Cet essai de Dilar Dirik a été pub­lié en anglais pour la pre­mière fois sur Roar Mag­a­zine et sur Kur­dish Ques­tion ensuite en français dans Mer­ha­ba Heval­no n°6 en juin 2016

La bataille de Kobanê fin 2014 avait attiré l’at­ten­tion des médias inter­na­tionaux et des activistes occi­den­tales. De nom­breux col­lec­tifs de sol­i­dar­ité s’é­taient créés un peu partout. Depuis, l’ef­fet de “mode” sem­ble être retombé, et beau­coup d’ar­ti­cles cir­cu­lent pour cri­ti­quer la révo­lu­tion du Roja­va qui n’en serait pas une, du point de vue con­fort­able de l’homme blanc devant son bureau, sans chercher à inter­roger les vrai.e.s acteurs.ices de cette lutte. À tra­vers ce men­su­el nous avons tou­jours ten­té de garder un œil cri­tique, mais surtout de relay­er la parole des per­son­nes directe­ment con­cernées et de faire hom­mage aux luttes qu’elles mènent mal­gré la guerre étouf­fante au Moyen-Ori­ent. Nous sommes loin d’avoir une réponse idéale à com­ment adress­er une réelle sol­i­dar­ité depuis notre posi­tion priv­ilégiée, mais nous con­sid­érons cette ques­tion cen­trale pour toute démarche révo­lu­tion­naire. Nous repro­duisons ici, un texte de Dilar Dirik, chercheuse et activiste kurde habi­tant en Angleterre, qui abor­de très franche­ment l’en­jeu de la sol­i­dar­ité inter­na­tionale et qui appelle à une réflex­ion sérieuse à ce sujet.

Mer­ha­ba Hevalno


Confronter les privilèges : de la solidarité et de l’image de soi

La sol­i­dar­ité n’est pas une action car­i­ta­tive uni­latérale entre­prise par les activistes privilégié.e.s, mais une démarche mul­ti-dimen­sion­nelle qui con­tribue à l’é­man­ci­pa­tion de toutes les per­son­nes impliquées.

Un homme alle­mand ne serait pas impres­sion­né par les racines démoc­ra­tiques du pro­jet se déroulant au Roja­va car il aura vu des choses sim­i­laires en Amérique Latine il y a de cela quelques décen­nies. Une femme française reprocherait aux femmes kur­des un manque de pré­pa­ra­tion à sa vis­ite car elles ne sont pas aus­si organ­isées que les femmes afghanes qu’elle aura observées dans les années 70. N’im­porte quel indi­vidu lamb­da peut pass­er pour un con­nais­seur de la révo­lu­tion du Roja­va après y être resté une semaine, et ce sans accès à aucune forme de médias ou de lit­téra­ture dans une langue du Moyen-Ori­ent, mais son avis sera vu comme plus légitime et plus authen­tique que celui de celles et ceux qui y luttent.

Sol­i­dar­i­ty demo in Lon­don 2014 World Kobane Day | cred­it: DB- Kur­dish Question

Quel est le point com­mun entre les expéri­ences de ces dif­férentes personnes ?

Elles font toutes preuve d’un intérêt et d’une atten­tion authen­tiques, et leurs efforts méri­tent une recon­nais­sance à leur hau­teur. Mais il y a autre chose : l’élé­ment sous-jacent au sys­tème qui per­met à des per­son­nes de valid­er leur “check­list” du tourisme révo­lu­tion­naire (tout par­ti­c­ulière­ment en Pales­tine et au Chi­a­pas dans la dernière décen­nie, et main­tenant au Roja­va). Cet élé­ment est quelque chose que les révo­lu­tion­naires doivent s’ef­forcer de prob­lé­ma­tis­er : les privilèges.

Met­tons-nous au point dès le départ : en tant que per­son­ne écrivant surtout pour un pub­lic inter­na­tion­al, qui cherche à faciliter la com­mu­ni­ca­tion et qui encour­age l’en­voi de délé­ga­tions au Kur­dis­tan, je fais par­tie des gens qui val­orisent fon­cière­ment de tels échanges et de telles actions. Mais les per­son­nes qui revendiquent leur sol­i­dar­ité et qui sont dans une sit­u­a­tion priv­ilégiée leur per­me­t­tant de voy­ager et d’être écoutées ont l’oblig­a­tion morale de se servir de leurs priv­ilèges pour amélior­er les choses. L’in­ten­tion de cet arti­cle est de con­tribuer au débat sur les prob­lèmes qui sur­gis­sent quand des rela­tions de hiérar­chie sont établies au nom de la solidarité.

Confronter les privilèges

Dans un monde com­posé d’États-nation cap­i­tal­istes et patri­ar­caux, se voir comme un.e citoyen.ne du monde et com­bat­tre les idées de nation et d’État est un acte de défi, de désobéis­sance. Cepen­dant, se voir comme un.e révo­lu­tion­naire inter­na­tion­al­iste n’ef­face pas les iné­gal­ités de con­di­tions et de priv­ilèges. Il est impor­tant que chacun.e aille plus loin que ça.

Tout d’abord, il existe une bat­terie de priv­ilèges et de ressources matériels dont un indi­vidu peut béné­fici­er : les passe­ports d’un État lui per­me­t­tant de voy­ager presque n’im­porte où, le fait de par­ler des langues inter­na­tionales et d’avoir le vocab­u­laire théorique lui per­me­t­tant de for­muler et de con­stru­ire son dis­cours, avoir la maîtrise des out­ils intel­lectuels dû à une édu­ca­tion basique, ain­si que le fait de dis­pos­er du temps, de la sécu­rité et des fonds néces­saires pour accéder à la plu­part de ces choses. L’ab­sence de guerre, de mort, de destruc­tion, d’ex­il, de famine et de trau­ma­tismes per­met à cet indi­vidu de men­er con­fort­able­ment et en toute sécu­rité ses recherch­es, de pren­dre des déci­sions et de plan­i­fi­er à long terme et de vivre selon ses pro­pres principes sans subir trop d’interférences.
Le fait-même qu’une per­son­ne puisse s’asseoir en ter­rasse pour pren­dre un café, se ren­seign­er sur un sujet à tra­vers des sources provenant de l’his­to­ri­ogra­phie, de la théorie, de l’épistémologie et d’une langue, occi­den­ta­lo-cen­trées est un priv­ilège qu’une vaste majorité de travailleurs.euses et de per­son­nes de couleur n’ont pas. Et même s’ils ou elles l’avaient, il.le.s man­quent bien sou­vent de l’en­vi­ron­nement poli­tique sta­ble leur per­me­t­tant de dis­cuter de leurs trouvailles.
Le fait-même que je sois en train d’écrire cet arti­cle est l’indi­ca­tion du priv­ilège dont dis­pose une per­son­ne provenant d’un groupe opprimé et ostracisé mais qui, rel­a­tive­ment à son pro­pre peu­ple, a accès à cer­taines ressources et cer­tains avan­tages. Dès qu’il y a un priv­ilège, il y a la respon­s­abil­ité de con­fron­ter ce priv­ilège qui y est asso­ciée. La sim­ple exis­tence des priv­ilèges n’est pas tant le prob­lème en soi, il s’ag­it plutôt de la créa­tion de rela­tions hiérar­chiques ain­si que la con­de­scen­dance et l’adap­ta­tion de com­porte­ment (involon­taires) qui s’ex­er­cent lors de la mise en œuvre de la sol­i­dar­ité, qui empêchent la com­préhen­sion et la pro­gres­sion mutuelles.

Cer­taines per­son­nes ont exprimé leur éton­nement quand à l’ig­no­rance des pop­u­la­tions locales à pro­pos des luttes sim­i­laires à la leur sur le reste du globe, et cer­taines ont ten­té d’amoin­drir le dis­cours d’une vic­time car sa réal­ité quo­ti­di­enne était trop dure pour les oreilles frag­iles de l’oc­ci­den­tale. D’autres ont refusé toute forme de prise de con­science quand elles étaient cri­tiquées pour avoir défor­mé le dis­cours sur la lutte d’un peu­ple en employ­ant des formes nar­ra­tives qui alié­naient le peu­ple en ques­tion, en sug­gérant que le peu­ple opprimé devrait déjà être con­tent de recevoir de l’attention.

Le prob­lème repose dans la sim­plic­ité d’au­to-légiti­ma­tion dont dis­pose une per­son­ne priv­ilégiée, avec laque­lle elle peut écrire des livres entiers sur une région sans jamais y être allée. On peut illus­tr­er cela par la blancheur mas­cu­line de toutes les con­férences sur les luttes menées par les per­son­nes de couleur. Il s’ag­it égale­ment de la fameuse expres­sion de sym­pa­thie de la per­son­ne blanche pour une cause qui pousse ses partisan.ne.s à rejoin­dre le train en marche. Ce phénomène se retrou­ve aus­si dans la vitesse avec laque­lle les caus­es con­cer­nant des ques­tions de vie ou de mort sont aban­don­nées comme une patate chaude dès qu’on se rend compte qu’elles sont plus com­pliquées qu’il ne paraissait.

Comme il est con­fort­able pour un.e révo­lu­tion­naire de pou­voir bal­ay­er ses respon­s­abil­ités et son iden­tité sans plus de con­sid­éra­tions ! Alors que de nombreux.ses gauchistes de pays priv­ilégiés tien­nent à faire savoir qu’il.le.s ne représen­tent aucun État, aucune armée, aucun gou­verne­ment et aucune cul­ture, il.le.s peu­vent par ailleurs facile­ment analyser la sit­u­a­tion de mil­lions de per­son­nes comme étant un seul bloc gigan­tesque. En effaçant leur pro­pre con­texte, il.le.s se per­me­t­tent sou­vent un com­porte­ment aléa­toire et indi­vid­u­al­iste, et se sen­tent généreux.ses et char­i­ta­bles quand il.le.s dis­cu­tent entre elles/eux de qui “mérite” leur sou­tien, tan­dis que l’Autre est rendu.e flou.e à tra­vers une iden­tité abstraite.

De la camaraderie réfléchie et profonde dans la nuit la plus sombre

La manière dont est conçue la sol­i­dar­ité aujour­d’hui dans l’e­sprit occi­den­tal a un autre effet dévas­ta­teur sur les mou­ve­ments : la com­péti­tion entre les peu­ples en lutte pour obtenir l’at­ten­tion et les ressources. Plutôt que de tiss­er des liens de sol­i­dar­ité entre eux, les peu­ples en lutte sont for­cés de se bat­tre tout d’abord pour l’at­ten­tion des gauchistes occi­den­taux, ce qui met les com­mu­nautés en con­fronta­tion les unes avec les autres et cela s’avère destruc­tif vis-à-vis de l’in­ter­na­tion­al­isme. Comme le fait remar­quer Umar Lateef Mis­gar, un activiste du Kash­mir : il s’ag­it là d’une forme évoluée du cre­do colo­nial « divis­er pour mieux régn­er ».

C’est tout par­ti­c­ulière­ment l’homme blanc éduqué qui a le luxe et le priv­ilège de pou­voir ren­dre vis­ite à n’im­porte quel lieu de révo­lu­tion, pour se l’ap­pro­prier comme il veut et pour y apporter son regard cri­tique, sans y être impliqué et sans jamais avoir besoin d’être auto-cri­tique. Il peut s’at­tach­er inter­na­tionale­ment et se détach­er locale­ment comme bon lui sem­ble et vice ver­sa, avec sou­vent un sens de pro­priété sans responsabilité.

Son iden­tité tran­scende l’eth­nic­ité, la nation­al­ité, le genre, la classe, la sex­u­al­ité, le physique et l’idéolo­gie car il est l’in­car­na­tion du statu quo, de l’in­di­vidu par défaut. Il ne con­naît presque pas ni ne vit vrai­ment le sens de ce qu’est la déviance. Il ne sait pas que la plu­part des luttes com­men­cent par une demande de recon­nais­sance, d’une place dans l’his­toire, car c’est lui qui l’écrit. Par con­séquent, il ne peut sou­vent pas com­pren­dre les moti­va­tions révo­lu­tion­naires allant au-delà de la théorie.

C’est la rai­son pour laque­lle le purisme idéologique lui per­met si facile­ment de laiss­er tomber la sol­i­dar­ité avec des luttes, et il s’ag­it peut-être bien là de la plus grande expres­sion de ses priv­ilèges : il peut se per­me­t­tre d’être pur idéologique­ment et dog­ma­tique­ment, il peut prêch­er la cohérence théorique car sa préoc­cu­pa­tion pour une lutte n’est pas une ques­tion de survie mais un sim­ple intérêt par­mi d’autres pour lui. Il n’est pas obligé de se salir les mains. Il peut détourn­er les yeux d’un peu­ple qui se bat pour sa survie, car ce n’est pas lui qui doit con­fron­ter ses idéaux à toutes sortes de réal­ités géopoli­tiques et socio-économiques, aux con­flits eth­niques et religieux, à la vio­lence, à la guerre, aux tra­di­tions, aux trau­ma­tismes et à la pauvreté.

C’est égale­ment pour cette rai­son que les gens peu­vent laiss­er tomber une cause aus­si rapi­de­ment qu’ils l’ont adop­tée, car résoudre les erreurs, les lacunes et les obsta­cles qui font for­cé­ment face aux révo­lu­tions leur deman­derait un effort qu’ils ne sont pas prêts à faire. Les dis­cus­sions théoriques ou les con­férences accom­pa­g­nées de petits fours et d’un verre con­vi­en­nent sou­vent mieux pour sor­tir des dia­tribes rad­i­cales que l’en­fer qu’est la Mésopotamie.

Quand les gens ne reçoivent pas de grat­i­fi­ca­tion immé­di­ate — que leur men­tal­ité cap­i­tal­iste induite requière — ils peu­vent rapi­de­ment lâch­er les moments his­toriques des révo­lu­tions. L’op­tion de quit­ter, d’a­ban­don­ner une cause, une fois le charme roman­tique ini­tial passé et quand la cru­elle réal­ité mon­tre sa fig­ure, n’est tout sim­ple­ment pas disponible pour le peu­ple qui lutte pour sa survie. Après tout, la véri­ta­ble cama­raderie prend tout son sens non pas au soleil, mais dans la plus froide des nuits.

Les luttes légitimes mises à l’épreuve

Il y a un cer­tain temps, les mil­i­tants d’ex­trême-gauche écrivaient des arti­cles sur le Roja­va qui n’avaient rien à voir avec les réal­ités du ter­rain de par leur tran­scrip­tion, à tra­vers des sup­po­si­tions et des sujets qui ne fai­saient pas par­tie des préoc­cu­pa­tions du peu­ple con­cerné. C’est rapi­de­ment devenu un débat exclu­sive­ment entre gauchistes occi­den­taux, où un homme blanc s’adres­sait à un autre, sans jamais s’être ren­dus dans la région con­cernée et sans avoir lu d’opin­ions autres que celles d’hommes blancs, trou­vées sur Inter­net. Le Roja­va ser­vait alors de nou­veau sujet à la mode sur lequel pro­jeter toutes les idéolo­gies et spéculations.
Bien sûr, les points de vue et les analy­ses cri­tiques inter­na­tionales sont cru­ciales pour le proces­sus révo­lu­tion­naire, mais le dog­ma­tisme, le chau­vin­isme et l’ar­ro­gance ser­vent un des­sein opposé. Mal­gré le fait que ces per­son­nes étaient très loin d’or­gan­is­er des révo­lu­tions chez elles, elles se sen­taient toute­fois en posi­tion de juger avec une posi­tion d’au­torité de ce qu’il faut faire pour men­er la révo­lu­tion et ain­si don­ner des con­seils de guid­ance à un peu­ple qui forme des com­mu­nautés autonomes de femmes tout en com­bat­tant Daech.

D’une cer­taine manière, une défor­ma­tion et une dis­tor­sion telles sont néces­saires pour jus­ti­fi­er les images ori­en­tal­istes et les inter­ven­tions colo­nial­istes. Comme l’ex­plique Sitharthan Sri­ha­ran, un activiste Tamil : « les gauchistes priv­ilégiés, dans les actions qu’ils accom­plis­sent, aident sou­vent à pro­duire et à repro­duire les forces con­tre lesquelles ils procla­ment juste­ment se bat­tre ».

Il est intéres­sant de voir com­ment les luttes qui ont été jus­ti­fiées au long des décen­nies par les mil­liers de per­son­nes y prenant part sont mis­es à l’épreuve du juge­ment des gauchistes occi­den­taux avant d’être approu­vées comme méri­tant de l’at­ten­tion. De telles esti­ma­tions met­tent à mal les mou­ve­ments de libéra­tion, dans le sens où il leur sera refusé l’at­ten­tion et la représen­ta­tion adéquates. Elles peu­vent même provo­quer des dégâts poli­tiques, soci­aux, économiques et émo­tion­nels con­séquents, con­duire à de la dés­in­for­ma­tion et faire percevoir comme illégitimes des luttes entières à tra­vers la dom­i­na­tion du dis­cours de groupes détachés.

Ces atti­tudes provi­en­nent fon­da­men­tale­ment des idéolo­gies euro-cen­trées qui ont établi leur impéri­al­isme cul­turel par le biais du colo­nial­isme, des dogmes mod­ernistes et du cap­i­tal­isme. La vio­lence sym­bol­ique qui fait présen­ter l’his­toire occi­den­tale comme mod­erne et uni­verselle se man­i­feste aujour­d’hui sous la forme d’un ori­en­tal­isme dans les sci­ences sociales, et elle affecte la manière dont de vastes sec­tions de la gauche occi­den­tale enten­dent la solidarité.

Conforter ses privilèges

L’hy­pothèse dis­ant que la sol­i­dar­ité est uni-direc­tion­nelle, avec d’un côté celui ou celle qui “donne” et de l’autre celui ou celle qui “prend”, est erronée de base. De nos jours, la sol­i­dar­ité, et surtout à l’époque de l’in­for­ma­tion et de la tech­nolo­gie numérique, est exprimée d’une manière qui des­sine une rela­tion dichotomique entre un sujet act­if et pen­sant qui “four­nit” la sol­i­dar­ité avec une cause, et un groupe qui ne réag­it qu’en tant qu’ob­jet pas­sif, sans avoir le droit de don­ner un retour cri­tique sur le type de sol­i­dar­ité qui est requis.

Les don­neurs ou dona­tri­ces de sol­i­dar­ité peu­vent sur­gir de n’im­porte où, effac­er leur con­texte et se proclamer en posi­tion de domin­er le dis­cours. Ils ou elles dis­posent de la vison d’aigle de l’observateur.trice, ce qui leur profère un point de vue ana­ly­tique dis­tant et une pré­ten­due autorité due à leur soi-dis­ant “impar­tial­ité”. Cela crée immé­di­ate­ment une hiérar­chie et une attente envers le groupe rece­vant la sol­i­dar­ité, qui est sen­sé mon­tr­er de la grat­i­tude et du respect au don­neur ou à la dona­trice de sol­i­dar­ité, ce qui laisse le groupe “rece­vant” la sol­i­dar­ité à la mer­ci des per­son­nes leur accor­dant de l’aide. Cela mar­que sou­vent la fin de la sol­i­dar­ité et le début de la charité.

Cepen­dant, les groupes opprimés n’ont aucune oblig­a­tion ou ne sont emplis d’au­cune respon­s­abil­ité de don­ner quelque chose en retour. Comme mon ami Hawzhin Azeez le fait remar­quer depuis Kobanê : « Nous ne devri­ons pas remerci­er les per­son­nes priv­ilégiées de con­forter leurs priv­ilèges et de faire ce qui est juste. Nous ne devri­ons pas atten­dre moins d’elles car il s’ag­it là de la sup­po­si­tion implicite et sous-jacente à la “sol­i­dar­ité” ».

Les per­son­nes se dis­ant sol­idaires d’une cause doivent être prêtes à s’ac­quit­ter de la lourde charge du tra­vail cor­re­spon­dant. Elles devraient se rap­pel­er de leurs priv­ilèges, les affron­ter con­stam­ment et les défaire afin de se servir de leurs pro­pres per­son­nes comme d’outils per­me­t­tant d’am­pli­fi­er les voix et les principes des mou­ve­ments desquels elles se dis­ent sol­idaires, plutôt que de devenir la voix ou l’in­car­na­tion de la lutte elles-mêmes. Elles ne devraient pas atten­dre de grat­i­tude et de médailles d’hon­neur pour avoir sim­ple­ment effec­tué des actions éthique­ment cor­rectes, et cer­taine­ment pas de la part de per­son­nes mar­gin­al­isées qui sont sim­ple­ment con­tentes que quelqu’un.e par­le de leur lutte existentielle.

De la charité à la solidarité, de l’enseignement à l’apprentissage

Le mou­ve­ment kurde pour la lib­erté se sert « de la cri­tique et de l’au­to-cri­tique » comme de mécan­ismes pro­duc­tifs et éthiques per­me­t­tant à une per­son­ne, aux autres et au groupe de s’amélior­er. Cri­ti­quer les autres implique d’être capa­ble de se cri­ti­quer soi-même. La cri­tique n’a pas pour objec­tif de bless­er les autres, elle est basée fon­da­men­tale­ment sur l’empathie, l’hon­nêteté et l’en­vie de résoudre les problèmes.

Les actions sol­idaires n’im­mu­nisent pas une per­son­ne de la cri­tique. Au con­traire, elle est néces­saire dans celles-ci. Elles se fondent même dessus, afin de pou­voir être éthique­ment cor­recte. Mais, à ce jour, les actions sol­idaires de la gauche euro-cen­trée sont large­ment dépourvues de ce type de cri­tique, ce qui met en évi­dence les obsta­cles majeurs de la gauche occi­den­tale pour s’or­gan­is­er ou même men­er des dis­cus­sions sur des bases saines, ce qu’elle est inca­pable de faire actuelle­ment. Fon­da­men­tale­ment, un.e vrai.e révo­lu­tion­naire est une per­son­ne qui com­mence le proces­sus de révo­lu­tion de façon interne et qui com­mence par elle-même.

La sol­i­dar­ité n’est pas une action de char­ité mais un proces­sus hor­i­zon­tal, mul­ti-dimen­sion­nel, édu­catif et mul­ti-direc­tion­nel qui con­tribue à l’é­man­ci­pa­tion de toutes les per­son­nes impliquées. Être sol­idaire sig­ni­fie se met­tre au même niveau les un.e.s avec les autres, de résis­ter côte à côte. Cela sig­ni­fie partager des com­pé­tences, des expéri­ences, des con­nais­sances et des idées sans per­pétuer les rela­tions fondées sur le pou­voir. La dif­férence entre la char­ité et la sol­i­dar­ité est que dans un cas une per­son­ne est « inspirée » par une autre et veut lui enseign­er quelque chose, tan­dis que dans l’autre, les indi­vidus s’ap­pel­lent « cama­rades » entre eux et veu­lent apprendre.

Pour s’at­ta­quer à ces prob­lèmes, il n’est pas suff­isant que chaque per­son­ne fasse sa pro­pre cri­tique. En réal­ité, nous avons besoin d’un nou­veau par­a­digme de sol­i­dar­ité, dans lequel nous remet­tri­ons sys­té­ma­tique­ment en cause l’ap­pro­pri­a­tion et l’abus de pou­voir et dans lequel nous met­tri­ons en place des mécan­ismes d’é­d­u­ca­tion mutuelle et d’échange de points de vue dont nous nous assure­ri­ons de la validité.

La sol­i­dar­ité, à la base, cela sig­ni­fie respecter et com­patir avec les luttes les un.e.s des autres et se voir tou.te.s comme lut­tant du même côté quand on entame une démarche d’au­to-libéra­tion mutuelle, sans ignor­er les dif­férents points de départ et con­textes, les dif­férentes his­toires et iden­tités. La plus grande récom­pense pour une sol­i­dar­ité véri­ta­ble est le fait que toutes les per­son­nes impliquées appren­nent ensem­ble à organ­is­er et à s’or­gan­is­er. Par con­séquent, dans l’ab­solu, comme le soulig­nent les per­son­nes du Chi­a­pas ou du Kur­dis­tan par exem­ple, la sol­i­dar­ité cela sig­ni­fie « allez faire la révo­lu­tion chez vous ! ».

Les poli­tiques d’i­den­tité sans aspect inter­na­tion­al­iste seront tou­jours lim­itées, car elles ne peu­vent pas apporter une plus grande éman­ci­pa­tion dans un sys­tème glob­al d’op­pres­sion et de vio­lence, de la même manière que l’in­ter­na­tion­al­isme sans respect des luttes ancrées locale­ment restera super­fi­ciel et sans suc­cès, car il ne recon­naît pas les pro­fondes com­plex­ités des dif­férentes caus­es des cris d’ap­pels à la paix.

Ren­forcer mes bases ren­forcera les tiennes égale­ment, et c’est là la seule méth­ode d’in­ter­ac­tion avec laque­lle nous pour­rons com­bat­tre l’or­dre sex­iste, raciste, impéri­al­iste, cap­i­tal­iste et meur­tri­er du monde.

Dilar Dirik

 

 

Dilar Dirik est une mil­i­tante du Mou­ve­ment des femmes kur­des et écrit régulière­ment sur les luttes pour la lib­erté au Kur­dis­tan pour un pub­lic international.


Source : Chal­leng­ing Priv­i­lege: On Sol­i­dar­i­ty and Self-Reflec­tion sur Kur­dish Question

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