Témoignages d’une délé­ga­tion de femmes par­tie au Kurdistan…

Nous présen­tons le mou­ve­ment des femmes du Bakûr, tel que nous l’avons étudié et ren­con­tré lors de notre voyage. 
(La pre­mière par­tie de cet arti­cle, pub­lié dans le Mer­ha­ba Heval­no 4, traitait de la con­tre-révo­lu­tion menée par l’État turc au Bakûr.)

Le mouvement des Femmes Libres, à la tête de la libération kurde

Dans le pro­jet poli­tique d’“autonomie démoc­ra­tique” porté par le mou­ve­ment de libéra­tion kurde depuis une quin­zaine d’années, la femme a une place cen­trale. On entend sou­vent par­ler de la par­ité instau­rée dans toutes ses insti­tu­tions et de la co-prési­dence (homme-femme). Mais les acquis et la force portée par le mou­ve­ment des femmes va bien au-delà de ça et réus­sit à réu­nir une grande par­tie des femmes.

Au print­emps 2016, à l’occasion des fes­tiv­ités du 8 mars, journée mon­di­ale des femmes, une délé­ga­tion de femmes est par­tie de Paris pour le Kur­dis­tan en Turquie (Bakûr). Pen­dant une semaine on a pu par­ticiper à des man­i­fes­ta­tions et meet­ings, ren­con­tr­er beau­coup de femmes dans le mou­ve­ment et mieux com­pren­dre com­ment elles s’organisent. Ce texte se nour­rit de ce voy­age-là, mais aus­si des infor­ma­tions qu’on a obtenu en France, à tra­vers des livres, des films, des arti­cles et des rencontres.

Sakine Cansız, emblème de l’histoire de la lutte des femmes kurdes

Pour com­pren­dre le mou­ve­ment des Femmes Libres, il faut faire un bond en arrière de quar­ante ans car c’est dans la con­tes­ta­tion étu­di­ante et ouvrière de la fin des années ‘70 en Turquie qu’on peut y trou­ver les racines. Les femmes ont été nom­breuses à par­ticiper à ces mou­ve­ments soci­aux, dans une volon­té de chang­er la société de l’époque. C’est impos­si­ble de ne pas par­ler de Sakine Can­sız, fig­ure mythique du mou­ve­ment des femmes, qui a été assas­s­inée à Paris en 2013. À tra­vers le réc­it de sa vie on peut retrou­ver les étapes prin­ci­pales de l’histoire de ce mouvement.

Née à Der­sim, élevée dans une famille alévie, Sakine se retrou­ve rapi­de­ment à ne pas vouloir coller aux rôles que la tra­di­tion assigne aux femmes. Très jeune, elle revendique sa place de femme libre, elle refuse de se cloi­son­ner à la mai­son, elle ne veut pas se mari­er, ni avoir des enfants. Proche des idées marx­istes-lénin­istes, Sakine imag­ine sa vie au ser­vice de la révo­lu­tion. Un séjour de plusieurs mois en Alle­magne lui fera décou­vrir la puis­sance et l’étendue de la cause kurde. Elle revient inspirée en Turquie et elle com­mence à imag­in­er un mou­ve­ment révo­lu­tion­naire basé sur les reven­di­ca­tions kur­des. Pen­dant une péri­ode elle tra­vaille en usine à Izmir et y mène des luttes pour des meilleures con­di­tions de travail.

C’est à Ankara, autour de l’université, au car­refour des reven­di­ca­tions étu­di­antes et ouvrières, qu’elle ren­con­tre Öcalan et les autres militant.e.s avec qui elle fonde le PKK, Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan. À cette péri­ode, Sakine com­mence avec d’autres militant.e.s à vis­iter de nom­breuses villes et vil­lages au Bakûr, pour dif­fuser les idées révo­lu­tion­naires de cette organ­i­sa­tion nais­sante. Dans une société où la non-mix­ité des espaces est pra­tiquée à l’intérieur et à l’extérieur de la mai­son, elle a un con­tact priv­ilégié avec les autres femmes. Comme les autres militant.e.s du PKK, elle bouge sans cesse d’une mai­son à une autre, hébergée par des cama­rades et en faisant du porte-à-porte, ce qui lui per­met d’être con­stam­ment au courant des besoins des femmes. Elle organ­ise des dis­cus­sions, des lec­tures et des ren­con­tres entre femmes afin d’intensifier la sol­i­dar­ité entre elles. Peu avant le coup d’État de 1980, la vague de répres­sion n’épargne pas Sakine, qui passe plusieurs années dans la prison de Diyarbakır. Même dans cet enfer de tor­tures elle con­tin­ue à se bat­tre et son exem­ple ren­force la sol­i­dar­ité entre femmes, à l’intérieur et à l’extérieur de la taule grâce aux épous­es, sœurs et mères des pris­on­niers. À sa sor­tie de prison, Sakine rejoint les camps d’entraînement du PKK, qui a désor­mais pris les armes. Elle veut créer une armée de femmes, elle est con­va­in­cue que pour libér­er le Kur­dis­tan il faut pass­er par l’émancipation de toutes les femmes, qu’elles soient Kur­des ou pas. L’armée des femmes, née offi­cielle­ment en 1995, établit ensuite son QG dans les mon­tagnes du Qandil, dans le Kur­dis­tan irakien, où elles s’entraînent, étu­di­ent le fémin­isme, se ques­tion­nent sur la démoc­ra­tie et se bat­tent con­tre l’armée turque qui les attaque réguliè- rement. Leur façon de s’organiser et leurs principes “con­t­a­mi­nent” la société civile, où les femmes s’en inspirent de plus en plus. Selon Ayşe Gökkan (anci­enne mairesse de Nusay­bin ‑déclarée “ville des femmes”- et actuelle portepa­role du mou­ve­ment des femmes), le mou­ve­ment civ­il des femmes naît de la sen­sa­tion de syn­ergie avec les com­bat­tantes : si ces femmes peu­vent s’organiser dans les mon­tagnes, alors ça devrait être pos­si­ble aus­si dans les villes.

Ce mou­ve­ment gran­dis­sant, la prox­im­ité avec Sakine Can­sız et ses idées ont pro­fondé­ment inspiré Abdul­lah Öcalan, leader du PKK. Empris­on­né depuis 1999, il s’intéresse à l’écolo­gie sociale de Mur­ray Bookchin et éla­bore le « con­fédéral­isme démoc­ra­tique ». C’est une propo­si­tion révo­lu­tion­naire d’auto-organisation où les pris­es de déci­sion se font de façon non hiérar­chique, hor­i­zon­tale et du bas vers le haut, à tra­vers un sys­tème d’assemblées de quartiers et de vil­lages, mul­ti­con­fes­sion­nelles et mul­ti­eth­niques, qui choi­sis­sent des porte-paroles qui vont exprimer leur volon­té dans des assem­blées où se retrou­vent les autres porte-paroles. Dans cette nou­velle forme d’organisation, ant­i­cap­i­tal­iste et anti État-nation, une place cen­trale est réservée à l’écologie et aux femmes. Ce sont les hommes et le patri­ar­cat qui sont respon­s­ables de ce monde inviv­able : c’est le mas­culin, en voulant domin­er le monde, qui crée la divi­sion en class­es, en gen­res, en peu­ples, qui sépare les femmes entre elles, qui per­pétue les guer­res, qui détru­it la planète. Dans les dernières années le mou­ve­ment des femmes dans la société civile a con­tin­ué à grandir et les femmes sont présentes dans toutes les instances organ­i­sa­tion­nelles. Leur parole ne peut plus être ignorée, c’est à tra­vers l’émancipation des femmes qu’on va chang­er la société et le monde.

Une approche radicale de la libération de toutes les femmes

Les visions racistes ori­en­tal­istes portées sou­vent en Europe ‑y com­pris par les milieux fémin­istes insti­tu­tion­nels- ont du mal à com­pren­dre le poten­tiel de la lutte des femmes au Kur­dis­tan ; l’image de la jeune com­bat­tante por­tant une arme va alors venir s’opposer à celle de la maman de 10 enfants ou alors à celle de l’étudiante voilée… Et bien toutes ces femmes font par­tie du même mou­ve­ment, parta­gent leurs expéri­ences et leurs con­nais­sances, s’entre-aident pour faire face aux prob­lèmes quo­ti­di­ens et à la vio­lence patri­ar­cale, et se don­nent de la force pour con­tin­uer à résis­ter face à la vio­lence de l’État. Ce mou­ve­ment se bat pour rompre avec l’image de femme « libérée » que nous vend la « moder­nité cap­i­tal­iste », et s’efforce pour don­ner de la con­fi­ance et porter la sol­i­dar­ité aux femmes pour qu’elles se libèrent elles-mêmes à leur façon. C’est en essayant de cass­er les préjugés et les bar­rières imposées entre les femmes par la men­tal­ité patri­ar­cale, véhiculée par le cap­i­tal­isme et l’État-Nation, que ce mou­ve­ment arrive à réu­nir une bonne par­tie des femmes, tout âges, con­fes­sions, et class­es confondues.

Con­traire­ment aux acquis en Europe par les mou­ve­ments fémin­istes en terme de lib­ertés indi­vidu­elles, le mou­ve­ment des femmes Kur­des met la pri­or­ité aux lib­ertés col­lec­tives, autrement dit, à la libéra­tion de leurs com­mu­nautés et à la libéra­tion de toutes les femmes. C’est l’idée que si une femme dans le monde n’est pas libre, aucune femme ne peut se sen­tir libre. Ce qui explique la lutte acharnée pour la libéra­tion glob­ale des femmes : « Si les femmes sont attaquées quelque part, ce sont toutes les femmes qui devraient réa­gir comme si c’étaient elles qui étaient attaquées », voici une des con­clu­sions de la 1ère Con­férence de la Femme du Moyen-Ori­ent en mai 2013. Afin d’illustrer le point de départ de leur lutte, nous repro­duisant à la suite un texte qui intro­duit le dépli­ant de présen­ta­tion du Con­grès des Femmes Libres. « L’État-Nation dans la moder­nité cap­i­tal­iste a dévelop­pé toute sorte de poli­tiques de destruc­tion envers la femme afin de vider la social­ité de son con­tenu. Les diver­sités étant la nature de la social­ité ont été con­sid­érées comme men­ace, et les femmes n’ont pas eu la pos­si­bil­ité de vivre avec leurs pro­pres cul­tures et iden­tités. La femme a été ignorée dans la société et enfer­mée au sein de la plus petite cel­lule de pou­voir du sys­tème mas­culin dom­i­nant qui n’est autre que la famille. Dans une économie s’appuyant sur le prof­it et l’exploitation, la labeur de la femme n’a pas été recon­nue, la femme a été postée à une posi­tion de tra­vailleuse gra­tu­ite, elle a été dépos­sédée et même marchandée. Le sci­en­tisme grossier se base sur la repro­duc­tion con­stante de la men­tal­ité mas­cu­line dom­i­nante. La femme, pour autant qu’elle soit énor­mé­ment dis­cutée en tant que notion, son orig­i­nal­ité, sa lib­erté et sa social­ité ont été ignorés. Vio­lence, mas­sacre, abus et viol per­pétrés envers les femmes essen­tielle­ment dans cette moder­nité cap­i­tal­iste n’est pas une pure coïn­ci­dence. Le viol, trans­for­mé en une cul­ture, un sys­tème et une poli­tique, a été légitimé dans tous les domaines économiques, soci­aux, poli­tiques, idéologiques de la vie en société. Tout en con­sid­érant l’homme comme le dom­i­na­teur de la nature, et en insti­tu­tion­nal­isant la men­tal­ité au pou­voir, une guerre sans mer­ci a été lancée con­tre la société, la femme et la nature. En fin de compte, la femme qui a été instru­men­tal­isée a été tenue à l’écart de toutes les organ­i­sa­tions de la société et de tous les mécan­ismes de pris­es de déci­sions con­cer­nant son devenir. Ce pou­voir, par tous les moyens et out­ils, a eu pour objec­tif de fonder un sys­tème d’esclavagisme de la femme dans son intégralité. »

Voici encore une autre illus­tra­tion de l’approche de la lutte des femmes au Bakûr au tra­vers d’une asso­ci­a­tion qui tra­vaille locale­ment. Dans la ville de Amed, nous avons pu ren­con­tr­er des mem­bres de l’Association de Femmes Ceren, fondée en 2008, qui tra­vaille sur plusieurs fronts et qui compte à présent avec un espace mul­ti­fonc­tion­nel (une grande mai­son en bois qu’elles ont con­stru­ite dans le paysage de bar­res d’immeubles !) pour accueil­lir ses activ­ités : bib­lio­thèque et espace d’études, cours d’alphabétisation dans leur langue mater­nelle (le Kurde), ate­liers d’écriture de leur his­toire, écri­t­ures de let­tres pour les prisonniers.ères (vu que pas tout le monde sait écrire en Turc, seule langue per­mise en prison), appren­tis­sage des nou­velles tech­nolo­gies, accom­pa­g­ne­ment sur la san­té repro­duc­tive, dis­cus­sions et con­férences. Dans leur brochure de présen­ta­tion de l’association, elles expliquent pourquoi elles mènent cette lutte ; en voici des extraits :

« Les femmes ont été les cibles d’une attaque idéologique pen­dant des mil­liers d’années. Alors, nous esti­mons que notre lutte en tant que femmes devrait aus­si être idéologique. […] Nous avons été exclues de la poli­tique, de la sci­ence, de la philoso­phie et de la lit­téra­ture. […] Nous nous organ­isons parce que nous refu­sons d’être esclavagisées, parce que nous voulons met­tre en valeur notre force d’initiative et utilis­er celle-ci dans l’intérêt de la société. »

Coordination de la lutte des femmes et autodéfense collective

Lors de notre pre­mier entre­tien avec Ayşe Gökkan ‑porte-parole du KJA, qui nous a accom­pa­g­né tout au long de notre voy­age- elle nous racon­te que « après 40 ans de lutte, le mou­ve­ment des femmes est puis­sant. Il agit dans la famille, dans la société et dans l’État, parce qu’il faut chang­er les men­tal­ités partout. Les hommes con­nais­sent la force du mou­ve­ment et font atten­tion. Par­fois des hommes ont util­isé les scan­dales et la calom­nie con­tre des femmes poli­tique­ment puis­santes. Mais l’organisation des femmes sert à empêch­er tout ça. »

Les femmes sem­blent avoir réus­si à faire accepter la non-mix­ité auprès de toutes les instances du mou­ve­ment de libéra­tion kurde. Actuelle­ment, il n’y a pas de dis­cus­sion sur les femmes en mix­ité ; seules les femmes s’occupent de leurs prob­lèmes et trou­vent des solu­tions adap­tées. De même, elles inci­tent les femmes qui en auraient la néces­sité à s’organiser dans une non-mix­ité choisie (liées à leur con­fes­sion par exem­ple) et à nom­mer des déléguées au sein des groupes de femmes pour que leur voix y soit représen­tée. Une femme du par­ti DBP nous explique que la société est en train de chang­er, même les gens qui ne sont pas par­ti­c­ulière­ment politisé.e.s le mon­trent ; comme exem­ple, le nom­bre de fémini­cides est en chute au Kur­dis­tan. « Les femmes ont com­mencé à faire face aux hommes à la mai­son ou dans le tra­vail. Les hommes ont com­mencé à accepter le rôle des femmes leader et ils vivent leur engage­ment poli­tique en lien avec celui des femmes. »

Depuis les années 2000, le mou­ve­ment de femmes au Bakûr se struc­ture pour ten­ter de rassem­bler les dif­férentes com­posantes de la lutte des femmes et de pro­mou­voir locale­ment les con­seils de femmes au-delà des par­tis poli­tiques. Le Mou­ve­ment Démoc­ra­tique de la Femme Libre (DÖKH) réu­nis­sait depuis 2003 des organ­i­sa­tions de femmes : asso­ci­a­tions, académies, coopéra­tives, maisons refuges et 25 con­seils locaux. En févri­er 2015, le mou­ve­ment se restruc­ture et donne nais­sance au Con­grès des Femmes Libres (KJA) avec 501 déléguées présentes à la pre­mière assem­blée. Le KJA artic­ule doré­na­vant ce mou­ve­ment. Toutes les femmes par­tic­i­pant au mou­ve­ment de libéra­tion kurde font par­tie, avant tout, du KJA. Selon Ayşe, « le KJA est la pre­mière iden­tité des femmes, peu importe la con­fes­sion ou l’identité poli­tique ». Dans les années 1980–90, le mou­ve­ment était encore assez patri­o­tique ‑nation­al­iste kurde- mais depuis il n’a cessé d’évoluer ; en effet, le KJA tente d’englober toutes les femmes de cul­tures dif­férentes vivant au Kur­dis­tan. Dans leurs pro­pres mots : « Il s’agit de l’organisation para­pluie démoc­ra­tique et con­fédérale des femmes con­tre l’État-Nation uni­taire et cen­tral­isé de la moder­nité cap­i­tal­iste. Le KJA est l’organe de sol­i­dar­ité com­mune, d’auto-pouvoir et d’autonomie des femmes issues de toutes les croy­ances, cul­tures et sociétés de peu­ples vivant en Mésopotamie. »

Le Con­grès « se base sur le principe que “ce n’est que si la femme se libère que la société se libér­era” ». Le but du KJA est « l’unification du pou­voir de lutte des femmes issues de toutes les par­ties de la société et struc­tures organ­isées con­tre le sys­tème mas­culin dom­i­nant ». Pour cela, le KJA réu­nit les com­munes et con­seils de femmes (struc­tures locales, au sein du quarti­er puis de la ville), les organ­i­sa­tions de femmes (qui ne suiv­ent pas le dic­tât de l’État), les femmes élues (du DBP dans les mairies, ain­si que les députés du HDP), et les per­son­nes ayant accep­té les principes du Con­grès. Ain­si, se trou­vent rassem­blées, tant les femmes qui dis­cu­tent de leurs prob­lèmes au sein des com­munes dans leur quarti­er, que les mil­i­tantes d’organisations civiles, que les femmes poli­tiques, les avo­cates, les enseignantes, etc. Un quo­ta de 20 % est réservé pour les jeunes ; « le mou­ve­ment des jeunes femmes est impor­tant car il est le mieux placé pour chang­er le sys­tème » nous dit Ayşe.

Le KJA a une struc­ture qui suit le mod­èle d’une con­fédéra­tion : en par­tant du niveau le plus local, appelé « com­mune », où des déléguées sont élues. Elles se réu­niront dans les « con­seils de quartiers », puis au sein de ceux-ci sont élues des représen­tantes pour for­mer le con­seil de la ville, et finale­ment l’Assemblée Générale du Con­grès. Le siège cen­tral se trou­ve à Amed (que l’on peut con­sid­ér­er comme la cap­i­tale du Bakûr), tout comme la com­mis­sion « diplo­matie » qui est celle qui se charge de la com­mu­ni­ca­tion vers l’extérieur, et qui a donc été celle qui nous a accueil­lies en tant que délégation.

Le tra­vail du Con­grès des Femmes Libres est artic­ulé en com­mis­sions : économie, poli­tique, sociale, diplo­matie, jus­tice et droits humains, écolo­gie, presse, peu­ples et croy­ances, langue et édu­ca­tion, cul­ture, gou­verne­ments locaux, lutte con­tre la vio­lence et autodéfense. En effet, les com­mis­sions ten­tent de cou­vrir tous les besoins iden­ti­fiés par les dif­férentes struc­tures. Une bonne par­tie de leurs efforts se cen­tre sur la lutte con­tre les vio­lences con­ju­gales ain­si que sur les vio­lences famil­iales et éta­tiques con­tre les enfants ; sur l’économie com­mu­nale (en vis­i­bil­isant le tra­vail des femmes) ; sur l’éducation (en com­mençant par l’alphabétisation des femmes n’ayant pas eu accès à l’école) ; et sur la for­ma­tion poli­tique et en jinéolo­gie (nous revien­drons plus tard sur ce con­cept). Sur le plan de la poli­tique éta­tique, les femmes s’organisent pour s’imposer dans les proces­sus de paix avec l’État turc : peut être pour la pre­mière fois au monde, il y a eu une femme dans un proces­sus de paix, Cey­lan Bağrıyanık, comme représen­tante du Con­seil pour la Paix où des femmes kur­des et turques dis­cu­tent ensem­ble. De même, elles se don­nent les moyens d’être bien représen­tées au sein même du Par­lement de Turquie. Finale­ment, le mou­ve­ment des Femmes Libres remet­tant en ques­tion rad­i­cale­ment les sys­tèmes d’oppression, porte depuis peu le végé­tarisme, met­tant ain­si en lumière la supré­matie du pro­fil de mâle dom­i­nant guer­ri­er (qui aurait débuté au néolithique avec la fig­ure du chas­seur ayant per­fec­tion­né les out­ils de chas­s­es pour ensuite s’en servir comme armes de guerre con­tre les autres humains). C’est ain­si que le mou­ve­ment des femmes porte un dis­cours cri­tique sur l’évolution cap­i­tal­iste des rela­tions entre l’humain et tout ce qui l’entoure et le fait vivre, et donc partage une con­science d’une « société écologique con­tre l’oppression de la nature par l’humain ».

Le con­cept d’autodéfense est sans doute le point cen­tral de l’approche du mou­ve­ment des femmes, l’autodéfense com­prise comme une autodéfense col­lec­tive. Un pre­mier volet en est la réac­tion en cas d’agressions sex­istes. Lorsqu’une femme est agressée ‑dans la plu­part des cas, par son mari‑, elle peut compter sur la sol­i­dar­ité réelle du groupe local de femmes pour trou­ver une solu­tion et la met­tre en place. Dans ce cas, c’est la vic­time qui décide ce dont elle a besoin comme répa­ra­tion (y com­pris en terme de repré­sailles con­tre l’agresseur), et le groupe qui l’entoure l’applique. La lutte con­tre les fémini­cides est égale­ment très présente, surtout depuis que le gou­verne­ment de l’AKP encour­age une vio­lence extrême con­tre les femmes. Régulière­ment, des cam­pagnes et des mobil­i­sa­tions soulèvent cette poli­tique struc­turelle du viol ; en voici quelques uns de leurs slo­gans : « Nous sommes des femmes, nous ne sommes l’honneur de per­son­ne, notre hon­neur est notre lib­erté », « Sur­mon­tons la cul­ture du viol, créons la société démoc­ra­tique libre », « Le mas­sacre de la femme est le mas­sacre de la société ».

Mais l’autodéfense passe aus­si par l’autodéfense poli­tique, et pour cela un effort par­ti­c­uli­er est mis sur l’éducation poli­tique. Les femmes appren­nent ensem­ble et pren­nent con­science de leur iden­tité de femmes, s’instruisent sur les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires dans l’histoire, réécrivent l’histoire des femmes qui a tou­jours été ignorée. C’est dans les Académies de Femmes que ces études ont lieu, et en par­ti­c­uli­er les ate­liers de jinéolo­gie qui visent à con­stru­ire une sci­ence faite par et pour les femmes. Selon un doc­u­ment invi­tant à une con­férence sur la jinéolo­gie à Paris en juin 2016, « la jinéolo­gie désire réin­ter­préter — par la per­spec­tive et l’intelligence de la femme — les valeurs, les expéri­ences, les vécus et les blocages des femmes de tous les milieux soci­aux, accu­mulés au fil de leur his­toire de lutte. Ceci pour l’épanouissement d’une société et des indi­vidus libres. S’approprier les tré­sors féminins insoupçon­nés du passé avec l’esprit du XXIe siè­cle don­nera une impul­sion forte à la révo­lu­tion fémi­nine. Si nous l’isolons de la résis­tance, la jinéolo­gie n’aura aucune valeur. »

Encore un volet de l’autodéfense est bien sûr celui de l’autodéfense armée, visant notam­ment les attaques de l’armée et de la police con­tre les vil­lages et villes à majorité kurde. C’est ain­si que se sont créées des groupes d’autodéfense exclu­sive­ment de femmes, tant au sein des jeunes dans les villes (les YPS-Jin créées récem­ment) qu’au sein des guéril­las (les YJA-Star). Les femmes com­bat­tantes, très nom­breuses dans les rangs des guéril­las, se sont réu­nies d’abord au sein de ces guéril­las mixtes, pour ensuite créer leur pro­pre armée, les YJA-Star. Au sein de celle-ci, les com­bat­tantes ne reçoivent pas une for­ma­tion exclu­sive­ment mil­i­taire, mais elles appren­nent à vivre en com­mu­nauté dans les mon­tagnes, et se for­ment ensem­ble à la libéra­tion des femmes. Bref, elles étu­di­ent et expéri­mentent la jinéologie.

Une organisation en dehors de l’Etat, sur la base de solidarité

La théorie du con­fédéral­isme démoc­ra­tique part du principe qu’on ne peut pas détru­ire le cap­i­tal­isme sans com­bat­tre l’État, tout comme on ne peut pas com­bat­tre l’État sans détru­ire le patri­ar­cat. Pour démon­ter le patri­ar­cat, il ne suf­fit pas de remet­tre en ques­tion les rela­tions de genre entre les hommes et les femmes, mais bien de décon­stru­ire ce que nous a imposé la dom­i­na­tion patri­ar­cale et de recon­stru­ire l’identité des femmes à par­tir d’elles mêmes, ain­si que de ren­dre hom­mage aux notions de com­mu­nauté, de sol­i­dar­ité active, en cas­sant les bar­rières que les dif­férents sys­tèmes de dom­i­na­tion ont imposé entre les femmes.

Les femmes du Bakûr se réu­nis­sent de plus en plus autour de leur lutte com­mune pour les droits d’autodétermination en tant que peu­ple kurde, et avant tout en tant que femmes dans ce monde qui tente de nous isol­er et nous indi­vid­u­alis­er. C’est cette leçon de sol­i­dar­ité réelle que nous ont forte­ment inspiré les femmes mil­i­tantes que nous avons ren­con­trées lors de notre petit voy­age. Cet esprit de lutte acharnée, à tous les niveaux, ne bais­sant jamais les bras devant les pires dif­fi­cultés, se ten­ant coude à coude les unes avec les autres, et se don­nant de la force pour con­tin­uer à résis­ter comme l’ont fait tant d’autres avant elles, et sans même pren­dre le temps de faire le deuil des proches et des cama­rades tué.e.s, mais bien en tirant la force de ces vies per­dues pour con­tin­uer leur lutte. La per­sévérance de ces femmes se traduit égale­ment par l’acharnement à s’organiser, à mul­ti­pli­er les espaces où elles peu­vent se retrou­ver et où met­tre en place les out­ils néces­saires pour men­er à bien leurs objec­tifs ambitieux.

Depuis les années 1990, les femmes du Bakûr se sont armées d’une quan­tité de struc­tures et d’outils pour répon­dre à leurs besoins et créer un rap­port de force dans la société. En résumé : elles font tout pour se don­ner les moyens d’avancer et de con­stru­ire petit à petit ce dont elles rêvent. La stratégie du mou­ve­ment des femmes con­siste à la fois à pro­mou­voir l’organisation non-mixte des femmes à tous les niveaux, et à assur­er par­al­lèle­ment une par­tic­i­pa­tion égal­i­taire dans les struc­tures mixtes.

Notre délé­ga­tion a été accueil­lie dans chaque ville par les co-mairess­es ou autres femmes du mou­ve­ment ; nous avons ain­si pu enten­dre la vision des respon­s­ables de dif­férentes struc­tures, mais tou­jours du point de vue des femmes. Ce sont bien sûr les mil­i­tantes du PKK, puis des par­tis légaux s’inspirant des mêmes idéaux, qui se sont battues pour désign­er les dynamiques dom­i­na­tri­ces de leurs cama­rades. Ce sont elles qui se sont réu­nies en Union de Femmes en 1994 pour créer un rap­port de force et arracher le quo­ta de femmes au sein du par­ti : le quo­ta était alors de 25 %, puis à chaque élec­tion ce quo­ta se voy­ait aug­men­té, jusqu’à en arriv­er en 2005 à 40 % et à l’introduction de la co-prési­dence ‑par une femme et un homme du par­ti. C’est depuis 2014 que ces deux derniers out­ils ont été élar­gis à toutes les struc­tures du mou­ve­ment de libéra­tion kurde (dépas­sant donc les par­tis). Lorsque le quo­ta n’est pas respec­té, alors l’assemblée est annulée, ou alors les femmes ne sont pas tenues de respecter les déci­sions qui en découlent. Vu que les femmes s’organisent en non-mix­ité pour dis­cuter et pren­dre les déci­sions qui les con­cer­nent, lorsque l’on applique ce quo­ta au sein des organ­i­sa­tions mixtes, il s’agit en fait de per­son­nes porte-parole du mou­ve­ment des femmes. Et c’est ain­si que les femmes ont posé leurs pro­pres règles que les hommes sont oblig­és d’accepter. Ayşe nous donne comme exem­ple les hommes tra­vail­lant dans les mairies DBP : si un homme frappe sa com­pagne ou bien il ne per­met pas à leur fille d’aller à l’école, et bien les femmes vont tout met­tre en place pour met­tre un terme à ces com­porte­ments, allant par­fois jusqu’à écarter celui-ci du mou­ve­ment ou vers­er son salaire à la femme.

Voici les prin­ci­pales struc­tures du mou­ve­ment des Femmes Libres du Bakur dont nous avons connaissance.

  • Les Académies de Femmes, ces lieux où elles se retrou­vent pour appren­dre ensem­ble, dans une démarche proche de l’éducation pop­u­laire, en par­tant des expéri­ences et con­nais­sances de cha­cune, et où l’alphabétisation et la for­ma­tion poli­tique en sont la base. Une femme poli­tique du DBP nous par­le du finance­ment de ces acadé- mies : per­son­ne n’est payé, tout le monde est bénév­ole ; s’il y a besoin d’argent, ça vien­dra de la sol­i­dar­ité des gens du quarti­er, il y aura des appels à dons, et puis de toutes façons les gens payent une coti­sa­tion au par­ti ; « c’est un mou­ve­ment anti-cap­i­tal­iste qui ne veut pas recevoir de l’argent du gou­verne­ment ni pass­er par l’échange d’argent pour l’éducation ». C’est dans ces acadé- mies que l’on développe la jinéolo­gie. Il existe qua­tre académies pour femmes au Bakûr, et plusieurs sont en projet.
  • Les coopéra­tives (pour l’instant à Amed, Hakkâri, Van et Mardin) per­me­t­tent aux femmes d’accéder à un revenu et vis­er l’indépendance économique ; sou­vent il s’agit de se met­tre ensem­ble pour pro­duire et ven­dre l’artisanat qu’elles fab­ri­quaient déjà chez elles sans avoir d’accès à la vente. Nous en avons vis­ité plusieurs à Mardin, dont la mairie DBP tente de pro­mou­voir les coopéra­tives de femmes dans sa province, ain­si que d’en faire la pro­mo­tion dans d’autres villes.
  • JINHA, une agence de presse com­posée exclu­sive­ment de femmes a été créée le 8 mars 2012 pour con­tre­car­rer les arti­cles extrême­ment misog­y­nes de la presse offi­cielle. Il s’agit à notre con­nais­sance de la pre­mière agence de presse de femmes au monde. [Un entre­tien avec des jour­nal­istes de Jin­ha est repro­duit dans le Mer­ha­ba Heval­no n°4.]
  • C’est aus­si très locale­ment que les femmes s’organisent. Les con­seils de rues, de vil­lages et de quartiers ont leurs pro­pres struc­tures en non-mix­ité. Elles trait­ent des sujets qui les con­cer­nent, met­tent en place des com­mis­sions pour amen­er des solu­tions aux prob­lèmes qu’elles soulèvent, puis ces espaces sont le pre­mier repli pour les femmes vic­times de violences.
  • De nom­breuses asso­ci­a­tions de femmes, indépen­dantes des autorités éta­tiques, ont vu le jour. Une de leurs activ­ités prin­ci­pales est de venir en sou­tien aux femmes vic­times de vio­lence con­ju­gale. Pour cela, plusieurs refuges dans les prin­ci­pales villes accueil­lent ces femmes qui osent quit­ter leur mari et qui ris­queraient d’être rejetées par leurs proches, et qui dans tous les cas ont besoin de sou­tien. La plu­part du temps, les femmes ne font pas appel au tri­bunal, car elles ne font pas con­fi­ance en cette jus­tice là, plutôt elles s’adressent au mou­ve­ment des femmes.
  • Les (incroy­able­ment per­sévérantes !) Mères pour la Paix, actives depuis 1999, réu­nis­sent des mères de mar­tyrs, et se bat­tent pour exiger la paix, tout en ayant un pro­fond respect pour la lutte menée par leurs proches tombé.e.s ain­si que pour les combattant.e.s actuel.le.s. En d’autre mots, ce n’est pas parce qu’elle exi­gent la paix qu’elles vont s’opposer à la prise d’armes pour l’exiger.

Quelques mots de la fin, sur ce qui nous a touchées dans toutes nos rencontres…

On tient à racon­ter cer­tains moments qui sont restés gravés dans nos esprits pen­dant notre voy­age en délégation.

On a eu la chance de ren­con­tr­er plein de femmes du mou­ve­ment, dans dif­férentes villes, et de partager quelques jours avec elles, mal­gré le con­texte de guerre. On veut par­ler avant tout de l’hospitalité. Partout où on est passées, les femmes nous ont ouvert leur mai­son, nous ont racon­té leurs his­toires, nous ont par­lé de poli­tique, ont répon­du à nos ques­tions. Ce n’est pas qu’une tra­di­tion kurde, c’est un vrai engage­ment mil­i­tant. Elles se sont mis­es à notre dis­po­si­tion, en annu­lant des rendez-vous.

Sara Kaya, co-maire de Nusay­bin, passe une journée avec nous. Elle nous racon­te ce que c’est d’être mère de qua­tre enfants et d’être engagée dans le mou­ve­ment, de se bat­tre pour que ses enfants ne doivent pas le faire et pour qu’ils puis­sent vivre dans un monde meilleur. Elle nous racon­te la répres­sion qu’elle subit depuis plusieurs mois et son pas­sage en prison. La date du procès qui décidera de son sort est… le 8 mars, deux jours après ! Sara est con­sciente que cette fois-ci elle ira en taule pen­dant longtemps, mais au lieu de pass­er ces derniers moments de lib­erté avec ses enfants, ses amis, ses proches, elle les passe avec un groupe de femmes venant d’Europe, qu’elle ne con­naît pas et prob­a­ble­ment qu’elle ne ver­ra plus jamais. La lutte et le rêve d’une sol­i­dar­ité entre femmes qui va au-delà des fron­tières sont plus forts que les envies et aspi­ra­tions personnelles.

À deux occa­sions on a enten­du que des copines étaient incitées par leur famille à rejoin­dre l’armée des femmes, car en tant que jeunes, leur place était dans le com­bat pour défendre leur peu­ple. Dans cette lutte chacun.e a sa place, et l’individu laisse sou­vent la place au collectif.

On a aus­si envie de témoign­er du courage incroy­able de ces femmes. Lors des man­i­fes­ta­tions pour les fes­tiv­ités du 8 mars, l’armée turque a fait pres­sion en dif­fu­sant des rumeurs d’une prob­a­ble attaque ter­ror­iste à la bombe. L’atmosphère était ten­due, la peur pal­pa­ble, mais des femmes de tout âges, des fois avec leurs enfants, sont quand même descen­dues dans la rue pour man­i­fester, con­scientes de ren­tr­er dans la gueule du loup (tanks et canon à eau tout autour et snipers sur les toits). En Turquie c’est déjà arrivé que l’armée tire sur la foule et fasse un car­nage, mais notre peur a dis­paru face au courage con­tagieux de ces femmes.

Pour finir, la réac­tion face à la douleur et à la mort nous a impres­sion­né. En marchant entre les décom­bres à Cizre, on a ren­con­tré une Mère pour la Paix qui s’est déplacée pour venir con­sol­er les femmes de la ville qui ont per­du leur proches et leurs avoirs. Cette mère a per­du sept enfants dans le com­bat armé ou à cause de la répres­sion. Elle n’en pleure pas, elle ne se laisse pas abat­tre, elle vient porter sa sol­i­dar­ité et son sou­tien aux autres femmes. C’est aus­si l’histoire de plein d’autres femmes qu’on a ren­con­tré et qui ont per­du leurs proches et qui ne dés­espèrent pas. Il y a une sorte de dig­nité dans la douleur, une volon­té forte de tou­jours la ren­vers­er, de danser et de chanter dans les moments dif­fi­ciles. Com­bat­tre la mort avec la vie ! L’humour et la joie sont tou­jours là chez les femmes : la guerre va être longue et avec beau­coup de pertes, mais il faut con­tin­uer à lutter !

Un tout grand mer­ci à toutes les femmes qui nous ont accueil­lies pen­dant notre séjour: Ayşe, Sara, Ley­la, Gülser, Sel­ma, Sul­tan, Elif, et toutes celles dont nous avons mal­heureuse­ment oublié les prénoms mais pas les visages !

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Texte pub­lié en ver­sion papi­er dans le Mer­ha­ba Heval­no n°5, paru en juin 2016
Eng­lish Kur­dish Lib­er­a­tion • The Free Women Move­ment” Clic to read

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