Entamer une nou­velle chronique sur l’ac­tu­al­ité géopoli­tique en Irak et en Syrie, après le référen­dum sans lende­main au Kur­dis­tan irakien, comme “obser­va­teur atten­tif”, abouti­rait à une sim­ple com­pi­la­tion de nou­velles pub­liées ici où là, si ces “nou­velles” n’avait pas une cohérence, lorsqu’on con­sid­ère la ques­tion kurde comme une des clés de sor­tie. Clé démoc­ra­tique, con­traire à tous les intérêts nationaux et impéri­al­istes sur la région, et pour­tant plom­bée par les guerres.

Les gros titres vont un instant par­ler de Raqqa, ques­tion­ner sur la “fin” de Daech, des plateaux télé par­leront d’un “coup” peut être porté au “ter­ror­isme”, jusqu’au prochain cinglé qui sor­ti­ra un couteau. N’en atten­dez pas des inter­ro­ga­tions sur ce qui se joue réelle­ment dans les semaines qui vien­nent au Moyen-Ori­ent. Voilà des années que ces ques­tion­nements sont traités uni­latérale­ment sous l’an­gle instru­men­tal­isé du “ter­ror­isme islamique”, et de la pho­bie des réfugiés de guerre qui vont avec, par l’im­mense majorité des com­men­ta­teurs européens.

Raqqa, ex fief de Daech, est libérée de la bar­barie. Les Forces Démoc­ra­tiques Syri­ennes con­trô­lent désor­mais la ville et une admin­is­tra­tion pro­vi­soire devrait en principe, dans un avenir prochain, être con­fiée à des habi­tants rescapés de la zone. Etant don­né les divi­sions énormes créées par le trau­ma­tisme Daech au sein des pop­u­la­tions, les destruc­tions de la recon­quête, la tâche va être longue.

La dite “coali­tion” peut être sat­is­faite, avec un engage­ment à min­i­ma au sol, restreint à des forces spé­ciales ou des encad­rants guidant des frappes aéri­ennes, et une aide logis­tique et en arme­ment, elle va prob­a­ble­ment s’ar­roger une vic­toire mil­i­taire con­tre l’E­tat islamique, après avoir lais­sé celle de Mossoul en Irak être fêtée par Bagdad.
Mossoul fut un car­nage, dif­fi­cile à dis­simuler, on le sait.
Dans le cas de Raqqa, les pertes humaines dans les rangs des com­bat­tants depuis le début de l’of­fen­sive il y a un an déjà, sont lour­des, et beau­coup comptent leurs amiEs tombéEs.

On pour­rait donc espér­er, alors que pour­tant Daech tient encore des ter­ri­toires morcelés et cherche “son refuge du désert”, une “embel­lie”, si tant est qu’on puisse par­ler ain­si en temps de guerre. Les forces démoc­ra­tiques et en leur sein les Kur­des, pour­raient enfin “fêter” cette victoire.

Mais ces libéra­tions de Mossoul et Raqqa n’an­non­cent que le début des alliances de cir­con­stances, entre ceux qui veu­lent leur future part du gâteau au Moyen-Ori­ent. La future tablée pos­si­ble de “Genève” (ou d’ailleurs) com­portera des fau­teuils, des chais­es, des strapon­tins, et cer­tains res­teront debout.

Et ces alliances, alors que ven­dre la peau de Daech est pure illu­sion aujour­d’hui, puisque les raisons de son exis­tence sont directe­ment liées aux crises des Etats-nation qui s’ap­pro­fondis­sent, se pro­fi­lent der­rière des “escar­mouch­es” mil­i­taires, des “ges­tic­u­la­tions” ou de véri­ta­bles pré­pa­ra­tions d’offensives.

Un axe d’al­liances entre L’I­ran, qui manip­ule le gou­verne­ment de Bag­dad, et arme des mil­ices chi­ites présentes en Irak (Hashd al-Chaabi), et la Turquie, qui a renoué récem­ment avec Téhéran lors du référen­dum d’indépen­dance kurde, trou­ve accord tacite auprès de la Russie qui laisse faire. Le régime syrien de Bachar ne peut qu’être en embus­cade. Ain­si se pro­file une géo-poli­tique qui trou­ve pré­texte dans le résul­tat du référen­dum d’indépen­dance, dont on ne con­state aucun effet con­cret pour­tant. Barzani, son ini­ti­a­teur, a, dès le lende­main des résul­tats, expliqué que le proces­sus serait long et néces­sit­erait des négociations.

Et le gou­verne­ment turc a annon­cé alors, que les pré­parat­ifs pour inter­venir du côté d’Afrîn, un des can­tons syriens de la Fédéra­tion Nord Syrie, et donc con­tre les FDS et les YPG/YPJ, étaient très avancés et attendaient un feu vert ou des cir­con­stances favor­ables. Dans le même temps, par le truche­ment de l’ac­cord sur les “zones de dés­escalades” en Syrie, ce même gou­verne­ment turc ren­forçait ses posi­tions dans les secteurs envahis par ses chars, après l’of­fen­sive déjà anci­enne via Jer­ablus, et ce, avec le silence de la Russie. Des attaques de vil­lages, des bom­barde­ments sont désor­mais courants.
Il n’est pas rare, depuis la fin du mois d’août, que l’ar­mée turque effectue des tirs d’in­tim­i­da­tion, et d’autres, plus meur­tri­ers, con­tre le cen­tre d’Efrîn.
Si l’on con­sid­ère égale­ment la manière dont le gou­verne­ment russe a remis en selle le régime de Bachar et a redonné place à son armée via Alep et les com­mu­ni­ca­tions vers le Nord, en attente du “règle­ment” du point de fix­a­tion d’Idlib, tout annonce davan­tage que des pres­sions à l’en­con­tre de la Fédéra­tion Nord Syrie (dont le Rojava).

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Le récent déploiement de l’armée turque, où elle a été accueil­lie en sauveur, dans cette province dite “rebelle” d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, n’est pour­tant pas du goût de Bachar, qui a “exigé le retrait immé­di­at de ces forces”. Bachar a, par exem­ple, récem­ment envoyé ses avions con­tre un marché à Idlib, faisant 11 morts civils. Nous savons pour­tant que ceux qui sont visés par ces déploiements turcs ne sont pas les forces du régime syrien, et qu’il ne s’ag­it là que d’établir des bases arrières et des alliances con­tre les Forces Démoc­ra­tiques, les mêmes qui pour­tant dans la région de Deir Ezzor mènent l’opération “Tem­pête de Cizire “, lancée le 9 sep­tem­bre, pour libér­er la province des mains de Daech là aus­si. Ouvrir un front mil­i­taire avec force men­aces, per­met à la fois au gou­verne­ment turc d’obtenir sa chaise autour de la future table, et de provo­quer une auto-défense néces­saire des pop­u­la­tions et des zones, fix­ant par là même les forces FDS, qui auraient pu enfin se dégager après Raqqa.

Une géopoli­tique et un jeu de stratégie mil­i­taire qui, dans l’e­sprit d’Er­doğan per­me­t­trait d’af­faib­lir durable­ment la cause kurde et de détru­ire le con­fédéral­isme nais­sant au Nord Syrie, effet d’aubaine rêvé depuis des années, d’au­tant qu’il se joue en total “accord” avec ce qui se déroule en Irak.

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La ville de Kirk­ouk et la région du Sin­jar ont en effet été lais­sées aux mains des mil­ices Hashd al-Chaabi, presque sans com­bat, par les Pesh­mer­gas fidèles à Barzani, suite à une offen­sive annon­cée du gou­verne­ment irakien cen­tral. Tout indi­querait que Barzani cherche un accord avec ce gou­verne­ment de Bag­dad, pour revenir aux fron­tières de 2003. L’une des plus grandes villes d’I­rak, dont les envi­rons regor­gent de pét­role, reviendrait dans le giron irakien, con­tre un accord dont on ne con­naît pas com­plète­ment les ten­ants et aboutissants.

Ain­si, des pop­u­la­tions, plutôt opposantes à Barzani, se retrou­vent sans défense.
Les Yezi­dies, qui en ont déjà fait l’amère et l’a­troce expéri­ence dans un passé proche avec Daech, et d’autres pop­u­la­tions réfugiées, dont aus­si le camp de Makhmur, ten­tent une résis­tance avec les Forces de pro­tec­tion du peu­ple (HPG) et les forces des Unités de résis­tance de Sin­jar (YBŞ).
Cette résis­tance face aux mil­ices chi­ites armées par l’I­ran et sup­plé­tives du régime irakien sera dif­fi­cile en l’é­tat, alors qu’une grande par­tie des pop­u­la­tion fuit vers le Kur­dis­tan autonome, désor­mais replié sur ses anciens territoires.
Ain­si, ce sont les forces non nation­al­istes kur­des et leurs alliés qui sont lais­sées face au régime qui avait cher­ché partout et trou­vé autour de lui des alliances “con­tre le référen­dum” il y a moins d’un mois.

Ces alliances sont désor­mais en place pour entre­pren­dre de “liq­uider” l’op­po­si­tion démoc­ra­tique kurde, et bien sûr, le mou­ve­ment autour du PKK, si celui-ci entrait en résis­tance, en lieu et place du régime Barzani qui se défile.

Dans ce grand jeu de bil­lard à trois ban­des, il devient com­pliqué d’i­den­ti­fi­er les coups, et leurs auteurs, leurs inspi­ra­teurs, alors qu’ils étaient si prévis­i­bles, lorsque Barzani avait annon­cé le référendum.

L’u­nité kurde, plus que jamais réclamée par le PKK, les mou­ve­ments et par­tis qui l’en­tourent, sem­ble pour­tant plus que jamais s’éloign­er, alors que les men­aces de guerre ouverte refont surface.

Tous les règle­ments de comptes devi­en­nent pos­si­bles, avec la super­vi­sion des puis­sances régionales. Le con­flit peut devenir ouvert. Souhaitons qu’il ne soit que jeu de pres­sions, men­aces, com­bats locaux, diplo­matie des armes. La bataille pour les chais­es qui man­quent autour de la table des négo­ci­a­tions de l’avis de l’im­mense majorité, se fera, n’en dou­tons pas, en alliance con­tre le con­fédéral­isme kurde, et ses propo­si­tions poli­tiques pour suc­céder à la crise des Etats-nation au Moyen-Orient.

Le grand Satan améri­cain, dans cette par­tie là, sur­veille le prix du bar­il de brut.

Ajout du 17 octobre

Cette nuit, à Kirk­ouk, les mil­ices chi­ites ont fait un mou­ve­ment de retrait des zones récem­ment occupées. La nou­velle été accueil­lie par des célébra­tions jusqu’à Erbil. A Kirk­ouk même, des jeunes sont descen­dus dans la rue. Des infor­ma­tions non véri­fiées font état de mou­ve­ments de retour de Pesh­mer­gas. Barzani a repoussé le proces­sus élec­toral qui était prévu et la pop­u­la­tion con­teste de plus en plus son régime et sa légitim­ité. Le paysage poli­tique de la région autonome est donc en train d’imploser.


Eng­lish: “Cir­cum­stan­cial alliances against the Kurds” Click to read

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…