Les contes pour les enfants en turc, commencent par des “randonnées” bien plus longues que notre “Il était une fois”.
Un mot de randonnée, dit : “Je suis allé un peu, je suis allé beaucoup. J’ai traversé plaines et prairies, coupé tulipes et jacinthes, aplati rivières et montagnes. J’ai bu de l’eau fraîche, j’ai marché six mois et un automne. Je me suis retourné, j’ai regardé, et j’ai vu, que je n’avais avancé que de la taille d’un grain d’orge.”
Voici un article d’Ahmet Altan, publié en 2009, alors qu’il participait au très controversé journal Taraf, accusé depuis d’avoir été proche à la fois d’Erdoğan et de Gülen, au début de la période appelée “processus de paix” ou “processus de résolution” 2009–2015.
Le “processus de résolution” n’était pas seulement promu par la partie kurde, mais participait surtout de l’ascension au pouvoir de l’AKP, soucieux à ce moment d’un clientélisme électoral, et de l’image de “bon élève” dans les négociations européennes, nécessaire pour écarter les militaires kémalistes des pouvoirs dont ils disposaient. Les gülenistes soutenaient chaudement ce processus politique, jusqu’à leur rupture avec l’AKP de 2013. Le mouvement kurde s’est saisi du “processus de paix” tant pour faire avancer dans les faits les questions de langue, d’autonomie culturelle, et de rattrapage social, qu’en permettant d’éviter la manœuvre de division entre Kurdes qu’Erdoğan tentait contre le PKK à travers lui. Cette initiative de paix, bienvenue et porteuse d’espoirs a été unilatéralement brisée en 2015 par le régime AKP.
La position d’Ahmet Altan était donc “progressiste” et relevait de son anti-kémalisme de toujours. Elle apparaît aujourd’hui comme radicale, tant les éléments de la situation politique et le pouvoir absolu d’Erdoğan ont brouillé les positionnements d’alors.
Tant que l’analyse majoritairement répandue et diffusée de la montée au pouvoir d’Erdoğan et de l’AKP occultera cette période d’alliances, avec la force du mouvement Gülen, le soutien de l’UE, et le nationalisme kémaliste “en marche”, créant des re-positionnements politiques et l’émergence d’une autre opposition que le clivage traditionnel, et que la Turquie sera regardée en “noir et blanc”, “versus laïcité, république, démocratie” dans le plus pur style Etat-nation, il restera compliqué de situer ces textes ou articles. Ce texte n’a pourtant que 8 ans. Et en 8 ans, les choses n’ont “avancé que de la taille d’un grain d’orge.”
Nous ne pourrions donc que vous conseiller les ouvrages récents parus sur cette période, (entre autres Ahmet Insel ou Hamit Bozarslan) en évitant le conte kémaliste habituel, et à nouveau une plongée dans “les racines du présent”, l’excellent blog Susam Sokak.
En un mot, c’est la turcité le problème.
La question kurde en un seul mot
Nous sommes les citoyens du même pays.
Nous vivons sur les mêmes terres.
Alors, sommes-nous égaux ?
Allons, posons la question plus clairement.
Les Turcs et le Kurde sont-ils égaux ?
Il y aura certains qui répondront sans hésitation “Bien sûr que nous sommes égaux”.
Comment sommes-nous égaux avec les Kurdes ?
Les Turcs parlent en turc, les Kurdes en kurde.
Quel est la langue officielle de l’Etat ?
Le turc.
Donc, nous ne sommes pas égaux pour la langue. La langue d’un groupe qui vit dans le pays est “la langue officielle de l’Etat”, et la langue de l’autre grand groupe n’est pas “officielle”.
Dans quelle langue est fait l’enseignement dans le pays ?
En turc.
Y a‑t-il des écoles qui enseignent le kurde ?
Non.
Y a‑t-il des universités qui enseignent en kurde ?
Non.
L’enseignement peut être fait même en anglais, en français mais ne peut être fait en kurde.
Donc, nous ne sommes pas égaux en langue non plus.
Selon la Constitution, comment appelle-t-on les citoyens de ce pays ?
Des Turcs.
Et comment appelle-t-on les Kurdes ?
On les appelle également des Turcs.
Les Kurdes sont-ils des Turcs ?
Non.
Pourquoi alors, les appelons-nous des Turcs ?
Parce que la Constitution l’ordonne.
Selon la Constitution, les citoyens “Kurdes” de ce pays, peuvent-ils être des “Kurdes” ?
Ils ne le peuvent pas.
Donc, nous ne sommes pas égaux selon la Constitution non plus.
Nous ne sommes pas égaux pour la langue, nous ne sommes pas égaux pour l’enseignement, nous ne sommes pas égaux pour la Constitution.
Alors, en quoi sommes-nous égaux ?
Nous sommes égaux en allant faire le service militaire. Tout le monde fait son service sans différencier le Kurde ou le Turc.
Nous sommes aussi égaux pour payer les impôts. Ils prennent les impôts sans différencier Kurde ou Turc.
Donc, nous sommes égaux pour nos “responsabilités” envers l’Etat.
Mais nous ne le sommes pas, pour ce que nous recevons de l’Etat.
A votre avis, est-ce juste ?
Tu envoies l’homme au service militaire, prends ses impôts, mais n’acceptes pas l’égalité de langue, d’enseignement et constitutionnelle.
Après, tu demandes, “Où est le problème ?”
Tu te fâches en disant “Pourquoi tu crées des problèmes ?”
Tu tues les hommes, tu les jettes dans des fosses, leur tires dessus dans les rues, les tortures dans des prisons.
Quand vous regardez ce tableau, où voyez-vous les bases du “Problème kurde” ?
Pour moi, il y a une seule raison.
L’inégalité.
Le fait qu’un peuple voit l’autre comme esclave.
Et qu’il dise en un mot “Tu accepteras ma race, ma langue, ma domination”.
Pourquoi alors, nous ne sommes pas égaux avec les Kurdes ?
Ils répondent “Si nous devenions égaux, nous leur donnerions les mêmes droits, notre pays se diviserait”.
Le pays de qui, se divisera-t-il ?
Notre pays.
Qui sommes-nous ?
Les Turcs.
Qui sont alors les Kurdes?
Ici, n’est-ce pas aussi leur pays ?
La réponse est toute prête, “bien sûr que c’est leur pays aussi.”
Alors, si ce pays et le nôtre, à nous tous, pourquoi nos peurs liées au pays ne sont pas “égales” ?
Nous avons peur d’être “divisés” mais pourquoi les Kurdes n’ont pas peur d’être “divisés” ?
Les “propriétaires communs” d’un même pays, ne devraient-ils pas avoir des peurs liées au pays commun ?
Nous avons peur, parce que nous pensons que nous ne nous comportons pas en “égaux” envers les Kurdes, que nous les voyons comme des esclaves et qu’ils pourraient vouloir mettre un terme à cela.
Si un des deux grand peuples d’un pays, essaie de faire accepter sa domination à l’autre par la force, il aura continuellement peur d’être “divisé”.
Et le pays finit de toutes façons par se diviser.
Si la langue des Kurdes était une des langues officielles, s’ils faisaient de l’enseignement en kurde, si la Constitution ne les appelait pas “Turc” par la force, la Turquie aurait-elle un problème kurde ?
Non.
Alors, la solution du problème est évidente.
En plus c’est facile et simple.
Nous serons égaux et le problème prendra fin.
Pourquoi ne mettons-nous pas fin au problème ?
Qu’est-ce qui rend les Turcs supérieurs au Kurdes ?
Ce serait, être plus nombreux, ou posséder une armée ?
C’est à dire les armes ?
Si vous affichez des armes dès le départ, pourquoi vous étonnez-vous d’entendre les bruits d’armes dans les montagnes ?
Enlevez les armes, ne jouez pas au “seigneur” par la force, il n’y aura plus d’armes dans la montagne.
Il n’y aura plus de problèmes.
Mais d’abord acceptez devant le Dieu, et devant l’Homme, d’être “égaux”.
Ahmet Altan
5 Août 2009
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