J’au­rais préféré rédi­ger un bil­let de sor­tie en cette “ren­trée”. Un bil­let de sor­tie pour toutEs les otages en Turquie.

Cem Özdemir, dirigeant du par­ti des Verts alle­mand, lui-même d’origine turque, a déclaré au jour­nal Bild : ” Le prési­dent Recep Tayyip Erdoğan n’est pas un prési­dent, c’est un pre­neur d’otages “.

Cette déc­la­ra­tion vient après deux nou­velles arresta­tions dans la région d’An­talya de ressor­tis­sants alle­mands, pour des motifs qual­i­fiés de “poli­tiques”. Douze alle­mands, dont qua­tre bi-nationaux sont actuelle­ment détenus en Turquie sur des accu­sa­tions ana­logues. C’est peu, au regard de la pop­u­la­tion car­cérale en Turquie, qui attend des juge­ments improb­a­bles liés à la loi anti-ter­ror­iste et l’é­tat d’ur­gence, et les mil­liers déjà expédiés par la justice.
Mais c’est bel et bien une prise d’o­tages en règle.

Otages… De celles et ceux dont les chaînes d’in­fos mon­traient autre­fois, les por­traits en égrenant les jours de déten­tion. Otages… Dont on ne dis­ait pas des régions ou pays où ils étaient retenus qu’ils étaient “parte­naires” ou “inter­locu­teurs au télé­phone”. Mais c’é­tait “avant”…

La Turquie tient l’Eu­rope par ses par­ties intimes, et son prési­dent toise ses politi­ciens avec dans sa main droite un “accord sur les migrants” et dans sa gauche une promesse de div­i­den­des pour les “entre­pris­es”.

Com­men­taire facile et sim­pliste… La géopoli­tique est plus complexe…

Sur ces deux points pré­cis, je dirais que nen­ni… Ce sont les ter­mes des con­trats qui le sont, et les con­tre-par­ties, les délais, les répar­ti­tions des prof­its. Les ter­mes du chan­tage, eux, sont à l’év­i­dence sous notre nez.
Et Dame Merkel autant que jeune Macron con­nais­sent les ter­mes de l’équa­tion. Le reste est communication.
Quand on con­state que l’éditrice des tra­duc­tions d’Aslı Erdoğan, dev­enue Min­istre de la cul­ture en France, peut faire pro­pos­er une légion d’hon­neur à son auteure, tou­jours pour­suiv­ie et privée de sor­tie du ter­ri­toire, sans même pou­voir la remet­tre en douce dans une anticham­bre d’un Con­sulat, on mesure l’é­pais­seur du noeud de la corde. Mais chu­u­ut… il paraî­trait que des négo­ci­a­tions se pour­suiv­ent en coulisses.
Loup Bureau n’en saura sans doute jamais rien, de ces négo­ci­a­tions là. “Cela ne nous regarde pas”. Vous con­nais­sez la for­mule… Et le “nous”, ce sont bien sûr les “y a qu’à”, que nous sommes.
Mais lorsqu’une Aslı Erdoğan, dans une let­tre alors écrite en prison, dis­ait du régime Erdoğan, “qu’il sec­ouerait inévitable­ment toute l’Eu­rope”, bien qu’elle ne soit pas par­ti­c­ulière­ment une stratège poli­tique, mais une sim­ple auteure, elle prononçait une évidence.

Der­rière cette évi­dence, c’est à la fois l’enchevêtrement de com­plic­ités finan­cières, poli­tiques, qui ont accom­pa­g­né de l’Ouest à la fois la mon­tée vers le pou­voir d’Er­doğan, et l’étab­lisse­ment d’une caste poli­tique en Turquie, et le tison per­ma­nent qu’elle con­stitue pour toutes les guer­res en cours au Moyen-Ori­ent, y com­pris sur son sol. Elle est là, cette géo-poli­tique du désastre.

Autant les gou­verne­ments européens ont ren­for­cé à l’in­térieur les sen­ti­ments d’in­sécu­rité prop­ices aux replis iden­ti­taires et xéno­phobes, autant ils ont appliqué un Munich sur la ques­tion turque, et par là même, se sont placés aux marges des rap­ports de forces inter­na­tionaux et régionaux.
La poli­tique du “rafale” ou de l’aide tar­dive aux com­bat­tants kur­des, con­cer­nant la France, par exem­ple, ne suf­firont pas pour s’im­mis­cer entre les volon­tés des puis­sances impéri­al­istes et celles, plus régionales. Europe et Turquie se dis­putent en bout de table… Et, il faut bien le dire, les intérêts du libéral­isme européen tri­om­phant hési­tent encore entre repli “pour le redresse­ment” et inter­ven­tion­nisme. Mais com­ment agir, lorsqu’on a soi-même posé les mines sur le chemin à parcourir ?

Et le prési­dent turc a les clés du champ de mines.

Et, juste en pas­sant… Et parce que ces derniers temps Kedis­tan n’a pas ménagé non plus ses efforts pour faire con­naître l’emprisonnement et exiger la libéra­tion de Loup Bureau, juste la réflex­ion d’un jour­nal­iste, que je suis, paten­té avec carte inter­na­tionale et tout et tout… Franche­ment, croire un instant qu’en faisant pro­fil bas devant le régime turc, en évi­tant de le qual­i­fi­er pour ce qu’il est, aidera aux magouilles de cor­ri­dors pour le faire libér­er, c’est à coup sûr retarder cette échéance. Pourquoi pas salir ce qu’il est du coup ? Et répéter à l’en­vie que c’est un débu­tant qui a com­mis des erreurs, et en pre­mier lieu celle d’avoir une con­science ? Vous savez, quand il sera “libéré”, il ne com­pren­dra pas ces petites lâchetés intel­lectuelles sen­sées le défendre. Il aura déjà fort à faire pour remerci­er les politi­ciens qui auront “par­lés” pour lui. Comme tant d’o­tages qu’on a fait taire ensuite.

Alors, pourquoi ce besoin d’o­tages sup­plé­men­taires pour le Reis turc ? Tout joueur d’échecs qui a affron­té une “poin­ture” s’est posé cette ques­tion un jour face à son adver­saire. Et a perdu.

Le régime turc se con­solide sur les faib­less­es, les lâchetés, les com­pro­mis­sions et les con­nivences des gou­verne­ments européens qu’il méprise. Son intel­li­gence est de par­faite­ment con­naître les intérêts, les veu­leries poli­tiques et finan­cières (comme pour l’ex­em­ple grec), la soit dis­ant supéri­or­ité iden­ti­taire (l’ori­en­tal­isme en ban­doulière) des Etats qu’il fait chanter. Le Sul­tan se régale, et n’a guère de mal à faire briller devant un petit peu­ple ébahi la puis­sance de l’Ot­toman revan­chard de la chute de l’Em­pire. Atatürk et Mehmed à la fois.

Tan­dis qu’i­ci on pleure la “démoc­ra­tie dis­parue”, comme si la Turquie avait été autre­fois un exem­ple, Etat répub­li­cain pour­tant né sur la néga­tion pro­gres­sive d’un géno­cide, le régime AKP a franchi suc­ces­sive­ment toute les étapes d’un pou­voir autori­taire et oli­garchique, rég­nant en qua­si dic­tature poli­cière et big­ote. Et ce régime peut à la fois laiss­er sa bureau­cratie faire du grand n’im­porte quoi, affaib­lis­sant même ses pro­pres rouages d’E­tat, Ubu ou Kaf­ka, au choix, et accu­muler prof­its et con­tenter la cor­rup­tion, au ser­vice du libéralisme.

Alors, les “otages”, sont davan­tage là pour ter­roris­er la “force de tra­vail” en interne, étouf­fer la con­tes­ta­tion et obtenir des col­lab­o­ra­tions (les kémal­istes s’y retrou­vent) et à l’ex­térieur rené­goci­er des rap­ports de force, avec du lest dans la poche.
La France a‑t-elle con­damné les ingérences et actes de guerre en Syrie Nord con­tre le Roja­va, récur­rents ces derniers temps ? Pas vu pass­er pour ma part…

Mais c’est vrai, le Macron a du en par­ler au téléphone…


En anglais : Turkey • Review on the hostage taking

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…