L’oblig­a­tion de port de “tenue unique” dans les pris­ons, revient de nou­veau dans l’ac­tu­al­ité. Or, cette pra­tique fut dans les années 80, l’ob­jet d’une longue et intense résis­tance, luttes juridiques et grèves de la faim dans les pris­ons, aboutis­sant à la sup­pres­sion de cette pra­tique humiliante et inique, non sans avoir lais­sé der­rière, de nom­breux morts.

L’uniforme pour les détenus de nouveau d’actualité

Les pre­mières audi­ences des procès con­cer­nant les accusés de la ten­ta­tive de coup d’E­tat du 15 juil­let 2016 ont commencé.

Lors d’une audi­ence du procès dit “FETÖ” [L’or­gan­i­sa­tion ter­ror­iste de Fetul­lah” dont le leader Fetul­lah Gülen, ancien ami et com­pagnon de route d’Er­doğan, devenu son enne­mi numéro un] un des accusés s’est présen­té devant le tri­bunal de Muğla, por­tant un t‑shirt avec le mot “Hero” imprimé en grandes let­tres. C’est cela qui a ressor­ti de sa tombe, cette anci­enne méth­ode de répres­sion car­cérale “le port d’uniforme”.

Erdoğan a com­men­té en ce sens lors de son dis­cours pour la com­mé­mora­tion du 15 juil­let, date où l’E­tat turc a fait hom­mage au “courage” de la “Nation turque”, qui fut “rem­part devant les putschistes”, écrivant là une “nou­velle légende dans l’His­toire”. Il a annon­cé : “J’ai par­lé récem­ment avec notre Pre­mier Min­istre, je lui ai dit, quand ceux-là [les accusés] se présen­teront devant le tri­bunal, amenons-les comme à Guan­tanamo, avec des uniformes.”

Ensuite Numan Kur­tul­muş, le porte parole du gou­verne­ment, a déclaré à son tour, que le gou­verne­ment allait se met­tre au tra­vail, sur ce sujet. “Le fait que ceux-là [les accusés] se présen­tent devant les tri­bunaux avec des tenues uniques, est en effet le moyen le plus cor­rect. Notre min­istère de Jus­tice tra­vaillera sur ce sujet.”

Erdoğan a réitéré ses pro­pos le 5 août, lors de l’in­au­gu­ra­tion du sta­di­um de Hatay : “… Mais main­tenant à ceux-là, nous appor­tons la tenue unique. La tenue unique ! Comme couleur, vous voyez amande ? Il sera couleur amande, en un peu plus fon­cé. Il sera de deux types. Il y aura une com­bi­nai­son. Et il y aura une veste-pan­talon. Une par­tie de ceux-là, dis­ons les putschistes, porteront la com­bi­nai­son, et les autres, c’est à dire les ter­ror­istes, porteront la veste et le pan­talon. A par­tir de main­tenant, ils ne peu­vent plus s’ha­biller comme ils veu­lent et venir [au tri­bunal] comme ça. Et ceux-là, se fer­ont affich­er, de cette façon, à la face du monde.” (vidéo)

Grèves de la faim dans les prisons

Rap­pelons que les grèves de la faim, comme forme de lutte dans les pris­ons turques, ont une longue his­toire. Les débuts remon­tent dans les années 30, à l’in­car­céra­tion du poète Nâzım Hik­met, en pas­sant par Deniz Gezmiş, Yusuf Aslan, Hüseyin İnan, avant leur exé­cu­tion en 1972. Les deux vagues impor­tantes dans les années 80, ensuite 2000, qui ont fait de nom­breuses vic­times. Et aujour­d’hui, Nuriye Gül­men et Semih Öza­kça, deux enseignants licen­ciés par décret, qui con­tin­u­ent leur grève de la faim en incarcération.

Mais regar­dons de près les grèves de la faim qui eurent entre autres reven­di­ca­tions, la sup­pres­sion de l’uniforme.

Après le coup d’E­tat mil­i­taire du 12 sep­tem­bre 1980, le port de l’u­ni­forme a été imposé la pre­mière fois dans la prison Sul­tanah­met (Istan­bul). Ensuite, la pra­tique s’est petit à petit éten­due sur les autres pris­ons pour les hommes. De sérieuses luttes, dont des grèves de la faim, et des “jeûnes de la mort” [grève de la faim sans absorp­tion d’eau sucrée ou salée] ont été menées con­tre cette pra­tique. Les détenus refu­sant de porter la tenue unique, étaient mis en cel­lules d’isole­ment. Lors de ces résis­tances les pris­ons de Metris (Istan­bul), de Mamak (Ankara) et de Diyarbakır étaient en pre­mière ligne. Une grève de la faim a débuté en 1984 à Metris. La grève à laque­lle 400 pris­on­niers ont par­ticipé, s’est trans­for­mée au bout de 45 jours, en un “jeûne de la mort” et Abdul­lah Mer­al, Hay­dar Başbağ, Fatih Öktülmüş et Hasan Tel­ci y ont per­du la vie.1

En 1985, il restait encore 35 détenus en grève de la faim à Metris. En févri­er 1986 l’oblig­a­tion du port de l’u­ni­forme a été sup­primée. En juil­let 1987, 50 pris­on­niers ont entamé une grève de la faim à la prison de Sağ­macılar et cette résis­tance s’est éten­du aux pris­ons en Ana­tolie. Suite aux pour­par­lers que les représen­tants de TAYAD (Asso­ci­a­tion de sol­i­dar­ité avec les familles des pris­on­niers) avaient entre­pris avec les autorités, les reven­di­ca­tions des pris­on­niers ont été accep­tées et le 13 août 1987 les grèves de la faim se sont arrêtées. En 1988, dans la prison de Diyarbakır, le pris­on­nier Mehmet Emin Yavuz est décédé lui aus­si, suite à une grève de la faim. Le Min­istre de la Jus­tice de l’époque, Mehmet Topaç, avait don­né une nou­velle fois l’or­dre de rétablir l’oblig­a­tion de la tenue unique dans les pris­ons, mais encore une fois, suite aux grèves de la faim, entamées dans de nom­breuses pris­ons, elle n’a jamais pu être mise en pra­tique.2

Pour les détails et la chronologie des luttes et les grèves de la faim dans les prisons en Turquie jusqu’en 2002, vous pouvez survoler cette brochure en pdf

Cette pho­to fut prise par le jour­nal­iste Deniz Tez­tel lors de la pre­mière audi­ence du procès de THKP‑C (Par­ti-Front révo­lu­tion­naire de libéra­tion du peu­ple), lors de laque­lle, les accusés, refu­sant de porter l’u­ni­forme, se sont trou­vés devant les juges, en sous-vêtements.

Témoignage d’Ertuğrul Mavioğlu

Ertuğrul Mavioğlu, est jour­nal­iste, et l’au­teur entre autres, d’une série de 3 livres “Le règle­ment de compte du 12 sep­tem­bre” (Livre disponible en turc et en pdf ICI) et le pre­mier tome par­le de cette péri­ode : “Ceux qui n’ont pas été pen­dus, mais nour­ris”, titre faisant référence aux paroles* de Kenan Evren, chef de l’é­tat-major du coup d’E­tat mil­i­taire du 1980, devenu ensuite Prési­dent de la République.

*Kenan Evren avait dit “Nous devrions ne pas le pendre mais le nourrir peut-être ?” pour Erdal Eren, militant du TDKP (Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie), arrêté avec 24 autres personnes durant une manifestation, et accusé du meurtre d’un soldat durant celle-ci. Erdal fut exécuté par pendaison le 13 décembre 1980 à l’âge de 16 ans, après la modification de son âge pour permettre sa pendaison.

Ertuğrul Mavioğlu, en prison à cette époque, écrit dans son livre, “A cette péri­ode, le port de la tenue unique était un moyen de déper­son­nal­i­sa­tion et d’u­ni­formi­sa­tion, au cen­tre de toutes les offensives.

Le 17 août 1983, les admin­is­tra­tions des pris­ons, selon le cir­cu­laire 13–1, ont com­mencé à con­fis­quer les affaires per­son­nelles des détenus.

Nous avons été oblig­és de porter des pyja­mas que nous con­fec­tion­nions à par­tir des draps et houss­es de cou­ette. Une par­tie de nos affaires qu’ils ont con­fisquées lors des opéra­tions, ont fini par pour­rir dans des entre­pôts, et l’autre par­tie a été volée.

La résis­tance con­tre le port de la tenue unique, n’é­tait pas une sim­ple his­toire de porter ou non un bout de tis­su sur son dos. Si on accep­tait de le porter, la répres­sion n’al­lait pas dimin­uer non plus. Au con­traire, cela jouait un rôle qui ser­vait à soumet­tre, et qui ouvrait un boule­vard devant d’autres injonc­tions et offen­sives de plus grande envergure.

Plus l’in­jonc­tion agres­sive aug­men­tait, plus la résis­tance s’in­ten­si­fi­ait. Le “jeûne de la mort” a donc été entamé dans ces cir­con­stances, le 11 avril 1984, dans le quarti­er d’isole­ment, par les détenus du Devrim­ci Sol (Gauche Révo­lu­tion­naire) et TIKB (Union des com­mu­nistes révo­lu­tion­naires de Turquie). En deux jours, les détenus des autres sec­tions et quartiers de la prison de Metris (Istan­bul), et de la prison de type spé­cial de Sağ­mal­cılar (Istan­bul), avaient rejoint la mobilisation.

Nos reven­di­ca­tions étaient con­crète­ment celles-ci : Sup­pres­sion de l’oblig­a­tion du port de l’u­ni­forme, fin des tor­tures, ré-instau­ra­tion de con­di­tions humaines et sociales, et la recon­nais­sance du statut de pris­on­nier politique.”

Dans cette péri­ode, par­al­lèle­ment à l’oblig­a­tion de l’u­ni­forme, d’autres moyens de répres­sion humiliants, tel que le rasage des cheveux façon coupe mil­i­taire, ou encore des mis­es en rang au garde-à-vous, étaient imposés au prisonniers.

Ertuğrul Mavioğlu lors d’une inter­view don­née à Ayça Söyle­mez, pub­liée sur Bianet le 4 août dernier dit :

D’une part, Guan­tanamo n’est pas un endroit à pren­dre comme exem­ple. C’est une prison con­nue pour ses mau­vais­es pra­tiques, qui attire la répro­ba­tion du monde.”

Le fait que ce sujet, réap­pa­raisse à nou­veau dans les dis­cus­sion est un signe qu’un total­i­tarisme lourd est arrivé en Turquie.”

Ce genre de pra­tiques, une fois mis­es en place, même en ciblant cer­taines per­son­nes, entrou­vrent la porte à d’autres con­di­tions de per­sé­cu­tion qui con­cer­nent tout le monde. Par exem­ple les pra­tiques sur les détenus de FETÖ empris­on­nés à la prison de Silivri, se sont éten­dues aux détenus du jour­nal Cumhuriyet.”

Sur les médias pro-régime…

Le même jour, les médias aux ordres relayaient avec joie, que le Min­istère de la Jus­tice avait avancé sur ses “travaux” con­cer­nant l’u­ni­forme dans les prisons :

Suite aux entre­tiens avec les autorités des admin­is­tra­tions des pris­ons, les chefs d’ate­liers de cou­ture, et des ingénieurs de tex­tile, ces idées ont été majori­taire­ment dis­cutées et retenues. Les uni­formes que les détenus de FETÖ porteront, seront con­sti­tués de pan­talon et chemise, en alpa­ga, matière cor­re­spon­dant aux con­di­tions cli­ma­tiques. Les tenues seront de couleur amande séchée.” [couleur excré­ment, joli­ment dit]

Leur con­fec­tion sera plan­i­fiée pour les ate­liers de tex­tile dans les pris­ons ouvertes de Bandır­ma et Bur­sa. Actuelle­ment les mod­èles sont en pré­pa­ra­tion. 50 mille tenues seront envoyées vers les pris­ons où se trou­vent les détenus FETÖ.”

La majorité de la société turque demande un nou­veau design du judi­ci­aire” dis­ent-ils, “et nous faisons notre pos­si­ble pour vous informer, en cher­chant des répons­es à toutes les ques­tions que vous pou­vez vous pos­er”

La pub­li­ca­tion qui suit, trou­vée sur le site d’un jour­nal la voix de son maître [pas de pub] se présente comme un dia­po­ra­ma sur 8 pages, où défile le prédigéré et le “on vous dit tout”, spé­cial­istes à l’ap­pui.  Ver­sion semi com­men­tée de ce “jour­nal” présen­tée par nos soins, pour don­ner un aperçu de cette voix là, qua­si ven­tril­oque en Turquie…

> La tenue unique, qu’est-ce que c’est ?

Dans le monde, en général, com­mençant par les Etat-Unis, les pris­on­niers, et les per­son­nes détenues en cours de juge­ment sont sujet à l’oblig­a­tion du port de la tenue unique. Cette pra­tique est impor­tante pour la dis­ci­pline et la réha­bil­i­ta­tion recher­chées dans la prison, et elle favorise l’ef­face­ment du statut social d’a­vant leur déten­tion, dont les coupables por­tent des traces. Elle crée une prise de con­science chez le coupable. Du point de vue psy­chologique, le fait que cette approche soit pra­tiquée est un fac­teur impor­tant de réin­ser­tion des coupable vers la vie civile, et est recon­nu comme une évidence.”
Pro­pos illus­trés d’une pho­to dont la légende est : “Exem­ple de tenue unique dans les pris­ons améri­caines, dans une scène de “In Hell” un film de 2003 avec Van Damme” 

> Pourquoi est-il d’ac­tu­al­ité en Turquie ?

Après la présen­ta­tion de Zek­eriya Kuzu, jugé pour ten­ta­tive d’at­ten­tat con­tre Erdoğan, devant le tri­bunal en veste et cra­vate, des citoyens ont ouvert des cam­pagnes deman­dant la pra­tique de l’u­ni­forme. De mil­lions de citoyens le deman­dent. L’ar­rivée de Gökhan Güçlü à son procès, por­tant un t‑shirt avec l’in­scrip­tion HERO a attiré l’attention.”
Illus­tré de dou­bles pho­tos des con­cernés, lors de leur arresta­tion et arrivants au tri­bunal en tenue “cor­recte”

> Que dis­ent les règle­ments des prisons ?

“Dans les règle­ments des pris­ons mod­i­fiés en 1983, et refor­mulés en 1987 on trou­ve ; (Arti­cle 82) Con­cer­nant les détenus en cours de juge­ment : si les vête­ments des détenus ne sont pas suff­isants, ou doivent être con­fisqués à des fins juridiques, les vête­ments de la prison peu­vent leur être pro­posés. (Arti­cle 93) Con­cer­nant les pris­on­niers, ils ne sont pas autorisés à se pro­cur­er de la nour­ri­t­ure, literie et vête­ments en dehors de l’ad­min­is­tra­tion de la prison. (Arti­cle 96) Des tenues car­cérales sont remis­es à chaque pris­on­nier, et le con­damné est for­cé de le porter.”
Dans quel con­texte pour ce dernier arti­cle ? Mystère…

> Deux mesures…

Petit détail apporté à pro­pos du t‑shirt “Hero”, juste comme ça en pas­sant. Nous apprenons que “le per­son­nel de la prison qui a lais­sé pass­er ce vête­ment sera pour­suivi” et que “tous les vête­ments des putschistes FETÖ seront retirés et exam­inés un par un, et que le port de tous les vête­ments com­por­tant des inscrip­tions en langue étrangère, à com­mencer par l’anglais, sera empêché “.
Bien…

“L’avis de l’av­o­cat ?” 

Mais oui, que dit-il ? Il se fait pro­cureur… Il dit qu’ “il y a 119 accusés et avec leurs proches et familles dans la salle d’au­di­ence, ils for­ment la majorité, et cela crée une ambiance par­ti­c­ulière. Il faudrait repenser un nou­veau design pour le judi­ci­aire. Il faudrait une pra­tique dif­férente pour ces indi­vidus qui sont jugés pour ten­ta­tive de coup d’é­tat. C’est un crime poli­tique et ils con­tin­u­ent à le com­met­tre. Des mes­sages sur des t‑shirts, des intim­i­da­tions, des com­porte­ments con­tin­u­ent. Il faut faire des travaux pour qu’ils ne puis­sent plus con­tin­uer ces provo­ca­tions. La tenue unique est un des exem­ples [de mesure à pren­dre], et est néces­saire. Par ailleurs, en ce qui con­cerne les procès à accusés nom­breux, ils doivent être amenés, en prenant les pré­cau­tion de sécu­rité qui s’im­posent, mains et pieds menot­tés. Il faut des images qui res­teront gravées dans la mémoire des gens. Et ain­si, la con­science de l’opin­ion publique sera égale­ment satisfaite.”

> “Com­ment cela se passe-t-il dans les autres pays du monde ?” 

Dans dif­férents pays du monde, la pra­tique de l’u­ni­forme est répan­due. L’ex­em­ple le plus impor­tant est celui des Etats-Unis. En Amérique, jusqu’au 19è siè­cle, on habil­lait les pris­on­niers de tenues rayées, noir et blanc. Au début de 20è cette pra­tique a été aban­don­née et dif­férents mod­èles ont été préférés. A par­tir des années 70, dans plusieurs pris­ons des Etats-Unis, des uni­formes oranges ont com­mencé à être util­isés… Bla bla bla, avec exem­ples, et pho­tos.… se ter­mi­nant bien sûr, pour rester con­forme à la parole du Reis, “Egale­ment, dans la prison de Guan­tanamo qui attire l’at­ten­tion du monde [on se demande pourquoi] des uni­formes oranges sont don­nés aux pris­on­niers.
Pro­pos illus­trés par deux pho­tos de détenus, dont un, se ten­ant tête bais­sée, entre des gar­di­ens. Il ne manque qu’un Char­lie Chap­lin en uniforme…

>“La vision des par­tis poli­tiques ?”

L’ar­ti­cle nous éclaire sur les dif­férents avis au Par­lement. Nous avons la vision de l’AKP, “pour” et du CHP, “con­tre”.
C’est tout. Il n’y a pas d’autres par­tis en Turquie. Page suivante…

> Le clou du spec­ta­cle : “Enquête : Que veut le peuple ?” 

De mil­lions de citoyens, exi­gent l’oblig­a­tion de la tenue unique pour les putschistes traitres qui ont par­ticipé à la ten­ta­tive de coup d’E­tat du 15 juil­let. Les citoyens qui cla­ment partout le slo­gan “Nous voulons la peine de mort !” mon­trent ain­si leur réac­tion aux mes­sages ves­ti­men­taires des accusés.
Mes­sages vestimentaires !
L’en­quête organ­isée par notre jour­nal, fait appa­raitre un tableau qui attire l’at­ten­tion. L’en­quête selon laque­lle près de 3000 per­son­nes ont répon­du à la ques­tion “Faut-il pass­er à la tenue unique pour les accusés du 15 juil­let ?”, en choi­sis­sant “oui” ou “non” a don­né des résul­tats qui ont pris forme dans un très court laps de temps : 89% ont voté “oui”, et 11% “non”.
Aargh ! 11% de traitres !

L’ar­ti­cle se ter­mine sur cette même page, avec une piqûre de rap­pel sur le t‑shirt HERO, illus­tré de la pho­to suiv­ante, prise sur la place devant la Cham­bre de Com­merce et d’In­dus­trie, car le Tri­bunal de Muğla étant petit, l’au­di­ence s’est déroulée dans ces locaux… “Les citoyens qui se sont rassem­blés [des mil­lions] sur la place, ont instal­lé un échafaud, ont jeté des cordes sur les prévenus et ont lu leurs noms, puis scan­dé “pendai­son !”

En uniforme devant le juge

Une per­son­ne qui est accusée, même si elle est déten­tion pen­dant son juge­ment, n’est pas encore condamnée.

Ce qui sig­ni­fie qu’elle porte encore l’e­spoir d’un acquit­te­ment. Lors de son par­cours judi­ci­aire, l’ac­cusé doit se présen­ter devant les juges, se défendre, répon­dre aux ques­tions, s’ex­primer. Il est évi­dent que se présen­ter avec une tenue accept­able peut jouer en sa faveur. Bien sûr, le régime voudrait enlever cette pos­si­bil­ité aux pris­on­nier poli­tiques. Pour­tant, con­cer­nant les dél­its et crimes de droit com­mun, elle fait son “effet” et “tra­di­tion­nelle­ment” l’ob­jet d’une prise en compte. Nous avons d’ailleurs pub­lié de nom­breux arti­cles con­cer­nant par­ti­c­ulière­ment des assas­si­nats, agres­sions ou vio­ls de femmes ou d’en­fants, où les auteurs ont béné­fi­cié de réduc­tions de peines con­sid­érables, “pour une cra­vate bien nouée”…  L’E­tat encour­age là, les fémini­cides et les vio­lences, par voie de Jus­tice, et tenue cor­recte exigée…

L’u­ni­forme en prison est un out­il d’hu­mil­i­a­tion qui a un pou­voir psy­chologique. Il vise à asservir, déper­son­nalis­er, et à dis­tinguer le con­damné par son délit, et le choix des couleurs en ce sens est loin d’être inno­cent. En l’oc­curence la couleur “amende séchée” comme décrivent les autorités turcs rap­pelant la couleur d’ex­cré­ment ne néces­site aucune expli­ca­tion. Oblig­er les pris­on­niers à porter l’u­ni­forme, est un acte de d’as­su­jet­tisse­ment pur et sim­ple. Autant l’u­ni­forme mil­i­taire ou polici­er est perçu par les civils comme une force supérieure, ou encore la blouse blanche représente une “autorité” sci­en­tifique par exem­ple, à l’in­verse, la tenue unique pour le pris­on­nier met celui-ci dans la posi­tion de soumission.

Nouveau projet de loi

Aujour­d’hui 6 août, la com­mis­sion présidée par Dr. Sul­hi Dön­mez­er, qui tra­vaille sur la reforme de loi con­cer­nant l’exé­cu­tion des peines et des mesures, a présen­té le pro­jet à Cemil Çiçek, Min­istre de Jus­tice. (Bianet)

Le pro­jet con­tient comme annon­cé, l’oblig­a­tion de la tenue unique et ouvre la pos­si­bil­ité d’in­ter­ven­tion par la force, sur les détenus qui font une grève de la faim.

En résumé, l’ar­ti­cle 64 du pro­jet, stip­ule “Le fait que les détenus s’ha­bil­lent libre­ment, peut gên­er la dis­ci­pline entre les pris­on­niers, faciliter les éva­sions”. Selon le pro­jet, les admin­is­tra­tions des étab­lisse­ments péni­ten­ti­aires pour­ront s’ils le trou­vent néces­saire, impos­er le port d’uniforme.

Aucune pub­li­ca­tion qui “met­trait en dan­ger la sécu­rité, et qui con­tiendrait des arti­cles, infor­ma­tions et pho­tos obscènes, ne seront autorisées pour les pris­on­niers”.
Encore une fois, le flou, lais­sé à l’ap­pré­ci­a­tion et à l’in­ter­pré­ta­tion de l’ad­min­is­tra­tion péni­ten­ti­aire, per­met des déci­sions arbi­traires, sous le pré­texte de la décence.

Lorsque le pro­jet sera force de loi, les détenus pour­ront acquérir toutes les édi­tions en payant le prix et “dans les cham­bres, il n’y aura pas plus de livres que nécessaire.”
Quel est le nom­bre “néces­saire” de livres dans des quartiers et cham­bres ? Com­ment est cal­culé cette “néces­sité” ?

Les pris­on­niers pour­ront être oblig­és de tra­vailler, dans les foy­ers de tra­vail ou ate­liers, ain­si que dans des endroits extérieurs à la prison, tels que chantiers de con­struc­tions et mines. Dans ces cas de fig­ure, ces per­son­nes seront rémunérées sur les revenus obtenus de leur tra­vail et ils seront déclarés.”
Par ailleurs, notons que la con­struc­tion des pris­ons de type L, basées sur la mise au tra­vail se pour­suit. A la final­i­sa­tion de ces con­struc­tions, la plus grande par­tie des pris­on­niers seront dans l’oblig­a­tion de travailler.
Retour de cent ans en arrière ? Main d’œu­vre bon marché ?

Le pro­jet per­met “l’in­ter­ven­tion par la force, en cas de grève de la faim”, et donc l’al­i­men­ta­tion forcée.
Cette forme de résis­tance certes la plus rad­i­cale, sera donc retirée aux pris­on­niers. Si ce point est ajouté au pro­jet de loi, pour accom­pa­g­n­er l’oblig­a­tion de l’u­ni­forme, c’est juste­ment parce que les grèves de la faim, ont fait leur preuves dans le passé, mal­heureuse­ment non sans graver les noms des vic­times, mortes ou hand­i­capées à vie dans l’his­toire des pris­ons en Turquie.

On peut pos­er égale­ment la ques­tion, sur le cas de Nuriye et Semih en grève de la faim, depuis 151 jours aujour­d’hui, et jetés en prison depuis le 22 mai. Une résis­tance devant laque­lle le régime ne veut pas céder… Nuriye et Semih ayant dépassé la phase cri­tique depuis longtemps, pour­suiv­ent leur grève avec déter­mi­na­tion, récla­mant tou­jours la même chose, leur tra­vail. Seule, une inter­ven­tion par la force, pour­rait empêch­er leur perte, et l’E­tat turc sait que s’ils péris­sent, la sit­u­a­tion risque de devenir encore plus compliquée.

Cette réforme de la loi, per­me­t­trait au gou­verne­ment cette seule sor­tie, pour les main­tenir en vie.

D’une pierre plusieurs coups.

*

Eng­lish: Turkey • The Return of Prison Uniforms


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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.