Par­ler, repar­ler de Zehra Doğan, après avoir décrit son com­bat de jour­nal­iste, présen­té quelques unes de ses œuvres d’artiste, mis en avant sa ténac­ité et son courage, lors d’échanges et de ren­con­tres mul­ti­ples cette dernière quin­zaine, prend des allures de plaidoirie.

Le livre qui accom­pa­gne et accom­pa­g­n­era l’it­inérance de l’ex­po­si­tion de plus d’une cinquan­taine d’œu­vres suf­fit pour­tant pour com­pren­dre, au delà du choc qu’elle cause dans les yeux et le cœur des “vis­i­teurEs”, que nous avons à faire avec une com­bat­tante, non du mor­bide, mais du vivant.

Zehra aime les hommes et les femmes dont elle doc­u­mente, jour­naux peints et tâchés de rouge à l’ap­pui, le cal­vaire et la souf­france. C’est de sa chair qu’elle par­le, des meur­tris­sures de son enfance et de celles de son peu­ple, de vies vio­len­tées ou fauchées… Et de cet indi­ci­ble, mon­tré dans des “cadres”, sou­vent juste au tra­vers d’yeux de femmes ou d’en­fants qui nous regar­dent, nait une parole de jour­nal­iste, à tra­vers un cri de papi­er journal…

Oui, je sais moi aus­si écrire de jolis mots qui éloignent un temps de la réal­ité et de tous les sen­ti­ments de cul­pa­bil­ité qu’elle engen­dre ici, pour peu que l’empathie existe encore dans nos attrib­uts de consommateurs.

Cette empathie, nous l’avons ren­con­trée, partagée, accouchée, durant une dizaine de jours où seule une ving­taine d’œu­vres, un livre, quelques vidéos furent présen­tées à un large pub­lic, en accord avec un fes­ti­val de ciné­ma dont le thème était cette année celui des “fron­tières”, à Douarnenez.

Zehra Doğan

Cette empathie, nous avons ten­té de la trans­former en prise de con­science, en désir de com­préhen­sion, loin de dis­cours tout faits sur la Turquie “qu’on ne veut pas dans l’Europe”.

Zehra Doğan sym­bol­ise et représente, du haut de ses vingt huit ans, bien autre chose que ce minable débat de nan­tis repliés sur eux-mêmes. Et d’ailleurs, elle incite à repenser le rôle qu’a joué ces deux décen­nies écoulées, cette belle Europe aujour­d’hui empêtrée dans ces con­trats migra­toires, dans l’ar­rivée au pou­voir d’un mas­sacreur de Kur­des, tout autant nation­al­iste que ses prédécesseurs.

Zehra est jour­nal­iste. Elle me réc­on­cilie avec le voca­ble et lui donne sens. C’est une femme, con­sciente des enjeux que représente l’é­man­ci­pa­tion dans ce monde où le patri­ar­cat prend pré­texte de reli­giosité pour se ren­forcer. Con­sciente que défendre une cul­ture, son dia­logue avec d’autres, n’est pas étranger à ces ques­tions de “fémin­isme”, qui lui donne l’in­vin­ci­ble con­vic­tion qu’elle gag­n­era. Et pour elle, le jour­nal­isme est de chair et de sang, et non de plateaux de bal­ances où l’équili­bre serait “objec­tif”. Informer, porter à com­pren­dre, c’est agir.

Elle ne pou­vait dévelop­per de “car­rière”, parce que Kurde en Turquie, femme kurde en turcité dom­i­nante, et tout bête­ment “sans carte”. Et si elle fut tou­jours sans fron­tières, on ne l’a pas tou­jours comp­tée comme “reporter”, parce que native d’une con­trée située loin des ter­rass­es du Bosphore.
Le prix Metin Gök­te­pe qui récom­pense alors une jour­nal­iste pour qui les femmes yézi­dies ne sont pas seule­ment une occa­sion de faire dans le pathos trou­ble, mais bien de pos­er poli­tique­ment et humaine­ment des ques­tions qui fâchent, même entre Kur­des, dans la région, est là pour affirmer la lib­erté avec laque­lle elle abor­de les sujets.

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Elle con­stru­it sa “car­rière” en prison aujourd’hui.

Peut être devais-je m’y retrou­ver” dit-elle, “puisque beau­coup d’en­tre nous y sont”, et que c’est l’en­droit où se vit l’avenir poli­tique de la Turquie, ajouterais-je.

Elle est sor­tie de ses 141 jours de “préven­tive” ren­for­cée dans sa déter­mi­na­tion, et grosse d’une expo­si­tion. Ce fut celles des “œuvres de prison” à Amed.

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Elle a ensuite créé comme jamais durant des mois d’at­tente et qua­si clan­des­tins, et a pro­duit ces œuvres évadées que Kedis­tan don­nera à voir dans les mois et années à venir, avec, nous l’e­spérons, un élar­gisse­ment du sou­tien et des liens asso­ci­at­ifs et human­istes que nous sus­citerons partout.

Elle fut “reprise” en juin.

La revoici incar­cérée pour 2 ans, 9 mois… Privée de moyens de dessin­er, elle ne se prive pour­tant pas de le faire, avec tous les pig­ments qui lui tombent sous la main et les papiers qu’elle trou­ve. Elle pense à un livre, qui doc­u­menterait les par­cours poli­tiques de ses com­pagnes d’in­for­tune, dans ces quartiers de haute sécu­rité de Diyarbakır…

Oui, j’ose l’écrire, Yıl­maz Güney en son temps, fit par­ler de la cause kurde plus que des cen­taines de man­i­festes, par son art ciné­matographique, ses nar­ra­tions, ses images, mais aus­si ses pris­es de paroles, à chaque occa­sion… La gamine (elle l’est pour moi, par son sourire et les années qui nous sépar­ent) tient de cette capac­ité à dif­fuser autour d’elle, par son art, sa force de jour­nal­iste, son regard lucide et son courage, de cet aîné primé à Cannes pour un film qui don­nait froid dans le dos.

Et si mes pro­pos dérangent quelques “lim­i­tants” pour qui la ten­dresse et la poli­tique sont enne­mies, tant pis pour eux.

Je peux par­ler des heures des vic­times des Etats-nation et con­sid­ér­er aus­si qu’elles ne sont pas virtuelles, mais humaines. Sinon, que ferais-je là devant un clavier, à vous par­ler d’une émo­tion qui va, j’en suis sûr, ouvrir les esprits partout, là où elle passera, sus­citer inter­ro­ga­tions, com­préhen­sion, mobil­i­sa­tion, bien plus sûre­ment que ne le feraient des réu­nions dans un tiroir, pour réciter des mantras sur la lutte du peu­ple kurde, et les con­sign­er à l’en­cre sympathique.

Zehra Doğan doit être libérée.
Et pour le moment, la pro­téger est une exi­gence. Faire con­naître large­ment ce qu’elle représente, comme vecteur de parole et de com­préhen­sion est une nécessité.
Con­sid­ér­er que ce com­bat est autant poli­tique que des mots jetés au vent, parce qu’ap­puyé sur une vie promise à un avenir, comme le sont les propo­si­tions poli­tiques du mou­ve­ment kurde, est fon­da­men­tal. Kedis­tan s’y emploiera, et j’en suis sûr, avec d’autres, avec vous…

Et puis merde, a‑t-on tou­jours besoin de se jus­ti­fi­er ? Allez donc voir pourquoi le A est sur la devan­ture du site… Qui sait, peut être la pre­mière let­tre du mot Amour, qu’un Fer­ré fit rimer…
A suivre…

Propul­sé par Hel­loAs­so

En anglais : Ten days with Zehra Doğan and her escaped artworks

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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…