Voici un appel auquel nous pouvons répondre toutes et tous, au delà même des auteurEs et éditeurEs, que nous aimerions penser être les premierEs concernéEs.
Voilà deux semaines aujourd’hui, à Istanbul, alors que nous étions coincés devant le portique d’entrée de la salle d’audience des frères Altan, je discutais avec Sarah Clarke, qui défend les écrivains emprisonnés pour l’ONG Pen-international. Me confiant qu’elle ne serait pas la le lendemain, c’est-à-dire le mardi 20 juin, elle m’en expliquait les raisons. Etait prévue une rencontre avec les épouses de plusieurs des employés du journal Cumhuriyet aujourd’hui derrière les barreaux, et ce, depuis plusieurs mois. Et d’un coup, elle me demande : vous connaissez la merveilleuse histoire de Turhan Günay et de sa fille ? Je lui répond par la négative. Non. Je ne connaissais pas. Alors elle m’en livre des bribes. Toute entière dévouée à son père, Elif, la fille de Turban, l’aurait aidé à mettre en place, en l’espace de quelques mois, une véritable bibliothèque qui compterait pas moins de 3000 à 4000 livres dans la prison de Silivri. Evidemment, l’ayant appris, je le dis aussitôt à T. Et nous décidons de remplacer l’inévitable attente devant le portique du tribunal le lendemain matin par une visite dans les locaux de Cumhuriyet.
Le mardi 20 juin au matin, nous y rejoignons donc Sarah, qui est accompagné de Sevinç Kart, d’Adalet Dinamit et de Gülsün Sop, les compagnes de Musa Kart, d’Akın Atalay et de Mustafa Kemal Güngör – trois employés du journal actuellement en prison. Sont également présents Jørgen Lorentzen, venu au titre de Pen-Norvège, son épouse Nefise Özkal, et l’écrivain turc Burhan Sömmez. Et bien-sûr, Elif Günay…
La discussion, alors, porte plutôt sur les stratégies à mettre en place pour faire en sorte que la Cour européenne des droits de l’homme s’active un peu plus, sachant que la première audience des journalistes de Cumhuriyet aura lieu le 24 juillet. Après moult requêtes, La Cour Européenne des droits de l’homme a en effet accepté de traiter le cas des journalistes et cadres de Cumhuriyet en priorité en février, avant d’annoncer en avril qu’elle attendait les résultats du référendum, puis de se contenter de poser des « questions » au pouvoir turc, en lui laissant un temps de réponse anormalement long (pas avant octobre).
On essaie de comprendre. Je prend des notes, pose des questions sur l’efficacité supposée de cette Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas empêché les frères Altan de rester en prison… Un malaise quand est évoqué leur nom, auquel les proches des journalistes de Cumhuriyet ne veulent pas être associés — le cas Altan est un cas compliqué ! Puis les discussions sur la Cour Européenne des droits de l’hommes prennent fin. Et après une pause thé, nous pouvons parler à Elif, en tête à tête, et prendre connaissance de cette incroyable histoire.
Turhan Günay fait partie des douze journalistes de Cumhuriyet dont les noms figurent tout les jours en première page du journal, avec, inscrit juste sous leur photo, le nombre de jours passés en prison. Critique littéraire renommé, et qui s’est toujours refusé à écrire lui-même le moindre livre, il a été arrêté le 31 octobre 2016. Et dès que ce fut possible, sa fille Elif est allée lui rendre visite. Naturellement, la question des livres et des occupations quotidiennes s’est immédiatement posée. Son père lui a alors confié que la prison de Silivri ne disposait que de livres religieux. “En temps normal, la famille et les amis sont autorisés à apporter des livres à leurs proches emprisonnés, mais en raison de l’Etat d’urgence, c’était interdit” explique Elif. Son père et d’autres prisonniers ont alors fait savoir par l’intermédiaire de leurs avocats qu’ils n’avaient aucun livre à lire. Un message relayé dès novembre dans Cumhuriyet via un article de la journaliste Canan Coşkun. L’Association des éditeurs turcs ainsi que des écrivains commencent dès lors d’envoyer des livres par courrier à la bibliothèque de Silivri. “Ils ne les envoyaient pas directement à des prisonniers, mais à la bibliothèque de la prison”. Et la bibliothèque, de mois en mois, va s’enrichir…
Elif a évidemment soutenu son père. Elle a raconté cette histoire en long et en large dans les colonnes de Cumhuriyet en avril dernier, pour l’anniversaire de Turhan Günay Les envois n’ont donc pas cessé. Tant et si bien qu’aux dires d’Elif, “la bibliothèque de Silivri est celle dont le fond s’est enrichi le plus vite en Turquie !”. Bien-sûr, tous les écrits n’ont pas droit d’entrée : la censure est féroce, et tout ce qui s’avère critique à l’égard du pouvoir est éliminé. Mais, fin juin, la prison de Silivri disposait ainsi de 3000 à 4000 livres accessibles aux quelque 12 000 hommes qui y sont incarcérés. Et à force d’insistance, reconnaissant que même avec un tel nombre de livres il n’y en avait pas assez pour tous les prisonniers, la direction de Silivri a fini par accepter tout début juin que l’on puisse apporter de la littérature à un proche emprisonné.
Une belle histoire, non ? En en parlant avec Jørgen et Nefise, une idée a germé : et si tous les éditeurs et les écrivains européens, pour témoigner de leur soutien, envoyaient eux aussi des livres à Turhan Günay ?
Il reste bien-sûr à savoir si des livres étrangers auront droit de cité entre les murs de Silivri. Mais rien ne nous empêche de tenter. Au contraire.
Si chaque auteurE envoyait un livre dédicacé, si chaque éditeur, chaque éditrice, envoyait les derniers livres sortis, si chacun, chacune d’entre vous faisait parvenir un de ses livres préféré, en turc, en anglais ou autre, peu importe… La prison de Silivri croulerait sans doute sous les livres, mais, dans le pire des cas, Turhan Günay se les verra remettre à sa sortie, les autorités carcérales s’étant engagées à minima pour tous ceux qui lui sont personnellement dédicacés.
Et si je diffuse cet appel dès maintenant, c’est en prévision du 24 juillet dont je parlais plus haut.
Les autorités carcérales en Turquie obéissent à des consignes d’état. Empêcher, là une artiste, ou quelqu’unE qui écrit, unE journaliste, comme Zehra Doğan, d’avoir papier et crayons, ailleurs, enlever la lecture, est un moyen d’atteindre l’esprit de résistance d’unE détenuE. C’est aussi une atteinte aux conventions internationales contre-signées par la Turquie concernant l’interdiction de traitements dégradants et inhumains à l’encontre des prisonniers.
Et même si nous constatons chaque jour que le régime en Turquie, de par sa nature même, ne respecte pas ses signatures internationales, il ne vous est pas interdit de le lui rappeler par vos actes solidaires.
Anne Rochelle
Voici l’adresse à laquelle envoyer vos livres (y compris des bandes dessinées) :
Cezaevi Kütüphanesi
9 Nolu Cezaevi
Silivri Ceza İnfaz Kurumu,
Silivri / Istanbul
TURQUIE