élargir l’espace de négociation en intégrant de nouveaux acteurs dans le processus grâce aux nombreuses conférences qu’il a tenues et aux trois partis politiques qu’il a créés. Pendant ce temps, Abdullah Öcalan, en tant que négociateur clé des Kurdes, se servait de la “table de négociation” comme d’une plate-forme afin de formuler un cadre juridique pour la lutte de libération.
Le gouvernement turc avait cependant d’autres attentes à l’égard du processus de paix. Il visait à accroître son pouvoir régional en se déclarant le représentant des Kurdes et des Turcs. Son objectif était de priver le mouvement kurde de ses capacités discursives, représentatives et opérationnelles. Il espérait obtenir des territoires kurdes pour y investir des capitaux, et consolider le pouvoir de l’État en promouvant une identité islamique collective qui réunisse les diverses trajectoires historiques des Kurdes et des Turcs. En 2015, deux ans après son début, le gouvernement turc a renoncé au processus de paix et a recouru une fois de plus aux moyens militaires pour régler la “question kurde” — une décision qui semble avoir été motivée au moins en partie par le fait que les groupes kurdes ont été beaucoup plus efficaces sur le fait d’utiliser le processus de paix comme un moyen de s’adresser aux différents groupes d’opposition à l’intérieur de la Turquie, et de les réunir contre les politiques du gouvernement AKP d’Erdogan.
DU MODÈLE AU MOUVEMENT
Si Öcalan a introduit le concept d’autonomie démocratique dans le vocabulaire et le discours du mouvement de libération kurde au début des années 2000, il n’est devenu un sujet de débat, de critique et d’élaboration pour un public plus large que les cadres du mouvement qu’après le lancement d’une réunion clé à Diyarbakir en 2010, lorsque les militant.es kurdes ont invité des journalistes et intellectuels turcs à évaluer la solution qu’ils proposaient à la question kurde. Ils y ont présenté leurs idées sur l’autonomie démocratique et se sont heurtés à une vive opposition, non pas parce que les journalistes et les intellectuels invités étaient hostiles à la reconnaissance de l’identité kurde, mais parce qu’ils jugeaient cette proposition tout à fait irréaliste.
Hormis une réforme de la Constitution qui exclurait toute référence à l’ethnicité, la proposition défendue par les Kurdes n’avait pas grand-chose à dire sur la restructuration de l’État turc et la correction des torts du passé. Il s’agissait plutôt d’un modèle élaboré d’autogouvernance et de partage du pouvoir où des références telles que “parlements populaires”, “communes”, “paysan.nes” et “femmes” illustraient le désir de construire une démocratie radicale dans les domaines politique et économique ainsi que dans les domaines de la santé, de l’éducation, et dans d’autres domaines.
Pour les intellectuels turcs, qui à l’époque étaient fortement soumis au fantasme de la démocratie libérale et de l’État de droit, la proposition semblait détourner l’attention des “véritables enjeux”, mais quelques années plus tard, ce qui était autrefois considéré comme irréaliste était déjà mis en pratique dans de nombreuses villes et villages du Kurdistan. De plus, et quelque peu ironiquement, les désirs qui ont inspiré les protestations de Gezi de 2013, quand un million de personnes ont pris les rues d’Istanbul et d’autres villes à travers la Turquie, avaient une affinité indéniable avec les revendications d’autonomie démocratique formulées par l’opposition kurde.
L’autonomie démocratique dans les villes kurdes passe avant tout par la création d’assemblées au niveau local et régional. Les assemblées résidentielles dans les quartiers, les villes et les villages prennent des décisions concernant l’infrastructure et d’autres questions sociales importantes. Lors des élections locales de 2009, l’opposition kurde a gagné 97 municipalités et a porté ce nombre à 99 en 2014. Or, ces nouvelles autorités municipales ont dû répondre aux demandes des assemblées populaires officieuses, en limitant leur propre capacité décisionnelle et en déléguant le pouvoir des élites et des professionnel.les instruit.es de la classe moyenne à des personnes et des travailleur.ses ordinaires. Outre les assemblées populaires générales, il y avait aussi des assemblées thématiques sur la santé, la justice, l’économie et l’éducation qui visaient à démocratiser la politique sociale et la gouvernance locale.
Alors que l’assemblée sur l’économie encourage la formation de coopératives et s’entretenait autant avec des hommes et femmes d’affaires, des organisations commerciales et des entrepreneurs, qu’avec les pauvres et les chômeur.ses, les assemblées sur la santé publique fournissent des services gratuits et forment des travailleur.ses de la santé. Des académies se sont ouvertes dans tout le Kurdistan pour donner une formation idéologique et pratique à celleux qui participent à la construction de l’autonomie démocratique, tandis que les assemblées de vérité et de justice visent à résoudre les conflits locaux pour faire en sorte que les Kurdes cessent d’utiliser les institutions juridiques officielles et pour promouvoir la diffusion et la démocratisation de la justice communautaire.
Une autre caractéristique importante de l’expérience d’autonomie démocratique au Kurdistan a été sa forte composante féministe. Le mouvement des femmes kurdes a formé des assemblées exclusivement féminines dans les villes, et les femmes ont le droit de s’opposer aux décisions concernant les femmes prises dans des collectifs mixtes. En outre, toutes les assemblées et toutes les institutions officielles — y compris la municipalité elle-même — comptaient une femme et un homme comme coprésident.es. Dans de nombreuses assemblées mixtes, le mouvement a atteint l’objectif d’une représentation égale des femmes et des hommes.
PROGRÈS ET DÉFIS
Entre 2009 et 2015, différentes institutions et organisations locales, régionales et nationales — y compris des assemblées, des partis et des congrès — ont continué de se disséminer dans tout le Kurdistan. Les Kurdes possédaient déjà une vaste expérience de la mise au point de nouveaux modèles d’autogouvernance, puisqu’illes avaient mis sur pied diverses organisations au cours des années 1990 et 2000 pour documenter les violations des droits de l’homme dans les régions kurdes — notamment les déplacements forcés, les disparitions et les exécutions extrajudiciaires — et pour aider les villageois.es qui étaient venu.es dans les centres urbains à la suite de l’évacuation et la destruction de leurs villages par le gouvernement. Les nouvelles formes d’autonomie démocratique se sont construites à partir de ces expériences passées et ont été rapidement mises en place.
La force de l’expérience de l’autonomie démocratique au Kurdistan est venue du conflit plutôt que de l’harmonie. La démocratie a été réalisée par l’entrecoupement des compétences et l’effacement des souverainetés. C’est précisément la mobilité sociale et les conflits entre acteur.rices locaux.les engendrés par la création de diverses assemblées, congrès, partis et institutions qui ont amené de plus en plus de personnes à s’engager dans des processus locaux de décision et de mise en œuvre. Toutefois, la construction et la mise en place de l’autonomie démocratique au Bakur ont aussi posé d’importants problèmes.
Premièrement, le modèle avait été préalablement défini de manière assez détaillée, d’abord par Öcalan, puis par le PKK en général, ce qui lui a permis de devenir un moyen d’ingénierie sociale. Deuxièmement, la langue de l’autonomie démocratique était étrangère à la plupart des gens, et en conséquence elle a produit des élites du mouvement qui étaient des expert.es de la langue, au détriment des autres, à qui elles imposaient un vocabulaire aliénant. Troisièmement, l’autonomie a souvent été interprétée comme une autonomie nationale et comprise comme la prestation de services par le mouvement kurde plutôt que par l’État, sans pour autant remettre en cause la relation plus large de “prestation de services” dans le capitalisme, l’étatisme et le patriarcat. Enfin, certaines catégories de la population, en particulier les jeunes défavorisé.es, ne peuvent pas s’intégrer avec succès dans les institutions de l’autonomie démocratique et restent isolé.es dans leurs propres organisations.
Toutefois, cette période fut aussi celle où les Kurdes développèrent leur répertoire d’actions d’opposition. Avec, notamment, l’émergence d’un gouvernement autonome dans le contexte de la guerre contre Daech au Rojava (nord de la Syrie), qui a énormément influencé la lutte à Bakur. Au Rojava, le mouvement de libréation kurde a acquis une reconnaissance universelle grâce à la lutte armée, et les jeunes Kurdes y ont appris et diffusé les tactiques et stratégies de la guerre urbaine.
En outre, le processus de paix et le cessez-le-feu entre l’armée turque et les forces kurdes ont permis à différentes personnes de visiter et de consulter les guérillas au quartier général du PKK dans les montagnes du Qandil, au nord de l’Irak. Surtout, la visibilité et la légitimité que les combattant.es de la liberté ont acquises au cours du processus de paix ont fermement ancré la lutte dans l’imagination des Kurdes ordinaires. Contrairement à la claustrophobie des espaces urbains façonnés par le colonialisme, le capitalisme et la famille patriarcale, ainsi qu’aux conflits quotidiens que la formation de l’autonomie démocratique impliquait inévitablement, la guérilla représentait une fuite de la famille et du travail, et une intimité avec la nature, l’amitié et la force. C’était particulièrement vrai pour les jeunes citadins.e. Dans la mesure où illes se sont sentis exclu.es des institutions politiques formelles et des espaces d’autonomie démocratique, illes ont popularisé de nouvelles pratiques au sein des villes, qui imitaient la guérilla et transformaient les espaces urbains en espaces de libération, ici et maintenant, par le biais de la résistance armée. Commençant par des unités d’autodéfense dans les quartiers luttant contre le trafic de drogue, la prostitution et le vol, ces escouades armées se sont de plus en plus transformées en guérillas urbaines protégeant les quartiers de la violence.
Enfin, la relation des populations avec les zones rurales a subi un changement majeur au cours de cette période. Alors que, dans la période précédente, les relations des populations avec les zones rurales avaient été déracinées par l’expérience de la violence étatique et des déplacements forcés, les acteur.rices urbain.es ont lentement commencé à se rattacher aux villages et aux montagnes. Enfants, femmes, hommes, membres du parti et non-membres, instruit.es et non scolarisé.es, jeunes et personnes âgées ont parcouru de longues routes vers la campagne, résistant aux forces de sécurité et risquant leur vie ensemble, s’engageant dans de multiples négociations et conversations horizontales entre elleux, avec la guérilla ainsi qu’avec les forces de sécurité.
GUERRE URBAINE
Dans les villes kurdes, les jeunes et la police s’affrontent souvent, les premier.es utilisant des pierres et des cocktails Molotov, les seconds des balles en caoutchouc, des grenades gazantes et des canons à eau. Dès 2013, ces escarmouches régulières s’étaient transformées en affrontements plus violents. Tandis que les forces de guérilla et l’armée maintenaient leur cessez-le-feu, un certain nombre de jeunes ont été fusillé.es lors de manifestations en ville. En outre, celleux qui se trouvaient dans les zones urbaines ont été condamné.es à de longues peines d’emprisonnement chaque fois que la police les arrêtait. Beaucoup de ces jeunes étaient des fils et des filles de déplacé.es, avec peu de perspectives ni d’éducation formelle ni d’emploi — ce qui a contribué à une situation sociale explosive dans les villes.
Lorsque Daech a attaqué Kobanê en 2014 et qu’ils ont commencé à ressembler à l’État turc, qui a permis le siège de la ville kurde, les jeunes sont descendu.es dans les rues du Bakur. C’était la première fois que l’État turc réalisait la taille et le pouvoir du mouvement de la jeunesse kurde, et le fait que beaucoup de ces jeunes étaient maintenant légèrement armé.es et bien organisé.es. Après la défaite de Daech à Kobanê, les jeunes ont creusé des tranchées dans leurs quartiers pour arrêter les descentes de police visant à les arrêter. Alors que les tranchées ont été comblées à la demande d’Öcalan pour faire une désescalade pendant le processus de paix, elles ont été à nouveau creusées une fois le processus effondré.
Vers la fin 2015, les forces spéciales turques ont attaqué ces tranchées avec une force écrasante et un certain nombre de villes ont été assiégées pendant plusieurs mois, tandis que les civil.es ont été bombardé.es par des chars d’assaut et pris pour cible par des tireurs embusqués. Certaines forces de la guérilla des montagnes voisines se sont jointes aux jeunes dans leur campagne d’autodéfense. Vers la fin de l’année 2016, cependant, toutes les villes rebelles ont été ramenées sous le contrôle de l’État et réoccupées par les forces de l’État. Les habitants des villes kurdes n’ont pu survivre au siège que parce qu’ils partageaient de la nourriture et des espaces sûrs, et qu’ils avaient déjà mis en place des services autonomes de santé de base. Tout au long de l’année 2017, à la suite de la tentative ratée de coup d’État de l’été précédent, l’État turc a pris des mesures énergiques à l’encontre de tou.tes ses opposant.es, arrêtant politicien.nes, militant.es et jeunes Kurdes. Un grand nombre des zones urbaines détruites ont été confisquées par l’État dans le but de reconstruire les villes, de manière à empêcher toute future insurrection.
L’expérience de l’autonomie démocratique dans les villes et villages kurdes peut sembler un cas extrême au regard de la violence qu’elle a déclenchée de la part de l’État. Néanmoins, le cas kurde pose des questions très importantes pour celles et ceux qui veulent imaginer un avenir alternatif au capitalisme, à l’État-nation et à la famille patriarcale. Bien que de courte durée, l’expérience des Kurdes en matière d’autonomie démocratique au Bakur, les différentes institutions qu’illes y ont créées et les négociations qu’illes ont engagées, ont dynamisé la Turquie dans son ensemble. D’autre part, comme la menace extérieure de l’Etat était déjà présente auparavant, les problèmes internes qui sont apparus dans le processus d’autogouvernance restent à commenter et à débattre. Plus important encore, l’affaire kurde nous oblige à repenser la question du droit et de la violence, et à repenser la manière dont de nouveaux mondes peuvent être créés et défendus.
Nazan Üstündağ
Nazan Üstündağ est professeure adjointe de sociologie à l’Université Boğaziçi d’Istanbul. Elle travaille actuellement sur un livre sur la cosmologie politique du mouvement de libération kurde et la place de la femme dans cette cosmologie. Elle est membre fondatrice du Peace Parliament (Parlement de la paix) et d’Academics for Peace (Universitaires pour la paix), ainsi que membre de Women for Peace (Femmes pour la paix).
El levantamiento de Bakur: Autonomía Democrática en Kurdistán — Rojava Azadî
Bakur Rising: Democratic Autonomy in Kurdistan — Roar Magazine