Le régime AKP de Turquie utilise à plein les “institutions” et les “coopérations” européennes anti-terroristes pour organiser la chasse aux opposants.
Un journaliste franco-turc a été fin 2016 placé en garde à vue en Belgique, suite à une demande de l’état turc via Interpol… Un écrivain et journaliste turc réfugié, membre de l’union des écrivains en Suède, Hamza Yalçın, vient d’être arrêté en Espagne, lors d’un déplacement, encore via Interpol, à la demande des autorités turques… Deniz Yücel, journaliste allemand d’origine turque est détenu depuis des mois… Des journalistes et des photographes français se sont vu interdire de séjour, après des arrestations et détentions dans les geôles turques, sur la base d’échanges de renseignements sur leurs activités… Loup Bureau, jeune journaliste français, qui, après un reportage au Rojava en 2013, avait voulu donner une suite en 2017, vient d’être arrêté, et depuis quinze jours attend l’accusation officielle de “propagande terroriste” que le régime veut lui faire endosser… Et beaucoup d’autres cas qui nous ont échappé, faute d’avoir été médiatisés.
A chaque rencontre internationale, à chaque “sommet”, le président turc en personne ou un ministre rappelle les exigences à voir extrader vers la Turquie, qui le Prédicateur Gülen, qui ses ouailles, qui les journalistes qui travaillèrent en Turquie dans les bureaux de presse de ses journaux papiers ou médias TV. N’oublions pas les “militaires” accusés de putsch qui, parce qu’ils officiaient à l’Otan dans des pays européens sont passés au travers des purges, ou les quelques uns qui ont fui en Grèce en juillet 2016… Mais derrière ces “réclamations officielles”, le reste des “membres d’organisation” est en bonne place, le PKK étant pour tous toujours officiellement désigné sur liste comme “terroriste”.
Le prétexte est toujours le même, la chasse aux gülénistes, pour élargir les mailles du filet et traquer l’activiste opposant qui “nuit au régime” à l’étranger.
Au travers de Loup Bureau, l’enjeu est surtout bien sûr celui du Rojava, de l’existence diplomatique de la Fédération démocratique de la Syrie nord, et le fait de faire reconnaître le PYD comme “terroriste”.
Et pour ce faire, le pouvoir AKP prend des otages… comme il tient en otages des milliers d’opposants internes, responsables politiques, journalistes, enseignants, défenseurs des droits de l’homme…
Car il faut ajouter les attaques directes contre les organisations de défense des droits humains, comme avec l’arrestation et l’incarcération des responsables turcs d’Amnesty International…
Tout cela ressemble à des chantages diplomatiques avec monnaie d’échange, dont les rançons ne sont jamais payées, paraît-il… Et n’oublions pas le “lot” de réfugiés de guerre, menace brandie par le Reis en permanence…
Personne ne peut affirmer bien sûr qu’il s’agit d’une politique réfléchie et préméditée. Mais la chasse tous azimuts à l’opposant (qui a remplacé les assassinats ciblés d’hier) permet des effets d’aubaine pour le régime turc, empêtré dans sa diplomatie internationale depuis les revers en Syrie et la pression russe à son encontre.
Le dossier “migrants” reste aussi sur la table, tout comme le “gel” des négociations d’intégration dans l’UE, qui va, qui vient… avec ses incertitudes économiques.
On peut imaginer facilement le jeu de marchandages qui s’établit, et la tentation qui saisit chaque responsable européen de jouer ses “intérêts”, économiques, diplomatiques, financiers, et de communication auprès de son opinion publique, avant même de rester ferme sur les “principes humains et les accords internationaux” devant le dictateur auto-proclamé.
Pour Loup Bureau, il aura fallu une quinzaine de jours, sans doute de tractations occultes infructueuses, et un début de mobilisation forte, pour qu’on en arrive au stade de la “communication” présidentielle en France. Pour l’Allemagne, un enjeu tournait autour de la visite de la base de l’Otan où elle dispose de moyens et que l’état turc interdisait d’accès. Pour informations,les entreprises allemandes ont vendu à la Turquie, dans les premiers quatre mois de 2017, des armes et munitions pour 5,6 millions d’euros.L’AKP a déplacé le pion, mais le journaliste Deniz Yücel pourra attendre… Pour la France, l’ex-ministre des armées devenu diplomate a des marges…
Peu de personnes se souviennent de cette période des années 1990 où la diplomatie de la prise d’otages était pratiquée par les chefs de guerre serbes à l’encontre de l’ONU, et a remporté de tels succès que des massacres furent “couverts”, voire tacitement acceptés, comme pour Srebrenica, en échange de “libérations”. Et les otages furent également nombreux au Moyen-Orient, pour des tractations géo-politiques…
L’otage n’est donc pas réservé aux gangs de rançonneurs, mais reste un pion occulte de la diplomatie.
Accuser Erdoğan de penser à ce type de diplomatie n’a pas l’air de venir à l’esprit des dirigeants européens. Le “partenaire” est exigeant, c’est tout, nous disent-ils.
De là à dire que les opposants sont franchement des emmerdeurs/deuses, qui entravent les affaires, il y a moins d’un pas.
A moi de jouer… Dans la famille “terroristes”, je voudrais.… le père, le fils et les euros…
Version en anglais : Hand over the Gülen, I’ll give you the Bureau