Zeynep Kuray, journaliste de BirGün, a été placée en garde-à-vue pour ses partages sur les réseaux sociaux. Lors d’une perquisition effectuée à son domicile le 25 octobre, autour de 22h30, sa maison a été fouillée, son téléphone portable confisqué.
Zeynep est née en 1978. Elle est la fille de Ayşe Emel Mesçi, actrice de théâtre, et de Sarp Kuray, un de fondateurs de Dev-Genç [Jeunesse Révolutionnaire]. Suite au coup d’état militaire du 1980 en Turquie, sa famille s’est exilée en France. Zeynep est retournée en Turquie lorsqu’elle a eu 20 ans. Son père s’est également rendu au pays. Condamné à la perpétuité pour appartenance au “Mouvement du 16 juin” (dissous en 1988). Il avait été emprisonné en février 2009 et libéré en novembre 2016.
Zeynep, a commencé à travailler comme journaliste en 2008 pour le quotidien BirGün, et fut correspondante de l’agence de de presse Fırat ANF en 2010.
Elle a été arrêtée le 20 décembre 2011 dans le cadre d’une “chasse aux sorcières” appelée “opération KCK”. Une vague d’arrestations ciblant la presse kurde, progressiste, et socialiste. Cette opération de répression massive s’est terminée par l’arrestation de 36 journalistes. Zeynep en fut une, accusée comme les autres, de propagande et d’appartenance au PKK.
La journaliste Aslı Aydıntaşbaş décrivait Zeynep, qu’elle avait rencontrée lors d’une interview réalisée pendant son incarcération en 2013 :
Zeynep est comme ses amiEs la racontent, une personne comme toutes celles qui sont enthousiastes, portant tout le poids du monde sur leur dos, et qui se révoltent.
Elle entre dans la pièce comme une figure femme-enfant longiligne et, en quelque minutes, elle se transforme en une combattante immense. Ses sujets sont toutes les injustices qu’elle observe autour d’elle. Quinze minutes plus tard, j’ai dans mes notes des dizaines de noms. Elle me raconte l’état de santé des détenues d’origine africaine que je ne connais pas, me fait écrire leurs noms : “Ecris, Angela M‑s-t-w-e-n‑i. Elle est d”Afrique du Sud, elle est séropositive. J’ai fait un article sur elle, depuis la prison.” “Tu ne connais pas Fatma Tokmak ? Elle a été torturée depuis des années. Elle ne parlait même pas en turc. Elle a été incarcérée à nouveau en 2010, et maintenant elle est cardiaque”. “Berfin Yağmur a été arrêtée pendant un pique-nique. Elle se prépare maintenant pour l’université…”
[…] Zeynep, en un souffle, parle de Uludere [Roboski], du procès KCK; de la question kurde, des difficultés du processus de paix. Quand elle parle, elle a un accent un peu étrange. Même s’il ressemble à l’accent kurde, en vérité c’est un accent français. Elle a grandi en France. Elle a appris le turc à 20 ans, quand elle a déménagé ici. “Le français est ma langue maternelle” dit-elle. Elle a appris de ses codétenues, qu’elle parlait dans son sommeil, en français.
C’est un sujet sensible. Zeynep, si on peut le dire, est une “opposante de naissance”. Elle a grandi dans la diaspora, des exiléEs qui ont fui vers l’Europe après le coup d’état [1980]. Les amiEs de sa famille sont Yılmaz Güney et les réfugiés politiques de la France de l’époque. (Elle a même joué dans le film de Yılmaz Güney, Duvar, Le Mur, avec sa soeur Sema.)
Mais elle n’est pas d’origine kurde. Lorsque je le lui rappelle, elle est un peu vexée, peut être même qu’elle me méprise. “Mais je suis alévie” dit-elle et elle ajoute “De toutes façons si un peuple subit un génocide, si sa langue est interdite, si des os giclent de la terre, s’il y a autant d’assassinats non résolus, que peut faire d’autre que rester un être humain ?”
Lors de ses deux années de détention, Zeynep a entamé une grève de la faim en appelant à un plus large usage de la langue kurde dans la sphère publique et la fin de l’isolement d’Öcalan. Elle avait été libérée le 26 avril 2013, sous contrôle judiciaire et avec une interdiction de sortie du territoire. En 2013 elle a reçu le prix Ilaria Alpi, mais le prix a été remis à un autre journaliste, car “Zeynep ne pouvait pas se rendre sur place pour recevoir son prix”. La même année, le Prix pour la liberté de presse, Jean Aubuchon lui a été décerné par Américan National Press Club. Elle fut arrêtée, encore une fois, le 15 avril 2015, dans le cadre de l’enquête concernant Yüksekova. Elle était en sursis depuis.
Zeynep se retrouve donc encore une fois derrière des barreaux.
On peut écrire ici que la “démocratie” en Turquie s’en va. On peut faire des vidéos instructives et pédagogiques sur la perte de liberté d’expression. On peut chercher autant d’excuses que l’on veut à l’Etat-nation turc, et charger la barque d’Erdogan pour faire oublier les régimes antérieurs. On ne pourra dissimuler et faire disparaître ces générations insoumises à la turcité, qui, depuis des décennies, combattent pour une autre idée de la dignité humaine que celle du sang d’un drapeau qui nie la diversité des peuples.
Zeynep Kuray, a été arrêtée pour “ses partages sur les réseaux sociaux, particulièrement Facebook”. Acun Karadağ, amie de combat de Nuriye et Semih exprimait sur son Twitter ce que les kedi ont ressenti : “J’ai survolé la page de Zeynep Kuray. Cette femme est très ‘dangereuse’ car elle avait partagé tout ce qu’elle avait trouvé d’humain à partager.”
Pour soutenir Zeynep, suivez la, justement sur les réseaux sociaux. Voici son Twitter @zeynokuray et son Facebook.
Lire aussi ce billet de 2012 sur Susam Sokak et ce dernier
Ajout du 26 octobre 2017 :
Zeynep, a été libérée aujourd’hui, après avoir été interrogée par le Procureur. Nous apprenons que l’enquête a été ouverte sur dénonciation depuis Bursa, et que le dossier a été envoyé à Istanbul.