Comme on pou­vait le prévoir, les suites du référen­dum ini­tié par Mas­soud Barzani au Kur­dis­tan ne ressem­blent pas à un chemin parsemé de pétales de roses.

Les médias inter­na­tionaux y ont prêté une atten­tion dis­traite, préférant don­ner la parole aux “grands de ce monde” qui le déclaraient à l’a­vance illé­gal et non avenu, ou aux belliqueux de la région, soudain rabi­bochés con­tre une donne poli­tique qui les dérange.
Le “coup de sonde”, à 92%, provo­qué par ce référen­dum et son résul­tat écras­ant en faveur de l’indépen­dance, a redis­tribué quelques cartes, et a le mérite d’avoir posé un néces­saire débat entre Kur­des, et entre les mou­ve­ments qui les représen­tent, et tout autant en leur sein.

Jusqu’i­ci le gou­verne­ment Barzani, comme on pou­vait s’y atten­dre, s’est con­tenté de tir­er les fruits de ce qu’il con­ce­vait comme une sorte de plébiscite dans le cadre d’une crise interne à la région en par­tie autonome. Mas­soud Barzani lui même a déclaré que l’indépen­dance uni­latérale n’é­tait pas pour demain, et cet actuel prési­dent de la région autonome du Kur­dis­tan, a dit plusieurs fois “qu’il y avait beau­coup de ques­tions à résoudre, notam­ment la ques­tion des fron­tières. Pour cela, il fau­dra négoci­er avec Bag­dad, même si cela prend des années”.
Son oppo­si­tion kurde en interne, elle, a retourné le “com­pli­ment” en faisant de ce référen­dum l’oc­ca­sion de pouss­er les feux vers une unité kurde, qui ne serait pas “nation­al­iste”, mais tournée vers des propo­si­tions de sor­ties de crise dans la région, avec les pop­u­la­tions vic­times des guer­res en cours.
Ce qui fait la dif­férence, et l’ex­em­ple du Roja­va est essen­tiel dans cette réflex­ion, est juste­ment la manière d’analyser les crises des Etats-nation dans la région, leurs orig­ines et con­séquences sur les peu­ples. Et cette dif­férence d’ap­proche poli­tique con­duit néces­saire­ment à ne pas en rajouter un autre mécanique­ment, comme pour combler un chaînon man­quant des “feux” accords Sykes-Picot de 1916.

Très con­crète­ment, le référen­dum a soulevé con­tre lui une répro­ba­tion diplo­ma­tique inter­na­tionale qua­si unanime, provenant de ceux-là mêmes qui, pour résoudre des crises, ont pour­tant tou­jours pro­posé des re-découpages ou créa­tions de nou­veaux Etats, comme en Europe dans les années 1990.
Le cap­i­tal­isme libéral ne jure que par ses clas­siques depuis plus d’un siècle.
Et pour­tant, vis­i­ble­ment, l’après Daech est loin d’être pen­sé par les pro­tag­o­nistes inter­na­tionaux ou régionaux, et la table gigogne des futures négo­ci­a­tions sur le Moyen-Ori­ent n’en finit pas de se con­stituer. L’ur­gence reste d’at­ten­dre et de faire durer.

La vic­toire à Mossoul, signée par une hécatombe de civilEs et de mil­i­taires, que l’his­toire retien­dra comme “vic­times de guerre”, avec un chiffre offi­ciel plus tard, a été vite effacée par ce qui est davan­tage qu’un “raidisse­ment” du gou­verne­ment cen­tral irakien, poussé par ses alliés iraniens.
Vous con­nais­sez les mesures de blo­cus ini­tiées en rétor­sion du résul­tat, et la non-recon­nais­sance du référen­dum. Un cou­vre-feu avait même été instau­ré à Kirkouk.

Je lance un appel à tous : nous ne voulons pas de la con­fronta­tion armée. Nous ne voulons pas d’affrontements. Mais l’autorité fédérale doit pré­val­oir”, a déclaré Haider al-Aba­di, le pre­mier min­istre irakien, lors d’une vis­ite à Paris. Le nou­veau prési­dent français lui a rétorqué qu’il “plaidait pour la recon­nais­sance du droit des Kur­des dans le cadre de la Con­sti­tu­tion et qu’il y avait un chemin dans le respect du droit des peu­ples, qui per­met de préserv­er le cadre de la Con­sti­tu­tion et la sta­bil­ité et l’intégrité ter­ri­to­ri­ale de l’Irak”. Il a fait un qua­si copié col­lé pour la Catalogne.
Le gou­verne­ment de Turquie et les respon­s­ables iraniens, de leur côté, ont davan­tage manié le chaud et le froid, la men­ace et les mesures de blocus.
Erdoğan avait déjà déclaré les “robi­nets” fer­més pour le raf­fi­nage du pét­role en prove­nance des zones kur­des iraki­ennes, et d’autres entors­es à la cir­cu­la­tion de marchan­dis­es et de vivres. Il avait fait venir des blind­és près de la fron­tière, pour appuy­er ses dires.

Tout le monde sait que les dirigeants régionaux n’ont pas les moyens de ces ambi­tions anti-kur­des affichées osten­si­ble­ment. Mais la crise glob­ale au Moyen-Ori­ent provoque des incer­ti­tudes légitimes, puisqu’elle a démon­tré que les logiques guer­rières et la bar­barie ame­naient à des sit­u­a­tions incontrôlables.

Du point de vue de l’I­ran et de la Turquie, l’I­rak et la Syrie sont des entités indi­vis­i­bles et indépen­dantes. Nous n’ac­cep­tons pas les change­ments de fron­tières”, a déclaré Rohani, lors de la vis­ite d’Er­doğan à Téhéran le 4 octo­bre. Erdoğan en a prof­ité pour profér­er à nou­veau ses men­aces, en accord avec ce soudain devenu “homo­logue iranien”.
Ce serait une erreur de dire que le référen­dum est la cause du rap­proche­ment. Il en est seule­ment une occa­sion pour l’af­fich­er. Out­re les vel­léités de la Turquie et de l’I­ran de “com­mercer” à nou­veau, dans le brouil­lard des posi­tions améri­caines, et sous les con­seils avisés du nou­v­el allié russe, la poli­tique AKP s’adapte. Et ce qui est le plus impor­tant à retenir de ces ren­con­tres, c’est l’ap­pli­ca­tion des accords dans les zones dites de dés­escalade en Syrie et le déploiement de “forces dédiées” d’un com­mun accord. Gageons qu’Er­doğan saura le traduire comme un blanc-seing pour sa présence mil­i­taire ou celle de ses sup­plétifs dans des zones frontal­ières syri­ennes, et surtout côté can­ton d’Afrîn. Un de ses min­istres a d’ailleurs déclaré que “tout était prêt”.

Lorsque l’on met bout à bout toutes ces infor­ma­tions, ren­con­tres, men­aces et ges­tic­u­la­tions, on con­state que le référen­dum a davan­tage fourni le pré­texte à faire sor­tir des loups du bois qu’il n’a changé la donne pour les Kur­des de la région, encore moins pour l’ensem­ble des populations.
Le gou­verne­ment iranien pour­suit sa répres­sion des minorités, celui de Bag­dad retrou­ve une légitim­ité et se pare diplo­ma­tique­ment de la “vic­toire de Mossoul”, l’en­tité fédérale Nord Syrie est sous men­aces directes, alors que Raqqa va tomber…

Ce référen­dum n’au­rait-il donc été qu’un sondage ?

Il est bien évi­dent que les pop­u­la­tions con­cernées ne l’en­ten­dent pas ain­si. Mais la réal­ité donne rai­son à celles et ceux qui, bien que ne s’y opposant pas, jugeaient cette con­sul­ta­tion sans pos­si­bil­ité de suites tan­gi­bles, au vu à la fois des struc­tures mêmes de la région autonome, de son absence de fonc­tion­nement démoc­ra­tique et de la non réal­ité matérielle de ses lim­ites ter­ri­to­ri­ales, avec des zones con­testées rich­es économiquement.
La réjouis­sance kurde a devant elle un tra­vail de titan pour s’u­ni­fi­er sur un pro­jet poli­tique. Et ceux qui, par prag­ma­tisme, appel­lent à cette uni­fi­ca­tion, savent aus­si par­faite­ment qu’elle se heurtera à des ques­tions fon­da­men­tales, sociales, de class­es, écologiques, et devra trou­ver la voie comme solu­tion à l’ensem­ble des crises au Moyen-Ori­ent, vis-à-vis des peu­ples qui le composent.

Le pro­jet en ges­ta­tion du Roja­va en est une, frag­ile, et tou­jours envi­ron­né par les guer­res. Le référen­dum ne l’au­ra con­solidée en aucune façon.

Dans un bil­let précé­dent j’écrivais : “Jouer la carte du référen­dum gag­nant, dans ce con­texte où tous les con­flits, économiques, poli­tiques, mil­i­taires, religieux, ne trou­vent d’autres issues qu’une guerre d’intérêts inter­na­tionaux entre impéri­al­ismes, et où la chair à canon est fournie locale­ment, est une grenade dégoupil­lée sup­plé­men­taire”.

Nous pou­vons être moins pes­simiste, je le recon­nais, mais la recon­quête de Raqqa par les FDS ouvri­ra à mes yeux, davan­tage pré­texte à planter un rosier qui fleuri­ra au prochain Newroz.


Eng­lish: “Kur­dis­tan • A ref­er­en­dum, what for ? (sequels)” Clic to read

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…