Cet arti­cle est basé sur une série d’en­tre­tiens réal­isés à Kobanê en jan­vi­er 2017.
L’au­teur, Mar­got Cassiers, est mem­bre de l’équipe de l’In­sti­tut kurde à Brux­elles (Bel­gique).

In Eng­lish: Kobanê, two years after Daesh


Nous atteignons la ville le soir, mais à un moment où aucune obscu­rité n’est bien­v­enue. Nous sommes le 26 jan­vi­er 2017, le soir précé­dent, pour la ville de Kobanê, la célébra­tion du deux­ième anniver­saire de sa libéra­tion de Daesh (IS). Le Cimetière des Mar­tyrs, qui a été con­stru­it après la libéra­tion, est plein de vie et de lumière. Cette soirée est con­sacrée aux nom­breux com­bat­tants qui ont don­nés leurs vies — et à ceux qui con­tin­u­ent de le faire — pour pro­téger la ville et la région de Roja­va de ses nom­breux enne­mis. À l’en­trée du cimetière, des com­bat­tants et leurs amis dansent et chantent pour célébr­er la vic­toire, à n’importe quel prix. Mais au-delà de l’acclamation, il y a le deuil et des prières intens­es : le cimetière même est entière­ment éclairé par des bou­gies posées sur chaque pierre tombale, pour un rap­pel visuel du nom­bre des vic­times de cette guerre à Kobanê.

En jan­vi­er 2015, Kobanê deve­nait un sym­bole mon­di­al de la résis­tance con­tre Daesh et de la vic­toire con­tre toutes les attentes. Un groupe de com­bat­tants de YPG/YPJ, petit et mal équipé, mais soutenu par des alliés de l’Ar­mée Syri­enne Libre et des pesh­mer­ga kur­des irakiens et avec du sou­tien aérien améri­cain, a réus­si à repren­dre la ville de Daesh. Kobanê avait été assiégée depuis octo­bre 2014, ce qui avait généré près d’un demi-mil­lion de réfugiés vers la fron­tière turque. Bien que la plu­part des habi­tants aient pu fuir avant l’arrivée de Daesh, env­i­ron 500 civils et 700 com­bat­tants ont per­du leur vie pen­dant le siège et la bataille qui ont suivi. Les par­ties de la ville qui étaient sous le con­trôle de Daesh ont été entière­ment repris­es le 27 jan­vi­er 2015. Au cours des mois qui ont suivi, le reste du can­ton a égale­ment été recon­quis. Cette vic­toire a été un tour­nant dans la guerre con­tre Daesh, et a changé fon­da­men­tale­ment la vision des com­bat­tants YPG et YPJ et leur image dans le reste du monde.

Deux ans plus tard, la guerre en Syrie con­tin­ue, avec de nou­veaux som­mets d’horreur réguliers et avec une impli­ca­tion inter­na­tionale de plus en plus com­plexe. Au milieu de cette guerre hor­ri­ble, la région con­nue sous le nom de Roja­va (depuis décem­bre 2016 offi­cielle­ment nom­mée ‘Sys­tème Fédéral Démoc­ra­tique de la Syrie du Nord’) a été rel­a­tive­ment sta­ble et a com­mencé à recon­stru­ire sa société post-guerre, au sens le plus large du terme. Nous avons vis­ité Kobanê, deux ans après sa libéra­tion, pour témoign­er de la recon­struc­tion d’une ville en ruines.

 Contrat social de la Fédération Démocratique de la Syrie du Nord

Les gens ici aiment leur terre

Kobanê est restée un sym­bole impor­tant de résilience et est devenu l’a­vant-garde des travaux de recon­struc­tion dans la région. Ceci est pénible­ment néces­saire, car la ville a été retrou­vée 80% détru­ite après la libéra­tion, avec des cadavres encore éparpil­lés dans les décombres.

Mal­gré la destruc­tion énorme, les gens ont com­mencé à ren­tr­er dans la ville très rapi­de­ment après la libéra­tion. Berivan (25), qui tra­vaille pour l’ad­min­is­tra­tion du can­ton de Kobanê, explique. Elle, comme beau­coup d’autres habi­tants de Kobanê, a fui vers la région kurde en Turquie pen­dant le siège de Daesh. Après la libéra­tion, elle est rev­enue. “Tout était détru­it”, se sou­vient-elle. “Mais la plu­part des gens sont revenus immé­di­ate­ment parce que les gens adorent Kobanê. Beau­coup de familles devaient vivre dans des maisons détru­ites. Mais ils l’ont fait, parce qu’ils aiment leur terre et ils ne voulaient pas par­tir.” Elle explique que, pour le moment, entre 216 000 et 300 000 per­son­nes habitent dans tout le can­ton, dont 60 000 dans la ville-même.

Kobanê

Berivan pen­dant la fête de la libéra­tion le 27 jan­vi­er 2017

Deux ans après la libéra­tion, la ville est encore large­ment détru­ite, mais bour­donne d’ini­tia­tives pour recon­stru­ire. La force motrice de ces efforts de recon­struc­tion est le Kobanê Recon­struc­tion Board (KRB). L’or­gan­i­sa­tion coor­donne les travaux de recon­struc­tion dans la ville et crée des bâti­ments publics tels que les hôpi­taux, les écoles, etc.

Dans les bureaux de KRB à la périphérie de la ville, nous ren­con­trons quelques femmes qui tra­vail­lent fort pour réalis­er les efforts réal­isés ici. Rosa (25) est ingénieur civ­il, Evin (21) fait la ges­tion finan­cière et Fati­ma (40) fait du tra­vail domes­tique. Les trois femmes ont tra­vail­lé pour KRB depuis le début et rap­pel­lent à quel point Kobanê a revécu dans ces deux années passés : “En févri­er 2015, il n’y avait absol­u­ment rien ici. Il y avait encore des corps sous les débris. Ils n’y avaient pas d’é­coles, il n’y avait pas assez de nour­ri­t­ure, pas d’eau, pas d’élec­tric­ité…” La plu­part des maisons de la ville ont de l’élec­tric­ité pour douze à treize heures par jour. “Il y a tou­jours de l’eau main­tenant. Il y a deux ans, on n’avait pas de légumes, main­tenant presque tout le monde en a.”

Kobanê

De gauche à droite : Rosa, Fati­ma et Evin

Cepen­dant, ils restent de nom­breuses dif­fi­cultés qui entra­vent les efforts de recon­struc­tion. L’ac­cès à la région est blo­qué de qua­tre côtés : Daesh, le régime syrien, la fron­tière avec la région kurde en Irak et la fron­tière turque.

Anna (pas son vrai nom) est une archi­tecte étrangère qui s’en­gage pour le KRB. Elle a passé env­i­ron cinq mois à Kobanê en 2016 et vient de repren­dre son tra­vail pour quelques mois. Elle explique que KRB a été créé juste après la guerre, par cer­tains ingénieurs du Bakur, la région kurde en Turquie. À l’époque, il y avait un accès facile à Kobanê par la Turquie, une sit­u­a­tion qui a mal­heureuse­ment changé com­plète­ment à ce stade. (Au début de Juin 2017, les autorités turques ont ter­miné un mur de 700 km de long sur la fron­tière syrienne-turque.)

Anna pré­cise que KRB est com­posé de six ingénieurs, deux coor­di­na­teurs, qua­tre ges­tion­naires financiers et env­i­ron 400 tra­vailleurs. En par­lant du tra­vail de l’or­gan­i­sa­tion, elle dit que dans son fonc­tion­nement quo­ti­di­en, la ges­tion des ressources est encore plus impor­tante que le design. “C’est parce que nous devons gér­er la sit­u­a­tion avec des ressources très lim­itées. Nous sommes dans une zone de guerre, donc nous ne pou­vons rien per­dre, car cela pour­rait sig­ni­fi­er un manque de matériel pour d’autres projets.”

Mal­gré le tra­vail accom­pli, Anna sait que la recon­struc­tion de Kobanê pren­dra du temps. “Nous ne traitons pas seule­ment d’un manque de ressources. Toutes les infra­struc­tures sont ruinées et, à cause de l’embargo, nous ne pou­vons rien importer. Cepen­dant, mal­gré ces cir­con­stances dif­fi­ciles, le tra­vail va bien.” Anna a vis­ité Kobanê pour la pre­mière fois en mars 2015 et elle est vrai­ment impres­sion­née de voir com­bi­en a été réal­isé depuis lors.

Le tra­vail de recon­struc­tion qui se déroule à Kobanê n’est pas seule­ment un tra­vail tech­nique, mais a aus­si une dimen­sion idéologique impor­tante. La ville, comme le reste de Roja­va, est recon­stru­ite selon les principes de la démoc­ra­tie fon­da­men­tale, l’é­gal­ité entre les sex­es, le respect écologique et l’é­conomie alter­na­tive, et selon les analy­ses du dirigeant empris­on­né du PKK Abdul­lah Öcalan sur le con­fédéral­isme démoc­ra­tique. Cela a notam­ment attiré Anna pour par­ticiper aux efforts de recon­struc­tion. Elle est orig­i­naire d’un pays du Moyen-Ori­ent elle-même et elle croit que les efforts visant à recon­stru­ire fon­da­men­tale­ment la société qui se font ici, pour­raient inspir­er le reste de la région. C’est pour cela que Anna voulait pren­dre part à ce qui se passe au Roja­va et soutenir le mou­ve­ment plus large qui organ­ise les efforts de recon­struc­tion ici — et elle n’est pas seule. Anna a plusieurs autres amis inter­na­tionaux qui sont venus dans la région pour aider là où ils peu­vent, ce qui pour cer­tains sig­nifi­ait un engage­ment armé. Pour Anna, cela sig­nifi­ait utilis­er ses com­pé­tences archi­tec­turales pour aider à recon­stru­ire Kobanê.

 Les articles de Kedistan sur le confédéralisme démocratique

Ce qu’elle aime en par­ti­c­uli­er à pro­pos de KRB, c’est qu’il existe une croy­ance pro­fonde de ne pas lim­iter le tra­vail aux normes académiques ou bureau­cra­tiques et de ne pas se com­porter comme des tech­nocrates. Plutôt, il faut avoir une approche éthique de tout. Par exem­ple, si un ingénieur n’a pas de bonnes rela­tions avec les tra­vailleurs, il ne sera pas accep­té. Tout le sys­tème est basé sur des ques­tions telles que com­ment pou­vons-nous tra­vailler ensem­ble et créer quelque chose ensem­ble, au lieu de sim­ple­ment faire ce qu’une classe d’élite intel­lectuelle nous dit de faire.

Cepen­dant, tra­vailler comme jeune archi­tecte et coor­di­na­trice de pro­jets n’est pas une chose facile dans le con­texte cul­turel de Kobanê. Pour Anna, c’est pré­cisé­ment pour cela que le tra­vail au KRB est telle­ment intéres­sant : “Ici, tu dois être impliqué dans tout, tu ne peux pas juste t’asseoir dans ton bureau, peu importe si tu es un homme ou une femme. Au début, il était dif­fi­cile pour les tra­vailleurs, de faire un pro­jet mené par une jeune femme. Mais c’est pré­cisé­ment le but de la révo­lu­tion : de faire par­ticiper active­ment toutes les femmes. Et après deux mois, les deux ingénieurs féminins du KRB avaient leurs pro­pres projets.”

Nous nous sommes réveillés et nous ne pouvons pas retourner en arrière

Quand on lui demande quel pro­jet l’a touché le plus, Anna pense immé­di­ate­ment à une Mai­son des femmes qui sera gérée par Kon­gra Star. Elle explique que “Le cœur de la révo­lu­tion est là. Elles sont le moteur de change­ment le plus impor­tant, car elles créent de nou­velles règles et changent active­ment la société.”

Kon­gra Star est une con­fédéra­tion de femmes et d’or­gan­i­sa­tions de femmes dans toute la région de Roja­va. Une réu­nion, quelques jours plus tard, avec six femmes qui coor­don­nent le tra­vail de Kon­gra Star à Kobanê, met en lumière la révo­lu­tion fémin­iste qui est dev­enue le sym­bole des change­ments socié­taux au Roja­va. Les femmes expliquent que Kon­gra Star com­prend 26 organ­i­sa­tions, qui tien­nent cha­cune des réu­nions chaque mois. Les représen­tants de ces organ­i­sa­tions se ren­con­trent régulière­ment et les coor­di­na­teurs de Kon­gra Star Kobanê se voient même chaque semaine. Chaque quarti­er a une organ­i­sa­tion de femmes et toutes sont représen­tées au bureau cen­tral de Kon­gra Star à Kobanê. Ici, elles organ­isent des réu­nions et des ate­liers et c’est là que les gens vien­nent quand ils ont des prob­lèmes. Elles expliquent en out­re que toutes les femmes des organ­i­sa­tions, mais aus­si les femmes qui tra­vail­lent pour l’ad­min­is­tra­tion can­tonale, etc., doivent toutes être approu­vées par Kon­gra Star. Per­son­ne ne peut décider pour les femmes si quelqu’un est bien ou non, ils peu­vent for­muler une cri­tique, mais ils ne peu­vent pas décider pour elles.

Un des objec­tifs les plus impor­tants de Kon­gra Star est de chang­er la men­tal­ité des gens du Roja­va, ce qui est encore large­ment une société patri­ar­cale basée sur des struc­tures trib­ales. Pour cette rai­son, Kon­gra Star organ­ise des ate­liers oblig­a­toires sur divers sujets, dont l’his­toire du Kur­dis­tan, l’his­toire de la femme, l’his­toire du Moyen-Ori­ent, l’au­todéfense, la jinéolo­gie (des études de la femme kur­des), l’hy­giène, l’é­conomie alter­na­tive, le con­fédéral­isme démoc­ra­tique, etc.

 Qu'est-ce que la jinéologie ?
Document mis à votre disposition par le Mouvement International des Femmes Kurdes

À la base de ces efforts est une liste de 28 principes qui trait­ent de sujets tels que le mariage, le divorce, la vio­lence domes­tique, les droits des femmes, les enfants, les rela­tions famil­iales, etc. Les principes stip­u­lent, par exem­ple, que des mariages avec des enfants ou des mariages for­cés ne sont pas autorisés et que toutes les organ­i­sa­tions devraient inclure les femmes. La liste a été créée en fonc­tion des propo­si­tions des femmes en 2014, qui ont ensuite été dis­cutées dans les trois can­tons en 2015 et ont été mod­i­fiées et for­mulées au cours de nom­breuses réu­nions. Les principes ont été mis en pra­tique en 2016.

Ces principes sont présen­tés et enseignés pen­dant des ses­sions de for­ma­tion. Il est impor­tant de not­er que ces séances de for­ma­tion sont égale­ment pour les hommes, car “si on veut chang­er quelque chose, on doit chang­er toute la société”, comme une des femmes l’ex­plique. Quand on demande si cela était dif­fi­cile pour les hommes, les femmes répon­dent : “Nous avons par­lé avec la société de ces principes. Tout le monde ne peut pas les accepter au début. C’est pour cette rai­son que nous organ­isons des séances de for­ma­tion, pour aider les gens à chang­er les anci­ennes opin­ions qu’ils ont.” Un d’eux ajoute : « Lorsque nous avons dis­cuté de ces sujets avec dif­férents groupes dans la société, cer­tains hommes nous ont dit que ces principes auraient peut-être dû être écrits 10 ans en arrière. Ils dis­aient qu’ils ont appris leurs pro­pres façons de voir les choses de leurs pères.

Lorsqu’on leur demande si ces change­ments dureront, les femmes sont fer­mes “Avant, nous, les femmes, restions tou­jours dans nos maisons. Main­tenant, nous avons survécu à une guerre, main­tenant nous nous sommes réveil­lées et main­tenant nous ne pou­vons pas retourner.”

Cinq médecins sont restés

Mal­gré le tra­vail idéologique pour chang­er la société de Kobanê vers l’avenir, la ville est encore en proie à ce qui se passe aujour­d’hui dans la région. La grav­ité de la sit­u­a­tion plus large­ment au Roja­va influe sur les per­son­nes à Kobanê. Cela devient devient clair quand nous ren­con­trons un groupe de médecins du min­istère de la Santé.

Les médecins expliquent qu’ils y ont trois organ­i­sa­tions qui tra­vail­lent sur des prob­lèmes de san­té à Kobanê : le min­istère de la San­té du can­ton de Kobanê, Hey­va Sor (Crois­sant-Rouge kurde) et l’assem­blée des médecins. Le min­istère de la San­té fait le tra­vail offi­ciel et coor­donne les phar­ma­cies et les hôpi­taux. Hey­va Sor fait le tra­vail pra­tique et organ­i­sa­tion­nel et fait des rap­ports tous les mois avec un aperçu de tous les malades. L’assem­blée est com­posée de treize organ­i­sa­tions, ain­si que de la munic­i­pal­ité et des bénév­oles, et fait des éval­u­a­tions des besoins de la pop­u­la­tion en matière de santé.

Il y a deux hôpi­taux à Kobanê : un général et un pour les femmes et les enfants. Remar­quable­ment, les deux hôpi­taux fonc­tion­nent sans finance­ment : obtenir de l’aide est gra­tu­it là et les médecins fonc­tion­nent sans salaire. Les doc­teurs expliquent que tous ceux qui tra­vail­lent dans les hôpi­taux tra­vail­lent pour Hey­va Sor et qu’ils n’ac­ceptent pas un salaire, juste ce dont ils ont besoin pour sur­vivre. Un des doc­teurs explique que pen­dant la résis­tance, lorsque Daesh était à Kobanê, seule­ment cinq médecins sont restés. Actuelle­ment, ils sont 53 médecins dans tout le canton.

Quand on leur demande si la sit­u­a­tion s’é­tait améliorée depuis deux ans, les médecins dis­ent que la sit­u­a­tion a en réal­ité empiré. “Le prob­lème est que les hôpi­taux de Kobanê sont les seuls qui sont libres de Man­bij à Raqqa, donc beau­coup de gens vien­nent ici, même de l’ex­térieur du can­ton et même pour des accouche­ments.” Par con­séquent, Kobanê est devenu un cen­tre d’ur­gence pour les soins de san­té dans la région.

 Dr. Dorpec, “Kobanê a transformé ma vie”

Cepen­dant, comme toutes les choses à Kobanê, le tra­vail des organ­i­sa­tions de san­té est sévère­ment lim­ité en rai­son du blocage et de l’embargo actuel. Comme un des médecins l’ex­plique : “Nous sommes dans une zone entourée par la guerre sur qua­tre côtés. La guerre s’est propagée et main­tenant  le Bakur (la région kurde en Turquie) est égale­ment sous attaque.” En con­séquence, il y a un manque chronique de médica­ments. Par exem­ple, ils exis­tent de nom­breux dia­bé­tiques à Kobanê qui ont besoin de médica­ments, mais il n’y a que des médica­ments pour les con­di­tions les plus urgentes.

Le prob­lème n’est pas seule­ment que les médica­ments ne peu­vent pas être intro­duits dans la région, mais aus­si qu’on ne peut pas envoy­er des per­son­nes malades à tra­vers la fron­tière pour obtenir un meilleur traite­ment médi­cal. Et, surtout, il existe un besoin urgent de machines et d’autres struc­tures et aides médi­cales. Des nom­breuses formes d’équipement qui sont prêts à être envoyés sont blo­quées à la fron­tière, y com­pris les ambu­lances. Les machines néces­saires à Kobanê com­pren­nent : des machines de dial­yse, les bal­ayages CT et les machines ECG / EKG. Un des médecins l’explique : “Par­fois, les gens sont paralysés à cause, par exem­ple, d’une blessure par balle. C’est pos­si­ble que nous puis­sions les aider facile­ment, mais parce que nous n’avons pas de bal­ayage, nous ne pou­vons même pas cor­recte­ment localis­er la balle. Si nous pou­vons obtenir cer­taines de ces machines, nous pour­rions sauver plus de vies et aider les per­son­nes qui sont con­damnées à souf­frir maintenant.”

Quand on leur demande quels sont les prin­ci­paux prob­lèmes de san­té et mal­adies, les médecins répon­dent que la plu­part des gens subis­sent encore des blessures à cause de la guerre, comme des blessures par balles ou des blessures par mines. En plus, le fait que c’est l’hiver au moment de l’en­tre­vue entraîne égale­ment de nom­breux prob­lèmes. Les médecins se rap­pel­lent que deux enfants sont déjà décédés cet hiv­er dans un des camps de réfugiés, à cause du froid. Il y a beau­coup de réfugiés d’autres par­ties de la Syrie dans la région, qui restent prin­ci­pale­ment dans des camps et des vil­lages près de Kobanê. Hey­va Sor essaie d’obtenir de l’aide pour ces camps à Kobanê, mais comme ces per­son­nes n’ont rien elles-mêmes, elles essaient d’éviter d’être une autre charge pour une ville qui se recon­stru­it encore.

Au milieu de tous ces prob­lèmes, il y a peu d’aide des organ­i­sa­tions inter­na­tionales. Médecins Sans Fron­tières est la seule organ­i­sa­tion médi­cale étrangère présente dans la région, mais ils n’ont pas de per­son­nel médi­cal, ils ne four­nissent que des médica­ments à un seul hôpi­tal. Le prob­lème, selon les médecins, est que sou­vent des organ­i­sa­tions inter­na­tionales qui veu­lent aider la région, ont peur de s’in­staller dans la région elle-même et utilisent plutôt Istan­bul ou Gaziantep comme point de référence. Cela sig­ni­fie qu’ils sont forte­ment influ­encés par les points de vue poli­tiques turcs. En out­re, les doc­teurs expliquent que les groupes avec lesquels ces organ­i­sa­tions tra­vail­lent, pour obtenir de l’aide à Roja­va, en réal­ité, pren­nent les choses elles-mêmes, ce qui sig­ni­fie qu’elles finis­sent sou­vent chez Daesh. Un des médecins estime même que, de toute l’aide envoyée à la région, env­i­ron huit pour cent seule­ment arrive. Les médecins insis­tent pour que les organ­i­sa­tions inter­na­tionales aient le courage d’établir des sièges directs dans la région, car toute aide envoyée par d’autres moyens n’ar­rive pas là où elle est sup­posée arriv­er. Ils soulig­nent l’im­por­tance de l’ac­cès direct à l’aide : “Nous avons tou­jours demandé à ouvrir un couloir human­i­taire et con­tin­uer à le faire, car cela est essen­tiel pour notre survie.”

Com­ment est-ce que les médecins voient l’avenir médi­cal de Kobanê ? L’aide médi­cale peut-elle rester gra­tu­ite ? Un d’entre eux explique que l’ar­gent n’est pas le prob­lème, les four­ni­tures médi­cales le sont. “En out­re, pour des raisons morales, nous ne pou­vons pas deman­der de l’ar­gent à des gens qui n’ont rien eux-mêmes. Tous les médecins ici tra­vail­lent gra­tu­ite­ment, parce qu’ils con­nais­sent la sit­u­a­tion. La san­té est un droit humain fon­da­men­tal et les droits de l’homme sont essen­tiels pour nous, donc ils n’auront aucun coût.”

Il con­tin­ue de ce qu’il compte vrai­ment : “Nous n’avons besoin de rien, comme de nou­veaux vête­ments ou quelque chose, nous avons tout ce dont nous avons besoin pour sur­vivre. Cepen­dant, ce que nous voulons, c’est de vivre hon­or­able­ment. C’est pourquoi nous avons com­bat­tu et pourquoi nous faisons ce que nous faisons : aider à con­stru­ire un sys­tème, où cha­cun peut obtenir gra­tu­ite­ment l’aide dont ils ont besoin. Nous espérons que ce que nous con­stru­isons sur­vivra et con­tin­uera à prospérer.”

La ville célèbre, mais les cicatrices restent

Le ven­dre­di 27 jan­vi­er 2017, des cen­taines de per­son­nes se rassem­blent dans le cen­tre de Kobanê pour célébr­er le deux­ième anniver­saire de la libéra­tion de Daesh et pour se sou­venir des sac­ri­fices que cela a pris. Le fes­ti­val est organ­isé par l’au­to-admin­is­tra­tion locale et com­prend la musique et la danse, ain­si que des dis­cours des dirigeants poli­tiques et mil­i­taires. Les cen­taines de per­son­nes présentes sont des familles avec enfants, des com­bat­tants, des jeunes locaux et des aînés de la ville. Les gens dansent, célèbrent et se retrou­vent avec leurs proches. Tout autour de la célébra­tion sont placés des tireurs d’élite et des gardes armés sur les bâti­ments, qui regar­dent la scène des fes­tiv­ités et sur­veil­lent l’environnement.

Kobanê célèbre le deuxième anniversaire de sa libération de Daesh • Photos Margot Cassiers

Le coût con­tinu de la guerre devient clair le jour après la célébra­tion de la libéra­tion, lorsque nous par­ticipons aux funérailles de cinq com­bat­tants au Cimetière des Mar­tyrs. Les cinq étaient orig­i­naires de Kobanê et ont été tués dans une bataille près de Raqqa deux jours avant. Il sem­ble que toute la ville était présente au cimetière ce matin-là, où cinq cer­cueils sont alignés sur une grande scène dans la par­tie cen­trale du cimetière. Der­rière eux se trou­vent des ban­nières et des por­traits d’autres mar­tyrs, tan­dis que des slo­gans et des chan­sons vic­to­rieuses sont jouées.

Le con­traste est fort entre la grande céré­monie sur la place cen­trale et l’im­age dans le champ de sépul­ture lui-même, où des mères en pleurs et des jeunes silen­cieux se rassem­blent autour des tombeaux de leurs proches. Un com­bat­tant soli­taire en uni­forme se promène autour de quelques tombes, s’ar­rê­tant sur des noms qu’il recon­naît. Beau­coup vont au cimetière lors des céré­monies comme celle-ci, pour pleur­er sur leurs pro­pres pertes per­son­nelles. Ce domaine regroupe de nom­breux jeunes, de nom­breux sac­ri­fices. Et pour­tant, le lende­main des funérailles, les machines de con­struc­tion tra­vail­lent à nou­veau pour ren­dre le cimetière plus grand, pour les nou­velles pier­res tombales qui devraient suiv­re. Il est impor­tant de rap­pel­er que la guerre dans la région reste en cours et qu’elle con­tin­uera à causer des pertes.

Enterrement de cinq combattants de Kobanê • Photos Margot Cassiers

Réalis­er ces cir­con­stances dif­fi­ciles rend les efforts de recon­struc­tion à Kobanê d’au­tant plus impres­sion­nants et impor­tants. Les rési­dents de Kobanê qui sont ren­trés chez eux au début de 2015 ont trou­vé une ville réduite aux décom­bres. Deux ans plus tard, Kobanê reste mar­qué par la prox­im­ité immé­di­ate d’une guerre inhu­maine, mais est devenu un sym­bole d’e­spoir et d’in­spi­ra­tion pour les gens de la région et au-delà. Nous étions témoin d’une société qui est en train de recon­stru­ire son infra­struc­ture, sa cul­ture et sa san­té, en dépit de nom­breux obsta­cles et dans un con­texte incroy­able­ment dif­fi­cile. Mais ce qui se passe à Kobanê et au Roja­va est frag­ile et reste con­fron­té à l’ad­ver­sité à tous les niveaux. Les per­son­nes de Kobanê auront besoin d’un sou­tien et d’une col­lab­o­ra­tion inter­na­tionale pour sur­vivre au milieu du chaos des champs de bataille de plus en plus com­plex­es de la Syrie.

Evin, âgé de 21 ans, qui fait la ges­tion finan­cière au Kobane Recon­struc­tion Board, est enceinte. Quand on lui demande si elle a des vœux pour son enfant à naître, elle répond : “Nous voulons juste un endroit sûr où les enfants peu­vent grandir. Je veux que mon fils gran­disse en lib­erté. Les gens ici ne se soucient pas des lieux par­ti­c­uliers, ils ne sont pas sen­si­bles à des choses comme les bâti­ments. Ils veu­lent juste voir leurs enfants grandir et vivre.”

Mar­got Cassiers

Kobanê


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