Kedis­tan con­tin­ue de vous pro­pos­er des pistes de réflex­ion fon­da­men­tale, issues des mou­ve­ments de femmes kur­des, et de cer­taines de ses activistes incon­tourn­ables en Europe, parce que glob­al­isantes dans leur démarche poli­tique et à l’é­cart des représen­ta­tions politi­ci­ennes convenues.

Inter­ven­tion de Dilar Dirik, lors du Som­met du Nou­veau Monde à Brux­elles, 19–21 sep­tem­bre 2014
(vidéo en anglais)

Azadî”, lib­erté. Une notion qui s’est emparée depuis longtemps de l’imagination col­lec­tive du peu­ple kurde. “Le Kur­dis­tan Libre”, l’idéal apparem­ment inat­teignable, épouse de nom­breuses formes selon où l’on se situe sur le large spec­tre poli­tique kurde. L’indépendance crois­sante du Gou­verne­ment Région­al Kurde (GRK) dans le sud du Kur­dis­tan (Bashur) vis à vis du gou­verne­ment cen­tral irakien, tous comme les immenses pro­grès du peu­ple kurde dans l’ouest du Kur­dis­tan (Roja­va) mal­gré la guerre civile syri­enne depuis l’année dernière ont réan­imé le rêve d’une vie libre pour les kur­des au Kurdistan.

Mais que sig­ni­fie la lib­erté ? La lib­erté pour qui ? La ques­tion kurde est sou­vent con­cep­tu­al­isée en ter­mes de rela­tions inter­na­tionales, d’états, de nation­al­isme et d’intégrité ter­ri­to­ri­ale. La lib­erté est cepen­dant une notion qui tran­scende l’ethnicité et les fron­tières arti­fi­cielles. Afin de pou­voir par­ler d’un Kur­dis­tan qui mérite le qual­i­fi­catif de “libre” tous les mem­bres de la société doivent avoir un accès égal à cette “lib­erté”, pas seule­ment au sens légal abstrait du terme. Ce n’est pas le car­ac­tère offi­ciel d’une entité nom­mée Kur­dis­tan (qu’il soit un état indépen­dant, fédéral, un gou­verne­ment région­al ou toute autre forme d’autodétermination kurde) qui déter­mine le bien-être de sa pop­u­la­tion. Un des indi­ca­teurs de la vision du peu­ple de la démoc­ra­tie et de la lib­erté est la sit­u­a­tion des femmes.

A quoi sert “un Kur­dis­tan”, si cela se ter­mine par l’oppression de la moitié de sa population ?

Les femmes kur­des sont con­fron­tées à plusieurs strates d’oppression comme mem­bres d’une nation sans état dans un con­texte large­ment féo­dal-islamiste patri­ar­cal, et lut­tent, par con­séquent sur de mul­ti­ples fronts. Alors que les qua­tre dif­férents états qui divisent le Kur­dis­tan présen­tent de fortes car­ac­téris­tiques patri­ar­cales, qui oppri­ment toutes les femmes au sein de leurs pop­u­la­tions respec­tives, les femmes kur­des sont en plus dis­crim­inées comme kur­des et font générale­ment par­tie de la classe socio-économique la plus basse.

Et, bien sûr, les struc­tures féo­dales patri­ar­cales internes de la société kurde empêchent aus­si les femmes d’accéder à une vie libre et indépen­dante. Les vio­lences domes­tiques, les mariages for­cées des enfants et des adultes, les vio­ls, les crimes d’honneur, la polyg­a­mie, par exem­ple, sont sou­vent con­sid­érés comme des ques­tions privées, plutôt que comme des prob­lèmes qui deman­dent un engage­ment socié­tal et des poli­tiques publiques actives. Cette étrange dis­tinc­tion entre le pub­lic et le privé à coûté leur vie à de nom­breuses femmes.

Les hommes kur­des sont sou­vent très véhé­ments con­tre la dis­crim­i­na­tion eth­nique et de classe, mais beau­coup d’entre eux ren­trent à la mai­son après des man­i­fes­ta­tions et ne réfléchissent pas à leurs pro­pres abus de pou­voir, à leur pro­pre despo­tisme, quand ils usent de vio­lence con­tre les femmes et les enfants dans leur vie “privée”. La fréquence habituelle de la vio­lence con­tre les femmes kur­des, et, à vrai dire, partout ailleurs dans le monde, est un prob­lème sys­témique — et donc sa solu­tion exige des mesures politiques.

La sit­u­a­tion des femmes n’est pas une “ques­tion de femmes” et ne doit pas être par con­séquent prise en con­sid­éra­tion comme une ques­tion spé­ci­fique, d’ordre privé, qui n’intéresse que les femmes. La ques­tion de légal­ité des gen­res est, en réal­ité, une ques­tion de démoc­ra­tie et de lib­erté pour toute la société ; il s’agit d’un critère (bien que pas le seul) à l’aide duquel l’éthique d’une com­mu­nauté devrait être mesuré. Puisque le cap­i­tal­isme, l’étatisme et le patri­ar­cat sont étroite­ment liés, la lutte pour la lib­erté doit être rad­i­cale et révo­lu­tion­naire — elle doit con­sid­érée la libéra­tion des femmes comme un objec­tif cen­tral et non comme une ques­tion secondaire.

Même si les femmes kur­des parta­gent une longue his­toire de lutte pour la libéra­tion nationale avec les hommes, elles ont sou­vent été mar­gin­al­isées y com­pris dans ces mou­ve­ments de libéra­tion. Alors que les fémin­istes majori­taires des qua­tre états qui divisent le Kur­dis­tan exclu­ent sou­vent les femmes kur­des de leurs luttes (en atten­dant d’elles qu’elles adoptent les doc­trines nation­al­istes de l’état ou en les con­sid­érant avec con­de­scen­dance comme des vic­times d’une cul­ture prim­i­tive arriérée), les par­tis poli­tiques kur­des dom­inés par les hommes, avec des struc­tures très féo­dales et patri­ar­cales, dont la vision de la lib­erté ne dépasse pas un nation­al­isme vide et pri­maire, réduisent sou­vent aus­si au silence les voix des femmes.

Soutenir que les femmes kur­des ont tou­jours été plus fortes et plus éman­cipées que leurs voisines (et des sources his­toriques sem­blent le con­firmer), ne devrait pas être util­isé comme une excuse pour arrêter la lutte pour leurs droits. Même si la sin­gu­lar­ité his­torique des femmes kur­des dans les qua­tre pays mérite d’être recon­nue, les nom­breuses man­i­fes­ta­tions ter­ri­bles de vio­lence cru­elle con­tre elles illus­trent les réal­ités du ter­rain et devraient servir comme base d’examen de la réal­ité. Si les femmes kur­des jouis­sent aujourd’hui d’un statut poli­tique rel­a­tive­ment élevé, cela est le résul­tat d’une lutte con­stante, sur de mul­ti­ples fronts de leur part et non d’une con­di­tion offerte par la société kurde !

La par­tic­i­pa­tion des femmes aux luttes de libéra­tion ou révo­lu­tion­naires n’est pas pro­pre au Kur­dis­tan. Dans toutes sortes de con­textes dif­férents, les femmes ont tou­jours joué des rôles act­ifs dans le com­bat pour la lib­erté. Les temps de guerre, les insur­rec­tions, l’agitation sociale ont sou­vent offert aux femmes l’espace pour s’affirmer que la vie civile nor­male ne leur aurait pas per­mis. Leur engage­ment dans des postes de respon­s­abil­ité sociale, que ce soit la par­tic­i­pa­tion à des syn­di­cats ou le mil­i­tan­tisme poli­tique, légiti­ment sou­vent leurs deman­des d’émancipation. Néan­moins, une fois la sit­u­a­tion de crise ter­minée, une fois la “libéra­tion” ou la “révo­lu­tion” con­sid­érées comme réal­isées, on juge sou­vent néces­saire le retour à la nor­mal­ité d’avant-guerre et au con­ser­vatisme pour rétablir la vie civile. Cela revient sou­vent à ré-instituer les rôles tra­di­tion­nels sex­ués, au détri­ment des statuts nou­velle­ment acquis par les femmes.
C’est un phénomène mal­heureuse­ment tout à fait courant de voir les femmes subir un retour en arrière de leurs droits après la “libéra­tion”, après la “révo­lu­tion”, “une fois notre pays libre”, même si elles ont été des actri­ces énergiques de la lutte. L’espoir qu’une fois le but rassem­bleur de la “lib­erté” atteint, chacun‑e dans la société vivra libre­ment, s’est révélé être un vœu pieux — les femmes aux USA, en Algérie, en Inde, au Viet­nam peu­vent le con­firmer. La man­i­fes­ta­tion la plus récente de ce phénomène est le statut des femmes dans les pays du soi-dis­ant “print­emps arabe”.
Bien que durant ces dernières années, nos écrans de TV étaient emplis de femmes qui man­i­fes­taient con­tre des régimes répres­sifs, et qui jouaient un rôle clé dans les mou­ve­ments, la sit­u­a­tion des femmes a même par­fois empirée depuis les soulève­ments. Cela est dû au fait que, alors que le mécon­tente­ment et la désil­lu­sion générale vis à vis du sys­tème tran­scen­dent sou­vent les gen­res, les class­es, les eth­nic­ités et les reli­gions, il est clair que ceux qui ont le plus à gag­n­er en se soule­vant sont les femmes, la classe ouvrière et les minorités et groupes opprimés. Si les mou­ve­ments soci­aux ne prê­tent pas atten­tion aux spé­ci­ficités, les nou­veaux régimes pour­raient ne for­mer que de nou­velles élites qui opprimeront les groupes vul­nérables à leur façon. Le besoin d’organisations de femmes, autonomes, indépen­dantes, se fait aus­si sen­tir dans l’expérience des luttes des femmes kurdes…

La région qui a été le plus com­muné­ment qual­i­fiée de “libre” est le sud du Kur­dis­tan. Les kur­des y jouis­sent d’une semi-autonomie, y ont leurs pro­pres struc­tures de gou­ver­nance et n’y sont plus per­sé­cutés du fait de leur eth­nic­ité comme le sont encore les kur­des dans d’autres régions. Le Gou­verne­ment Région­al du Kur­dis­tan (GRK) a reçu en fait des éloges inter­na­tionaux pour avoir établi une entité économique­ment forte et rel­a­tive­ment démoc­ra­tique, com­parée notam­ment au reste de l’état démem­bré d’Irak. Le GRK puise sou­vent une légitim­ité à tra­vers cette com­para­i­son avec l’Irak mal­gré ses struc­tures internes pro­fondé­ment anti-démoc­ra­tiques. Alors même que ses mem­bres dom­i­nants ont l’esprit extrême­ment trib­al, auto­cra­tique et cor­rompu, que l’opposition est réduite au silence et que les jour­nal­istes sont assas­s­inés dans des cir­con­stances troubles.

Le prag­ma­tique GRK est ami­cal envers des régimes tels que l’Iran et la Turquie qui répri­ment bru­tale­ment leur pro­pre pop­u­la­tion kurde et rejet­tent même les ambi­tions d’autonomie des kur­des en Syrie. Il est assez intéres­sant de not­er égale­ment qu’il sem­ble s’agir là des endroits les plus déplaisants pour les femmes kurdes.

Il est intéres­sant de not­er égale­ment que l’entité kurde la plus sem­blable à un état, la mieux inté­grée au sys­tème cap­i­tal­iste, et qui sat­is­fait aux exi­gences des puis­sances régionales comme l’Iran et la Turquie ain­si qu’à celles des puis­sances mon­di­ales, ne mon­tre le moin­dre d’intérêt pour le droit des femmes et la remise en cause du patri­ar­cat. Cela nous en apprend beau­coup sur les manières dont les dif­férentes formes d’oppression se recoupent, mais aus­si sur le type de Kur­dis­tan que peut tolér­er la com­mu­nauté internationale.

On doit cer­taine­ment tenir compte du fait que le sud est une région en voie de développe­ment, mais bien que le gou­verne­ment dis­pose de nom­breux out­ils à sa dis­po­si­tion pour don­ner du pou­voir aux femmes, il ne sem­ble pas intéressé pour les utilis­er. En théorie, on pour­rait s’attendre à ce que les femmes au sud Kur­dis­tan béné­fi­cient d’une meilleure sit­u­a­tion que dans les autres régions du pays, puisqu’elles vivent dans une région prospère gou­vernée par des kur­des, où elles ne sont plus per­sé­cutées du fait de leur eth­nic­ité. Même si les femmes y souf­frent de moins de strates d’oppression, elles sont vic­times du féo­dal­isme trib­al des par­tis poli­tiques dom­i­nants, qui sem­blent con­sid­ér­er le nation­al­isme futile et la crois­sance cap­i­tal­iste comme une con­cep­tion adéquate de la “lib­erté”.
Dans le sud du Kur­dis­tan, les femmes sont très actives dans la reven­di­ca­tion de leurs droits, mais le GRK rechigne sou­vent à amélior­er ses lois. La vio­lence con­tre les femmes est épidémique, en aug­men­ta­tion même, mais le gou­verne­ment n’en fait tout sim­ple­ment pas assez pour la com­bat­tre. En 2011/12, on a enreg­istré presque 3 000 cas de vio­lence con­tre des femmes, mais 21 per­son­nes seule­ment furent pour­suiv­ies, sans par­ler des cas qui n’ont pas été dénon­cés. Les rares hommes con­damnés sont sou­vent libérés peu après. Par­fois, les vic­times de la vio­lence fémi­nine sont mon­trées du doigt et blâmées pour avoir “provo­qué” les hommes. Comme la puni­tion n’apparaît pas comme dis­sua­sive pour la vio­lence mas­cu­line, le sys­tème per­pétue l’oppression des femmes.

L’absence d’organisations de femmes réelle­ment indépen­dantes, non-par­ti­sanes, est égale­ment très prob­lé­ma­tique. De nom­breuses organ­i­sa­tions de femmes dans le sud Kur­dis­tan sont même dirigées par des hommes ! Les poli­tiques féo­dales, trib­ales encour­a­gent sans aucun doute des atti­tudes patri­ar­cales qui représen­tent d’immenses obsta­cles à la libéra­tion des femmes. Même si la con­damna­tion des actes de vio­lence con­tre les femmes sem­ble se dévelop­per, il n’y a pas de remise en ques­tion fon­da­men­tale du sys­tème patri­ar­cal dans son ensemble.
Des instances de déci­sions autonomes de femmes sont essen­tielles pour garan­tir une représen­ta­tion de leurs intérêts spé­ci­fiques. Une approche du haut vers le bas des droits des femmes est sou­vent inadéquate et et ren­force le patri­ar­cat de manière pas­sive. Des pro­jets issus de la base sem­blent plus effi­caces pour trans­former la société : Par exem­ple, un pro­jet doc­u­men­taire indépen­dant sur la muti­la­tion géni­tale des femmes (qui sem­ble pra­tiqué unique­ment dans le sud Kur­dis­tan) a réus­si à faire mod­i­fi­er la loi par le GRK. Mal­heureuse­ment, elle reste large­ment pra­tiquée sans châtiment.

Il est impor­tant de soulign­er qu’il ne s’agit nulle­ment d’une sit­u­a­tion qui serait orig­i­naire du sud Kur­dis­tan. La con­di­tion des femmes a pour orig­ine ici le manque d’intérêt des par­tis poli­tiques à s’engager dans la libéra­tion des femmes. Il s’agit d’un choix poli­tique délibéré de la part des par­tis dom­inés par des hommes. Cela ne doit pas en être ainsi !

L’idée selon laque­lle “Main­tenant que nous avons un ‘Kur­dis­tan libre’, ne le cri­tiquons pas trop” sem­ble très répan­due, même si cela se fait au détri­ment d’une réelle com­préhen­sion de la démoc­ra­tie et de la lib­erté pour tous.

Deman­der le châ­ti­ment des vio­lences con­tre les femmes et une meilleure représen­ta­tion de leurs intérêts dans la sphère publique ne sig­ni­fie pas que les femmes ne soient pas “loyales envers l’état”. Il sem­ble dif­fi­cile d’être loyale envers un tel état patri­ar­cal. Les femmes ont besoin de de trans­gress­er les affil­i­a­tions par­ti­sanes et de dévelop­per un mou­ve­ment des femmes, au-delà de petites ONG. Les femmes du sud Kur­dis­tan ne devraient pas se con­tenter de moins que cela, tout par­ti­c­ulière­ment depuis qu’elles dis­posent de davan­tage d’outils, d’instances et de ressources que les femmes kur­des dans d’autres régions, pour tra­vailler en faveur d’une société plus égalitaire.

Même les mil­i­tantes des par­tis poli­tiques kur­des de gauche, social­istes, ont fait l’expérience que, sans instances autonomes, leurs voix sont réduites au silence dans la société patri­ar­cale kurde. Bien que le Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan, PKK, soit con­nu pour les nom­breuses femmes à des postes de respon­s­abil­ité au sein de ses rangs et pour son engage­ment déclaré en faveur de la libéra­tion des femmes, les choses n’ont pas été tou­jours faciles pour les femmes dans le mou­ve­ment de guéril­la. Dans les années 1980, la com­po­si­tion démo­graphique du PKK, qui avait son orig­ine dans les milieux uni­ver­si­taires social­istes, a été boulever­sé lorsque de nom­breuses per­son­nes issues des régions féo­dales, rurales et moins éduquées du Kur­dis­tan ont rejoint les mon­tagnes après que leurs vil­lages aient été détru­its par les turcs.

La plu­part de ces gens n’avaient pas été en con­tact avec des idéaux tels que le social­isme et le fémin­isme et con­sid­éraient par con­séquent, le nation­al­isme comme prin­ci­pale moti­va­tion de leur com­bat pour la libéra­tion nationale. A l’époque, de nom­breuses femmes dans le mou­ve­ment de guéril­la se sont battues pour con­va­in­cre leurs cama­rades mas­culins qu’elles étaient leurs égales. L’expérience néga­tive de la guerre acharnée des années 1980 a aus­si nég­ligé l’aspect édu­catif dans l’entraînement à la guéril­la, puisque la guerre était plus urgentes, mais cela a per­mis aux femmes de pren­dre con­science d’une chose : Nous avons besoin d’organisations autonomes de femmes !Le PKK et les par­tis qui parta­gent la même idéolo­gie réus­sis­sent à créer des mécan­ismes qui garan­tis­sent la par­tic­i­pa­tion des femmes à la sphère poli­tique et , au delà, à remet­tre en ques­tion la cul­ture patri­ar­cale elle-même. L’idéologie du PKK est explicite­ment fémin­iste et est intran­sigeante lorsqu’il s’agit de la libéra­tion des femmes. A la dif­férence des autres par­tis poli­tiques kur­des, le PKK n’a pas fait pas appel à des pro­prié­taires ter­riens féo­daux et trib­aux pour attein­dre ses buts, mais a mobil­isé les régions rurales, la classe ouvrière, les jeunes et les femmes.

La force du mou­ve­ment des femmes qui en a résulté illus­tre le fait que établir des struc­tures telles que la coprési­dence (partagée par une femme et un homme) et une répar­ti­tion sex­uée de 50–50 dans les comités à tous les niveaux admin­is­trat­ifs n’est pas pure­ment sym­bol­ique pour don­ner une vis­i­bil­ité aux femmes. L’officialisation de la par­tic­i­pa­tion des femmes leur donne un point d’appui pour s’assurer que leurs voix ne seront pas défor­mées et cela a réelle­ment remis en ques­tion et trans­for­mé la société kurde sous de nom­breux aspects.

Cela con­duit à son tour à une vaste pop­u­lar­i­sa­tion du fémin­isme au nord Kur­dis­tan. La lutte des femmes n’est plus un idéal par­mi des cer­cles mil­i­tants de l’élite mais un préreq­uis pour la lutte de libéra­tion. La dom­i­na­tion mas­cu­line n’est pas accep­tée dans ces milieux poli­tiques, des plus hauts niveaux de l’administration jusqu’aux com­mu­nautés locales de base. Cela a été obtenu à tra­vers l’établissement d’instances autonomes de femmes au sein du mouvement.

Même si il reste beau­coup de prob­lèmes en ce qui con­cerne la vio­lence envers les femmes au nord Kur­dis­tan, l’intérêt pour l’égalité des sex­es comme mesure de lib­erté d’une société a, en fait, poli­tisé les femmes, jeunes comme âgées, et a établi un mou­ve­ment des femmes incroy­able­ment pop­u­laire. Beau­coup de femmes turques cherchent aujourd’hui l’inspiration dans le riche tré­sor que con­stitue l’expérience des femmes kur­des. Alors que la Turquie a aujourd’hui un pre­mier min­istre qui encour­age les femmes à se mari­er jeunes, à se voil­er et à faire au moins qua­tre enfants, et que les trois par­tis les plus représen­tat­ifs de Turquie comptent moins de 5% de femmes dans leurs rangs, le Par­ti Démoc­ra­tique des Régions Kur­des (BDP) ain­si que le Par­ti Démoc­ra­tique du Peu­ple (HDP) nou­velle­ment créé comptent fière­ment au moins 40% de femmes dans leurs rangs, en se focal­isant explicite­ment sur les ques­tions fémin­istes et LGBT. Le mou­ve­ment des femmes kur­des lui-même cri­tique le patri­ar­cat au Kur­dis­tan et souligne que les pro­grès obtenus à ce jour ne sig­ni­fient pas la fin de la lutte.
Influ­encé par ce dis­cours sur la libéra­tion des femmes, les prin­ci­paux par­tis poli­tiques de l’ouest du Kur­dis­tan, Roja­va, ont adop­té l’idéologie du PKK et ren­for­cent la coprési­dence ain­si que la par­ité 50–50 au sein de leurs appareils poli­tiques. En entéri­nant la libéra­tion des femmes dans tous les appareils légaux, organ­i­sa­tion­nels et idéologiques de leurs struc­tures de gou­ver­nance depuis la base même, y com­pris les forces de défense, ils s’assurent que les droits des femmes ne seront pas remis en question.

Les hommes avec des antécé­dents de vio­lence domes­tique ou de polyg­a­mie sont exclus des organ­i­sa­tions. La vio­lence con­tre les femmes et le mariage des enfants sont illé­gaux et pas­si­bles des tri­bunaux. Les obser­va­teurs inter­na­tionaux qui vis­i­tent l’ouest du Kur­dis­tan avouent qu’ils sont pro­fondé­ment impres­sion­nés par la révo­lu­tion des femmes qui a émergé mal­gré la ter­ri­ble guerre civile en Syrie.

En même temps, les can­tons récem­ment créés dans l’ouest du Kur­dis­tan ont inté­gré fer­me­ment aus­si d’autres eth­nies et groupes religieux au sein de leur sys­tème. Dans l’esprit du par­a­digme du “con­fédéral­isme démoc­ra­tique” tel que pro­posé par le dirigeant du PKK, Abdul­lah Öcalan, ils ont renon­cé à la créa­tion d’ un état comme solu­tion, puisqu’ils pensent que les états sont des entités hégé­moniques par nature qui ne représen­tent pas le peu­ple. Les prin­ci­paux par­tis poli­tiques insis­tent sur le fait qu’ils ne veu­lent pas faire séces­sion d’avec la Syrie mais rechercher une solu­tion démoc­ra­tique à l’intérieur des fron­tières exis­tantes, tout en inclu­ant les minorités dans le gou­verne­ment et en accor­dant aux femmes une voix égale dans la créa­tion “d’un sys­tème démoc­ra­tique rad­i­cal par­tant de la base fondé sur légal­ité des sex­es et l’écologie”, au sein duquel dif­férents groupes eth­niques et religieux peu­vent vivent sur un pied d’égalité.

Les avancées du peu­ple de l’ouest du Kur­dis­tan ont été con­stam­ment attaquées par le régime syrien de Assad comme par les groupes jihadistes liés à al Qae­da qui sem­blent être financés et soutenus en par­tie par la Turquie.

Il est intéres­sant d’observer que l’entité kurde, la plus ressem­blante à un état, la plus prospère, la mieux accep­tée et établie, le GRK, est inca­pable de respecter le droit des femmes, alors que l’ouest du Kur­dis­tan, mal­gré un embar­go poli­tique et économique et l’épouvantable sit­u­a­tion de guerre, ne se tourne pas vers le nation­al­isme ou un état, mais un con­fédéral­isme démoc­ra­tique, comme solu­tion et a déjà créé de nom­breuses struc­tures pour garan­tir la représen­ta­tion des femmes. Les préférences de la com­mu­nauté inter­na­tionale sont intéres­santes au plus haut point sous cet angle ! Alors que le GRK est sou­vent loué comme un mod­èle de démoc­ra­tie dans la région, l’ouest du Kur­dis­tan est totale­ment discrédité.

Si les acteurs inter­na­tionaux qui se présen­tent eux-mêmes comme des défenseurs de la lib­erté et de la démoc­ra­tie au Moyen-Ori­ent étaient réelle­ment intéressés par la paix en Syrie, ils sou­tiendraient auraient prob­a­ble­ment soutenu le pro­jet laïque, pro­gres­siste, dans l’ouest du Kur­dis­tan. Au con­traire, les kur­des ont été exclus de la con­férence de Genève II de jan­vi­er 2014. Cela s’est fait, en out­re, en par­tie avec l’accord du GRK, qui a aidé à mar­gin­alis­er les avancées dans l’ouest du Kur­dis­tan, prin­ci­pale­ment parce que les prin­ci­paux par­tis poli­tiques – idéologique­ment et non de manière organ­i­sa­tion­nelle – sont alliés avec le PKK, le rival tra­di­tion­nel du par­ti GRK au pouvoir.
La cadre du GRK con­cer­nant le pro­grès, la démoc­ra­tie, la lib­erté et la moder­nité ne remet pas en cause le sys­tème mon­di­al cap­i­tal­iste, étatiste, nation­al­iste et patri­ar­cal. C’est pourquoi il sem­ble que ce soit le genre de Kur­dis­tan qui peut être toléré par la com­mu­nauté inter­na­tionale, alors que les par­tis poli­tiques qui ont la capac­ité de per­turber le sys­tème sont marginalisés.
Des événe­ments récents illus­trent les manières sex­istes avec lesquelles les idéolo­gies fémin­istes de quelques par­tis poli­tiques kur­des sont attaquées. Dans une ten­ta­tive pour démon­tr­er qu’il était un ami des kur­des, le pre­mier min­istre turc, Erdo­gan, a invité le prési­dent du GRK, Masoud Barzanî, dans la cap­i­tale kurde offi­cieuse Amed (Diyarbekir). Accom­pa­g­né par des chanteurs comme Sivan Per­w­er et Ibrahim Tatlis­es, con­nus pour leur oppor­tunisme et leur féo­dal­isme sex­uel, une comédie d’événement a été mon­tée à Amed. La ren­con­tre a été avant tout une occa­sion pour essay­er de mar­gin­alis­er les kur­des de Turquie, notam­ment le PKK et les par­tis poli­tiques légaux du Kur­dis­tan nord, comme le Par­ti Démoc­ra­tique des Régions (BDP).

Lors d’une céré­monie de mariage, les deux dirigeants, Erdo­gan et Barzanî, ont béni l’union de quelques cen­taines de cou­ples, tous représen­tant la femme selon l’image qu’ils en ont. La plu­part des mar­iées por­taient le voile, tous les cou­ples étaient très jeunes. Cette démon­stra­tion de con­ser­vatisme au nom de la “paix” illus­trait la sim­i­lar­ité entre les men­tal­ités féo­dales et patri­ar­cales des deux dirigeants et de leur entourage. En essayant de mar­gin­alis­er le PKK, ils essayaient en réal­ité de mar­gin­alis­er toutes les femmes kur­des. Sous cet aspect, cette céré­monie de mariage extrême­ment con­ser­va­trice, était plus une insulte délibérée au mou­ve­ment des femmes kur­des qu’une représen­ta­tion d’une coex­is­tence paci­fique des peuples.

Mais le parte­nar­i­at intéressé entre Barzanî et Erdo­gan est il sur­prenant ? La Turquie n’a pas de prob­lème avec le GRK ou même avec les kur­des en général. Le prob­lème est idéologique.

Selon les ter­mes de Sela­hat­tin Demir­tas, coprési­dent du Par­ti Kurde pour la Paix et la Démoc­ra­tie : “Si nous l’avions voulu, nous auri­ons pu déjà créer dix Kur­dis­tan. L’important n’est pas d’avoir un état appelé Kur­dis­tan, ce qui importe, c’est que nous ayons un Kur­dis­tan avec des principes, des idéaux.”

L’attitude des puis­sances régionales comme l’Iran et la Turquie, qui ont des tra­di­tions répres­sives vis à vis de leur pop­u­la­tion kurde respec­tive, et le com­porte­ment des puis­sances inter­na­tionales le démon­trent : un Kur­dis­tan qui souhaite coopér­er avec ces régimes, qui main­tient des liens économiques avec ces états et qui est désireux de mar­gin­alis­er les par­tis poli­tiques kur­des les plus rad­i­caux au nom de son pro­pre oppor­tunisme, peut très bien être toléré par la com­mu­nauté inter­na­tionale. Une struc­ture comme le GRK, com­pat­i­ble avec le cadre du sys­tème dom­i­nant est accep­té, alors que des par­tis poli­tiques qui remet­tent en cause le sys­tème cap­i­tal­iste, féo­dal-patri­ar­cal, étatiste sont ostracisés. Cette préférence asymétrique de la part de la com­mu­nauté inter­na­tionale dévoile sa réelle nature anti-démoc­ra­tique. Et les femmes kur­des vivent tout cela à tra­vers leurs pro­pres corps.

Afin que le Kur­dis­tan devi­enne une société réelle­ment libre, la libéra­tion des femmes ne doit en aucune manière être remise en cause. Cri­ti­quer l’échec du Gou­verne­ment Région­al Kurde dans les domaines des femmes, de la lib­erté de la presse, etc. ne sig­ni­fie pas que l’on “divise” les Kur­des. Quel genre de société serait le sud Kur­dis­tan si l’on n’apprenait pas aux gens à être cri­tiques de peur de per­dre ce qui a été obtenu au tra­vers de tant de sac­ri­fices ? Les gens ne devraient-ils pas être cri­tiques, même si cela sig­ni­fie s’opposer à son pro­pre gou­verne­ment ? N’est-ce pas là l’essence même de la démoc­ra­tie ? Ne devons-nous pas cela à tous ces gens qui sont morts pour con­stru­ire une société où cela vaille la peine de vivre ? Se sat­is­faire de moins, au nom du main­tien du statu, c’est se représen­ter la lib­erté au sens le plus abstrait pos­si­ble du terme. Les femmes du Kur­dis­tan qui lut­tent quo­ti­di­en­nement méri­tent cer­taine­ment mieux que cela.
Le nation­al­isme, le cap­i­tal­isme, l’étatisme, ont été les piliers du patri­ar­cat et ont sou­vent util­isé le corps et les atti­tudes des femmes pour con­trôler les sociétés. Le niveau de lib­erté a con­sid­érable­ment bais­sé dans le sys­tème cap­i­tal­isme mon­di­al dans lequel nous vivons. Il sem­ble, dès lors, assez ten­tant de se sat­is­faire du , étant don­né qu’il est devenu une forter­esse de la moder­nité cap­i­tal­iste. Mais, en repro­duisant les défauts et les lacunes du reste du monde, le GRK restreint con­sid­érable­ment sa con­cep­tion de la liberté.

Par con­séquent, les femmes ne devraient pas atten­dre la libéra­tion de la part d’une struc­ture hégé­monique bâti sur le mod­èle éta­tique. A par­tir du moment où nous con­sid­érons le fait d’organiser l’élection d’une Miss Kur­dis­tan comme un signe de pro­grès et de moder­nité, nous repro­duisons exacte­ment les mêmes mécan­ismes qui ont asservi l’humanité en pre­mier lieu. Est-ce cela que nous appelons lib­erté ? Un con­sumérisme débridé ? Un nation­al­isme pri­maire ? La repro­duc­tion des élé­ments d’un cap­i­tal­isme et d’un patri­ar­cat mon­di­al, en les éti­que­tant du dra­peau kurde afin de nous van­ter d’être modernes ?

La lib­erté ne se trou­ve pas dans les hôtels turcs, les investisse­ments iraniens, les chaînes de restau­rants, les con­cours de beauté spon­sorisés par l’étranger, ou dans les vête­ments tra­di­tion­nels kur­des. La lib­erté ne vient pas lorsque nous pou­vons pronon­cer libre­ment le mot Kur­dis­tan. La lib­erté est une lutte sans fin, un proces­sus de con­struc­tion d’une société éthique, égal­i­taire. Le vrai tra­vail com­mence après que la “libéra­tion”. “Azadî” doit être être éval­uée au regard de la libéra­tion des femmes. A quoi sert un état kurde si il per­pétue la cul­ture du viol, le meurtre des femmes, la mal­adie antique du patri­ar­cat ? Les apol­o­gistes du viol, les dirigeants sex­istes kur­des, et les insti­tu­tions offi­cielles seraient-ils très dif­férents des struc­tures éta­tiques répres­sives si ils por­taient nos vête­ments traditionnels ?

Kurdistan“en lui-même n’équivaut pas à lib­erté. Un Kur­dis­tan patri­ar­cal est un tyran plus insi­dieux que des agresseurs habituels. Être colonisées et asservies par la moitié de sa pro­pre com­mu­nauté selon des critères sex­uels par ses parte­naires proches est un acte encore plus vio­lent et hon­teux qu’une inva­sion étrangère.

Par con­séquent, les femmes kur­des doivent con­stituer l’avant-garde d’une société libre. Cela demande du courage de s’opposer à des états répres­sifs, mais cela demande par­fois encore plus de courage de s’opposer à sa pro­pre com­mu­nauté. Car ce n’est pas réelle­ment une sim­ple gou­ver­nance kurde, ni même un état kurde, qui est dan­gereux pour le sys­tème dom­i­nant. Une plus grande men­ace pour les struc­tures hégé­moniques réside dans une femme kurde con­sciente et active politiquement.

Dilar Dirik

Dilar Dirik

 

Dilar Dirik est une mil­i­tante du Mou­ve­ment des femmes kur­des et écrit régulière­ment sur les luttes pour la lib­erté au Kur­dis­tan pour un pub­lic international.


Tra­duc­tion OCL

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