Le cou­ple Tuğ­ba Günal et Birhan Erkut­lu vivent depuis 14 ans dans cette val­lée, abreuvée par la riv­ière d’Alakır, dans la par­tie méditer­ranéenne de la Turquie. 

La val­lée s’é­tend sur 70 km, telle un oasis de 20km de largeur, abri­tant une faune et une flo­re spé­ci­fiques, entre Kum­lu­ca, dis­crict d’An­talya et la Méditerranée.

Le cou­ple s’est instal­lé dans cette val­lée d’Alakır au début de l’an­née 2004. Ils ont con­stru­it leur espace de vie de leurs pro­pres mains et à la sueur de leur front. C’est en 2009, que les entre­pris­es de cen­trales hydroélec­triques (HES) ont com­mencé à appa­raître dans la région. Et depuis, Tuğ­ba et Birhan font par­tie d’un groupe de per­son­nes qui résis­tent autour d’Alakır, con­tre ces pro­jets qui men­a­cent l’eau, la faune, la flo­re et la vie…

Pas de monde meilleur sans combat

Tuğ­ba et Birhan désirent et imag­i­nent un monde meilleur en har­monie avec leur envi­ron­nement, réfléchissent sur des solu­tions alter­na­tives et en trou­vent. Fidèles à leurs con­vic­tions, lut­tent con­tre les pro­jets dévas­ta­teurs, et là, leur foy­er est directe­ment concerné.

Dans un arti­cle de Sadık Çelik con­cer­nant l’habi­tat alter­natif, pub­lié en turc sur Kedis­tan en décem­bre 2016, le cou­ple annonçait leurs besoins pour la vie : EAU, NOURRITURE et ÇUVA… “Çuva” est le nom que Tuğ­ba et Birhan don­nent à la mai­son qu’il/elles ont conçue à Alakır. Cette mai­son écologique est faite avec le principe “Le meilleur matériel est celui qui est tout près”. Elle fut con­stru­ite à deux, en tra­vail­lant 8h par jour pen­dant 74 jours, suiv­ant les con­di­tions favor­ables de temps, de l’én­ergie et de la lune, sur une péri­ode de 94 jours.

Une résistance non sans danger…

Depuis longtemps le cou­ple comme d’autres résis­tantEs ont régulière­ment des prob­lèmes avec les “employés de sécu­rité” des entre­pris­es, agis­sant plutôt comme des hommes de main. Intim­i­da­tions, men­aces… Notre col­lègue Sadık Çelik, mem­bre du groupe “Alakır Nehri Kardeşliği” (fra­ter­nité de la riv­ière Alakır) en a été témoin lui-même, sur place, et objet de ces agres­sions régulières.

Pour­tant, une déci­sion du tri­bunal, con­fir­mée par le Con­seil d’E­tat en 2016, stip­ule que toutes les cen­trales hydroélec­triques sont inter­dites à Alakır, déclaré site protégé.

Tuğ­ba explique :

Il y a quelques semaines, nous avons réus­si à faire sup­primer les licences de deux pro­jets de cen­trales. Nous avons pu sauver cette zone. Mais la cen­trale qui se trou­ve à 500 mètres plus bas de chez-nous fut ter­minée en 2014. Nous avions ouvert des procès, mais avec mille jeux juridiques et admin­is­trat­ifs ils nous ont fait per­dre. Pen­dant un moment, le tri­bunal avait arrêté les travaux. C’est à ce moment là que toutes les his­toires de men­aces, d’in­tim­i­da­tion et de plaintes ont commencé. 

Finale­ment, ils ont gag­né le procès, ils ont con­fisqué l’eau. Tout cela est fini, mais comme le débit de l’eau n’est pas suff­isant, et qu’ils ne peu­vent pas pro­duire d’élec­tric­ité, ils pren­nent d’autres chemins… Comme ils ont déjà procédé, ils coupent les arbres d’une zone, ils dérivent l’eau de cette façon, et ils obti­en­nent un débit plus impor­tant. Ensuite, ils font une requête auprès de l’ad­min­is­tra­tion de l’eau (DSİ) pour déclar­er la déri­va­tion comme ‘source prin­ci­pale’… Ils ont déjà essayé cela avec un moulin à eau qu’ils ont acheté, où l’eau n’avait pas un débit suff­isant pour exploiter.”

En effet, nous avions déjà écrit à plusieurs repris­es, que beau­coup de cen­trales hydroélec­triques sont con­stru­ites sans véri­ta­ble plan sur une longue durée et con­tre tout bon sens, et qua­si dans chaque cas, avec l’am­bi­tion de faire du prof­it sur la con­struc­tion et non de pro­duire de l’én­ergie. Pour repren­dre les paroles des habi­tantEs qui refusent ces pro­jets “Vous venez, vous con­stru­isez, vous taris­sez nos ressources, et en nous lais­sant des ruines sur la terre sèche vous partez. Nous, nous sommes d’i­ci, nous restons…” Des mil­liers de pseu­do cen­trales détru­isent ain­si la nature, les écosys­tèmes, les lieux de vies des êtres humains et ani­maux depuis des années.

Pen­dant une dizaine d’an­nées, la val­lée a subi des dégâts irré­para­bles et récem­ment, enfin, le EPDK (Ener­ji Piyasası Düzen­leme Kuru­mu — Organ­i­sa­tion de régu­la­tion du secteur d’én­ergie attaché au Min­istère d’én­ergie des de ressources naturelles), a sup­primé les licences de deux centrales.

Un site à protéger !

A Alakır, il existe une cen­trale ouverte dans les années 70, et la Val­lée est con­cerné par 8 pro­jets de cen­trales hydroélec­triques sup­plé­men­taires. Comme Tuğ­ba l’ex­plique, deux d’en­tre eux ont vu leur licence être sup­primée. Le fait que ces cen­trales aient une capac­ité de pro­duc­tion de moins de 10MW, à côté de la destruc­tion qu’elle génèrent/généreront sur la nature, a été dès le début, sujet à con­tro­ver­s­es. Mal­gré la bataille juridique, la con­struc­tion de 4 cen­trales a été menée à terme. Pen­dant cette péri­ode dans Alakır, en principe “site pro­tégé” pos­sé­dant de nom­breuses espèces vivantes endémiques, la décou­vertes d’autres nou­velles espèces rares se pour­suiv­ait. La “Tru­ite d’Alakır” (Salmo kot­te­lati) et le “coqueli­cot d’Alakır” (Glau­ci­um alakiren­sis) en font partie.

Je te casserai les jambes !”

Meta­mar HES, une entre­prise de cen­trale hydroélec­trique, qui a vis­i­ble­ment des “pro­jets” dans la zone, a d’abord acheté la par­celle à l’en­trée du ter­rain où la mai­son du cou­ple se trou­ve. Ensuite, en 2016, elle a acquis le ter­rain qui sur­plombe la source qui ali­mente la mai­son de Tuğ­ba et Birhan.

Meta­mar HES, a coupé tous les arbres sur le ter­rain, l’a entouré de bar­belés, et y a instal­lé des tuyaux menant l’eau vers une fontaine “hayrat” sur le côté du terrain.

Une hayrat est une fontaine con­stru­ite en principe à la mémoire d’une per­son­ne, pour que “son âme se repose en paix”, pour désaltér­er les pas­santEs dans un lieu qui manque d’eau. Le mot hayrat, vient de hayır, “bonne action” selon la reli­gion musul­mane. Dans ce cas de fig­ure, dans l’en­droit où elle est instal­lée, au milieu d’un espace où il n’y a pas besoin de désaltér­er les pas­santEs, il est évi­dent qu’elle sert tout sim­ple­ment d’al­i­bi, pour gag­n­er les villageoisEs.

Tuğ­ba et Birhan ayant du mal à com­pren­dre le but exact de ces “travaux” absur­des ont infor­mé la DSİ, la “Com­pag­nie publique des eaux” du fait que l’en­tre­prise essayait de dériv­er l’eau illé­gale­ment, et ont déposé une plainte. La DSİ, a ver­bal­isé l’en­tre­prise plusieurs fois de suite.

Lorsque le “gar­di­en” du chantier de l’en­tre­prise a com­mencé à men­ac­er Birhan, avec des mots comme “Je te casserai les jambes”, sur plainte du cou­ple, le bureau du Pro­cureur a ouvert une enquête. Le gar­di­en a été con­damné à 5 mois de prison, et en sep­tem­bre dernier, sa peine a été con­fir­mée par la Cour d’appel.

Tout juste une semaine après cette déci­sion, des “per­son­nes non iden­ti­fiées” ont ouvert le feu sur la mai­son du cou­ple. La gen­darmerie n’a pas trou­vé les douilles vides. Elles ont été sans doute ramassées pour empêch­er la col­lecte de preuves.

Ce type d’in­tim­i­da­tions mafieuses n’est hélas pas excep­tion­nel. En mai dernier, un cou­ple qui menait une lutte con­tre une entre­prise d’ex­trac­tion de mar­bre a été retrou­vé assas­s­iné dans sa mai­son. Cet assas­si­nat , com­mis par un homme de main de l’en­tre­prise, sur ces deux défenseurEs de la nature qui lut­taient tout sim­ple­ment con­tre le pil­lage du pat­ri­moine naturel dans lequel ils vivaient, a endeuil­lé Finike (Antalya).

Et le 9 octo­bre dernier, voilà, un engin de l’en­tre­prise qui arrive, et qui inter­vient sur la source qui ali­mente la mai­son du cou­ple. Leur eau est coupée. Carrément !

Vidéo à chaud…

Tuğ­ba : “Ici, c’est notre espace de vie. Et nous util­isons l’eau de la source. Et en ce moment même il y a inter­ven­tion sur notre eau.” (0:51 min) “Et notre eau fait sur­face ici… L’œil de la source” (0:37 min) “A cet instant l’en­tre­prise inter­vient sur notre eau, depuis l’in­térieur du ter­rain qu’elle a acheté, pour nous laiss­er sans eau.”

Nous portons l’eau depuis la rivière

Tuğ­ba et Birhan racon­tent : “Les anci­enNEs dis­ent tou­jours que quand tout est tari partout ici, cette source coule encore. En fait, ils ont creusé juste la ‘veine vitale’ et dérivé cette source aus­si. Actuelle­ment nous n’avons plus d’eau. Nous sommes oblig­éEs d’en emporter depuis la riv­ière qui se trou­ve à 150–200 mètres plus loin.

Nous n’al­lons cer­taine­ment pas aban­don­ner notre mai­son. Nous avions déjà le pro­jet de faire une instal­la­tion de récupéra­tion d’eau de pluie. Nous devons penser à ces solu­tions alter­na­tives plus rapi­de­ment. Pour le moment nous n’avons que quelques gouttes qui coulent des robi­nets. Nous faisons des réserves pour boire. Mais bien sûr, il y a d’autres besoins, ménage, net­toy­age, bain… et plan­ta­tions. Le potager souf­fre de sécher­esse déjà.”

Nous sommes sûrEs que cer­tains vil­la­geois­Es savent tout. Nous n’avons pas encore par­lé avec le ‘muhtar’ [pré­posé de vil­lage”], je ne sais pas ce qu’il va dire. La dernière fois, il était du côté de l’en­tre­prise. Qua­tre cinq vil­la­geois la sou­ti­en­nent égale­ment. Les autres restent en silence. Les vil­la­geois­ES sont tou­jours dans le silence. Depuis des années, les pro-cen­trales nous calom­nient. Nous sommes des ‘ter­ror­istes’, des ‘vio­lents’ et tout ce que vous voulez. C’est pour cela que les vil­la­geois­ES restent muetTEs. Même si ce qui se passe n’est pas clair, lorsqu’il y a une entre­prise dans l’his­toire, les gens préfèrent ne pas se prononcer.

Nous avons déposé plainte. Nos avo­cats pré­par­ent les procé­dures. Il y a des lois qui con­cer­nent le voisi­nage. Per­son­ne ne peut couper l’eau de ses voisins de cette façon. Ils doivent nous fournir au moins la quan­tité d’eau qui nous est néces­saire. Pour l’in­stant nous ne pou­vons pren­dre que cette voie juridique, car finale­ment, ils ont fait l’ac­qui­si­tion de ces ter­rains, ils en sont les propriétaires…”

Tuğ­ba rap­pelle que la même entre­prise en 2009–2013 avait déjà con­stru­it une cen­trale hydroélec­trique sur la riv­ière Alakır. Et a cette époque, le cou­ple avait été égale­ment vic­time de tirs à balles, de la part d’ ”auteurs incon­nus”. L’en­quête avait été fer­mée faute de preuve. Dans la même péri­ode, le directeur de pro­jet de l’en­tre­prise, avait porté plainte con­tre Birhan, avec des accu­sa­tions divers­es et var­iées, entre autres pour “piratage infor­ma­tique”. Une accu­sa­tion qui fait sourire les kedi que nous sommes, ayant fait l’ex­péri­ence de col­la­bor­er avec Birhan, pour le pro­jet “Voy­age pour le droit à l’eau” de Sadık Çelik et con­staté alors les très faibles moyens Inter­net à Alakır…

Alakır

Con­nec­tés sur le Web depuis peu, pen­dant longtemps, leur radio tran­sis­tor leur a tenus compagnie

Les mou­ve­ments de pro­tec­tion de la nature en Turquie, sont très sen­si­bil­isés au sujet des cen­trales hydroélec­triques. Alakır est con­nu pour ses pro­jets d’habi­ta­tions et de vie alter­na­tive. Et comme Tuğ­ba et Birhan sou­ti­en­nent aus­si d’autres com­bats menés par ailleurs, le cou­ple a trou­vé une chaleureuse sol­i­dar­ité et écho dans des médias.

Kedis­tan se joint donc à cette vague sol­idaire, car l’eau est partout objet de con­voitise des pra­tiques marchan­des, mafieuses, ou motifs de guer­res. L’eau est une ressource essen­tielle pour la vie. Elle ne peut être marchan­dis­ée, ni confisquée !

Alakır, résistance ! Diren Alakır!

Pour soutenir ANK • Alakır Nehri Kardeşliği
Suivez les sur le Web
Site Internet
Facebook | Twitter @ALAKIRINSESi

 


Traductions & rédaction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Translation & writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
Naz Oke on EmailNaz Oke on FacebookNaz Oke on Youtube
Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.