L’op­po­si­tion d’Er­doğan au “référen­dum d’indépen­dance” pro­posé par Barzani au Kur­dis­tan irakien a ren­con­tré l’assen­ti­ment de la qua­si majorité des Etats, hors Israël.

Le prési­dent français s’est lui-même exprimé sur le sujet et a réfuté le droit des Kur­des d’I­rak à se pronon­cer sur une autodéter­mi­na­tion dans le con­texte région­al de guerre, les inci­tant à “ren­forcer l’E­tat irakien et ses insti­tu­tions démocratiques”.

Erdoğan ne s’est pas con­tenté de met­tre en garde les dirigeants kur­des irakiens sur la “respon­s­abil­ité qu’ils prendrait dans la désta­bil­i­sa­tion des bonnes rela­tions actuelles”, il a, depuis quelques jours, fait mass­er osten­si­ble­ment des blind­és de l’ar­mée turque aux fron­tières avec l’Irak.

La presse turc aux ordres du pou­voir AKP a entre­pris, titres à l’ap­pui, de dénon­cer le “référen­dum” et de ren­forcer l’opéra­tion “gros yeux et men­aces” engagée par le régime.
L’in­ter­ven­tion est prête, si les Kur­des irakiens osent” cla­ment-ils, en gros. Cli­quetis de tourelles de char.

Kurdistan

Au sein même du Kur­dis­tan irakien, le désac­cord existe, opposant d’ailleurs les deux métrop­o­les Erbil et Souleimanyeh, la sec­onde n’é­tant pas totale­ment pro-Barzani. Les opposants à la tenue du référen­dum ont pour argu­ment de dire que les “struc­tures du Pays”, sous enten­du le “futur Etat”, n’ex­is­tent pas, con­cer­nant la ges­tion économique, admin­is­tra­tive, et que les dis­par­ités sont évi­dentes sur le ter­ri­toire. Ils dénon­cent au pas­sage, l’ab­sence de fonc­tion­nement démoc­ra­tique, le pou­voir étant “con­cen­tré entre les mains d’un homme, son clan poli­tique et son par­ti” et le chef du gou­verne­ment autonome pro­vi­soire s’é­tant refusé au scrutin pop­u­laire depuis longtemps.
Une par­tie de la pop­u­la­tion Turk­mène, présente sur ce ter­ri­toire, et soutenue par la Turquie, est vent debout con­tre le pro­jet d’indépen­dance. Les Turk­mènes et les Arabes refusent l’inclusion de Kirk­ouk et d’autres régions con­testées dans le référen­dum, soutenus bien sûr égale­ment par Erdoğan. Les Yezidis seront les derniers consultés…

Rap­pelons que le Roy­aume-Uni, qui, il y a qua­si un siè­cle, prési­da à la créa­tion de l’E­tat-nation “Irak”, se sent tou­jours l’oblig­a­tion diplo­ma­tique de se mêler du sujet. Lors d’une ren­con­tre récente, ils ont mis en garde con­tre la “dis­lo­ca­tion”. La plaisan­terie serait ris­i­ble, s’il n’y avait pas les restes de l’E­tat islamique, le con­tentieux avec des pop­u­la­tions non kur­des dis­séminées ou déplacées, les instru­men­tal­i­sa­tions religieuses du schisme sunnites/chiites, et les alliances régionales cor­re­spon­dantes, des grands blocs. La dite “guerre con­tre Sad­dam” n’avait sans doute rien “dis­lo­qué” à leurs yeux.

La crise de l’E­tat-nation irakien est totale, comme l’est celle de la Syrie, et de la Turquie, mal­gré le régime qui mon­tre sa poigne répres­sive et n’a qu’une forme de pou­voir dic­ta­to­r­i­al à pro­pos­er, avec une guerre intérieure à la clé.

Et dans ce con­texte, le dirigeant kurde irakien Barzani pro­pose un référen­dum d’indépendance… 

Autant dire la créa­tion d’un Etat-nation kurde, appuyé sur le droit inter­na­tion­al recon­nu à “l’au­to-déter­mi­na­tion”. Et sous les applaud­isse­ments d’une bonne par­tie de la dias­po­ra kurde, les inter­ro­ga­tions des “pourquoi pas ?”, la con­fu­sion clas­sique entre “Peu­ple”, “Etat”, “Nation” en fond de tableau.

Ce débat sur l’avenir poli­tique du mou­ve­ment kurde, fort juste­ment tranché par les évo­lu­tions cri­tiques d’Ö­calan, et les propo­si­tions du con­fédéral­isme démoc­ra­tique, on le croy­ait, avec l’ex­péri­ence en cours au Nord de la Syrie, devenu désor­mais un fil rouge majori­taire pour les Kur­des qui regar­daient Barzani comme un “col­lab­o­ra­teur” du régime Erdoğan.

Con­sta­tons qu’il n’en est rien.

Le dirigeant Barzani défend les intérêts d’une nou­velle classe dom­i­nante kurde, liée à la future rente pétrolière en “prévi­sion”, et déjà enrichie par le com­merce en bonne intel­li­gence avec la Turquie voi­sine. Si, en apparence, Barzani s’op­pose là au régime AKP de Turquie et à Erdoğan, c’est juste­ment parce qu’une cer­taine allégeance pèse dans ces rap­ports paci­fiques de “bonne intel­li­gence”, et que s’af­franchir un peu, en prof­i­tant du ver­nis inter­na­tion­al accu­mulé dans la lutte con­tre Daech, et l’isole­ment diplo­ma­tique relatif d’Er­doğan créait selon lui une fenêtre favorable.
Il s’est vis­i­ble­ment trompé dans les rap­ports de forces régionaux et les “lais­sez faire éventuels” des puis­sances impéri­al­istes, pour lesquelles pour­tant cette carte d’un Etat-nation kurde serait peut être à l’or­dre du jour dans un futur région­al, mais qui restent blo­qués diplo­ma­tique­ment sur l’actuelle autonomie de fait, vu la guerre qui se pour­suit. La grande tablée du partage n’est pas encore pour demain.

On peut sans se tromper, penser que la créa­tion d’un Etat-nation sup­plé­men­taire, fut-il kurde, sera source d’ap­pro­fondisse­ment des crises exis­tantes, et non solution.

Divis­er pour les intérêts de sa classe dom­i­nante, et la con­sol­i­da­tion de son pou­voir, dans ce con­texte de guerre, se retourn­era con­tre toutes celles et tous ceux, dans le mou­ve­ment kurde, qui se font autrement porteurs/ses de solu­tions con­fédéral­istes et com­mu­nal­istes. A coup sûr, le con­flit entre Kur­des d’Er­bil et forces poli­tiques proches du PKK au Kur­dis­tan irakien deviendrait alors ouvert, au grand plaisir d’Er­doğan, qui vitupère à vide à distance.

En mas­sant des troupes et des blind­és à la fron­tière, Erdoğan mon­tre les gros bras en interne, faisant oubli­er sa col­lab­o­ra­tion “paci­fique” avec Barzani aux plus nation­al­istes, mais pare égale­ment à toutes éven­tu­al­ités sur la suite des événe­ments, que ce soit au Kur­dis­tan turc, ou vis à vis d’un con­flit ouvert avec les posi­tions du PKK, que Erbil pour­raient avoir l’in­ten­tion de “réduire”.

Je pense inutile de pré­cis­er que le Roja­va et son proces­sus de mise en place d’un con­fédéral­isme démoc­ra­tique serait la pre­mière vic­time de ces recom­po­si­tions régionales, d’au­tant que les “alliés” se posent des ques­tions sur l’avenir après Raqqa et que les ardeurs du régime Bachar sont con­fortées plus que jamais par la Russie et les régionaux par­tie prenantes.

Jouer la carte du référen­dum gag­nant, dans ce con­texte où tous les con­flits, économiques, poli­tiques, mil­i­taires, religieux, ne trou­vent d’autres issues qu’une guerre d’in­térêts inter­na­tionaux entre impéri­al­ismes, et où la chair à canon est fournie locale­ment, est une grenade dégoupil­lée supplémentaire.

Per­son­ne n’a aucun droit de s’op­pos­er aux reven­di­ca­tions d’au­to-déter­mi­na­tion d’un Peu­ple. Encore faudrait-il que cette auto-déter­mi­na­tion ne soit pas décidée par quelques uns, qui plus est par­ti­sans d’un libéral­isme éclairé, pour leur pro­pre compte, se récla­mant du grand partage entre Etats-nation de l’ex empire ottoman où les Kur­des “furent spoliés et oubliés”.

Mon pro­pos n’est pas d’en­tr­er dans les posi­tion­nements poli­tiques des uns et des autres, au sujet de “l’indépen­dance”, et d’en faire un recueil “objec­tif”. Il est évi­dent que le mot “indépen­dance”, une fois lâché, vu les con­tentieux vieux de plus d’un siè­cle, provoque un effet qui, der­rière une “reven­di­ca­tion”, voit soudain se réu­nir bien des con­tra­dicteurs d’hi­er, mêlant nation­al­istes con­va­in­cus et vic­times récur­rentes, à bout de leurs souf­frances. Et le dirigeant Barzani en joue, en faisant appel aux mar­tyrs dans ses dis­cours, comme si sa classe dirigeante ne se com­por­tait pas comme une bour­geoisie qui envoie ses troupes au combat.

Il est bien évi­dent que le sen­ti­ment nation­al­iste kurde, réprimé dans le sang depuis un siè­cle, pour la péri­ode la plus récente, se mêle étroite­ment avec un désir d’i­den­tité quelque peu séparatiste. Mais quand on observe les dérives nation­al­istes qui ont suc­cédé à la créa­tion des Etats-nation il y a un siè­cle dans la région, (les pou­voirs forts ou oli­garchiques, mil­i­taires, qui ont per­mis de les main­tenir, les régimes de par­ti unique, et les guer­res en cas­cade, tout comme les luttes armées, et à l’ex­em­ple de ce qu’est la turcité meur­trière), on ne peut que soutenir et rap­pel­er les posi­tions poli­tiques des forces du mou­ve­ment kurde, favor­ables, au con­traire, au con­fédéral­isme démoc­ra­tique et aux expéri­ences com­mu­nal­istes dans cette par­tie de la Mésopotamie et du Moyen-Ori­ent. Les pre­miers kedi en témoignent.

Les gauch­es nationales européennes, pétries du con­cept d’E­tat-nation, com­mençaient à s’in­téress­er, par le prisme du Roja­va, aux solu­tions kur­des. Les replis nationaux en cours dans les dif­férents Etats européens, sous les poussées pop­ulistes, ne favori­saient pas pour­tant cet intérêt. Les dias­po­ras kur­des, très sou­vent liées à ces gauch­es, par­fois intime­ment, étaient déjà forte­ment influ­encées, en con­tra­dic­tion même avec les démarch­es cri­tiques du PKK.
Ce pro­jet de référen­dum, en ouvrant les vannes à toutes les posi­tions oppor­tunistes, ne va pas aider non plus.

Il n’est pas rare en ce moment, dans des arti­cles, bil­lets, sur les réseaux soci­aux, de voir des “per­son­nal­ités” de la dias­po­ra dévelop­per, en con­tra­dic­tion même avec leurs posi­tions d’hi­er, un “il vaut mieux un Etat-kurde que rien du tout”. Il est inévitable que, dans ce cadre, tous les oppor­tunismes poli­tiques leur emboî­tent le pas.

Je ne suis pas Kurde, je ne suis qu’un chroniqueur sur Kedis­tan, qui n’a que la légitim­ité d’un “ami des Kur­des” pour don­ner mon avis… Et ce n’est que le mien. Il s’est forgé au rythme des luttes dites de “libéra­tion nationale”, qui, con­traire­ment aux objec­tifs annon­cés, dans l’en­vi­ron­nement cap­i­tal­iste mon­di­al­isé, a vu dans l’his­toire de la deux­ième moitié du XXe siè­cle, chaque fois les con­tre-révo­lu­tions l’emporter, dans ces alliances con­tre nature entre nation­al­ismes et volon­té de sou­veraineté pop­u­laire à la base, pour simplifier.

Je ne me con­sid­ère pas pour autant “français de souche” non plus, voire français tout court. C’est donc un point de vue poli­tique anti-nation­al­iste que je développe là, con­sid­érant que des oppor­tu­nités de l’his­toire, lorsqu’elles répon­dent à des intérêts impéri­al­istes supérieurs sou­vent, aboutis­sant à créa­tion d’E­tats-nation, ont fait preuve, bien sou­vent à long terme de leur nociv­ité guer­rière et mas­sacreuse, par­fois génocidaire.
L’his­toire du cap­i­tal­isme a tou­jours voulu étouf­fer, con­train­dre, écras­er les mou­ve­ments d’é­man­ci­pa­tion qui le con­tes­tait et se récla­maient d’un futur com­mun pour tous et toutes, hors du venin nation­al. Et par­fois, comme en Espagne, les “gauch­es” réformistes ou stal­in­i­ennes, ont aidé à la sale besogne.

Une volon­té d’indépen­dance qui ne con­tient pas son pro­pre dépasse­ment, un sou­verain­isme nation­al, dans l’en­vi­ron­nement mon­di­al­isé, sans même aucune con­science des enjeux écologiques pré­cip­ités par la pré­da­tion cap­i­tal­iste, ira dans le mur.

A l’in­verse, aucune garantie de survie n’ex­iste non plus pour le Rojava.

Mais se rabat­tre par impa­tience et oppor­tunisme, sur des solu­tions qui ont fait la preuve de leur fail­lite his­torique, et surtout seront à très court terme sources de nou­veaux con­flits d’in­térêts, ne peut que faire reculer le mou­ve­ment kurde dans son ensem­ble, et en Turquie même, jus­ti­fi­er toutes les nou­velles guer­res intérieures, sans par­ler des con­séquences côté iranien, récur­rentes déjà.

Le Con­seil de Sécu­rité de l’ONU, pour para­pher le tout, s’est pronon­cé con­tre l’or­gan­i­sa­tion du référen­dum, ce qui pour­rait don­ner une “légal­ité inter­na­tionale” à un chan­tage en direc­tion de tous les Kur­des, voire une légitim­ité aux posi­tions de rap­port de forces d’Er­doğan. Il s’est pronon­cé égale­ment pour des “négo­ci­a­tions à ouvrir”, ce qui se ferait sur le dos de la Con­fédéra­tion Nord de la Syrie, n’en dou­tons pas.

Il paraît ces jours ci nom­bre d’ar­ti­cles fran­coph­o­nes sur le sujet. J’en cite seule­ment trois, en par­tie contradictoires.

Un bil­let paru dans L’Ori­ent le Jour, (presse libanaise)

Et ceux-ci, plus fouil­lés dans l’analyse politique

Sur le mag­a­zine Ori­ent XXI

et

Kur­dis­tan irakien : les enjeux d’un référendum


Eng­lish: “Kur­dis­tan • A ref­er­en­dum, what for ?” Click to read

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Daniel Fleury
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Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…