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Fer­hat Öncü est un des députéEs du HDP empris­on­né en Turquie… Il représente la ville de Şır­nak et est retenu en déten­tion depuis le 4 novem­bre 2016. Il a été arrêté en même temps que 9 autres députés, dont les Co-prési­dentEs du HDP Sela­hat­tin Demir­taş et Figen Yük­sek­dağ. Aujourd’hui, une peine de per­pé­tu­ité incom­press­ible a été demandée à son encontre.

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Le procès ouvert à l’encontre de Fer­hat con­cerne en fait les suites du “Mas­sacre de Robos­ki”. Le 28 décem­bre 2011, les avions de l’armée turque ont bom­bardé et tué 34 per­son­nes, à la fron­tière tur­co-iraki­enne, près du vil­lage Ulud­ere (Robos­ki en kurde). Fer­hat Encü a lui même per­du son frère Ser­hat Encü, ain­si que 9 mem­bres de sa famille dans ce massacre.

Le quo­ti­di­en Cumhuriyet a pub­lié le 3 octo­bre 2017, un tri­bune rédigé par Fer­hat Encü, depuis sa prison. En voici la traduction.


Notre combat pour Roboski, se poursuivra

Suite à un proces­sus poli­tique qui n’a un quel­conque lien avec la Jus­tice, mais tient plutôt au fait que la Jus­tice soit util­isée comme un out­il afin d’é­touf­fer l’op­po­si­tion, je suis en prison, avec mes amiEs depuis près d’un an.

Dans ces con­di­tions car­cérales, je peux cepen­dant partager mon avis sur les évo­lu­tions de l’ac­tu­al­ité, avec des moyens lim­ités, mais la plu­part du temps avec  retard. Depuis un temps, nous prenons des nou­velles con­cer­nant les vio­lences ciblant le peu­ple, les tor­tures et vio­la­tions des droits. L’ac­tu­al­ité ne change pas, et ce sujet garde son actualité.

Sez­gin Tan­rıku­lu (au Pre­mier Min­istre) : “Allez vous faire une enquête con­cer­nant Abdi Aykut, mis en GAV et tor­turé à Kuruköy, Nusaybin ?”

Gardes-à-vue arbitraires

Il y a peu de temps, trois de nos vil­la­geois étant allés cueil­lir des champignons à Gevaş, dis­trict de Van, ont été arrêtés, avec des allé­ga­tions comme quoi ils auraient attaqué la “Sécu­rité” au lance roquettes. Ils ont été tor­turés. Cemal Aslan, et deux autres per­son­nes, dont les pho­tos pris­es sous tor­ture, ont été partagées [sur les réseaux soci­aux] par des trolls du pou­voir et la pro­pa­gande, avec la thèse qu’ils étaient les auteurs de l’at­taque, ont été pour­tant ultérieure­ment libérés.

Des descentes sans ordre et illé­gales, totale­ment arbi­traires ont été effec­tuées dans des maisons à Şemdin­li dis­trict de Hakkâri. Tous les hommes du vil­lages ont été tor­turés sur la place du vil­lage, jusqu’au matin. Les traces des tor­tures, qui se sont pour­suiv­ies au com­mis­sari­at, étaient claire­ment vis­i­bles sur les pho­tos de nos vil­la­geois, qui ont été pub­liées par la presse. Aupar­a­vant, à Koruköy [Xer­abê Bava en kurde], un de nos vil­la­geois d’un âge cer­tain , Abdi Aykut, avait été tor­turé, et le Min­istère de l’in­térieur, qui devait enquêter sur ce crime con­tre l’hu­man­ité, avait non seule­ment renié la tor­ture, mais aus­si essayé de la ren­dre légitime. Ensuite, bien sûr, Abdi Aykut, lui aus­si, a été fort heureuse­ment libéré.

Les années 90, encore

A la suite de ces nou­velles de tor­tures, l’une après l’autre, des infor­ma­tions sur des vil­la­geois­Es qui ont été bom­bardéEs par des drones armés (SİHA) ont fait écho dans la presse, enfin, une par­tie de la presse… Ils ont affiché les paysans tués, d’abord comme “ter­ror­istes”, ensuite comme “col­lab­o­ra­teurs”. Dans les années 90, cela se pas­sait de la même façon. Lorsqu’un berg­er était tué, une Kalash­nikov était lais­sée à son chevet, et il était affiché comme “ter­ror­iste”, puis le sujet était clos. Cette fois-ci cela ne s’est pas passé comme cela. Devant l’in­sis­tance de nos cama­rades du HDP, et de Sez­gin Tan­rıku­lu [député du CHP, d’o­rig­ine kurde], ne pou­vant pas renier le fait que les per­son­nes tuées étaient des civils, ils ont dit “Il peut y avoir cer­taines erreurs”. Ce qu’ils appel­lent “erreurs” devrait être évi­dent pour tout le monde…

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné

En 1994, l’ar­mée de l’air turque avait bom­bardé les vil­lages Kuşkonar et Koçağılı à Şır­nak, et avait tué 38 vil­la­geois. Les autorités ont alors étouf­fé l’af­faire, et avec des enquêtes insuff­isantes, ce dossier a pris sa place dans les rayons pous­siéreux des archives de l’In­jus­tice. Grâce à l’oeu­vre pré­cieuse et l’en­tête­ment de juristes comme Tahir Elçi, qui était entre autres l’av­o­cat de Robos­ki, au bout de 19 ans, la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH) a con­damné la Turquie pour “avoir bom­bardé des villages”.*

[* Une des décisions les plus lourdes de la CEDH concernant la Turquie. Quant au procès ouvert en Turquie pour Kuşkonar et Koçağılı, le dossier est clos, suite à la prescription en 2014.]
Kuşkonar 1994 - 2014

Kuşkonar 1994 — 2014

Depuis 300 semaines : Roboski

En 2011, à Robos­ki, en réponse à notre recherche de jus­tice pour les 34 per­son­nes, dont 19 enfants, tués en étant bom­bardés par les avions de l’ar­mée turque, Erdoğan avait répon­du “Un groupe de 30–40 per­son­nes, des gens et des mules. Depuis là haut, il n’est pas pos­si­ble de savoir si c’est Ahmet ou Mehmet. L’ar­mée turque a fait son tra­vail avec sincérité.”.

L’ar­mée turque, qui a tué 72 civils, lors de seule­ment deux opéra­tions menées en 1994 et 2011, se per­met de déclar­er aujour­d’hui qu’elle “n’est pas dans une démarche qui peut nuire à unE citoyenNe civilE/innocentE.” Selon l’E­tat et l’ar­mée turque, les 38 vil­la­geois bom­bardés à Kuşkonar, les 34 vil­la­geois bom­bardés à Robos­ki, ne sont donc pas des civils/innocents. Ni d’ailleurs ceux qui ont été bom­bardés au vil­lage Tale à Hakkâri, alors qu’ils piqueniquaient…

Roboski

Robos­ki 2011

L’E­tat, qui a égaré le mas­sacre de Kuşkonar dans ses labyrinthes éta­tiques, a essayé aus­si d’é­gar­er le mas­sacre de Robos­ki entre les bureaux de pro­cureurs, mais il n’a pas réus­si. Nous sommes arrivéEs à la 300e semaine après mas­sacre de Robos­ki. Ils ne pour­ront pas dis­simuler et recou­vrir un mas­sacre qui s’est déroulé au vu et au su de toutes et tous. Notre procès est actuelle­ment devant la CEDH. Mais toutes les procé­dures d’en­quête et de procès liées à Robos­ki, qui ont été entamées jusqu’à ce jour, ont été ouvertes à l’en­con­tre des proches des vic­times. Ceux qui ne se sont pas une seule fois demandé, “qui a don­né l’or­dre de bom­barde­ment à Robos­ki ?”, ont redescen­du des étagères pous­siéreuses, le dossier du procès con­cer­nant “l’a­gres­sion” du Gou­verneur, le jour d’en­ter­re­ment à Robos­ki, six ans plus tard, seule­ment pour l’u­tilis­er afin de m’in­car­cér­er. Une façon de faire digne de la poli­tique de la Turquie et de sa Jus­tice… Mais en se dépas­sant eux-mêmes ! Lors d’une des audi­ences, le Gou­verneur, a fait savoir qu’il avait fait une requête afin d’obtenir le titre de Gazi [Titre et médaille don­né aux blessés de guerre]. Deman­der le titre de Gazi, veut dire, voir les vil­la­geois dont les enfants ont été bom­bardés, comme des “ter­ror­istes”, et le Gou­verneur a révélé, encore une fois, qu’il con­sid­ère les Kur­des, seule­ment et juste comme des “ter­ror­istes”.

La dépouille de la “Mère Hatun”

Dans l’avion je suis assis der­rière Sez­gin Tan­rıku­lu. Ceux qui dis­ent ‘étran­gle-le, on te sou­tien­dra en prison’ likez.”

Il n’est pas éton­nant, ni un hasard non plus, que la dépouille de Hatun Tuğluk, la mère Aysel Tuğluk [femme poli­tique du HDP], ait été retirée de son tombeau où elle était inhumée devant des men­aces “Ici ce n’est pas un cimetière arménien, même si vous l’in­humez, nous vien­drons la retir­er !”, ou encore, qu’un indi­vidu, demande ouverte­ment [sur Twit­ter] le sou­tien de l’opin­ion publique, pour étran­gler avec un fil de fer Sez­gin Tan­rıku­lu [assis devant lui dans un avion], défenseur des droits humain, ayant révélé que les vil­la­geois bom­bardés à Tale étaient des civils. Aus­si bien cette horde de lyncheurs, que ce can­di­dat d’as­sas­sin étran­gleur por­tant robe d’u­ni­ver­si­taire juriste, trou­vent leur courage et leur force, dans les déc­la­ra­tions des min­istres, des préfets et de l’ar­mée turque.

La politique de non-condamnation

L’E­tat de droit ne bom­barde pas ses citoyenNEs. L’E­tat ne polarise pas ses citoyeNEs. L’E­tat enquête sur les vio­la­tions de droits, fait juger les auteurs de crimes et prend des pré­cau­tions pour que cela ne se répète pas. Mais dans ces ter­res, l’E­tat a bom­bardé ses citoyenNEs, a exilé ses citoyenNEs, les a polar­iséEs, et est resté indif­férent au fait qu’une par­tie de ses citoyenNEs soit tou­jours mon­trée comme cible. Il a regardé les mas­sacres, légal­isé la tor­ture, et les a encour­agé en menant la poli­tique d’im­punité. Le même Etat, a mon­tré comme cible, la lutte pour les droits humains et pour la jus­tice que les Kur­des mènent, et par­fois les a fait dis­paraitre, par des “assas­si­nats d’au­teurs incon­nus”. En dernier lieu, il fait subir à Tahir Elçi un lyn­chage médi­a­tique, il a pré­paré le ter­rain pour qu’il tombe par un appui sur la gâchette devant Le Minaret à Qua­tre pieds [Edi­fice his­torique à Diyarbakır], et il s’est appro­prié la gâchette, a fait en sorte que le dossier de l’en­quête n’a­vance pas d’un pas. Aujour­d’hui, parce qu’il a tout sim­ple­ment prou­vé que ceux qui ont été tués l’ont été par un drone armé, Sez­gin Tan­rıku­lu subit à son tour le même lyn­chage, et l’E­tat est en posi­tion, à la fois de spec­ta­teur immo­bile et de sou­tien de fait de ce lynchage.

Mais le monde ne peut con­tin­uer à tourn­er ainsi !
“Les palais, les règnes s’effondrent / le sang se tait un jour / la per­sé­cu­tion se ter­mine.” Que ceux qui nous pren­nent en otage le sachent :
“Il n’est pas fini, il con­tin­ue ce com­bat / et il con­tin­uera / jusqu’à ce que la face de la Terre soit la face de l’amour !” *

Fer­hat Öncü

* Extrait d’un poème d’Ad­nan Yücel.
Vous trou­verez le poème inté­gral dans cet article :
Jusqu’à ce que la face de la Terre soit la face de l’amour !
Tous les arti­cles con­cer­nant Fer­hat Öncü


Image à la une : A l’Assem­blée en 2015 / Twit­ter de Fer­hat Encü

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