Par delà les petites phras­es réécrites lues ici où là, il nous sem­blait impor­tant de pub­li­er l’in­té­grale de ce qu’Ah­met Şık appelle lui même “un acte d’ac­cu­sa­tion”. La ver­sion turque orig­i­nale fait désor­mais l’ob­jet d’une cen­sure en Turquie.

En effet, les déci­sions pris­es le 28 juil­let à l’au­di­ence du procès Cumhuriyet, reporté désor­mais au 11 sep­tem­bre, si elles ont remis en lib­erté sur­veil­lée Güray Öz, Musa Kart, Bülent Utku, Hakan Kara, Önder Çelik, Mustafa Kemal Güngör et Turhan Günay, ont cepen­dant main­tenu en incar­céra­tion Murat Sabun­cu, Akın Ata­lay, Kadri Gürsel, Ahmet Kemal Aydoğ­du et… Ahmet Şık, qui fait, qui plus est, main­tenant l’ob­jet d’une nou­velle plainte à la suite de sa “défense”.

Une men­ace à l’en­con­tre des médias turcs pub­liant la plaidoirie d’Ah­met Şık a été claire­ment proférée, avec le terme “d’in­ter­dic­tion”. Met­tons la donc de côté…

Voici juste un extrait de la con­clu­sion qui vous incit­era nous l’e­spérons, à aller jusqu’au bout de la lec­ture de ce texte d’un jour­nal­iste qui fait son tra­vail du fond de sa prison, et éclaire plus sur la Turquie en quelques lignes qu’une marche en cen­taines de kilo­mètres, même si les deux ne s’op­posent pas, au contraire…

Voilà tout ce que je veux répon­dre à une opéra­tion qui vise à crim­i­nalis­er mes activ­ités de jour­nal­iste. Il ne s’agit pas d’une déc­la­ra­tion pour ma défense parce que je con­sid­ér­erais cela comme une insulte au jour­nal­isme et aux valeurs morales de ma profession.
Parce que le jour­nal­isme n’est pas un crime.

La crim­i­nal­i­sa­tion des activ­ités jour­nal­is­tiques est un trait com­mun aux régimes total­i­taires. Mon expéri­ence me démon­tre qu’en rai­son de mes activ­ités jour­nal­is­tiques j’ai réus­si à offenser le sys­tème judi­ci­aire de chaque gou­verne­ment et de chaque époque. Je suis fier de cet héritage que je lèguerai à ma fille. Je sais que le gou­verne­ment et son sys­tème judi­ci­aire ont des comptes à régler avec moi. Mais je tente de pra­ti­quer le jour­nal­isme. Aujourd’hui, je pra­tique le jour­nal­isme en fonc­tion du pou­voir de la vérité et non pas en fonc­tion du pou­voir du gou­verne­ment ou de toute autre cen­tre de pou­voir, comme c’est couram­ment la pra­tique en Turquie. Parce qu’exercer le méti­er de jour­nal­iste sous des régimes qui n’ont pas grand chose à voir avec la démoc­ra­tie et devi­en­nent gradu­elle­ment de plus en plus total­i­taires, implique de franchir la ligne rouge. Et le jour­nal­isme ne peut pas s’exercer en respec­tant les lignes et si on le fait, on ne peut pas appel­er cela du journalisme.

Un grand mer­ci à notre tra­duc­trice préférée qui prit en urgence le temps de traduire vers le français une ver­sion anglaise déjà traduite du turc par “The Sol­i­dar­i­ty Group for the Free­dom of Ahmet Şık”, une pre­mière tra­duc­tion à chaud, qui pour­ra tou­jours être con­fron­tée avec la ver­sion orig­i­nale turque que nous joignons en for­mat pdf, ICI.

Il impor­tait qu’un tel doc­u­ment, qui fait force d’archive pour qui veut com­pren­dre et par­ler de la Turquie, soit au plus près des pro­pos d’Ah­met Şık.

Pour lire en com­plé­ment les autres arti­cles con­cer­nant Ahmet Şık sur Kedis­tan, c’est par ICI.


Procès Cumhuriyet — la plaidoirie d’Ahmet Şık — Jeudi 27 Juillet 2017

24 juil­let 2017

Je débuterai par une cita­tion tirée du pro­logue de mon livre “Nous avons marché en par­al­lèle sur ces routes »pub­lié en 2014, soit il y a trois ans.

Le préam­bule à cette enquête expli­quant com­ment s’est rompue la coali­tion mafieuse de l’AKP et de la com­mu­nauté Gülen débute ain­si :  “L’égout a explosé. La sup­posée puis­sance com­binée de l’AKP et de la con­gré­ga­tion Gülen, les deux forces qui ont trans­for­mé la co-exis­tence entre la poli­tique et la société et se sont main­tenues grâce au sou­tien de leurs par­ti­sans n’est plus. L’AKP et la con­gré­ga­tion Gülen, les deux forces qui ont con­stru­it la soi-dis­ant ‘nou­velle Turquie’, un con­cept machi­avélique qu’elles s’empressaient d’appliquer, se sont séparées”.

Ni l’une ni l’autre ne souhaitait la démoc­ra­ti­sa­tion du sys­tème et de la société, elles n’étaient que des instances du pou­voir ten­tant de con­quérir l’Etat, cher­chant à l’organiser au prof­it de la pré­dom­i­nance de leur autorité.

Tout en com­bat­tant des enne­mis com­muns sur la base d’une entente en vue d’être les seules à par­ler au nom de l’Etat, ces deux instances ont accu­mulé les muni­tions pour leur destruc­tion mutuelle.

L’imminence du jour où ces muni­tions seraient util­isées était évi­dente car la puan­teur du sys­tème se répandait depuis un bon moment déjà. Les men­aces dans les chroniques des jour­naux, les fuites télé­phoniques, les manœu­vres poli­cières et juridiques illé­gales mon­traient qu’ils se prendraient mutuelle­ment pour cible, une fois élim­inés leurs enne­mis communs.

Lorsqu’ils furent con­va­in­cus qu’il n’y avait plus d’ennemis à détru­ire, ils se firent la lutte pour savoir qui pos­séderait l’Etat. Oui, ce fut un fouil­lis ter­ri­ble, et ça l’est encore. Dans cette lutte util­isant la morale et la reli­gion, les men­songes ser­vant les intérêts de par­tis l’emportent sur les vérités. Alors, ne soyez pas bernés par les défens­es qu’ils soumet­tent. Il ne s’agit pas d’une guerre pour la démoc­ra­tie et une société pro­pre, ni pour la paix ou la civil­i­sa­tion, comme d’aucuns l’affirment. Ils se bat­tent sim­ple­ment pour savoir qui sera le pro­prié­taire de l’Etat.

Après la pub­li­ca­tion de ces pro­pos, la guerre entre l’AKP et la con­gré­ga­tion Gülen a empiré. La péri­ode de ré-écri­t­ure men­songère de l’histoire, qui débu­ta avec les enquêtes sur Ergenekon en 2007, et l’accroissement dans le pil­lage de l’Etat et du pays par la classe dirigeante et ses parte­naires s’étendirent jusqu’à la ten­ta­tive de coup d’état. Le 15 juil­let 2016, 250 per­son­nes furent tuées dans un soulève­ment sanglant.

Il existe des motifs sérieux pour sup­pos­er que cet atten­tat, dont on voudrait nous faire croire qu’il fut de la seule respon­s­abil­ité de la com­mu­nauté Gülen, était déjà con­nu du gou­verne­ment. Bien que plus d’une année se soit écoulée et qu’on ait entamé nom­bre d’enquêtes, les soupçons n’ont fait qu’augmenter plutôt que de décroître. Les nom­breuses zones d’ombre main­tenues autour du coup d’état du 15 juil­let nous mènent à croire qu’on y a exer­cé un  “chaos con­trôlé”  et qu’il s’agit de l’événement mar­quant le plus impor­tant dans l’histoire truquée des dix dernières années.

La seule vérité dans tous ces truquages con­stru­its autour des mots ‘démoc­ra­ti­sa­tion-civil­i­sa­tion’ et les men­songes en découlant, c’est que des gens furent mas­sacrés par les complotistes.

Il est légitime de se deman­der ce qu’on a voulu obscur­cir et ce que sig­ni­fie « chaos con­trôlé » dans ce con­texte. Recep Tayyip Erdo­gan, la cible de cette ten­ta­tive de putsch, a lais­sé sor­tir le chat du sac. Pen­dant que le pays était en pleine tuerie, il a exprimé le fond de sa pen­sée en dis­ant “ce coup d’état est une béné­dic­tion divine pour nous.” Nous avons vu ce que sig­ni­fie cette « béné­dic­tion » et nous en sommes encore témoins. Nous tra­ver­sons des jours de plus en plus som­bres, où ceux qui ont dit la vérité, ceux qui se sont opposés à un régime crim­inel, ceux qui ont réclamé le retour de leurs droits usurpés, sont ceux-là même dont les voix sont bail­lon­nées et étranglés.

Le putsch a été arrêté mais toutes les lib­ertés et les droits fon­da­men­taux ont été sus­pendus avec la pro­mul­ga­tion de l’état d’urgence (OHAL).

Des dizaines de mil­liers de per­son­nes ont été détenues, accusées de  “sou­tien au putsch-FETÖ” , plus de 50 000 ont été arrêtées. Cer­tains ont été tor­turés. Par décrets de l’exécutif, la trans­for­ma­tion de la société sur un mod­èle islamiste-turc a été accélérée. Appli­quant le principe du  “qui est pour nous ?” » et du “qui est con­tre nous ?” jus­ti­fi­ant tous les soupçons, plus de 110 000 employés du secteur pub­lic ont subi une purge. Les vides ain­si créés, tout par­ti­c­ulière­ment dans les fonc­tions de base de l’Etat, telles la sécu­rité, le sys­tème juridique et l’éducation, ont été comblés par des mem­bres de l’AKP en fonc­tion de leur allégeance et non pas de leur com­pé­tence. Les sci­en­tifiques et les pro­fesseurs qui enseignaient aux élèves depuis des années ont été privés de leur tra­vail et déclarés “ter­ror­istes”.

Même la réponse à la grève de la faim récla­mant la ré-instau­ra­tion dans leurs droits fut la prison.

Sans la moin­dre assur­ance, quant à la sécu­rité des urnes, les règles régis­sant la sépa­ra­tion des pou­voirs – déjà dis­parues dans les faits – furent re-dess­inées dans un référen­dum con­tro­ver­sé sous le règne de l’état d’urgence. L’indépendance et la neu­tral­ité judi­ci­aire qui ont tou­jours été des sujets con­tentieux en Turquie, furent com­plète­ment occultées par des juges et des pro­cureurs auto-proclamés et inféodés au gou­verne­ment. Les protes­ta­tions con­tre les vio­la­tions des lib­ertés don­nèrent lieu à la ter­reur des arresta­tions, éten­due jusqu’au troisième plus impor­tant par­ti poli­tique du par­lement, un par­ti représen­tant les volon­tés de 6 mil­lions d’électeurs. Les co-dirigeants du HDP, des députés et plusieurs maires élus au suf­frage uni­versel furent emprisonnés.

Même le CHP, le prin­ci­pal par­ti d’opposition, intimidé par la pro­pa­gande selon laque­lle il “pro­tégeait les ter­ror­istes”, approu­va ces nou­velles mesures don­nant lieu aux arresta­tions. Résul­tat : les arresta­tions s’étendirent jusqu’à un député du CHP.

Plusieurs organ­i­sa­tions non-gou­verne­men­tales ont été inter­dites. Ceux qui défendaient les droits ont été arrêtés. Plusieurs entre­pris­es furent saisies.

Plusieurs médias y com­pris la presse et les entre­pris­es radio­phoniques et télévi­suelles ont été fer­mées à tra­vers un pays qui se tar­gue d’avoir atteint un haut niveau de démoc­ra­tie après le coup d’état raté. Il n’en reste plus beau­coup qui cherchent à dévoil­er la vérité, mis à part les quelques médias et les quelques jour­nal­istes qui ten­tent encore de résis­ter aux men­aces, aux enquêtes, aux arresta­tions, ain­si qu’aux pres­sions finan­cières. Après avoir empris­on­né 150 jour­nal­istes, la Turquie détient le titre de “plus grande prison de jour­nal­istes au monde”.

A tel point qu’à elle seule, la Turquie a plus de jour­nal­istes en déten­tion que le nom­bre total de jour­nal­istes empris­on­nés ailleurs à tra­vers le monde.

Si on rajoute à la liste les jour­nal­istes qui ne sont pas en prison mais tout de même “sous arrêt” par le biais de la cen­sure ou de l’auto-censure, le por­trait est encore plus noir. À cause de l’ombre menaçante de la cen­sure, même s’il existe encore plusieurs médias sous pro­priété privée, on n’entend plus qu’une seule voix à tra­vers le pays.

Dans les sta­tions de télévi­sion qui dif­fusent en direct, même si le Prési­dent Erdo­gan par­le dans son som­meil, ils ne peu­vent pas dif­fuser de pro­gram­ma­tion poli­tique sans la per­mis­sion des com­mis­saires gouvernementaux.

Quand les médias se retrou­vent dans cet état, il ne reste plus que les médias soci­aux où exprimer une cri­tique à car­ac­tère poli­tique. Aus­si longtemps que l’accès n’en est pas blo­qué, aus­si longtemps qu’internet n’est pas coupé par la cen­sure gou­verne­men­tale, et aus­si longtemps que vous n’avez rien écrit qui offusque les “trolls” inter­net de l’AKP, les citoyens infor­ma­teurs et les pro­cureurs, il n’y aura aucune bar­rière à votre droit de cri­ti­quer. Cela dit, il n’est pas garan­ti que vous ne serez pas arrêté pour avoir exer­cé ce droit.

Voici le résumé de l’état dép­ri­mant dans lequel se trou­ve le pays suite au coup d’état raté. En fait, on peut aisé­ment résumer le tout en une seule phrase : Le 15 juil­let, un coup d’état fut détourné mais la junte vint au pouvoir.

L’acte d’accusation dressé après la ten­ta­tive de coup d’état décrit les buts de la con­gré­ga­tion Gülen (Cemaat) en ces termes :

Pren­dre le con­trôle des branch­es exéc­u­tives, lég­isla­tives et judi­ci­aires des organ­i­sa­tions con­sti­tu­tion­nelles de la République de la Turquie et, une fois ce but atteint, de redessin­er le gou­verne­ment, le pub­lic et les indi­vidus selon l’idéologie de FETO ; con­trôler le pou­voir économique, social et poli­tique grâce à une coterie à car­ac­tère oli­garchique”.

Lorsque nous exam­inons la péri­ode depuis la ten­ta­tive sanglante de coup d’état et le por­trait que nous en avons dressé, ne peut-on pas dire que ces buts ont été atteints ?

N’y a‑t-il pas eu une prise de con­trôle des branch­es exéc­u­tives, lég­isla­tives et juridiques du gou­verne­ment de la République de Turquie ?

Util­isant l’état d’urgence (OHAL) et les ordon­nances d’amendements lég­is­lat­ifs (KHK), ne ten­tent-ils pas de redessin­er le gou­verne­ment et la société en accord avec leurs pro­pre idéolo­gie et leurs pro­pres intérêts ?

N’utilisent-ils pas une coterie à car­ac­tère oli­garchique pour con­trôler le pou­voir économique, social et poli­tique dans leur déter­mi­na­tion à piller les ressources du gou­verne­ment et du pays ?

Voilà pourquoi la plus grande défaite de la con­gré­ga­tion Gülen (Cemaat), soit la ten­ta­tive de coup d’état du 15 juil­let, est aus­si sa plus grande vic­toire. Parce que le mod­èle idéal de gou­verne­ment, de société et d’individus conçu par Fetul­lah Gülen a été mis en appli­ca­tion suite à la ten­ta­tive de coup d’état du 15 juillet.

La mar­que de com­merce de ce sys­tème, sys­tème que doivent rejeter tous ceux qui optent pour la démoc­ra­tie et dont la con­struc­tion pro­gresse à grand pas, appar­tient à Fethul­lah Gülen, même si le sys­tème est entre les mains de quelqu’un d’autre. C’est juste­ment pour cette rai­son que Recep Tayyip Erdoğan et le gou­verne­ment AKP don­nèrent tout ce qu’il voulait à Fethul­lah Gulen et à sa con­gré­ga­tion. Main­tenant, ils agis­sent comme s’ ils n’avaient rien à voir avec la trans­for­ma­tion de la con­gré­ga­tion Gülen, qui était indé­ni­able­ment l’une des par­ties impliquées dans la ten­ta­tive de coup d’état, en ce mon­stre qu’on désigne sous le nom de FETÖ. Ils veu­lent que nous nous tai­sions con­cer­nant leur cul­pa­bil­ité, et que nous ne disions pas la vérité. Ils utilisent le sang des vic­times abattues par les putschistes comme par­avent dém­a­gogique pour leur stratégie poli­tique minable et super­fi­cielle. Parce que ceux qui déti­en­nent le pou­voir n’ont qu’un seul but en tête : pour­suiv­re leur règne total­i­taire coûte que coûte.

Pour ce faire, ils fer­ont bien des choses répréhen­si­bles et ils auront pour atti­tude que nul n’est indis­pens­able. Les chroniques de longs règnes nous don­nent bien des exem­ples his­toriques de rela­tions rompues avec les pre­miers com­pagnons de route. Ils aban­don­nent ceux qui ne leur sont plus utiles. Ils élim­i­nent leurs sym­pa­thisants, leurs com­plices, leurs co-con­spir­a­teurs, et même leurs camarades.

Ceux qui restent et les nou­veaux qui se join­dront à eux con­naitront sans doute le même sort. Ceux qui ont trans­for­mé les médias en syco­phantes cherchent à faire taire ceux qui exposent leurs cul­pa­bil­ités et leurs inten­tions mau­vais­es en les empris­on­nant. Ils croient les effray­er et les faire taire. Pour­suiv­ons le réc­it, pour bien leur mon­tr­er à quel point ils se trompent…

Au cours des 45 années de son his­toire, la con­gré­ga­tion Gülen a réal­isé son implan­ta­tion hor­i­zon­tale dans l’État durant les pre­miers 30 ans de son exis­tence pour ensuite finalis­er sa crois­sance ver­ti­cale dans les 15 dernière années. Elle ne ren­con­trait plus d’obstacles pour con­stru­ire un état par­al­lèle grâce aux oppor­tu­nités que lui offrait le gou­verne­ment AKP dont elle devint le parte­naire non déclaré. La con­gré­ga­tion accu­mu­la un pou­voir énorme dans les organes policiers et judi­ci­aires ain­si que dans les unités opéra­tionnelles de l’armée. Il ne lui était pas dif­fi­cile de s’incruster dans des posi­tions stratégiques en util­isant le gou­verne­ment AKP.

Puis, ayant établi ses domaines d’influence, elle réus­sit à impos­er ses pri­or­ités en élim­i­nant les per­son­nes ou les insti­tu­tions dans le secteur gou­verne­men­tal ou dans la société civile qui auraient pu pro­pos­er une alter­na­tive ou se pos­er en rival.

A dire vrai, Recep Tayyip Erdo­gan, qui a recon­nu son crime en dis­ant  “qu’est-ce que nous ne leur avons pas don­né qu’ils nous ont demandé” et s’excusant “pour l’aide qu’il leur avait apporté”, est avec l’AKP, au pou­voir depuis 15 ans, le plus respon­s­able de tous pour le pou­voir obtenu par la con­gré­ga­tion Gülen et sa dan­gerosité au sein du gou­verne­ment et dans la société.

Je vais expli­quer avec quelques exemples. 

Toute­fois il est utile d’attirer d’abord votre atten­tion sur un point. Un nom­bre impor­tant d’officiers ont été purgés de l’armée qui n’étaient pas mem­bres de la con­gré­ga­tion Gülen. Ces purges se firent par le biais de plusieurs procès tel qu’ Ergenekon, Baly­oz, le procès de l’espionnage mil­i­taire et plusieurs autres enquêtes.

Ceux qui ne furent pas empris­on­nés se virent refuser des pro­mo­tions et furent soumis à de cru­elles diffama­tions. Erdo­gan, qui était pre­mier min­istre à l’époque, se déclara le pro­cureur de ces procès. En tant qu’autorité poli­tique, le gou­verne­ment AKP pro­tégea les com­plo­teurs con­tre les cri­tiques et les accu­sa­tions les visant, agis­sant du même coup en com­plice, puisqu’il déte­nait l’autorité politique.

Main­tenant toute­fois, ils ten­tent de faire porter le poids de tous ses crimes et péchés sur la con­gré­ga­tion Gülen et de mas­quer leurs pro­pres crimes et leur pro­pre rôle dans ces événe­ments. À l’époque, plusieurs per­son­nes furent aus­si empris­on­nées en rai­son de com­plots et d’intrigues de la con­gré­ga­tion, ou encore, subirent la diffama­tion publique des hommes de main du parte­nar­i­at AKP-Con­gré­ga­tion dans les médias.

Nous ne devons pas omet­tre de men­tion­ner que cer­taines de ces per­son­nes, par­mi lesquelles des jour­nal­istes, agirent à titre de facilitateurs/partenaires dans la dis­sim­u­la­tion des crimes de l’AKP et furent même en pre­mière ligne en tant qu’exécuteurs des tac­tiques de diffama­tion util­isées pen­dant cette péri­ode. Pour en revenir à notre sujet, la con­gré­ga­tion Gülen a ouvert la voie pour ses mem­bres dans l’armée turque en façon­nant les listes de pro­mo­tion en fonc­tion de ses intérêts et de ses objec­tifs, en exploitant les procès con­spir­a­tionnistes men­tion­nés ci-haut. Les officiers dans l’armée turque qui n’étaient pas mem­bres de la con­gré­ga­tion ne se lim­i­taient pas à ceux mis en accu­sa­tion dans ces procès. Le gou­verne­ment AKP se pré­cipi­ta à l’aide de la con­gré­ga­tion pour élim­in­er ceux qui restaient.

Voyons ce qui s’est passé… 

La péri­ode de ser­vice mil­i­taire oblig­a­toire fut réduite de 15 à 10 ans par une mod­i­fi­ca­tion dans les lois effec­tuée en mai 2012. La con­gré­ga­tion fai­sait le cal­cul que cer­tains des officiers qui ne l’appuyaient pas prendraient leur retraite. La con­gré­ga­tion avait rai­son. Plusieurs mil­i­taires prirent leur retraite à cause du cli­mat d’appréhension instau­ré par les procès et par la perte de dig­nité infligée à l’armée turque. Il est intéres­sant de not­er que cer­taines mod­i­fi­ca­tions régle­men­taires impor­tantes furent réal­isées après cette pre­mière mod­i­fi­ca­tion juridique, alors même que la bataille s’était engagée entre l’AKP et la congrégation.

Les enquêtes sur les accu­sa­tions de cor­rup­tion du 17 au 25 décem­bre 2013 trans­for­mèrent la bataille entre l’AKP et la con­gré­ga­tion en guerre ouverte, rompant leurs rela­tions de façon irré­c­on­cil­i­able. Avec l’opération des camions du MİT, par laque­lle des armes et des muni­tions furent four­nis à des groupes salafistes jihadistes com­bat­tant con­tre le régime durant la guerre civile en Syrie. Pen­dant cette péri­ode de rup­ture des rela­tions, des mod­i­fi­ca­tions aux règle­ments de l’armée furent réal­isées par le par­lement, sur la base de change­ments lég­is­lat­ifs demandés, pro­posés et votés par des mem­bres par­lemen­taires de l’AKP.

D’abord, le 11 févri­er 2014, l’AKP avec sa majorité par­lemen­taire adop­ta un règle­ment devançant les pro­mo­tions mil­i­taires d’un an. Ain­si, des colonels ayant qua­tre années de ser­vice et des généraux ayant trois années de ser­vice et qui étaient mem­bres de la con­gré­ga­tion furent inclus dans le Con­seil mil­i­taire suprême (YAS). De cette façon, les officiers qui n’étaient pas mem­bres de la con­gré­ga­tion et qui n’avaient pas été pro­mus sur les bases d’une déci­sion prise par le Con­seil étaient mis à la retraite et purgés de l’armée turque.

Le deux­ième change­ment inter­vint deux mois plus tard. Selon les règle­ments du con­seil dis­ci­plinaire suprême de l’armée turque, qui prirent effet le 12 avril 2014, de nou­veaux con­seils dis­ci­plinaires suprêmes furent étab­lis dans le but d’enquêter sur les purges dans les rangs de l’armée.

L’amendement au code de con­duite des officiers, code qui détaille les lignes direc­tri­ces de ces con­seils, élim­i­na la notion d’activités religieuses réac­tion­naires comme motif de ren­voi. Un autre amende­ment fut pro­posé au bureau du porte-parole par­lemen­taire le 30 décem­bre 2015 par 37 mem­bres par­lemen­taires AKP. Cet amende­ment rédui­sait à qua­tre ans la péri­ode d’attente pour une pro­mo­tion de colonel à général. Ain­si, les colonels qui n’auraient pu se qual­i­fi­er à une pro­mo­tion, mais qui étaient mem­bres de la con­gré­ga­tion, purent accéder au rang de général. La dernière mod­i­fi­ca­tion por­tait sur le code per­me­t­tant des amende­ments à l’article 6722 du code du per­son­nel mil­i­taire de l’armée turque, ain­si qu’à d’autres codes. En 1988 et dans les années précé­dentes, les officiers gradués de l’académie mil­i­taire for­maient le groupe dans lequel l’influence de la con­gré­ga­tion Gülen était la plus faible.

L’amendement men­tion­né ci-haut prévoy­ait des arrange­ments réduisant le ser­vice dans l’armée à 28 ans. Ain­si, la con­gré­ga­tion aurait le pou­voir de purg­er l’armée turque en masse des officiers n’ayant pas de liens avec elle. Cet amende­ment fut pré­paré par les généraux Mehmet Dis­li et Mehmet Par­tigoc dont les noms ont été cités comme étant les acteurs les plus impor­tants dans la ten­ta­tive de coup d’état du 15 juil­let ; sauf pour un arti­cle, l’amendement pris effet dès son adoption.

L’article qui devait pren­dre effet suite à la réu­nion du con­seil en août 2016 était celui por­tant sur la purge mas­sive du groupe des officiers gradés en 1988 par­mi lesquels la con­gré­ga­tion était la moins bien implan­tée. La réso­lu­tion déposée par le groupe AKP le 23 juin 2016, durant la dis­cus­sion en comité par­lemen­taire, garan­tis­sait l’application de cet amende­ment dès son adop­tion. Les purges dans les rangs de l’armée turque, ciblées par la con­gré­ga­tion Gülen, furent appliquées de façon con­certée grâce au sou­tien du gou­verne­ment AKP et des amende­ments à plusieurs codes votés par ce gou­verne­ment. Le por­trait qui émerge après le 15 juil­let établit la pleine sig­ni­fi­ca­tion de ces événements.

Pour faciliter la com­préhen­sion de mon pro­pos, je vais citer un com­men­taire de l’opposition dans le rap­port de la com­mis­sion de recherche TBMM por­tant sur le coup d’état du 15 juil­let, rap­port pré­paré par le CHP : “Le coup d’Etat con­trôlé, prédit et pour­tant non évité”.

Selon le rap­port, presque tous les généraux pro­mus après les déci­sion YAS de 2011, 2012, et 2013 sont désor­mais accusés d’être mem­bres de FETÖ. Les mêmes accu­sa­tions ont été portées con­tre 80 pour cent des sol­dats pro­mus de colonel à général grâce aux déci­sions YAS de 2014 et 2015, suite aux amende­ments lég­is­lat­ifs effec­tués par le gou­verne­ment AKP men­tion­nés plus tôt.

Soit dit en pas­sant, il faut insis­ter sur le fait que 400 mil­i­taires furent purgés des forces armées turques (TAF) entre 1985 et 2003, l’époque où l’AKP prit le pou­voir, sur la base de la recon­nais­sance de leur appar­te­nance au mou­ve­ment Gülen ; mais il n’y eut pas d’autres purges à par­tir de 2003 jusqu’à la ten­ta­tive de coup d’état.

Je vais clore cette sec­tion dans laque­lle j’ai ten­té d’expliquer les con­tri­bu­tions indé­ni­ables du gou­verne­ment AKP au ren­force­ment du mou­ve­ment Gülen au sein des forces armées turques, ren­force­ment qui se fit au point de con­duire à une ten­ta­tive de coup d’Etat. Mais d’abord, per­me­t­tez-moi de par­ler aus­si des déci­sions du Con­seil nation­al de sécu­rité (NSC), déci­sions pris­es en 2004 mais qui ne furent pas mis­es en œuvre. Lors de la réu­nion du MGK le 25 août 2004, l’AKP s’apprêtait à entamer sa deux­ième année au pou­voir. Comme vous le savez, le NSC est l’endroit où se réu­nis­sent les officiers et les civils les plus haut gradés, afin de dis­cuter des sujets touchant à la sécu­rité nationale et de faire des recom­man­da­tions à ce sujet. Ses déci­sions sont stricte­ment con­fi­den­tielles. Mal­gré cela, les déci­sions pris­es en 2004 sont con­nues depuis des années. Le 28 novem­bre 2013, elles firent l’objet des manchettes du jour­nal Taraf, jour­nal bien con­nu pour ses con­tri­bu­tions à la con­struc­tion de la Turquie con­tem­po­raine. Nous apprîmes les déci­sions pris­es à la réu­nion du NSC par le biais de ces manchettes, signe que les con­flits entre l’AKP et le mou­ve­ment Gülen s’intensifiaient.

À cette réu­nion du NSC, tenue 12 ans avant la ten­ta­tive de coup d’Etat du 15 juil­let, il fut fait men­tion du dan­ger que pour­rait représen­ter le mou­ve­ment Gülen à l’avenir. Pour cette rai­son, une recom­man­da­tion fut for­mulée et rap­portée à l’AKP, sug­gérant un plan d’action con­tre le mou­ve­ment inti­t­ulé “Mesures à pren­dre con­tre les activ­ités du groupe Fethul­lah Gülen”.

Les sig­nataires en étaient le prési­dent de l’époque, Ahmet Necdet Sez­er, le pre­mier min­istre Recep Tayyip Erdo­gan, le min­istre des affaires extérieures Abdul­lah Gul et cinq autres min­istres, ain­si que le com­man­dant des forces armées turques Hil­mi Özkök et d’autres mem­bres mil­i­taires du NSC: Aytac Yal­man, Özden Örnek, Ibrahim Fırtı­na et Şen­er Eruygur. Les forces armées turques (TAF) qui était déposi­taires de ces recom­man­da­tions, pro­po­saient des mesures rad­i­cales à pren­dre con­tre les men­aces que pour­rait pos­er le mou­ve­ment Gülen à l’avenir, en instau­rant une sur­veil­lance intense de ses activ­ités, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Pour­suiv­ons en rap­pelant que trois des com­man­dants sig­nataires de cette déci­sion furent arrêtés dans les procès scan­daleux. Rap­pelons aus­si ce que fit le gou­verne­ment à cette époque. Après la pub­li­ca­tion de la déci­sion dans le jour­nal Taraf, le gou­verne­ment four­nit une série d’explications en réponse aux réac­tions des groupes con­ser­va­teurs qui for­ment la base élec­torale de l’AKP. Le fil con­duc­teur de ces expli­ca­tions était qu’il s’agissait d’une recom­man­da­tion qui n’avait pas été appliquée par le gou­verne­ment. Yalçın Akdoğan, con­seiller prin­ci­pal du pre­mier min­istre à l’époque, écriv­it sur son compte Twit­ter que  “la déci­sion de 2004 du NSC était nulle et non avenue, elle n’avait pas été retenue par le con­seil des min­istres et qu’aucune action ne s’en était suiv­ie”.

Le vice pre­mier min­istre Bulent Arinc déclara aus­si : “Aucune des déci­sions pris­es au NSC n’ont pris effet depuis 10 ans, et nous n’avons jamais approu­vé la moin­dre déci­sion qui aurait pu brimer un groupe ou un indi­vidu religieux. (Au con­traire). Nous avons blo­qué l’application du doc­u­ment sur les poli­tiques du Con­seil nation­al de sécu­rité”.  Il est aus­si impor­tant de not­er qu’Arinc met l’accent sur les doc­u­ments por­tant sur les poli­tiques du con­seil nation­al de sécu­rité. Cette désig­na­tion cible les groupes que le gou­verne­ment con­sid­ère comme des men­aces internes ou externes.

Jusqu’en 2010 le mou­ve­ment Gülen aus­si était con­sid­éré comme une men­ace interne. Cepen­dant, comme Arinc le dit avec insis­tance, le mou­ve­ment Gülen fut retiré de la liste des groupes menaçants par le gou­verne­ment AKP lui-même. Exam­inons com­ment la déci­sion de blo­quer les recom­man­da­tions de 2004 du NSC fut inter­prétée par l’ex-sous secré­taire adjoint du MIT (Agence nationale de ren­seigne­ment- NIA), Cevat Ones : “Mal­gré les divers­es inquié­tudes exprimées, le fait que la déci­sion de 2004 du NSC ne fut pas éval­uée à temps en ce qui a trait aux mesures poli­tiques et juridiques à pren­dre, a accéléré non seule­ment l’infiltration du mou­ve­ment Gülen dans les forces armées, mais aus­si dans la république de Turquie et ses insti­tu­tions”. Ce sont les ter­mes par lesquels Mr. Öneş, qui était l’un des directeurs du NIA, pointait du doigt le gou­verne­ment AKP comme l’un des prin­ci­paux acteurs respon­s­ables de l’occupation de l’Etat par une organ­i­sa­tion religieuse.

Il existe aus­si des déc­la­ra­tions faites par le gou­verne­ment AKP à ce sujet qui sont autant de con­fes­sions crim­inelles. Ceux qui n’ont pas voulu enten­dre les cri­tiques et les aver­tisse­ments jusqu’à ce que le mou­ve­ment les cible, ceux qui ont remis l’Etat et toutes ses insti­tu­tions à un gang et se sont fait leurs parte­naires de crimes, voudraient main­tenant nous faire croire qu’ils ont été “dupés”. Non, vous n’avez pas été dupés. C’est nous que vous avez ten­té de tromper.

J’aimerais aus­si men­tion­ner que, bien que nous répé­tions tout ceci depuis des années, le sys­tème judi­ci­aire en Turquie déploie des efforts futiles pour présen­ter le jour­nal Cumhuriyet comme une organ­i­sa­tion (ter­ror­iste) et nous comme des FETÖ-istes, alors qu’il n’a ouvert aucune enquête au sujet de ces sus­pects et s’est con­tenté de leur expli­ca­tion “on nous a dupés”.

Exam­inons com­ment l’AKP a traité le sys­tème judi­ci­aire au sujet de la con­gré­ga­tion Gülen.

Je vais citer à nou­veau le rap­port pré­paré par le CHP con­cer­nant la ten­ta­tive de coup d’état du 15 juillet.

Après cette ten­ta­tive, plusieurs mil­liers de juges/procureurs furent expul­sés du corps judi­ci­aire, où la con­gré­ga­tion Gülen occu­pait une place impor­tante. Cer­tains d’entre eux furent arrêtés.

Le rap­port du CHP inclut des con­stata­tions frap­pantes con­cer­nant les effec­tifs des juristes soumis aux purges. Le rap­port déclare que, par­mi les mem­bres du corps judi­ci­aire purgé par ordre exé­cu­tif après le putsch, le plus ancien était dans la pro­fes­sion depuis 1980. Entre 1980 et 2002, l’année où l’AKP prit le pou­voir, il y eut un total de 7 672 nom­i­na­tions de juges et de pro­cureurs par divers gou­verne­ments. De ceux-ci, 1 210 furent purgés après la ten­ta­tive de coup d’État. Pro­por­tion­nelle­ment par­lant, par­mi les juristes entrés dans la pro­fes­sion au cours des 23 dernières années, env­i­ron 16 pour cent furent ren­voyés au pré­texte de leurs con­nec­tions avec FETÖ.

Exam­inons main­tenant la péri­ode suite à la prise du pou­voir par l’AKP.

Le rap­port définit les années entre 2003 et 2010 comme représen­tant la pre­mière péri­ode AKP. Durant cette péri­ode, 3 637 juges-pro­cureurs furent nom­més, et de ce nom­bre, 1 255 furent ren­voyés. Cela représente env­i­ron 35 pour cent du total. Les min­istres de la jus­tice de l’époque furent Cemil Cicek, Mehmet Ali Sahin et Sadul­lah Ergin. Le rap­port exam­ine ensuite la sec­onde péri­ode, entre le référen­dum con­sti­tu­tion­nel de 2010 avec sa ten­ta­tive dém­a­gogique de met­tre un terme à la tutelle juridique et les 17/25 décem­bre 2013, dates des enquêtes sur les cor­rup­tions à l’ AKP. Les min­istres de la jus­tice à cette époque furent Sadul­lah Ergin et Bekir Bozdag. Entre eux deux, 876 juges/procureurs furent nom­més et 1 192 furent rayés des listes. Le pour­cent­age des expul­sions est de 42 pour cent.

Le rap­port se penche ensuite sur la troisième péri­ode AKP, suiv­ant la rup­ture du parte­nar­i­at entre l’AKP et la con­gré­ga­tion, c’est-à-dire de 2014 jusqu’à la ten­ta­tive de coup d’é­tat du 15 juil­let 2016. Bekir Bozdag était alors le min­istre de la jus­tice. Durant cette péri­ode, en rai­son de l’intensification de la guerre entre l’AKP et la con­gré­ga­tion, il y eut une cer­taine baisse dans le nom­bre de nom­i­na­tions de juristes liés à la con­gré­ga­tion. Par­mi les 2 281 juges/procureurs nom­més, 582 furent expul­sés, ce qui représente env­i­ron 26 pour cent du total. A titre de de com­para­i­son, pen­dant les 23 années écoulées entre 1980 et 2002, les effec­tifs de la con­gré­ga­tion dans le secteur juridique représen­taient env­i­ron 16 pour cent du total, alors que pen­dant les 14 années où l’AKP a occupé le pou­voir sans inter­rup­tion de 2003 à 2016, ils représen­taient 35 pour cent du total. Durant ces 14 années, 3 029 des 8 794 juges/procureurs nom­més par l’AKP ont été limogés. En ter­mes de pro­por­tions, les juristes qui furent limogés en rai­son de leurs liens avec le FETÖ représen­tent 35 pour cent du total. Même les pro­por­tions pour la péri­ode après le 17/25 décem­bre 2013, que le gou­verne­ment AKP utilise comme borne dans les enquêtes con­tre le FETÖ, sim­ple­ment pour s’exempter lui-même du crime par une ruse super­fi­cielle, sont au-dessus des moyennes de la péri­ode de 1980 à 2002.

Pour clore ce sujet j’ouvre une par­en­thèse con­cer­nant Bekir Boz­dağ, qui fut min­istre de la jus­tice jusqu’à la semaine dernière.

Bekir Bozdag est l’une des qua­tre per­son­nes à avoir occupé le poste de min­istre de la jus­tice durant le règne de 14 ans de l’AKP. Dans son dis­cours au par­lement le 24 mars 2011, Bozdag loua Fethul­lah Gülen en le décrivant comme « un pré­cieux atout pro­duit par ce pays ; une per­son­ne sage ; tout en lui est limpi­de”. Le 9 juin 2012, Bozdag partageait le mes­sage suiv­ant sur son compte twit­ter per­son­nel : “Depuis Antalya, je trans­mets mes salu­ta­tions au vénérable Hod­ja Effen­di.” Le 15 févri­er 2012, dans une émis­sion télévisée sur le canal CNN TURK, c’est Bekir Bozdag qui répon­dit à la ques­tion “existe-t-il une organ­i­sa­tion de la con­gré­ga­tion dans le sys­tème judi­ci­aire » avec les mots “cela n’est pas pos­si­ble”. Le 15 août 2013, au début de la guerre entre la con­gré­ga­tion et l’AKP, c’est Bekir Bozdag qui pub­lia le mes­sage suiv­ant sur twit­ter “ils ne pour­ront pas allumer le feu d’une enquête entre la con­gré­ga­tion et l’AKP.” L’aventure en tant que min­istre de la jus­tice de Bekir Bozdag, celui qui répondait que la présence de la con­gré­ga­tion dans le sys­tème judi­ci­aire  “n’était pas pos­si­ble”, aura duré de 2013 jusqu’à aujourd’hui.

Durant ces 4 années, jusqu’à la ten­ta­tive de coup d’é­tat du 15 juil­let, Bozdag a nom­mé 3 614 juges/procureurs. En d’autres ter­mes, 41 pour cent du total de 8 794 nom­i­na­tions durant les 14 années du règne du gou­verne­ment AKP, furent faites par le min­istre Bozdag en 4 ans. 1 228 juges/procureurs, nom­més par Boz­dağ, qui ne con­sid­éraient pas pos­si­ble que la con­gré­ga­tion ait infil­tré le sys­tème judi­ci­aire, furent limogés au pré­texte qu’ils étaient mem­bres de FETÖ.

Ce que nous dis­ent ces chiffres et ces pro­por­tions : Bekir Bozdag est l’un des prin­ci­paux respon­s­ables de la main­mise de la con­gré­ga­tion sur le sys­tème judi­ci­aire. Cepen­dant, pen­dant que nous étions empris­on­nés sous l’accusation d’être en lien avec le FETÖ, Bekir Bozdag, au titre de chef du Con­seil des juges et des pro­cureurs, et en sa capac­ité de min­istre de la jus­tice, ordon­na la purge des mem­bres du corps judi­ci­aire nom­més par lui, et ce jusqu’à la semaine dernière où l’on déci­da de lui attribuer d’autres fonctions.

Exam­inons aus­si la sit­u­a­tion au sein de l’organisation nationale des ren­seigne­ments (MIT) où Hakan Fidan est le sous-secré­taire qui reçut l’information con­cer­nant la ten­ta­tive de coup d’é­tat du 15 juil­let, quelques heures avant qu’il n’ait lieu, mais n’a pas pu/n’a pas su empêch­er la ten­ta­tive sanglante.

Eric Tan­ner, ex-sous-secré­taire de MIT fut l’un de ceux qui témoigna devant la com­mis­sion d’enquête par­lemen­taire sur la ten­ta­tive de coup d’état du 15 juil­let. Dans son témoignage, le sous-secré­taire à la retraite Tan­er, faisant référence à la péri­ode entre 2005 et 2010 lorsqu’il était en fonc­tion, et dit :

Pen­dant la péri­ode où j’y tra­vail­lais, l’infiltration de FETÖ au MIT était qua­si­ment nulle. On ne peut pas les embauch­er à moins de le vouloir. Si vous procédez à une enquête sérieuse, vous ne les embaucherez pas. Je ne peux rien dire sur ce qui s’est pro­duit après. Ce sera à l’autre admin­is­tra­tion de répon­dre. Main­tenant lorsqu’on dit que “70–80 per­son­nes influ­entes ont été limogées du MIT en rai­son de leurs liens avec FETÖ,” il n’est pas pos­si­ble de ne pas trou­ver ça étrange. Ça n’était pas le cas avant. 2,3,5 per­son­nes, peut-être. Nous n’avons pas d’objections à ce niveau. Mais dans la péri­ode récente, j’ai l’impression que ces embauch­es ont été plus faciles et plus trans­par­entes. Je suis à l’aise pour le dire.  “Le MIT est l’organisation la plus pro­pre dans toutes les insti­tu­tions de l’Etat en ce qui a trait à FETÖ et à d’autres organ­i­sa­tions destruc­tri­ces.

L’ex sous-secré­taire Tan­er, qui accuse claire­ment Hakan Fidan d’avoir per­mis l’infiltration du MIT par la con­gré­ga­tion, pense que le MIT est ” l’organisation la plus pro­pre ” en ce qui a trait au FETÖ. Le sous-secré­taire Hakan Fidan du MIT, qui ne s’est même pas présen­té devant la com­mis­sion d’enquête par­lemen­taire, ou qui fut empêché d’y présen­ter son témoignage, envoya son rap­port à la com­mis­sion con­cer­nant les effec­tifs du MIT en lien avec FETÖ. Le jour­nal­iste Müyess­er Yildiz, mon “vieil ami organ­i­sa­tion­nel » avec qui je fus arrêté et empris­on­né sur la base des men­songes de la con­gré­ga­tion, selon lesquels nous étions mem­bres d’Ergenekon, a expliqué le con­tenu de ce rap­port sur Oda TV. Selon le rap­port du MIT, en l’espace de 2 ans et demi, du 17 décem­bre 2013 au 15 juil­let 2016, des actions furent pris­es à l’encontre de 181 mem­bres du MIT et, après le coup, con­tre 377 autres. En d’autres mots, 558 per­son­nes au total, en lien avec FETÖ, ont été iden­ti­fiées dans une insti­tu­tion qu’on décrit comme “pro­pre”. 167 d’entre elles ont été limogées du ser­vice public.
Suite à des rup­tures de con­trat ou des démis­sions, 70 ont eu leurs liens coupés avec l’institution. On a aus­si mis fin aux assig­na­tions tem­po­raires de 272 mem­bres des forces armées turques/personnel polici­er. Au total, 509 mem­bres des effec­tifs du MIT ont été retirés de l’organisation, pen­dant que les 49 autres subis­saient divers­es actions, et que 5 d’autres eux retrou­vaient leurs postes. Il n’y a aucune infor­ma­tion sur le nom­bre des 558 qui furent nom­més au MIT par le sous-secré­taire Hakan Fidan depuis 2010. Cepen­dant, je vous rap­pelle à nou­veau que l’ex sous-secré­taire, Emre Tan­er, a accusé son suc­cesseur le sous-secré­taire Hakan Fidan con­cer­nant l’infiltration du MIT par la con­gré­ga­tion. L’ancien sous-secré­taire n’est pas le seul à avoir exprimé ces accu­sa­tions ou ces doutes au sujet de Hakan Fidan. Le pre­mier min­istre Binali Yıldırım est l’un de ceux qui a exprimé ces soupçons.

Ten­tons une explication… 

Aujourd’hui, nous savons tous en rai­son du témoignage de l’informateur, le major O.K., dans le cadre de l’enquête menée par le pro­cureur en chef d’Ankara, que le 15 juil­let 2016 à 14:00 il s’est ren­du au MIT pour les avis­er de l’imminence d’un coup d’état. Cepen­dant, le sous-secré­taire du MIT, Hakan Fidan, per­siste à dire que l’avertissement ne con­cer­nait pas une ten­ta­tive de coup d’état. Dans son témoignage, le chef d’état major Hulusi Akar a cor­roboré les dires de Hakan Fidan, selon lesquels le sous-secré­taire se serait présen­té au quarti­er général en men­tion­nant une opéra­tion aéri­enne con­tre le MIT, et un pro­jet pour son enlève­ment. Bien que le général Akar ait dit “nous avons pen­sé que ça fai­sait par­tie d’un plan plus large”, les tanks étaient dans les rues 7 heures après l’avertissement au MIT, et les avions à réac­tion bom­bardèrent le parlement.

Bien que la ten­ta­tive de coup d’état se sol­da par un échec, 250 per­son­nes furent mas­sacrées. Parce qu’on n’aurait pas com­pris que l’opération mil­i­taire con­tre le MIT util­isant des héli­cop­tères de com­bat et un enlève­ment du sous secré­taire fai­saient par­tie d’une ten­ta­tive de coup d’état. C’est du moins ce qu’on voudrait nous faire croire. Main­tenant, nous sommes en prison pour avoir racon­té ces choses, exprimé nos doutes et écrit là-dessus. Par con­tre, ceux qui admet­tent qu’ils n’avaient pas la capac­ité de com­pren­dre que ces événe­ments fai­saient par­tie d’une ten­ta­tive de coup d’état, con­tin­u­ent de diriger l’armée et le MIT. On sait que per­son­ne ne put con­tac­ter Hakan Fidan pen­dant quelques heures après le début de la ten­ta­tive. De plus, on ne sait pas pourquoi le sous-secré­taire Fidan n’a infor­mé ni le pre­mier min­istre Binali Yildirim ni le prési­dent Erdoğan, qui appelle Fidan “ma botte secrète ” en par­lant de la ten­ta­tive de coup d’état.

Le soir du 2 août 2016, le pre­mier min­istre Binali Yildirim, l’invité d’une émis­sion con­jointe en direct sur CNN Turk et Kanal‑D télévi­sion dit: “J’ai demandé au sous-secré­taire du MIT pourquoi il ne m’avait rien dit. Com­ment se fait-il que ni le pre­mier min­istre ni le prési­dent étaient au courant ? J’ai dit, ‘c’est nor­mal de l’avoir dit au chef d’état major mais il fal­lait aus­si le dire au pre­mier min­istre. Il n’a pas su répon­dre”.  En d’autres mots, le pre­mier min­istre a souligné le fait que la faille au MIT ne por­tait pas seule­ment sur une absence de ren­seigne­ment sur la ten­ta­tive de coup d’état. Dans une inter­view avec le pre­mier min­istre Yildirim, un an après le coup d’état man­qué, une autre infor­ma­tion a glis­sé entre les lignes, ravi­vant nos soupçons. L’entrevue con­duite par Fikret Bila avec le pre­mier min­istre Yıldırım fut pub­liée dans l’édition « Anniver­saire du 15 juil­let » du jour­nal Hür­riyet. Yıldırım y explique qu’après ses coups de télé­phone aux quartiers généraux de la police d’Istanbul et d’Ankara, il en vint à la con­clu­sion qu’ils fai­saient face à une ten­ta­tive de coup d’état le 15 juil­let. Il déclare n’avoir pu rejoin­dre le sous-secré­taire Fidan du MIT que deux heures après le début de la ten­ta­tive, soit aux envi­rons de 22.30 – 23.00. Yıldırım dit: “L’information ne nous fut pas trans­mise, ni à moi ni au prési­dent. Le sous-secré­taire (Hakan Fidan) n’a rien dit à ce moment. Il n’a rien dit au sujet du coup. Je lui ai demandé : ‘ Il y a une ten­ta­tive de coup d’é­tat, que faites-vous ?’ Il m’a répon­du : ‘ Non, ça n’est rien, tout est nor­mal. Nous tra­vail­lons.’ J’ai dit : ‘ Il se passe autre chose’.

Rap­pelons ce qui se pas­sait au moment où le sous-secré­taire du MIT Hakan Fidan expli­quait au pre­mier min­istre Yıldırım “non, ça n’est rien, tout est normal.”

A 21:00: les com­plo­tistes s’emparèrent des quartiers généraux de l’Etat major et des com­man­dants. Pen­dant qu’éclataient des escar­mouch­es avec ceux qui leur résis­taient, on com­mença à enten­dre des coups de feu.

A 22:00: on entendait les coups de feu au quarti­er général de l’état major et l’hélicoptère ouvrait le feu sur les per­son­nes à l’extérieur.

A 22:05: bien que le chef d’état major ne leur en ait pas don­né l’autorisation, des avions à réac­tion mil­i­taires d’Ankara tra­ver­saient le mur du son.

À 22:28: À Istan­bul, les tanks blo­quaient les ponts sur le Bosphore.

A 22:35: les aéro­ports d’ Istan­bul Atatürk et de Sabi­ha Gökçen étaient occupés par les complotistes.

Tous ces développe­ments furent d’abord annon­cés sur les médias soci­aux et, peu de temps après, sur les sta­tions de télévi­sion nationale.

Men­tion­nons aus­si que, peu de temps après que le pre­mier min­istre ait par­lé au sous-secré­taire Fidan, à 23:00, les quartiers généraux du MIT à Yen­ima­halle, Ankara, étaient pris pour cibles par des héli­cop­tères de com­bat. Mais Hakan Fidan dis­ait au pre­mier min­istre que “ça n’est rien, tout est nor­mal”. Comme a dit le pre­mier min­istre : “Il se passe autre chose”. En effet. Et nous con­tin­uerons à chercher la réponse à la ques­tion de  “l’autre chose” puisque tout le monde a le droit de con­naître les faits, et tout par­ti­c­ulière­ment les par­ents éplorés de ceux qui ont mis leur vie en jeu pour empêch­er le coup d’état.

Il ne fait aucun doute que l’une des places fortes de la con­gré­ga­tion Gülen au sein de l’Etat, c’est le ser­vice de la police.

Les dif­férents rôles joués par les policiers qui sont aus­si mem­bres de la con­gré­ga­tion Gülen dans le cadre des affaires Ergenekon, Baly­oz, Devrim­ci Karar­gah, KCK, Şike, Oda TV et autre “con­spir­a­tions” et enquêtes sim­i­laires en con­stituent la preuve la plus probante. Après le 15 juil­let, plus de 13 000 policiers furent démis de leurs fonc­tions en rai­son d’allégations de liens avec FETÖ. La grande majorité d’entre eux firent l’ob­jet d’un man­dat d’ar­rêt. Cepen­dant, nous devons indi­quer que le nom­bre d’officiers mem­bres de la con­gré­ga­tion est beau­coup plus élevé encore. Le proces­sus de restruc­tura­tion de l’organisation de la con­gré­ga­tion au sein des forces poli­cières avait déjà débuté dans les années 80.

En con­séquence, l’AKP n’est pas le seul par­ti respon­s­able de ce mou­ve­ment. Cepen­dant le fait que le gou­verne­ment AKP ait fer­mé les yeux sur les tricheries aux exa­m­ens des can­di­dats aux forces poli­cières ou ait trans­mis les ques­tions aux étab­lisse­ments d’enseignement Gülen avant les exa­m­ens, ou n’ait pas tenu compte des cri­tiques, les rend seuls responsables.

Voici quelques exemples :

-Les ques­tions lors de l’examen pour les officiers de la police, tenu le 26 août 2007, exa­m­en auquel ont par­ticipé plus 71 000 can­di­dats à tra­vers la Turquie auraient été volées au préal­able. Lorsque ce fait atti­ra l’attention des médias, on lais­sa enten­dre que les ques­tions auraient été fournies à la con­gré­ga­tion. Le min­istre de l’intérieur de l’époque, Besir Ata­lay déclara qu’une con­nais­sance préal­able des ques­tions ou leur fuite était peu prob­a­ble. Huit mois plus tard, les assur­ances de Besir Ata­lay se trou­vaient con­tred­ites. Les ques­tions de l’examen de l’école de tech­niques poli­cières firent l’objet d’une fuite aux cen­tres de for­ma­tion FEM, pro­priété de la con­gré­ga­tion, puis elles furent fournies avec la clé des répons­es à cer­tains des élèves le 13 sep­tem­bre 2009. L’examen, auquel avait par­ticipé plus de 60,000 can­di­dats, fut annulé après que la nou­velle fut dif­fusée aux informations.

-Les tricheries ont été avérées lors de l’examen du 12 mars 2012 à la direc­tion générale de la sécu­rité, exa­m­en con­vo­qué afin de combler un déficit d’officiers de niveau inter­mé­di­aire auquel par­ticipèrent 50 000 officiers de police. Par­mi les admis qui eurent des moyennes de 85–90 sur 100, 68 avaient des liens de famille et 485 fai­saient par­tie du per­son­nel le plus haut placé par la con­gré­ga­tion aux ser­vices du ren­seigne­ment, aux unités anti-con­tre­ban­des, à la direc­tion de la pro­tec­tion du pre­mier min­istre, et du greffi­er prin­ci­pal du min­istère. Il est aus­si apparu que ceux qui ont réus­si de l’examen de 2011 avaient répon­du cor­recte­ment à 19 ques­tions con­sid­érées plus tard comme erronées par une cour. La con­gré­ga­tion choi­sis­sait ses pro­pres mem­bres par­mi les étu­di­ants de l’académie de police dans les années 80, et avait placé ses pro­pres mem­bres dans l’organisation de la police en trichant aux exa­m­ens sous le gou­verne­ment AKP. Pen­dant les exa­m­ens, le gou­verne­ment AKP préféra faire la sourde oreille à ces allé­ga­tions qui firent l’objet de plaintes et furent aus­si rap­portées dans les médias. Le gou­verne­ment AKP n’ouvrit une enquête judi­ci­aire et des enquêtes admin­is­tra­tives sur les exa­m­ens qu’après que la con­gré­ga­tion ait ciblé l’AKP dans les enquêtes sur la cor­rup­tion les 17/25 décem­bre 2013.

Ceci ne représente que la pointe de l’iceberg à ce jour, y com­pris en ce qui con­cerne les organ­i­sa­tions mil­i­taires et judi­ci­aires qui prirent les armes con­tre leurs pro­pres con­frères dans la ten­ta­tive de coup d’état, sous la respon­s­abil­ité du gou­verne­ment AKP, de l’organisation poli­cière et du MIT. De toute évi­dence, la con­gré­ga­tion Gülen procé­da vers son but ultime sans ren­con­tr­er le moin­dre obsta­cle durant 14 ans de gou­verne­ment AKP. Qui plus est, la con­gré­ga­tion con­tin­ua d’accroître ses gains et de les pro­téger au sein du sys­tème sans ren­con­tr­er d’obstacles, mal­gré l’enquête du 7 févri­er 2012 du MIT démon­trant sans ambages leurs inten­tions, et les enquêtes sur les accu­sa­tions de cor­rup­tion des 17/25 décem­bre 2013. On peut résumer la réponse du gou­verne­ment AKP aux cri­tiques et aux aver­tisse­ments du dan­ger crois­sant avec une seule cita­tion. Le prési­dent adjoint de l’AKP à l’époque, Huseyin Celik, répon­dit ain­si aux cri­tiques con­cer­nant le pou­voir organ­isé de la con­gré­ga­tion au sein du gou­verne­ment : “Ils dis­ent que la con­gré­ga­tion s’est emparée du gou­verne­ment, s’est infil­trée dans le gou­verne­ment. Ces mots amuseraient les cor­beaux. Et bien, finis­sons-en avec cette para­noïa”.

J’aimerais évo­quer une dernière anec­dote me concernant. 

2011 fut l’époque de la plus grande puis­sance de la con­gré­ga­tion Gülen. À cette époque, les mem­bres du gou­verne­ment de l’AKP, la majorité des médias et la grande majorité des mem­bres du corps judi­ci­aire qui empris­on­nent tout le monde afin de prou­ver qu’ils sont les enne­mis de FETÖ, ne craig­naient nulle­ment de men­tion­ner les noms de Fethul­lah Gulen ou de la con­gré­ga­tion. Ils obéis­saient à la puis­sance du gou­verne­ment, de la con­gré­ga­tion, pour leur pro­pre béné­fice, tout comme ils obéis­sent à Recep Tayyip Erdo­gan et à l’ AKP maintenant.

Je fus arrêté à cette époque aus­si en rai­son d’un com­plot de la con­gré­ga­tion et le motif en était mon activ­ité pro­fes­sion­nelle, comme c’est le cas aujourd’hui. Je tra­vail­lais à un livre enquê­tant sur les gangs organ­isés de la con­gré­ga­tion au sein de la police et de l’appareil judi­ci­aire pen­dant l’enquête Ergenekon, ain­si que sur le rôle de la con­gré­ga­tion dans cette his­toire. Le livre s’intitulait “Imamin Ordusu” (“L’armée de l’Imam”) à une époque où tout le monde craig­nait la con­gré­ga­tion, y prê­tait allégeance et n’osait même pas dire son nom.

Recep Tayyip Erdo­gan était le pre­mier min­istre alors et il déclarait : “Cer­tains livres sont plus dan­gereux qu’une bombe”. Con­cer­nant les jour­nal­istes empris­on­nés il dis­ait, comme il le répète sou­vent aujourd’hui : “Ce ne sont pas des jour­nal­istes, ce sont des ter­ror­istes”. Bien sûr, nous n’en atten­dons pas autant, mais si Erdoğan avait lu, avait écouté, avait com­pris la rela­tion entre les livres, les écrivains et les jour­nal­istes au lieu de s’installer dans la crim­i­nal­ité, il y a de fortes chances que nous ne seri­ons pas ici aujourd’hui.

Qui plus est, si Erdo­gan était quelqu’un qui lit, il saurait que ce que Sal­vador Allende a dit à la junte fas­ciste au Chili : “L’histoire nous appar­tient, c’est le peu­ple qui fait l’histoire.” Oui, l’histoire est de notre côté cette fois encore. Donc, vous ne parvien­drez pas à faire ni du jour­nal Cumhuriyet ni d’aucun d’entre nous des “mem­bres d’une organ­i­sa­tion terroriste”.

Vous avez dû le com­pren­dre de ce que je vous ai dit jusqu’ici. Je ne vous présente ni une défense, ni une plaidoirie. Au con­traire, je vous présente une accu­sa­tion. Parce que ce qui est dit au début du texte “Acte d’accusation”, et qui sert de par­avent légal à cette opéra­tion poli­tique, ne légalise aucune­ment cette honte qui mérite d’être traitée comme une ordure. Tout comme cer­taines per­son­nes qui jouent le rôle de juristes et de pro­cureurs dans cette opéra­tion poli­tique ne sont pas des juristes pour autant.

Cette opéra­tion dirigée con­tre nous n’est rien d’autre qu’une per­sé­cu­tion visant les lib­ertés de pen­sée et d’expression, et la lib­erté de la presse ; cer­tains mem­bres du corps judi­ci­aire ont pris sur eux de jouer le rôle des lyncheurs dans cette per­sé­cu­tion. Dans une démoc­ra­tie dévelop­pée, le judi­ci­aire fonc­tionne selon les normes inter­na­tionales du droit. Il s’agit d’un pou­voir régu­la­teur respon­s­able d’établir la jus­tice : mais en Turquie, cer­tains mem­bres du corps judi­ci­aire se sont fait les fos­soyeurs de la justice.

Il n’est pas éton­nant de trou­ver dans un pays où des aspi­rants dic­ta­teurs veu­lent insti­tu­tion­nalis­er un sys­tème qui n’est pas régi par les règles de la démoc­ra­tie de trou­ver un sys­tème judi­ci­aire qui souf­fre de pau­vreté poli­tique et intel­lectuelle. Si vous retirez le droit, la jus­tice, la con­science et le mérite du sys­tème judi­ci­aire, ce qui reste, c’est l’état actuel de la jus­tice en Turquie.

Nous savons per­tinem­ment par nos expéri­ences que des appels human­i­taires aux droits, à la jus­tice et à la légal­ité ne vous atteignent pas. C’est pourquoi je ne vous présen­terai aucune requête de cette sorte. Je voudrais seule­ment vous dire que les toges qui vous entourent comme une armure pro­tec­trice sont faites de vies humaines et de libertés.

L’organisation que vous cherchez au jour­nal Cumhuriyet est aux com­man­des du pays sous le déguise­ment d’un par­ti poli­tique. Les médias qui sont devenus « la voix de son maître » sont au ser­vice des men­songes de cette organ­i­sa­tion du vice, tout comme la vérité est au ser­vice du pub­lic. Ils masquent les crimes et se char­gent de les faire pro­lifér­er en banal­isant le vice. C’est cela, répan­dre la pro­pa­gande de l’organisation. Parce qu’à nou­veau nous faisons face à une vérité bien con­nue : le crime est le ciment le plus puis­sant au monde. C’est ce ciment qui lie le pou­voir poli­tique, la bureau­cratie, le sys­tème judi­ci­aire, le cap­i­tal­isme du pil­lage et les médias qui sont devenus “la voix de son maître”.

Ceux qui croient que ce sale sys­tème, cette dynas­tie du crime dur­era tou­jours se trompent. Comme toutes les dic­tatures qui ont assom­bri les pages de l’histoire, ceux qui tra­vail­lent à leur pro­pre avance­ment avec la faim insa­tiable de leur hargne et de leur ambi­tion pré­par­ent tou­jours leur pro­pre fin. Lorsqu’ils attein­dront les enfers dont ils auront eux-mêmes pavé l’accès, il ne restera plus rien de leur arro­gance glo­rieuse et de leur con­de­scen­dance stupé­fi­ante. Per­son­ne ne doit douter du fait que la base de cette organ­i­sa­tion du vice sera rompue avec tous ses mem­bres et toutes ses insti­tu­tions. Parce que, dans ce pays :

• Mal­gré les enne­mis de la démoc­ra­tie, il y a ceux qui se bat­tent pour une démoc­ra­tie large et durable.
• Mal­gré ceux qui assas­si­nent la jus­tice, il y a ceux qui défend­ent la supré­matie du droit.
• Mal­gré ceux qui glo­ri­fient la guerre et la mort afin de per­pétuer leurs prof­its, il y a ceux qui se bat­tent pour la paix et les valeurs essen­tielles de la vie.
• Mal­gré les tueurs d’enfants et les pro­tecteurs des pédophiles, il y a ceux qui tra­vail­lent à trans­former les rêves des enfants en réalités.
• Et mal­gré ceux qui veu­lent tor­dre le cou à la vérité, il y a encore ceux qui veu­lent être journalistes.

Voilà tout ce que je veux répon­dre à une opéra­tion qui vise à crim­i­nalis­er mes activ­ités de jour­nal­iste. Il ne s’agit pas d’une déc­la­ra­tion pour ma défense parce que je con­sid­ér­erais cela comme une insulte au jour­nal­isme et aux valeurs morales de ma profession.

Parce que le jour­nal­isme n’est pas un crime.

La crim­i­nal­i­sa­tion des activ­ités jour­nal­is­tiques est un trait com­mun aux régimes totalitaires.

Mon expéri­ence me démon­tre qu’en rai­son de mes activ­ités jour­nal­is­tiques j’ai réus­si à offenser le sys­tème judi­ci­aire de chaque gou­verne­ment et de chaque époque. Je suis fier de cet héritage que je lèguerai à ma fille. Je sais que le gou­verne­ment et son sys­tème judi­ci­aire ont des comptes à régler avec moi. Mais je tente de pra­ti­quer le jour­nal­isme. Aujourd’hui, je pra­tique le jour­nal­isme en fonc­tion du pou­voir de la vérité et non pas en fonc­tion du pou­voir du gou­verne­ment ou de toute autre cen­tre de pou­voir, comme c’est couram­ment la pra­tique en Turquie. Parce qu’exercer le méti­er de jour­nal­iste sous des régimes qui n’ont pas grand chose à voir avec la démoc­ra­tie et devi­en­nent gradu­elle­ment de plus en plus total­i­taires, implique de franchir la ligne rouge. Et le jour­nal­isme ne peut pas s’exercer en respec­tant les lignes et si on le fait, on ne peut pas appel­er cela du journalisme.

Si vous écrivez et que vous par­lez sous autori­sa­tion, vous serez écrasé sous le poids de votre inep­tie. C’est pourquoi, je dis qu’aujourd’hui, j’ai été un jour­nal­iste. Et je con­tin­uerai à exercer mon méti­er demain. Cela implique que la con­tra­dic­tion irré­c­on­cil­i­able entre nous et ceux qui veu­lent tor­dre le cou à la vérité ne se ter­min­era jamais. En ces jours som­bres, nous n’avons pas besoin d’une perte addi­tion­nelle de vérité. Plus que tout, nous avons besoin de plus de vérité.

En con­séquence, je vais con­tin­uer à respecter la vérité plus que moi-même et con­tin­uer de refuser d’être un des con­formistes qui nient la vérité. Pour cela, il est évi­dent qu’il y a un prix à pay­er. Mais ne croyez pas que cela nous fasse peur. Ni moi, ni les “jour­nal­istes à l’extérieur” avec lesquels je suis fier d’être amis n’ont peur de vous, qui que vous soyez.

Parce que nous savons que le courage est ce que les tyrans craig­nent le plus.

Et les tyrans doivent savoir qu’aucune cru­auté n’empêchera le pro­grès de l’histoire.

A bas la tyran­nie, longue vie à la liberté.

Ahmet Şık

Tra­duc­tion par Renée Lucie Bourges
iknowiknowiknowblog.wordpress.com


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