Cumhuriyet fait par­tie des piles de jour­naux lus, qui trônèrent longtemps sur le canapé. Et, du coup, je me pose une ques­tion depuis que mon livreur de “nou­velles” a changé.

Aurait-il été arrêté ?

Car, à la lec­ture de la défense des accusés du procès qui se tient en ce moment, une vraie ques­tion se pose :

Le livreur ayant touché le jour­nal durant tant de temps chaque jour, et ce jour­nal étant rédigé et dirigé par des jour­nal­istes qui ont fait entretenir leurs par­quets par un arti­san dont le beau-frère con­nais­sait une per­son­ne qui con­nais­sait quelqu’un qui lui aurait par­lé de Gülen lors d’un repas au restau­rant, j’ai de l’in­quié­tude pour le garçon, et pour moi, par ric­o­chet. J’e­spère qu’il ne le fer­ont pas parler…

Je crois qu’en français, vous appelez ça l’his­toire de “l’homme, qui a vu l’homme, qui a vu l’ours” non ?

Les pro­cureurs ont rédigé de tels actes d’ac­cu­sa­tion qu’il suf­fit main­tenant de faire ses cours­es dans la même bou­tique que la voi­sine du cousin d’une per­son­ne soupçon­née, pour se retrou­ver tous en garde à vue, bou­tiquier compris.

Musa Kart, au hasard, le car­i­ca­tur­iste du jour­nal Cumhuriyet s’est du coup défendu en dis­ant ” Plutôt que de rester tran­quille­ment dans une cham­bre avec vue sur la mer à Bodrum en espérant 3 jours ensoleil­lés, j’ai passé 9 mois avec vue sur la cel­lule de béton à Silivri. Je vis une erreur de réser­va­tion et je ne pou­vais pas laiss­er pass­er cela sous silence ».

Com­ment répon­dre autrement à un pro­cureur d’in­jus­tice qui sérieuse­ment est capa­ble, dans le même acte d’ac­cu­sa­tion con­tre les jour­nal­istes, de leur reprocher de défendre dans leurs colonnes 3 organ­i­sa­tions en même temps, dites crim­inelles et ter­ror­istes, et qui se com­bat­tent à mort qua­si toutes les trois ?
A ce compte là, autant les pour­suiv­re pour adultères mul­ti­ples, y aura bien un arti­cle de la charia qui correspondra.

Musa Kart a, face à lui, une demande de 29 années d’emprisonnement. Il serait mem­bre d’une organ­i­sa­tion con­tre laque­lle il a attiré l’at­ten­tion par car­i­ca­tures inter­posées, sur la place trop impor­tante, en tant que bras droit d’Er­doğan, qu’elle occu­pait alors dans l’ap­pareil d’E­tat. Depuis le divorce Erdoğan-Gülen a été pronon­cé. Cela n’en­lève rien à la justesse des car­i­ca­tures. Et en 23 ans, Musa en a fait, des car­i­ca­tures, con­tre Gülen… Alors, dira sans doute le pro­cureur, “qui aime bien châtie bien”.

Ras­surez-vous, toutes les plaidoiries des accusés dénon­cent l’hypocrisie, l’in­co­hérence, l’ab­sence de jus­tice, et le font avec sérieux aus­si. Non pas parce que les jour­nal­istes de Cumhuriyet pensent un instant con­va­in­cre les juges, mais parce que de ce que j’en ai vu, leurs con­frères jour­nal­istes européens se bougent enfin et dif­fusent leurs pro­pos. Il était temps que cela sorte des sites inter­net pour ini­tiés et des petits cer­cles de jour­nal­istes con­scients de l’am­pleur des purges… Ça fait com­bi­en de temps que je râle en dis­ant qu’il n’y aura bien­tôt plus rien à lire qui ne sente l’after-shave du Reis ?

Lorsque dans les mêmes jours, on s’en­tend dire, et on voit écrit que nos “autorités” désig­nent main­tenant Amnesty comme une nou­velle organ­i­sa­tion ter­ror­iste qui s’é­tait réu­nie pour organ­is­er un putsch secret, un an après celui, raté mais tombé du ciel pour Erdoğan, on hallucine.

Notre régime devient celui de l’homme qui a vu l’homme, qui n’a pas vu le psychiatre.

Le pire, c’est que si demain, le Reis réclame le rétab­lisse­ment de la peine de mort con­tre les défenseurEs du droit, et des droits humains en par­ti­c­uli­er, il y en a qui trou­veront ça intelligent.

L’E­tat est un tueur en série” a dit Ahmet Şık, en répon­dant à une accu­sa­tion du Pro­cureur, qui lui reprochait de par­ler d’un “Etat meur­tri­er”. Et il a eu rai­son le bougre, faut être pré­cis dans les ter­mes qu’on emploie.

Mais il n’y a pas de pilules con­tre la folie meur­trière d’un régime qui tourne autour de son chef, sans savoir com­ment s’ar­rêter. La toupie fascine.
Si cela ne me fai­sait pas du mal, je vous ferais traduire cha­cune des plaidoiries d’ac­cusésE ou de leur défenseurs­Es qui réson­nent entre les murs des tri­bunaux. Mais je cesse même d’aller les trou­ver sur le net. Cumhuriyet ne m’en voudra pas de ne plus pou­voir me déplac­er non plus pour les soutenir. Je me réserve pour mon ancien livreur de journaux.

La Turquie est une prison que vien­nent vis­iter les touristes en quête de soleil et d’ex­o­tisme. Et nous con­tin­uons de leur sourire, comme si de rien n’é­tait. Peut être Varso­vie se vis­i­tait-elle aus­si durant les années 1940 ? Elle était si belle, cette ville, avant sa destruction.

Au fait, vous devriez déplac­er le siège européen à Munich… Une idée, comme ça.


Eng­lish Cumhuriyet, your repub­lic is a dictatorship

Image à la une : Oğuz Demir

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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…