Deux­ième audi­tion dans le procès de Nuriye Gül­men et Semih Öza­kça. Les juges ont ordon­né le main­tien en incar­céra­tion de Nuriye et Semih, après 204 jours de grève de la faim.…

Les deux enseignantEs qui pour­suiv­ent leur grève de la faim en déten­tion, étaient absentEs de la pre­mière audi­ence. Ils sont détenus depuis le 22 mai 2017 dans la prison de Sin­can, et ont été hos­pi­tal­isés de force, depuis le 29 juil­let, tou­jours dans la même prison. Le 12 sep­tem­bre, deux jours avant la pre­mière audi­ence, leur avo­catEs ont été mis­Es en garde-à-vue, puis incar­céréEs. Le 25 sep­tem­bre. Nuriye, de son côté, en état de totale con­science, a été trans­férée de l’hôpi­tal de la prison de Sinan vers l’hôpi­tal Numune, et ce, con­tre son gré.

Lors de cette deux­ième audi­ence, qui s’est déroulée dans la salle de tri­bunal, au sein même de la prison de Sin­can, à Ankara, Acun Karadağ, enseignante licen­ciée, cama­rade de lutte de Nuriye et Semih, était une deux­ième fois à la barre des “accuséEs”. Nuriye n’a pas été amenée à la salle d’au­di­ence. Pour Semih, c’é­tait la pre­mière fois. Il était sur un fau­teuil roulant, entouré d’un mur de policiers. Avant l’ou­ver­ture du procès, Semih s’est levé dif­fi­cile­ment et a salué la salle en lev­ant le poing.

Les sou­tiens de Nuriye et Semih se sont déplacés pour suiv­re les audi­ences. Juste avant, leur cama­rade de lutte Veli Saçılık, fai­sait savoir par Twit­ter que les cars qui ame­naient d’autres sou­tiens à la prison de Sin­can avaient été bloqués.

Attente devant le tri­bunal de la prison de Sincan.

Extraits…

Semih Öza­kça a été amenée dans la salle d’au­di­ence. Semih et Acun Karadağ n’ont pas été autoriséEs à se saluer en se ser­rant la main.
Acun, tenue à l’é­cart de Semih, en voy­ant son état, a pleuré et hurlé en dénonçant : “Regardez com­ment l’E­tat a trans­for­mé un enseignant !”

Au début de l’au­di­ence, le rap­port de l’hôpi­tal Numune, qui noti­fie que le trans­port de Nuriye au procès est risqué médi­cale­ment, a été lu.

Une lim­ite du nom­bre d’av­o­cats a été annon­cé par le tri­bunal. Les “accuséEs” ne peu­vent pas être défenduEs par plus de trois avo­cats. Semih : “Je ne ferai pas de choix d’av­o­catE. Je vois cette lim­i­ta­tion comme la suite de la per­sé­cu­tion qu’on nous fait subir. Nous avons des cen­taines d’avocatEs.”
Acun a refusé à son tour la lim­i­ta­tion d’av­o­cats. “Ceci est une pres­sion et impo­si­tion. Tous ceux et toutes celles qui sont présentEs à cette audi­ence sont mes avocatEs.”

Le tri­bunal a bien sûr refusé les objec­tions sur la restric­tion du nom­bre d’avocats.

Semih : “C’est une nou­velle attaque con­tre notre droit de défense. Vous avez mis nos avo­catEs en garde-à-vue le 12 sep­tem­bre (2 jours avant la pre­mière audi­ence) et vous ne nous avez pas présen­téEs devant le tri­bunal le 14 sep­tem­bre. Et main­tenant vous lim­itez le nom­bre des avo­catEs. Quant à Nuriye Gül­men, vous l’avez hos­pi­tal­isée par la force. Tout cela sont des attaques con­tre nos droits.”

Le Tri­bunal a décidé qu’au delà de trois avo­catEs, les autres ne seront pas écoutéEs.

Semih : “Vous n’avez pas con­damné assez ? A quoi sert cette mise en scène ? Pour qui est fait votre scé­nario ? Pour le compte de qui cette pièce de théâtre sera mise en scène ?”

Les policiers du bureau poli­tique ont com­mis dans cette cham­bre un assas­si­nat. Si votre tri­bunal juge chaque assas­sin, inscrivez-moi comme témoin.”

Pour com­pren­dre les raisons de nos licen­ciements, il suf­fi­rait de regarder l’his­toire des peu­ples. Notre classe est celle de celles et ceux qui sont oppriméEs et exploitéEs.”

Dans les insti­tu­tion de l’E­tat, il existe un seule règle, c’est celle-ci : ‘ne bouge pas sans ordre, sinon tu brûleras’ ”.

Esra, la com­pagne de Semih, écoute sa défense.
(Dessin de Zeynep Özatalay)

Le Juge a inter­rompu la défense de Semih, et lui a demandé de plaider sa défense selon les chefs d’ac­cu­sa­tion. Semih a répon­du “J’ai beau­coup patien­té pour pou­voir venir ici, patien­tez un peu, vous aussi…”

Le pou­voir AKP vole l’avenir de nos enfants, et leur droit démoc­ra­tique d’en­seigne­ment scientifique.”

Dans l’en­seigne­ment, avec la pri­vati­sa­tion, un boule­vard est ouvert devant l’in­sécuri­sa­tion?. Par ailleurs, les portes sont ouvertes pour un sys­tème d’é­val­u­a­tion de performances.”

Les actions des syn­di­cats d’op­po­si­tion sont crim­i­nal­isées et les travailleurs/ses du secteur pub­lic sont mis devant la men­ace d’en­quêtes et de liquidations”.

Si vous ne pensez pas, vous ne vivez pas comme l’AKP, vous êtes assim­iléEs avec le ter­ror­isme. Même si vous soutenez l’AKP, si vous ne vous enten­dez pas avec le directeur de l’é­cole élu par le syn­di­cat proche du pou­voir, vous êtes liéEs avec le terrorisme.”

Le méti­er d’en­seignant ne me promet­tait ni une vie lux­ueuse, ni une vie où je ne man­querais de rien. Dans l’en­droit où nous devions pour­suiv­re notre vie, nous enten­dions tous les jours des bruits de tirs de canons de chars. En tant qu’en­seignant, je vivais en dessous du seuil de pau­vreté du pays.”

Que per­son­ne ne s’at­tende à ce que je plie devant cette injus­tice et illégalité.”

Pourquoi alors, mal­gré ces con­di­tions, ne me suis-je pas passé de mon méti­er d’en­seignant ? Parce que j’ai gag­né mon pain dans des con­di­tions dif­fi­ciles. J’ai oeu­vré pour mes élèves avec beau­coup de con­ces­sions, car l’en­seigne­ment étant vidé de son con­tenu, nos élèves avaient besoin d’en­seignants comme nous.”

J’ai été liq­uidé avec ma femme. Le fait que des mil­liers de per­son­nes démoc­rates et révo­lu­tion­naires comme nous soient licen­ciées, démon­trait qu’en vérité la lutte n’é­tait pas menée con­tre FETÖ.”

Semih étant très fatigué l’au­di­ence a été inter­rompue un moment.

Semih et Acun (Dessin de Zeynep Özatalay)

L’in­tel­lectuelLE du peu­ple, est celui et celle qui réflé­chit, qui voit et com­prend les con­tra­dic­tions, et qui passe à l’ac­tion dans la lutte sociale. L’in­tel­lectuelLE du peu­ple, sait que la meilleur chan­son est celle chan­tée en choeur. L’in­tel­lectuelLe du peu­ple, est celle et celui qui sait lut­ter pour ses valeurs, même s’il/elle reste seulE. L’in­tel­lectuelLE du peu­ple est celle et celui qui sait que rien ne se pro­duit tout seul, et qui ne se rend pas aux con­di­tions matérielles. Il/elle est celui et celle qui con­nait l’im­por­tance d’ex­primer la parole de tout un peu­ple et qui fait un pas pour le dire. Il/elle est celle et celui qui, à la fois, apprend du peu­ple et qui lui apprend. Et moi, en tant qu’en­seignant, donc un intel­lectuel du peu­ple, je savais que cette résis­tance allait avoir un prix.”

Je vois le fait d’ex­primer la parole de mon peu­ple, dans une péri­ode où per­son­ne n’ose aller dans la rue, où les déc­la­ra­tions de presse sont inter­dites, comme une obligation.”

Une per­son­ne qui ne peut pas défendre son pain et sa dig­nité, peut-elle défendre sa morale ? Une per­son­ne qui ne défend pas son pain ne peut être morale parce que le pain c’est l’honneur.”

Cette résis­tance n’est pas la résis­tance de deux per­son­nes. Cette résis­tance est celle des peu­ples opprimés.”

Le prob­lème était la crainte du fait que la grève de la faim puisse être une action qui ait des effets forts et que cette action soit appro­priée par le peu­ple et s’étende.”

Nous n’avons pas préféré la faim. Si le pou­voir nous avait ren­du notre tra­vail, nous n’au­ri­ons pas faim. Celui qui cause la résis­tance et qui essaie de l’é­touf­fer, c’est le pouvoir.”

Nous sommes arrêtéEs parce que avec notre incar­céra­tion ils veu­lent faire peur aux fonc­tion­naires licen­ciéES. Nous sommes arrêtéEs, parce que la per­sé­cu­tion est appelée désor­mais le Droit, le com­plot est appelé le Droit.”

C’est la pre­mière fois que je vois la lumière du jour, depuis que j’ai été amené à l’hôpi­tal de la prison de Sin­can. J’ai atten­du aux aguets, des nuits durant, sans pou­voir dormir, car ce trans­fert était une pré­pa­ra­tion à l’in­ter­ven­tion par la force. Nous avons subi de nom­breuses tor­tures dans cet hôpi­tal. Si je com­mence à racon­ter tout, je peux écrire un livre entier. Lun­di soir les démons sont arrivés. com­ment appelle-t-on autrement ceux qui vien­nent la nuit ? J’ai pen­sé qu’il allaient m’amen­er pour une inter­ven­tion for­cée. J’ai fait mes adieux à ma mère. J’ai enten­du des bruits, Nuriye était aus­si trans­férée. J’en­tendais des slo­gans, j’ai com­pris qu’elle était con­sciente. Il ne nous autorisent pas à faire des pho­tos, car ils ont peur que le peu­ple se soulève.”

Le fait de dire Nuriye et Semih serait donc con­sid­éré main­tenant comme ‘pro­pa­gande’. Le fait de dire mon pro­pre nom serait de la pro­pa­gande pour organ­i­sa­tion terroriste ?”

Je vais con­tin­uer la grève de la faim, jusqu’à ce que je retrou­ve mon travail.”

Acun devait pren­dre parole après Semih, mais elle a déclaré qu’elle ne prendrait pas parole pour sa défense, tant que Nuriye ne sera pas présente au tribunal.


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