Cette plaidoirie d’Ah­met Altan, dénonçant une “pornogra­phie judi­ci­aire”, n’au­ra été lue devant les juges qu’au 4e jour de la pre­mière audi­ence du procès, soit le 22 juin 2017. En voici une tra­duc­tion francophone.

Cette plaidoirie fut pré­parée depuis la prison de Silivri par Ahmet Altan, avant d’être pub­liée et imprimée en turc par Gazete Karın­ca et en anglais par la plate­forme P24. La tra­duc­tion en a été effec­tuée pour Kedis­tan par Renée Lucie Bourges.

Prenez le temps d’aller jusqu’au bout. Cette plaidoirie sans con­ces­sions est en elle-même un con­tre-acte d’ac­cu­sa­tion. Elle entre en réso­nance avec “l’in­jus­tice turque” dénon­cée chaque jour, et dresse un por­trait très poli­tique de l’é­tat de la Turquie.


Votre Hon­neur,

Cette piètre excuse qui sert d’acte d’accusation ne mérite pas une réponse sérieuse, tant elle est dénuée non seule­ment d’intelligence mais aus­si d’un respect pour le droit si insuff­isant pour entraîn­er le poids d’une con­damna­tion à vie.

Cepen­dant, la lec­ture dans cet acte d’accusation des men­songes me con­cer­nant m’a per­mis de mieux com­pren­dre à quel mas­sacre du droit ont été soumis les mil­liers de per­son­nes empris­on­nées depuis le 15 juil­let. Puisque je ne saurais être la seule per­son­ne au sujet de laque­lle on a men­ti, on peut sup­pos­er que de telles accu­sa­tions men­songères se sont répan­dues à tra­vers le sys­tème judi­ci­aire et l’ont étran­glé tel un sumac vénéneux.

La témérité du pro­cureur qui a dressé cet acte d’accusation men­songer et dénué de sens com­mun démon­tre que cela est devenu cou­tu­mi­er dans le sys­tème judiciaire.

En lisant cet acte d’accusation, on voit aisé­ment que dans des lieux comme cet immeu­ble que nous appelons un Palais de jus­tice – les prévenus, les fau­teuils, les mem­bres armés de la gen­darmerie, la tri­bune des juges et leurs capes – ont été trans­for­més en abat­toir de la loi.

Comme aime à le dire Mehmet Altan, « l’on peut voir toutes les mal­adies du corps à l’examen d’une seule goutte de sang ».

Alors, en exam­i­nant cet acte d’accusation, cette seule goutte de sang, nous ver­rons avec le reste du monde que le sys­tème judi­ci­aire a été con­t­a­m­iné par la lèpre et défig­uré par des plaies purulentes.

En procé­dant, pas à pas, à son exa­m­en, je mon­tr­erai la ter­ri­ble mal­adie con­trac­tée par le sys­tème judiciaire.

Je ne le ferai pas en rai­son d’une croy­ance naïve selon laque­lle il exis­terait aujourd’hui un sys­tème judi­ci­aire indépen­dant et judi­cieux en Turquie.

Je suis bien con­scient du fait que nous vivons une époque de honte et de tyran­nie dans laque­lle les per­son­nes relâchées par le tri­bunal sont arrêtées à nou­veau en quit­tant la salle d’audience, que je suis à la fois témoin et accusé de cette tyran­nie qui a ten­té de mas­sacr­er la loi aux mains des hommes de loi.

Mais je crois au proverbe latin selon lequel la loi dort par­fois, mais ne meurt jamais. Je sais que l’Etat de droit qui a été fusil­lé, blessé et qui gît incon­scient dans son sang, guéri­ra éventuelle­ment et revien­dra à lui.

Les hommes poli­tiques et les hommes de loi qui sont aux com­man­des de la Turquie en ce moment ne pensent peut-être qu’au temps présent et s’imaginent – tout comme les généraux du coup d’Etat du 28 févri­er – que ce jour dur­era « mille ans ». Mais je sais que demain vien­dra ; il vient toujours.

C’est pourquoi je vais démon­ter ce soi-dis­ant acte d’accusation, ce texte sans racines ni fonde­ments afin de laiss­er un doc­u­ment pour les jours où l’oppression se ter­min­era et le droit revien­dra. Tout ce que je vais vous dire ici, je le dirai avec l’intention de vous présen­ter une contre-accusation.

Exam­inons main­tenant ces feuil­lets d’anomalie légale – ce soi-dis­ant acte d’accusation.

Que dit-il ?

Mis à part quelques-uns de mes arti­cles et une seule appari­tion à la télévi­sion, cet acte fonde notre « putschisme » sur l’af­fir­ma­tion suivante :

On pré­tend que nous con­nais­sons les hommes, pré­sumés con­naître, les hommes pré­sumés, avoir dirigé le coup d’Etat.

Je crois que ce résumé doit sem­bler ridicule, même pour vous, mais mis à part mes quelques arti­cles et mes com­men­taires à la télévi­sion, c’est là la base de toute l’histoire.

On dit qu’il y aurait des hommes qui ont dirigé ce coup d’Etat…On dit qu’il y aurait des hommes qui con­nais­saient ces hommes… Et on dit que nous con­naîtri­ons ces hommes.

Je sais que c’est très dif­fi­cile à croire mais voilà l’accusation que l’acte présente dans cette accu­mu­la­tion de pages.

Pre­mière­ment, lais­sez-moi vous deman­der ceci : com­ment le fait de « con­naître » quelqu’un peut-il con­stituer la preuve d’un crime ?

Si vous con­nais­sez un crim­inel, cela fait-il de vous un crim­inel aussi ?

Si votre voisin com­para­ît pour fraude, devrez-vous aus­si com­para­ître pour fraude parce que vous le con­nais­sez ? Et si votre voisin divorce avec sa femme, serez-vous con­sid­éré comme ayant divor­cé avec la vôtre parce que vous con­nais­sez votre voisin ?

Ne faut-il pas avoir com­mis le geste soi-même ou y avoir par­ticipé pour en être accusé et en être tenu responsable ?

N’est-il pas néces­saire qu’il existe une preuve de votre par­tic­i­pa­tion à cet acte ?

Bien sûr que oui.

Alors, y a‑t-il une telle preuve?

Non, évidem­ment.

Il n’y a que de la dém­a­gogie basée sur des mensonges.

Même l’allégation, qui n’établirait pas l’existence d’un crime si elle était vraie, est un mensonge.

Au début, l’acte d’accusation déclare que j’écrivais une chronique heb­do­madaire dans un jour­nal pro­priété de Said Sefa, « un leader de l’organisation terroriste ».

A notre con­nais­sance, il n’existe aucune déci­sion judi­ci­aire définitve n’ayant encore été prise au sujet de Said Sefa. Mal­gré cela, le pro­cureur ouvre son argu­men­ta­tion comme si une telle déci­sion existait.

En règle générale, on appelle ce genre de com­porte­ment une opéra­tion de ges­tion des per­cep­tions. On n’appelle pas ça du droit.

Mais sup­posons que Said Sefa soit coupable.

Et après ?

Si le pro­prié­taire d’un jour­nal com­met une fraude ou tue sa femme, ou s’implique dans un coup d’Etat, est-ce que tous ceux qui écrivent des chroniques ou des arti­cles pour ce jour­nal sont automa­tique­ment con­sid­érés comme ses parte­naires dans ce crime ?

Il me sem­ble avoir enten­du par­ler d’un con­cept qui s’appelle « la respon­s­abil­ité crim­inelle individuelle ».

Avez-vous tué ce con­cept aus­si lorsque vous avez mas­sacré la loi ?

Pour faire une telle déc­la­ra­tion en ouver­ture d’un acte d’accusation, il vous faut d’abord prou­ver que vous avez une déci­sion con­fir­mant le crime de Said Sefa, et ensuite prou­ver que j’ai par­ticipé à ce crime.

Une telle preuve existe-t-elle ?

Non, évidem­ment.

En fait, comme vous le con­staterez tout au long de l’acte d’accusation , le pro­cureur qui l’a dressé n’éprouve aucun besoin de se préoc­cu­per de petits détails tels qu’une preuve.

Il accuse, n’est-ce pas ? Cela ne suf­fit-il pas ? Quelle preuve vous faut-il ?

Au lieu de preuves dans cet acte d’accusation, on ne trou­ve que les accu­sa­tions du pro­cureur, elles-mêmes mensongères.

Après ces quelques lignes, vient le témoignage de quelqu’un du nom de Ahmet Keleş. Ce témoignage est résumé de façon telle­ment con­fuse qu’il est dif­fi­cile de com­pren­dre ce que dit le témoin.

De ce que je peux com­pren­dre, cet Ahmet Keleş pré­tend que les inci­dents de Gezi étaient un com­plot et que l’on peut mieux com­pren­dre ce fait lorsqu’on a lu « les chroniques de l’édi­to­ri­al­iste Ahmet Altan du jour­nal Taraf. »

Ici, il y a un petit problème.

Au moment des inci­dents de Gezi, j’avais démis­sion­né de mon poste au jour­nal Taraf. J’étais chez moi à écrire un roman.

Vous auriez un peu de dif­fi­culté à com­pren­dre la pro­gres­sion des inci­dents de Gezi en lisant mes chroniques, parce que je n’écrivais pas de chroniques dans la péri­ode précé­dant Gezi.

Évidem­ment, ni le pro­cureur ni son témoin men­songer ne se préoc­cu­pent de petits détails de ce genre.

J’ai démis­sion­né de Taraf en 2012, et pour­tant, ils par­lent encore de mes chroniques dans Taraf, c’est-à-dire de mes chroniques inex­is­tantes pen­dant Gezi en 2013, et l’écrivent sans ver­gogne dans l’acte d’accusation.

Je n’écrivais pas pour Taraf à l’époque mais, l’eussè-je fait, j’aurais cer­taine­ment soutenu Gezi. Je crois que les inci­dents de Gezi s’adressaient à la con­science de l’Etat et du peu­ple. Gezi ne pou­vait trou­ver d’écho dans la con­science de l’Etat – si tant est que cette con­science existe. Mais les inci­dents ont trou­vé écho dans la con­science du peu­ple. C’était un mou­ve­ment sans organ­i­sa­tion et sans lead­ers, un mou­ve­ment issu du peu­ple, un mou­ve­ment intel­li­gent, courageux et paci­fique. À ma con­nais­sance, il était sans précé­dent dans notre histoire.

Si le pro­cureur m’avait demandé ce que je pen­sais des inci­dents de Gezi au lieu d’écrire de tels men­songes, je lui aurais dit ce que je viens de dire. Il se serait épargné la dis­grâce d’écrire des men­songes à durée de vie aus­si limitée.

Le même témoin a dit aus­si que durant les inci­dents d’Uludere j’avais titré le jour­nal « L’Etat bom­barde son peuple. »

Pour ceci, nul besoin de témoin. Ce titre demeure sur la page en cou­ver­ture du jour­nal ce jour-là. Je l’ai pub­lié en 2011. On m’a traduit en cour et con­damné pour cela. Je suis la seule per­son­ne con­damnée pour les inci­dents de Robos­ki. Non pas ceux qui ont bom­bardé les vil­la­geois, ni ceux qui ont don­né l’ordre de bom­barder, moi seul.

Et oui, je pense exacte­ment la même chose aujourd’hui. L’Etat a bom­bardé son peu­ple. Ils ont tué de pau­vres gens.

Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le coup d’Etat du 15 juil­let ? Com­ment cette affaire trou­ve-t-elle une place dans l’acte d’accusation ? Il fau­dra pos­er cette ques­tion au pro­cureur dont le cerveau est bien confus.

Cet Ahmet Keleş a dit autre chose.

Selon Keleş, une per­son­ne est venue juste avant les inci­dents de Gezi et a dit de ne pas « emprunter d’argent en dol­lars. » Il s’agissait d’un mes­sage d’un leader de l’organisation, un dénom­mé “Hocae­fen­di.”

Comme le pro­cureur écrit d’une façon ter­ri­ble­ment con­fuse, je n’ai pas com­pris si ce mes­sage fut envoyé à Ahmet Keleş ou à moi-même.

Si le mes­sage fut envoyé à Keleş, qu’est-ce qu’il m’en chaut ?
Qu’est-ce que cela a à voir avoir une accu­sa­tion à mon encontre ?

Par ailleurs, si le sup­posé mes­sage m’était des­tiné, le tout devient ridicule.

Pourquoi Fethul­lah Gülen enver­rait-il un mes­sage à un homme écrivant un roman chez lui, lui dis­ant de ne « pas emprunter d’argent en dollars » ?

De toutes façons, pourquoi est-ce que j’emprunterais de l’argent en dol­lars ? Suis-je un emprun­teur ? Je n’ai jamais emprun­té d’argent en dol­lars ou en toute autre devise. Je vis selon mes moyens. Je n’emprunte pas d’argent.

S’ils sont en train de sug­gér­er que j’ai emprun­té de l’argent pour le jour­nal Taraf, à cette époque, j’avais démis­sion­né de Taraf depuis longtemps.

De quelque façon que vous le ten­tiez, il est impos­si­ble d’y com­pren­dre quelque chose. Mais le pro­cureur ne se préoc­cupe pas d’être sen­sé. Il a écrit ce qui lui pas­sait par la tête. L’acte d’accusation est devenu une soupe de men­songes absol­u­ment déroutante.

Tout de suite après, il y a des paroles d’un témoin secret, du nom de Mon­sieur Osman.

Mon­sieur Osman aurait déclaré que des gens de la “Cemaat” auraient dif­fusé des mes­sages anti-gou­verne­men­taux sur de faux comptes Twit­ter durant les protes­ta­tions de Gezi.

Je ne com­prends pas com­ment le fait d’envoyer des mes­sages sur Twit­ter peut être con­sid­éré comme un crime de putschisme.

Je ne com­prends pas en quoi cela peut bien me concerner.

Je n’ai jamais « tweeté » de ma vie ; ni sur un vrai, ni sur un faux compte.

Qu’est-ce que cela a à faire avec moi ou avec cet acte d’accusation ? Y a‑t-il quelqu’un pour le comprendre ?

À cause d’inepties pareilles nous lan­guis­sons en prison depuis des mois. Pire encore, ils veu­lent aus­si nous empris­on­ner à vie.

Et voilà ; voilà ce qu’ils appel­lent «  la loi » ces jours-ci.

Je vous guide au tra­vers de ces choses de façon aus­si détail­lée parce que je veux que tout le monde voit avec quelle témérité ce pro­cureur et ses sem­blables assom­bris­sent la vie des gens, com­ment ils ont abusé de leur pou­voir. Je veux que tout ceci soit doc­u­men­té pour le jour où le droit se réveillera.

Suite à celui d’Osman Bey vient le témoignage d’un homme du nom de Nuret­tin Veren. C’est le pre­mier témoignage en lien avec l’allégation que nous con­nais­sons, des hommes qui sont sup­posés con­naître les hommes, qui ont pré­ten­du­ment dirigé le coup d’Etat.

Ce Nuret­tin Veren dit que Alaat­tin Kaya a établi le con­tact entre Fethul­lah Gülen, Mehmet Altan, Nazlı Ilı­cak et moi-même, et qu’il sait que nous nous sommes tous ren­con­trés fréquem­ment. Faites bien atten­tion, il dit qu’il « sait » cela.

Et bien, je ne con­nais pas ce Nuret­tin Veren per­son­nelle­ment mais je sais que c’est un escroc.

Après le 15 juil­let, j’ai regardé cet homme en direct à la télé.

À cette occa­sion, il a dit que je pro­dui­sais une émis­sion de télévi­sion dif­fusée deux fois pas semaine sur l’une des sta­tions de la Cemaat – je ne me sou­viens pas de quelle sta­tion il a par­lé, soit Mehtap ou Samany­olu – et que j’étais payé 3 000 dol­lars par émission.

Il a dit cela sans sour­ciller, avec une telle con­fi­ance qu’on aurait pu croire qu’il m’avait ver­sé cet argent lui-même. Puis, j’ai vu qu’il avait répété ce men­songe dans son témoignage inclus dans l’acte d’accusation

Veuillez prêter atten­tion à ce que je m’apprête à vous dire :

Je n’ai pas pro­duit une seule émis­sion de télévi­sion en deux décennies.

Le pro­cureur a inclus dans son acte d’accusation le témoignage d’un homme aus­si à l’aise avec les mensonges.

Cet homme dit qu’il “sait” qu’Alaattin Kaya a établi le con­tact entre Fethul­lah Gülen et nous, et que nous con­tac­tions Kaya fréquemment.

Et notre pro­cureur ne demande pas com­ment il sait cela.

Il ne lui demande pas s’il existe une preuve.

Non seule­ment il ne le demande pas, mais il n’inclut aucune preuve de cette allé­ga­tion dans son acte d’accusation.

Le pro­cureur est à ce point con­fus qu’il cite d’abord ce témoignage, pour ensuite démon­tr­er qu’il s’agit d’un tis­su de men­songes au moyen d’un autre doc­u­ment, qu’il inclut dans l’accusation.

Si le pro­cureur avait lu l’acte d’accusation dont il est l’auteur il aurait retiré ces mots man­i­feste­ment faux. Mais le pro­cureur ne se donne même pas la peine de relire son pro­pre travail.

Main­tenant, je vous prie d’écouter ceci attentivement :

Ils ont exam­iné mes relevés télé­phoniques et ceux de Mehmet Altan sur une péri­ode de dix ans. Ils ont dressé la liste de toutes les con­ver­sa­tions télé­phoniques que nous avons eues avec Alaat­tin Kaya et ont rajouté cette infor­ma­tion à l’acte d’accusation.

En dix ans, savez-vous com­bi­en de fois nous avons par­lé à Alaatin Kaya avec qui nous sommes sup­posés nous entretenir fréquemment ?

Mehmet Altan a con­ver­sé avec Kaya une seule fois en 2008.

Et je lui ai par­lé seule­ment deux fois, l’une en 2010, l’autre en 2012.

Même si nous avions par­lé à cet homme plus sou­vent, cela n’aurait pas con­sti­tué la preuve d’un crime.

Mais même ce qu’affirme cette accu­sa­tion au sujet de cet acte non crim­inel est un mensonge.

Con­vers­er avec un homme, une ou deux fois en l’espace de dix ans, com­ment peut-on décrire cela comme un con­tact « fréquent » ?

J’abandonne doré­na­vant tout espoir dans la loi ; doré­na­vant, je recherche l’existence d’un sen­ti­ment de honte. En vain ! En effet, pour vio­l­er le droit, les hommes de loi doivent d’abord per­dre le sen­ti­ment de la honte. Si les juristes ne l’avaient pas per­du, ils ne men­ti­raient pas aus­si facile­ment et ils ne feraient pas bataille aus­si facile­ment con­tre le droit et la justice.

Notre pro­cureur est telle­ment surex­cité qu’il a inclus le témoignage de Nuret­tin Veren deux fois dans l’acte d’accusation. Apparem­ment, il n’en a jamais assez de ces mensonges.

Parce que le pro­cureur est aus­si con­fus, son acte d’accusation saute d’une chose à l’autre et souf­fle le chaud et le froid. Évidem­ment, ça n’est pas si facile d’écrire autant de mensonges.

Je vais faire ce que le pro­cureur n’a pas fait, et met­tre un peu d’ordre dans cet acte d’accusation ; je vais d’abord aller sur le fond de la ques­tion des ” con­nais­sances ” puis je m’occuperai des ques­tions de ” l’opération Sledge­ham­mer ” et d’Ergenekon.

Inca­pable de dis­ci­pline nar­ra­tive, même celle régis­sant l’ordre des para­graphes dans une dis­ser­ta­tion sco­laire, le pro­cureur par­le de mes chroniques jour­nal­is­tiques, de Sledge­ham­mer, puis d’Ergenekon pour revenir ensuite à son sujet préféré : l’allégation selon laque­lle nous con­nais­sons les hommes qui sont sup­posés con­naître les hommes qui auraient pré­ten­du­ment dirigé le coup d’Etat.

Et Alaat­tin Kaya sem­ble être son favori dans ce contexte.

Là-dessus, il ne peut vrai­ment pas arrêter de mentir.

Ici, un témoin secret sort de l’ombre avec le nom de code Söğüt [Saule]. Quel beau et élé­gant nom de code ont-ils choisi là !

Ce Söğüt con­duit Alaat­tin Kaya jusqu’à l’immeuble du jour­nal Taraf et, selon son pro­pre témoignage, il attend Kaya en bas de l’immeuble avant de le recon­duire. Il dit qu’Alaattin Kaya ren­con­trait Başar Arslan, Mehmet Baran­su et moi-même tous les quinze jours.

Ici se présente une ques­tion toute simple :

Com­ment l’homme qui attend en bas peut-il savoir qu’Alaattin Kaya ren­con­tre Mehmet, Baran­su et moi-même ?

Écoutez, il était d’usage de pré­par­er chaque numéro du jour­nal Taraf à un seul étage de l’immeuble. Başar Arslan occu­pait une pièce en haut, mais tous ceux qui tra­vail­laient à la pré­pa­ra­tion des numéros, moi com­pris, nous nous trou­vions un étage plus bas. J’avais mon pro­pre bureau. Tous ceux qui tra­vail­laient au jour­nal pou­vaient y entr­er quand bon leur sem­blait. Tout le monde était logé à la même enseigne.

Nos réu­nions mati­nales se tenaient au cen­tre d’un vaste hall afin que tous les mem­bres de la rédac­tion puis­sent suiv­re les dis­cus­sions. Tous ceux qui tra­vail­laient au jour­nal pou­vaient don­ner leur opin­ion sur les sujets du jour.

Nous avions cou­tume de pré­par­er la pre­mière page dans le bureau du rédac­teur en chef où tous pou­vaient entr­er aisément.

Il est tout sim­ple­ment impos­si­ble que quoi que ce soit con­cer­nant le con­tenu de Taraf ait pu être secret.

À ce sujet, le pro­cureur aurait pu deman­der à quiconque a tra­vail­lé à Taraf ?

Pourquoi ne l’a‑t-il pas fait ?

Ou bien, a‑t-il demandé sans inclure les répons­es qu’il a reçues ?

De toute ma vie, j’ai vu Alaat­tin Kaya deux ou trois fois.

Pour tout dire, j’ai écrit dans le jour­nal que je l’avais rencontré.

Un jour, dans l’un de ses dis­cours publics, mon père a dit ceci : « Je prononce mes mots les plus secrets sur la place Tak­sim. » C’est aus­si ce qu’il nous a appris à faire. Nous n’avons pas d’affaires secrètes. Nous parta­geons tout avec nos lecteurs, sauf nos vies privées. C’est ce que nous avons tou­jours fait.

Depuis des années, Mehmet Altan et moi-même avons fait l’objet d’une fila­ture offi­cielle par l’Etat.

S’il exis­tait des affaires secrètes dans nos vies, même de la taille d’un grain de pous­sière, ils nous auraient écrasé face pre­mière dedans.

C’est pour cela que le pro­cureur ne peut trou­ver aucun motif con­cret d’accusation. Il passe son temps à se tortiller.

L’une des allé­ga­tions dans le témoignage de ce Saule m’a mis en colère. En fait, je suis en colère à bien des sujets, mais je ne vous par­lerai que de l’un d’entre eux.

On pré­tend que nous avons pub­lié du con­tenu cri­tique envers l’AKP [Par­ti de la jus­tice et du développe­ment] suite à cha­cune des vis­ites d’Alaattin Kaya au journal.

Depuis quand est-ce un crime de pub­li­er du con­tenu cri­tique envers l’AKP ? Com­ment mes cri­tiques de l’AKP et mes aver­tisse­ments à un par­ti poli­tique con­cer­nant ses erreurs peu­vent-ils être inclus dans cet acte d’accusation comme preuve de « putschisme » ?

Mais là n’est pas l’ob­jet de ma colère.

Je suis en colère car le pro­cureur dit que je cri­ti­quais l’AKP parce que « quelqu’un » m’aurait ordon­né de le faire. Il devrait avoir honte de dire une chose pareille.

J’ai écrit des chroniques dans ce pays pen­dant trente-cinq ans. Ma ligne poli­tique n’a pas bougé d’un mil­limètre. Je sou­tiens quiconque exige la démoc­ra­tie et l’Etat de droit et je cri­tique tous ceux qui s’y opposent.

Il aurait dû d’abord regarder ce que j’ai écrit il y a dix, vingt et trente ans avant d’écrire une chose pareille dans l’acte d’accusation. Il aurait dû lire ce qu’a écrit sa vie durant cet homme dont il réclame l’emprisonnement à vie.

Je ne suis pas pour­suivi en jus­tice pour la pre­mière fois. J’ai subi presque trois cent procès. On m’a pour­suivi pour ce que j’ai écrivais.

Sous les ordres de qui suis-je sup­posé avoir écrit ces articles ?

Qui est sup­posé m’avoir fait écrire ces arti­cles qui ont con­duit à autant de procès ?

Sous les ordres de qui suis-je sup­posé avoir com­bat­tu con­tre la tutelle mil­i­taire ? Ai-je besoin que quelqu’un me dise de cri­ti­quer l’AKP ? Pourquoi faudrait-il des ordres de quelqu’un pour cri­ti­quer un par­ti poli­tique qui a causé le déclin de tout le pays par ses poli­tiques aberrantes ?

Vous pou­vez me jeter en prison, vous pou­vez ignor­er la loi, mais vous ne pou­vez pas agir avec autant d’impertinence et d’irrespect. Je ne le per­me­t­trai pas.

Les livres que j’ai écrits ont atteint des mil­lions de lecteurs, ils ont été traduits en dix-sept langues et mon plus récent roman est sor­ti d’abord en Ital­ie puis aux Etats-Unis pen­dant ma détention.

Je n’ai pas écrit tous ces livres afin d’être soumis à l’insolence d’un pro­cureur qui n’a aucune con­sid­éra­tion pour autrui.

Un homme qui est inca­pable de dress­er un acte d’accusation ordon­né, qui n’est même pas capa­ble d’écrire dans sa langue mater­nelle, qui se présente et qui dit à un écrivain qui pra­tique l’écriture depuis trente-cinq ans : “Vous avez écrit ces arti­cles parce que quelqu’un vous a ordon­né de le faire. »

On a oublié le droit, mais on devrait au moins se rap­pel­er les bonnes manières.

Ce pro­cureur a écrit un acte d’accusation qui est tel qu’il se dis­sout entre vos mains de quelque manière que vous ten­tiez de le tenir.

Selon le témoignage de Saule, ma rela­tion avec Alaat­tin Kaya s’est pour­suiv­ie jusqu’en 17–25 décem­bre 2013. Et jusqu’à cette date, il est dit que Kaya m’au­rait apporté des dossiers et des enveloppes scellées.

Mais entre les 17 et 25 décem­bre 2013, il y avait plus d’un an que j’avais démis­sion­né du jour­nal Taraf.

C’est aus­si sim­ple que ça.

Ce pro­cureur, l’au­teur de cet acte d’accusation, n’est-il pas un peu curieux de savoir « quand Ahmet Altan a démis­sion­né de Taraf » ?

Com­ment peut-il écrire un men­songe aus­si fla­grant dans son acte d’accusation ?

Voilà la sit­u­a­tion dans laque­lle se retrou­vent le droit et les juristes aujourd’hui : dans la témérité et l’impudence éhontées.

Le pro­cureur n’est même pas inqui­et de pou­voir être rap­pelé à l’ordre au sujet de ses men­songes bien­tôt, parce que ça n’a aucune impor­tance pour lui que ces déc­la­ra­tions soient vraies ou pas. Ce qui lui importe, c’est de nous main­tenir en prison. Il pense que ces men­songes suf­firont à nous y garder. En effet, il a pu nous garder en prison avec ces mensonges.

Voilà où en est le droit en Turquie aujourd’hui.

Le pro­cureur a aus­si par­lé de rela­tions d’affaires entre Başar Arslan et Alaat­tin Kaya dans son acte d’accusation. Ils auraient acheté et ven­du une presse d’imprimerie.

Başar Arslan fut l’éditeur de mes livres à une cer­taine époque. Il était aus­si le pro­prié­taire du jour­nal Taraf dont je fus le rédac­teur en chef jusqu’en 2012.

Başar était un homme intel­li­gent, spir­ituel et tra­vailleur dont j’appréciais l’amitié. Mais il n’est pas facile de tra­vailler avec moi et, après cinq années de tra­vail en com­mun, notre ami­tié s’est épuisée. En 2012, j’ai démis­sion­né du jour­nal ; nous ne nous sommes jamais revus depuis.

Je n’ai aucun moyen de savoir si Başar Arslan a quelque chose à voir avec le coup d’Etat ou avec les putschistes. Je ne le croirai pas à moins d’en avoir des preuves concrètes.

D’un autre côté, qu’est que j’ai à faire de trans­ac­tions entre un homme d’affaires que je n’ai ni vu, ni croisé et à qui je n’ai pas par­lé depuis 2012, et un autre homme d’affaires ?

S’il y a quelque chose d’illégal dans leur trans­ac­tion, ça regarde le tri­bunal de commerce.

Que vient faire dans un acte d’accusation con­tre moi une trans­ac­tion au sujet d’une presse d’imprimerie que je n’ai jamais vue et dont je ne con­nais pas l’emplacement ?

Le pro­cureur pré­tend que Taraf « a con­stam­ment pub­lié du con­tenu favorisant l’organisation terroriste. »

J’adore, lorsque des affir­ma­tions aus­si vagues, vides et inutiles se pava­nent devant nous, sous le voca­ble du droit.

Ce que le pro­cureur appelle « l’organisation ter­ror­iste » est une organ­i­sa­tion qui était con­nu sous le nom de “Cemaat” à l’époque où je tra­vail­lais comme journaliste.

Il pré­tend que je « pub­li­ais con­stam­ment du con­tenu en sa faveur. » Quelqu’un d’autre pour­rait aus­si bien se présen­ter et affirmer que je « pub­li­ais con­stam­ment du con­tenu qui cri­ti­quait la Cemaat. »

En fait, la Cemaat s’était plainte du con­tenu de notre pub­li­ca­tion et nous avait envoyé ses mem­bres pour nous le dire. De mon côté, j’ai par­lé de leur vis­ite et de leur mécon­tente­ment dans le jour­nal pour que nos lecteurs en soient informés.

Revenons main­tenant au droit.

Quel est le crime allégué et à l’origine de cet acte d’accusation ?

Un coup d’E­tat militaire.

Quand ce crime fut-il commis ?

Le 15 juil­let 2016.

Quand ai-je quit­té le journalisme ?

En 2012.

Des chroniques pub­liées au moins qua­tre ans avant ce crime peu­vent-elles établir la preuve de ce crime ?

À aucun moment de son exis­tence le jour­nal Taraf a‑t-il « pub­lié con­stam­ment du con­tenu favor­able à la Cemaat » ?

Même l’eut-il fait que cela ne con­stituerait pas un crime.

Si le pro­cureur souhaite exam­in­er du con­tenu et une rhé­torique « con­stam­ment favor­able à l’organisation », il devrait tourn­er son regard vers l’AKP.

Il devra se tourn­er vers Tayyip Erdoğan qui expri­ma son « affec­tion » pour Fethul­lah Gülen lors d’une réu­nion organ­isée par la Cemaat. Il devra regarder l’actuel min­istre de la jus­tice qui défendit Gülen depuis la tri­bune du par­lement, déplaçant ciel et terre pour ce faire.

Ce sont eux qui ont tou­jours défendu la Cemaat.

S’il s’agit là d’un crime, pourquoi ne sont-ils pas en état d’arrestation ? S’il ne s’agit pas d’un crime, qu’est-ce que cela vient faire dans l’accusation ?

Y a‑t-il une réponse cohérente à cette question?

Il n’y en a pas.

La loi peut-elle être incohérente ?

Elle ne le peut pas.

Avancer des accu­sa­tions sans aucune cohérence et qui ne reposent sur aucune preuve, c’est vio­l­er le droit.

Effec­tive­ment, ce pro­cureur a fait du viol du droit une telle habi­tude que notre acte d’accusation s’est trans­for­mé en pornogra­phie judiciaire.

Deux autres noms sont men­tion­nés comme faisant par­tie de l’allégation que « nous con­nais­sons les hommes qui sont sup­posés con­naître les hommes qui auraient pré­ten­du­ment dirigé le coup d’Etat ».

L’un d’eux est Önder Aytaç.

Lorsque j’ai ren­con­tré Önder Aytaç il était con­seiller du gou­verne­ment AKP et con­férenci­er en titre à l’é­cole de la police.

Il m’a dit qu’il souhaitait écrire pour Taraf. Comme je souhaitais avoir la plus grande diver­sité pos­si­ble de chroniqueurs, je lui ai dit « d’accord ».

Önder Aytaç, dont le nom appa­raît dans l’acte d’accusation de ce pro­cureur afin de me lier au coup d’Etat d’une façon ou d’une autre, est le seul chroniqueur que j’aie congédié.

J’ai inter­rompu ses chroniques dans le jour­nal parce qu’il a dit, “Apo [Abdul­lah Öcalan] devrait être exé­cuté. » À Taraf il y avait place pour toutes les opin­ions sauf celles qui récla­maient la mort d’un être humain, ou qui demandaient à l’Etat de com­met­tre un meurtre.

Le pro­cureur a écrit que j’ai par­lé à Önder Aytaç au télé­phone, mais il ne pré­cise pas en quelle année, ni com­bi­en de fois je lui ai parlé.

Pourquoi ne l’a‑t-il pas écrit ?

S’il avait men­tion­né la péri­ode et le nom­bre total de mes con­ver­sa­tions avec Aytaç, le non-sens de cette accu­sa­tion aurait été encore plus évi­dent. Je sup­pose que c’est pour cela qu’il ne l’a pas mentionné.

Le troisième nom est celui d’Ekrem Dumanlı.

Bien que je ne sois pas ami avec Alaat­tin Kaya et Önder Aytaç, j’ai une rela­tion ami­cale avec Ekrem Dumanlı.

Ekrem est un jour­nal­iste qui appré­cie la lit­téra­ture, le ciné­ma, la boxe et le foot – choses que j’aime aussi.

J’ai tou­jours aimé con­vers­er avec lui. Nous avons mangé ensem­ble à une ou deux repris­es. Et même, une fois, nous sommes allés à un match de foot du Beşik­taş ensemble.

Si je mérite trois con­damna­tions à vie pour avoir par­lé à Ekrem Duman­lı au télé­phone, je dois en mérit­er quelque cinquante pour avoir assis­ter à un match du Beşik­taş avec lui.

À l’époque où j’avais cou­tume de par­ler avec Ekrem, j’étais le rédac­teur en chef de Taraf et Ekrem était le rédac­teur en chef du jour­nal Zaman.

À l’époque, je ne par­lais pas seule­ment aux cadres chez Zaman, mais aus­si à ceux d’autres jour­naux tel que Sabah et Star. Taraf éprou­vait des dif­fi­cultés. Nous cher­chions du papi­er à des prix abor­d­ables, des press­es d’imprimerie et des points de dis­tri­b­u­tion. À dire vrai, per­son­ne ne nous a vrai­ment aidés ; peut-être ne le pou­vaient-ils pas. Nos prob­lèmes étaient sans fin.

Main­tenant je vais dire deux choses au sujet de ces « connaissances ».

Tout d’abord, ces hommes qui sont cités dans l’acte d’accusation – comme si de les « con­naître » con­sti­tu­ait un crime de pre­mier ordre – ne sont ni des muletiers, ni des inter­mé­di­aires ni des entrepreneurs.

Ce sont des gens qui font par­tie des médias d’information. Dans le monde des médias d’information, tout le monde con­naît un peu tout le monde, et les gens se ren­con­trent et se parlent.

Il n’y a rien d’étrange, d’anormal ou de crim­inel à ce que des gens d’un même milieu pro­fes­sion­nel se par­lent entre eux.

Cela fait par­tie de l’ordre naturel des choses.

Mon deux­ième point est le suivant :

Regardez le nom­bre de fois où j’ai par­lé à Ekrem Duman­lı et si ce nom­bre est plus élevé que le nom­bre de fois où Ekrem a voy­agé à bord de l’avion de Tayyip Erdoğan, nous pour­rons dis­cuter de savoir si le fait de par­ler à Duman­li est un crime, ou non.

Mais si Duman­lı a par­lé à Erdoğan dix fois plus qu’il ne m’a par­lé, ne venez plus m’embêter avec des stu­pid­ités pareilles.

Ça n’est pas un crime si Erdoğan par­le à quelqu’un, mais c’est un crime si je par­le à cette même per­son­ne ; cela se peut-il ?

Est-ce le droit ici, la logique, l’intelligence ?

Qu’est-ce d’autre qu’un non-sens complet ?

Je dirai une dernière chose à ce sujet avant de pass­er à des ques­tions plus sérieuses.

De nos jours, bien des pro­cureurs – y com­pris le nôtre – esti­ment que de par­ler à « l’accusé » est un acte criminel.

Ils ne présen­tent pas la preuve d’une « asso­ci­a­tion crim­inelle ». En lieu et place, ils esti­ment qu’une « con­ver­sa­tion » est un acte crim­inel en soi.

Ça n’est pas un crime de par­ler à quelqu’un qui est accusé ou même con­damné. Si ça l’était, quiconque vis­it­erait un pris­on­nier devrait subir un procès.

Il n’existe aucune loi étab­lis­sant que le fait de par­ler à un accusé con­stitue un crime en soi.

Nous ne trou­vons aucune trace juridique de cette nou­velle pra­tique dans le droit.

Nous ne pou­vons en trou­ver que dans l’acte insti­tu­tion­nel de “l’excommunication” pra­tiqué par l’église catholique.

Votre Hon­neur, nous sommes en 2017. Notre sys­tème de droit suiv­rait-il l’exemple d’une pra­tique moyen-âgeuse de l’église catholique ?

Des gens sont-ils excom­mu­niés sur sim­ple accu­sa­tion du procureur ?

Est-ce à cette sit­u­a­tion que l’Etat de droit se trou­ve réduit de nos jours ?

Abor­dons main­tenant des sujets légère­ment plus graves.

Com­mençons par l’opération “Sledge­ham­mer”.

Exam­inons ce qu’était Sledge­ham­mer. La pub­li­ca­tion de cet arti­cle con­sti­tu­ait-il une « con­spir­a­tion » comme les gens ne se lassent pas de l’affirmer ?

Exam­inons qui a nom­mé, et com­ment, les généraux qui ont fomen­té le coup d’Etat du 15 juil­let 2016.

Qui a com­mis le « crime » de les nom­mer à ces postes ?

En fait, con­tre qui cette accu­sa­tion a‑t-elle été écrite en faisant sem­blant d’être une accu­sa­tion à mon endroit ?

Qui le pro­cureur accuse-t-il vrai­ment lorsqu’il dit qu’il m’accuser ?

Exam­inons ce qui se passe ici.

Le pro­cureur ouvre la dis­cus­sion sur Sledge­ham­mer avec des remar­ques stratégiques en préam­bule sug­gérant une pré­pa­ra­tion « atten­tive » de sa part, bien dif­férente du manque général de per­spi­cac­ité et d’organisation car­ac­térisant le reste de l’acte d’accusation.

Il y intro­duit une descrip­tion très intéres­sante du crime qui n’a rien à voir avec moi, comme vous serez à même de le con­stater aus­si dans un instant.

Ici, les prin­ci­paux mem­bres de l’AKP et du con­seil mil­i­taire suprême et surtout, Tayyip Erdoğan lui-même devraient écouter très attentivement.

Parce que cette par­tie les con­cerne plus qu’elle ne me con­cerne, moi.

Lisons ensem­ble cette très intéres­sante descrip­tion du crime sur lequel dis­serte le pro­cureur tout de suite après avoir fait la liste des titres de la cou­ver­ture du coup d’Etat par le jour­nal Taraf :

…Que l’enquête sur Sledge­ham­mer fut ain­si ouverte et qu’en con­séquence les officiers des forces armées turques qui n’étaient pas mem­bres de l’organisation ter­ror­iste furent élim­inés afin d’être rem­placés par des mem­bres de cette organ­i­sa­tion, et que dans le proces­sus qui s’ensuivit, au moyen de ces soi-dis­ant enquêtes, ses mem­bres furent intro­duits dans des postes clés au sein des forces armées turques, étab­lis­sant la base pour la ten­ta­tive de coup d’Etat du 15/7/2016.” [Accent à rajouter]

Quel est le crime que décrit le procureur ?

La purge des officiers qui n’étaient pas mem­bres de « l’organisation ter­ror­iste » et leur rem­place­ment par des mem­bres qui l’étaient…Et, au cours de ce proces­sus, l’organisation établit la base pour le coup d’Etat du 15 juil­let par l’introduction de ses pro­pres mem­bres à des postes clés.

Voilà le crime.

La purge des officiers qui n’étaient pas mem­bres de l’organisation, et leur rem­place­ment par des mem­bres de l’organisation, étab­lis­sant la base pour le coup d’Etat.

Le pro­cureur utilise un mot très intéres­sant dans cette descrip­tion du crime.

Au cours de ce proces­sus, » dit-il.

De quel proces­sus s’agit-il ?

Par­le-t-il du « proces­sus » d’une durée de six ans entre 2010 et 2016?

Le crime a été com­mis durant ce « proces­sus » de six ans.

Durant ce proces­sus de six ans, les « coupables » ont purgé cer­tains sol­dats et nom­mé cer­tains autres sol­dats, étab­lis­sant ain­si la base pour le coup d’Etat du 15 juillet.

Le pro­cureur pose une ques­tion devant nous qui exige une réponse :

Qui a com­mis le crime au cours de ce proces­sus de six ans ?

Avec une naïveté qui défie la com­préhen­sion, le pro­cureur dit que j’ai com­mis ce crime.

Il donne une réponse stu­pide à une ques­tion intel­li­gente, mais l’absurdité de la réponse n’efface pas le car­ac­tère brûlant de la question.

J’ai pub­lié des arti­cles d’information con­cer­nant le coup Sledge­ham­mer. J’assume la pleine respon­s­abil­ité pour la pub­li­ca­tion de ces arti­cles. J’étais le rédac­teur en chef de ce jour­nal et per­son­ne d’autre que moi n’aurait pu décider de pub­li­er ces articles.

Je répondrai plus tard à la ques­tion, à savoir si la pub­li­ca­tion de ces arti­cles con­sti­tu­ait ou non un crime.

Tout d’abord, cher­chons qui est le « coupable » de ces purges et de ces pro­mo­tions dont le pro­cureur dit qu’elles se sont déroulées durant « une péri­ode de six ans ».

Per­me­t­tez-moi d’abord de pos­er une question.

Un arti­cle de presse pub­lié en 2010 donne-t-il à un jour­nal la capac­ité d’opérer les purges mil­i­taires, les nom­i­na­tions et les pro­mo­tions qui se sont déroulées durant ce proces­sus de six ans ?

Puis-je décider de toutes les nom­i­na­tions et pro­mo­tions qui ont eu lieu jusqu’en 2016 en rai­son d’une his­toire que j’ai pub­liée en 2010?

Mieux encore, puis-je faire cela en démis­sion­nant du jour­nal en 2012?

Per­son­ne, quel que soit son esprit dia­bolique, son génie de la stratégie ou le car­ac­tère per­ni­cieux de sa volon­té ne peut déter­min­er seul le déroule­ment d’un proces­sus d’une durée de six ans.

Un jour­nal­iste encore moins que tout autre.

Pour qu’une telle quan­tité de nom­i­na­tions, de pro­mo­tions et de purges se déroule dans un proces­sus de six ans, il faut que des per­son­nes aux larges pou­voirs déci­sion­nels au sein de l’Etat tra­vail­lent ensem­ble d’une façon organisée.

Alors, qui tra­vail­la ain­si durant ce proces­sus de six ans ?

La réponse n’est pas dif­fi­cile à trou­ver. Elle est limpide.

Quiconque a signé ces nom­i­na­tions et ces pro­mo­tions a fait le travail.

Ma sig­na­ture appa­raît-elle sur l’une ou l’autre de ces déci­sions de nom­i­na­tion ou de promotion ?

Non, elle n’y appa­raît pas.

Alors, de quelles sig­na­tures s’agit-il ?

Il y a les sig­na­tures des chefs d’Etat major, des mem­bres du con­seil mil­i­taire suprême, de mem­bres du gou­verne­ment, de pre­miers min­istres et des prési­dents qui ont été au pou­voir durant ce « processus ».

Et il n’y a qu’une sig­na­ture qui n’a pas changé durant ce proces­sus de six ans.

La sig­na­ture de Tayyip Erdoğan, tout d’abord au titre de pre­mier min­istre, puis de président.

Le pro­cureur décrit le crime, nous dit qu’un crime fut com­mis durant ce « proces­sus », pointe du doigt ceux qui sont les coupables, puis il se retourne et demande que je sois puni.

Je demande à nou­veau : quel est le crime décrit par le procureur ?

La purge de cer­tains officiers, et la pro­mo­tion de généraux qui devaient faire le coup d’Etat en 2016.

Suis-je en mesure de voir quels généraux vont être purgés ou pro­mus ? Ai-je un tel pou­voir ou une telle autorité ?

Non, je ne les ai pas.

Quand ce “crime” fut-il commis ?

Entre 2010 and 2016.

Ai-je joué un rôle quel­conque durant cette période ?

Non.

Ajou­tons que la « loi de purge mil­i­taire » fut approu­vée en 2015. Le député CHP Muam­mer Erkek nous l’a rap­pelé lorsqu’il a par­lé sur CNN Turk le 6 juin 2017.

De plus, le bureau du Pro­cureur en chef d’Ankara a dressé un acte d’accusation étab­lis­sant que les deux nou­velles lois votées après les inci­dents des 17–25 décem­bre ont non seule­ment facil­ité les purges mil­i­taires mais qu’elles ont aus­si ouvert la voie à la pro­mo­tion des généraux putschistes. Une chronique de Mehmet Tezkan me le rap­pela le 7 juin 2017.

Notre pro­cureur ne sait-il rien de tout ça ?

Serais-je respon­s­able de la loi qui fut approu­vée par le par­lement en 2015?

Je ne suis pas celui qui a com­mis le crime ; je ne suis pas là quand ce crime a lieu. Alors, pourquoi ce pro­cureur inclut-il une accu­sa­tion qui ne me con­cerne en rien dans l’acte d’accusation dressé con­tre moi ?

Quelqu’un peut-il fournir une réponse sen­sée à cette question ?

Je sup­pose que non.

On dirait que cette accu­sa­tion s’est échap­pée d’un autre acte et a pris refuge dans le mien.

Et bien, il pour­rait y avoir une chose qui expli­querait pourquoi cette accu­sa­tion se retrou­ve dans le mien.

Le pro­cureur pour­rait alléguer que je suis le chef occulte d’une organ­i­sa­tion qui con­sis­terait d’Erdoğan lui-même, ain­si que de min­istres de l’AKP et de généraux des forces armées.

Ça serait la seule expli­ca­tion de la présence de cette accu­sa­tion dans un acte d’accusation me concernant.

Je dois avouer qu’il s’agirait là d’une allé­ga­tion assez intéres­sante, et qui retiendrait l’attention du monde entier.

Mais je ne pense pas que le pro­cureur soit en train de dire quelque chose s’en approchant.

Alors que vient faire cette accu­sa­tion dans cet acte ?

Main­tenant que nous avons vu l’absurdité d’inclure cette accu­sa­tion dans l’acte me con­cer­nant, exam­inons la par­tie du coup Sledge­ham­mer me con­cer­nant vrai­ment : l’article que j’ai pub­lié sur Sledge­ham­mer et que cer­tains qual­i­fient de « conspiration ».

Le pro­cureur aus­si appelle Sledge­ham­mer une “con­spir­a­tion” et pré­tend que j’ai com­mis le crime de “putschisme” en pub­liant cette histoire.

Je ne men­tion­nerai même pas la déci­sion de la Cour con­sti­tu­tion­nelle selon laque­lle la pub­li­ca­tion de telles infor­ma­tions ne con­stitue pas un acte crim­inel. Mon avo­cat se charg­era d’en parler.

Au lieu de cela, je réglerai mon compte une fois pour toutes avec tous, y com­pris ce pro­cureur, qui qual­i­fie les papiers sur Sledge­ham­mer de “con­spir­a­tion”.

Tout d’abord, exam­inons ce qu’était l’affaire “Sledge­ham­mer”, quand, et dans quelles cir­con­stances, elle eut lieu.

Sledge­ham­mer est un sémi­naire sur “la pré­pa­ra­tion de la loi mar­tiale » tenu en 2003 à un moment où Şenkal Atasa­gun, qui était alors le chef du MIT [Organ­i­sa­tion nationale du ren­seigne­ment turc], dit à Mustafa Bal­bay que “la Pre­mière Armée était prête pour un coup d’Etat » et que le chef de l’Etat major major a demandé au com­man­dant de la Pre­mière Armée : « Pré­parez-vous un coup d’Etat ? »

Comme les mem­bres de l’Etat major avaient con­nais­sance des pré­parat­ifs de la Pre­mière Armée, ils don­nèrent l’ordre à son com­man­dant « de se tenir loin de toutes dis­cus­sions sur les pré­parat­ifs d’une loi mar­tiale et de toutes dis­po­si­tions con­cer­nant des prob­lèmes de poli­tique intérieure. »

Non sat­is­faits d’un pre­mier ordre, ils en envoyèrent aus­si un second.

Que firent les généraux de la Pre­mière Armée ?

Ils désobéirent aux deux ordres.

Ils agirent en désac­cord avec leurs ordres.
L’affaire com­mence avec la désobéis­sance des généraux.

Alors quels sont les types de pré­parat­ifs que font les généraux lorsqu’ils se rencontrent ?

Des plans et des pré­parat­ifs pour l’arrestation des chefs de par­tis poli­tiques, pour la purge et le rem­place­ment des maires dont ils notent les noms les uns après les autres, pour décider quels sont les stades qui servi­ront à retenir les 200,000 per­son­nes qu’ils comptent arrêter, et « afin de met­tre le pub­lic de leur côté », pour provo­quer une escar­mouche avec la Grèce.

Ils pré­par­ent bien d’autres choses mais je pense que cette liste par­tielle devrait suffire.

Les dis­cus­sions de ces pré­parat­ifs sont enreg­istrées par les officiers sous les ordres de leurs commandants.

Ma preuve selon laque­lle les généraux ont effec­tive­ment réal­isé ces pré­parat­ifs n’est pas dans des CD dont l’authenticité est con­testée. Ma preuve est dans les enreg­istrements réal­isés par ces officiers eux-mêmes.

Quiconque écoute ces enreg­istrements décou­vri­ra ces pré­parat­ifs avec horreur.

En 2010, Mehmet Baran­su est venu me voir et m’a dit : « Il se pré­pare un coup d’Etat. »

J’ai demandé, « Est-ce documenté ? »

« Oui, » a‑t-il dit.

« S’il existe des doc­u­ments, apporte-les moi et nous les exam­inerons, » lui ai-je dit.

Quelques jours plus tard, il m’apporta des CDs inclu­ant des images de doc­u­ments écrits.

Nous avons écouté les enreg­istrements de cette con­férence et exam­iné les doc­u­ments repro­duits sur les CDs.

Con­va­in­cus de leur authen­tic­ité, nous les avons publiés.

C’est tout.

Alors il y a une ques­tion à laque­lle doivent répon­dre ceux qui qual­i­fient de « con­spir­a­tion » les papiers con­cer­nant Sledgehammer.

Une ques­tion toute simple.

C’est une ques­tion à laque­lle doit répon­dre le pro­cureur qui est l’auteur de cet acte d’accusation ain­si que les per­son­nes dans ce tri­bunal, les jour­nal­istes, les présen­ta­teurs d’actualités à la télévi­sion, et les politi­ciens qui ont qual­i­fié les papiers sur Sledge­ham­mer de « conspiration » :

Serait-il légal et nor­mal aujourd’hui que les généraux de la Pre­mière Armée se réu­nis­sent et fassent des pré­parat­ifs pour l’arrestation de « tous les chefs de par­tis poli­tiques » – en désobéis­sance ouverte aux ordres de l’Etat major leur inti­mant « vous ne devez jamais faire de pré­parat­ifs con­cer­nant des ques­tions de poli­tique intérieure » ?

Diriez-vous que « les généraux de la Pre­mière Armée peu­vent se réu­nir aujourd’hui afin de plan­i­fi­er l’arrestation des politi­ciens, chas­s­er les maires, arrêter 200,000 per­son­nes pour les entass­er dans les stades, provo­quer des escar­mouch­es avec la Grèce, et que per­son­ne ne puisse rien en dire ? »

Répon­dez-moi à voix haute et claire.

Diriez-vous aujourd’hui, « les généraux de la Pre­mière Armée ont le droit de se réu­nir et de plan­i­fi­er l’arrestation des politiciens » ?

Si vous dites, « Oui, bien sûr, ils peu­vent faire de tels plans ; bien sûr, ils peu­vent désobéir aux ordres de l’Etat major, » alors dites-le clairement.

Dites-le pour que je puisse l’entendre et le monde entier aussi.

Mais si vous ne pou­vez pas dire cela et qu’au con­traire vous dites, «  Pas ques­tion ! Com­ment des généraux peu­vent-ils pré­par­er l’arrestations des politi­ciens », alors, vous ne pou­vez pas qual­i­fi­er les papiers sur Sledge­ham­mer de “con­spir­a­tion.”

Aucun de vous ne peut le qual­i­fi­er ainsi.

Le pro­cureur ne le peut pas non plus.

Si vous con­venez que c’est un crime aujourd’hui que des généraux fassent de tels pré­parat­ifs, vous serez aus­si d’accord qu’il s’agissait d’un crime lorsque ce fut fait en 2003.

Et que ça n’est pas seule­ment le droit mais le devoir d’un jour­nal­iste de pub­li­er les doc­u­ments étab­lis­sant la preuve d’un crime, une fois qu’ils sont en sa possession.

Lais­sez-moi vous pos­er une autre question:

Un jour­nal­iste ayant des preuves doc­u­men­taires de tels pré­parat­ifs par des généraux aujourd’hui, doit-il les publier ?

Ou doit-il se taire ?

Répon­dez à ces ques­tion à voix haute et claire.

Il n’appartient à per­son­ne de qual­i­fi­er les arti­cles au sujet de Sledge­ham­mer de “con­spir­a­tion” avant d’avoir répon­du à ces ques­tions. Ça n’appartient pas au pro­cureur non plus.

Au-delà de cela, le pre­mier min­istre actuel, le min­istre de la jus­tice et le juge en chef de la cour de cas­sa­tion parta­gent mon avis que ces arti­cles ne con­sti­tu­aient pas une « con­spir­a­tion ». Ils l’ont affir­mé clairement.

C’est l’une des rares ques­tions sur laque­lle je suis d’accord avec eux.

Le pro­cureur qui tente de m’accuser de putschisme parce que j’ai affir­mé que le sémi­naire Sledge­ham­mer con­sti­tu­ait la “pré­pa­ra­tion à un coup d’Etat” ne for­mule pas une plainte pénale con­tre le pre­mier min­istre, le min­istre de la jus­tice ou le juge en chef de la cour de cassation.

Pourquoi ne le fait-il pas ?

Si ce que j’ai dit est un crime, ce qu’ils dis­ent l’est aus­si. Si ce qu’ils dis­ent n’est pas un crime, ce que j’ai dit ne l’est pas non plus.

Clair comme de l’eau de roche.

Il n’y a rien de bien com­plexe dans cette question.

Mal­gré ces évi­dences, com­ment pou­vez-vous ten­ter de m’accuser pour avoir pub­li­er les plans de Sledge­ham­mer et pour avoir qual­i­fi­er le sémi­naire de Sledge­ham­mer de pré­pa­ra­tion pour un coup d’Etat?

Expliquez-moi les raisons juridiques et logiques der­rière ce conflit.

Vous ne le pour­rez pas.

Parce qu’il n’y a pas d’explication juridique ou logique der­rière ce non-sens.

Ni ce pro­cureur, ni les jour­nal­istes, ni les présen­ta­teurs à la télévi­sion ni les politi­ciens ne peu­vent échap­per à ces questions.

Me jeter en prison ne suf­fit pas à les dédouan­er d’y répondre.

Je devrais aus­si rap­pel­er au pro­cureur et à tous les autres ce qu’a dit Tayyip Erdoğan en se référant aux dis­cus­sions enreg­istrées à la con­férence Sledge­ham­mer: “J’ai été choqué lorsque j’ai écouté ces dis­cus­sions.” Allez lui deman­der pourquoi il était choqué.

Vous ne vous préoc­cu­pez pas de la désobéis­sance des généraux aux ordres de l’Etat major, vous n’écoutez pas les dis­cours hor­ri­bles qu’ils ont pronon­cés, vous ne regardez pas les papiers avec leurs listes détail­lées pour les arresta­tions. Non, vous haussez les épaules, vous qual­i­fiez le tout de « con­spir­a­tion » et, en plus, vous ten­tez de m’accuser de tout ce non-sens.

Qui peut me juger, et de quel droit, avant de répon­dre aux ques­tions que j’ai posées ?

Y a‑t-il quelqu’un qui aimerait répon­dre à ces questions?

Je ne veux pas dire dans cette cham­bre d’audience. Dans tout le pays, y a‑t-il quelqu’un qui aimerait répon­dre à mes questions?

Je doute que quelqu’un s’avancera pour répon­dre à ces ques­tions de façon claire et distincte.

Votre Hon­neur,

Au moment où j’ai pub­lié les his­toires con­cer­nant Sledge­ham­mer, le régime de tutelle mil­i­taire était encore en place.

Tout comme l’AKP a main­tenant ses pro­pres médias, la tutelle mil­i­taire avait ses pro­pres médias à cette époque.

Sem­blables aux jour­nal­istes lâch­es et cal­cu­la­teurs qui ten­tent de s’insinuer dans les bonnes grâces de l’AKP, les jour­nal­istes lâch­es et cal­cu­la­teurs ten­taient d’en faire autant auprès des généraux.

Si ces jour­nal­istes avaient eu le courage de pub­li­er des his­toires comme celles que j’ai pub­liées au sujet de Sledge­ham­mer, ce pays ne se serait pas trans­for­mé en ce ter­rain vague de coups d’Etat, tel qu’il est devenu aujourd’hui.

Ils n’ont jamais fait preuve de ce courage.

Ils tournèrent le dos aux souf­frances des gauchistes, des kur­des, des intel­lectuels, des écrivains et des gens sincère­ment dévots qui ont tous été écrasés par le sys­tème oppres­sif de la tutelle militaire.

Main­tenant, la majorité des médias agit de la même façon éhon­tée à l’ère de l’AKP.

C’est l’une des tâch­es les plus sig­ni­fica­tives d’un jour­nal­iste que de pub­li­er des his­toires comme celles de Sledgehammer.

Un jour­nal­iste qui choisit de ne pas pub­li­er cette his­toire se trahit lui-même, sa pro­fes­sion et son peuple.

Parce que je n’ai trahi ni moi-même, ni ma pro­fes­sion ni mon peu­ple, j’ai été traduit en jus­tice durant l’ère de la tutelle mil­i­taire, et je suis à nou­veau traduit en jus­tice aujourd’hui.

Mal­heureuse­ment, c’est là le prix à pay­er lorsqu’on exige la démoc­ra­tie dans ce pays.

Dans l’acte qu’il dresse con­tre moi, le pro­cureur par­le aus­si des cas d’Ergenekon et d’espionnage mil­i­taire. Parce qu’il ne sait pas bien écrire le turc, il est dif­fi­cile de com­pren­dre de quoi il parle.

Mais je sup­pose qu’il m’accuse de ces choses aus­si, puisqu’il les men­tionne dans l’acte d’accusation, alors j’y réponds brièvement.

Les nou­velles con­cer­nant l’affaire de l’espionnage mil­i­taire n’étaient pas exclu­sive­ment pub­liées par le jour­nal Taraf. En fait, comme nous n’avions pas une très bonne prise sur cette affaire, nous nous sommes abstenus de les traiter longuement.

Ceci n’était pas quelque chose impli­quant notre jour­nal. Je ne com­prends pas pourquoi le pro­cureur en par­le ici.

Quant aux procès d’Ergenekon

Les enquêtes sur Ergenekon ont débuté bien avant le lance­ment de Taraf.

Plus tard, nous avons pub­lié des reportages sur ces procès comme l’ont fait d’autres journaux.

Je suis con­va­in­cu de l’existence d’Ergenekon. Ce que nous appelons Ergenekon, ce sont des gangs crim­inels pro­fondé­ment infil­trés dans l’Etat – des groupes tel que le gang Susurluk, comme ceux qui ont mas­sacré 17,000 per­son­nes au cours de meurtres non réso­lus, comme le pou­voir qui organ­isa l’attaque sur le con­seil d’Etat, comme ceux qui ont provo­qué le mas­sacre de Malatya Zirve et ceux qui avaient pour habi­tude de jeter dans « le tri­an­gle de mort de Sapan­ca » les corps de ceux qu’ils avaient tués, comme le meurtre de Hrant Dink… Je pour­rais con­tin­uer à citer bien d’autres crimes comme ceux-là.

J’ai appuyé sans réserve le dévoile­ment de ces gangs. Je l’appuie tou­jours aujourd’hui.

Mal­heureuse­ment, à l’image du pro­cureur qui a édul­coré et dévoyé l’enquête sur le 15 juil­let en dres­sant cet acte d’accusation, cer­tains ont aus­si édul­coré et dévoyé l’enquête Ergenekon.

L’occasion de décon­t­a­min­er l’Etat par l’excision des ces organ­i­sa­tions crim­inelles a été perdue.

C’est bien dommage!

Comme nous avons déjà répon­du aux allé­ga­tions absur­des que « nous con­nais­sons les hommes qui sont sup­posés con­naître les hommes qui auraient pré­ten­du­ment dirigé le coup d’Etat », ain­si que les dis­tor­sions autour de l’affaire Sledge­ham­mer, il reste à exam­in­er trois de mes chroniques et un dis­cours sur Can-Erz­in­can TV.

Main­tenant, imag­inez un pro­cureur qui exam­ine trois chroniques et une seule appari­tion à la télé et y décèle le crime de putschisme entraî­nant une peine de prison à vie. Imag­inez-le faisant cela mal­gré la règle uni­verselle qui dicte que la parole et l’écrit ne doivent pas être criminalisés.

Dans les fait, l’allégation selon laque­lle mes écrits et mes paroles ont un lien quel­conque avec le putschisme ne mérite même pas d’être prise au sérieux, mais je répondrai à ces allé­ga­tions, l’une après l’autre, afin de démon­tr­er la friv­o­lité du sys­tème judi­ci­aire et à quel point il est facile ici de jeter les gens en prison.

Hélas! Ça n’est pas que je n’aie pas aus­si pitié du pro­cureur ! On lui a dit de jeter des écrivains en prison et de les y main­tenir. Pour ce faire, il est chargé de la tâche impos­si­ble de nous associ­er au coup d’Etat du 15 juillet.

Il com­mence avec cette absur­dité : « Vous con­nais­sez les hommes dont on dit qu’ils con­nais­sent les hommes qu’on pré­tend être des putschistes. »

Comme je l’ai démon­tré, cette affir­ma­tion ne tient pas debout.

Puis, il se tourne vers moi et il dit : “Vous avez nom­mé à des postes clés les cadres der­rière la ten­ta­tive de coup d’E­tat de 2016 au moyen d’informations que vous avez pub­liées en 2010.”

Ma foi, cela ne fait pas beau­coup de sens non plus.

Enfin, il s’appuie sur cette affir­ma­tion : « Vous saviez qu’il y aurait un coup d’Etat. »

Autant que j’y com­prenne quelque chose, son raison­nement procède ainsi :

Vous saviez qu’il y aurait un coup, cela veut dire que les putschistes vous l’avaient dit ; puisque les putschistes vous l’avaient dit, cela veut dire que vous étiez en lien direct avec les putschistes ; puisque vous avez un lien direct avec les putschistes, cela sig­ni­fie que vous êtes un sou­tien et un par­tic­i­pant au coup d’Etat. »

Ceci a l’apparence d’une séquence logique.

Très bien, y a‑t-il des preuves pour étay­er cette séquence logique ?

Non, il n’y a pas la moin­dre trace de preuve.

Qu’avons-nous donc alors ?

Nous avons « l’opinion » du pro­cureur ; il sem­ble dire : « Voici ce que je ressens. »

Dans notre procès, le « sen­ti­ment » du pro­cureur rem­place la preuve.

Puisque c’est ce que le pro­cureur a « ressen­ti », jetons les écrivains en prison.

Voilà où nous en sommes, voilà où en est arrivé le droit.

Main­tenant, voyons ce qui cause ce sen­ti­ment chez notre pro­cureur sentimental.

En l’absence d’éléments de preuve, nous devrons exam­in­er le dis­cours sur lequel le pro­cureur fonde ses sentiments.

Nous allons démon­tr­er que notre pro­cureur qui n’a rien à faire de preuves se trompe aus­si dans son “sen­ti­ment”.

Pou­vez-vous l’imaginer ? On nous juge et on pour­rait nous con­damn­er à la prison à vie sur la foi d’un “sen­ti­ment”.

Ce qui a provo­qué le “sen­ti­ment” du pro­cureur, ce sont les choses que j’ai dites sur Can-Erz­in­can TV pen­dant un ‘talk show’ ani­mé par Nazlı Ilı­cak et Mehmet Altan.

Comme vous le savez, le pro­cureur, dans ses manœu­vres pour nous jeter en prison, a com­mencé par envoy­er la police nous arrêter parce que nous dif­fu­sions des « mes­sages sub­lim­inaux » dans cette émission.

Lorsque l’allégation de « mes­sage sub­lim­i­nal » a été tournée en ridicule non seule­ment en Turquie mais à tra­vers le monde. Le mot « sub­lim­i­nal » a dis­paru aus­si soudaine­ment que la balle d’un illusionniste.

Comme si le pro­cureur n’avait jamais fait pareille allé­ga­tion, comme si nous n’avions pas été enfer­més au départe­ment anti-ter­ror­iste sur la base même de cette allé­ga­tion, le mot « sub­lim­i­nal » est oublié.

À sa place, émerge une nou­velle allé­ga­tion : « Vous étiez au courant du coup d’Etat. » Cette affir­ma­tion devient le nou­v­el acteur dans le théâtre de l’absurde écrit par le procureur.

Un pro­cureur peut-il dress­er un acte d’accusation sur la foi de son opin­ion et de son sentiment ?

Des gens peu­vent-ils se lan­guir en prison parce qu’un pro­cureur a pressen­ti quelque chose ?

Peut-on réclamer une « peine à vie aggravée » pour des gens sur la foi du sen­ti­ment d’un procureur ?

Sur la base du droit, la réponse à toutes ces ques­tions est « Non. »

Sur la base de la loi, il ne peut y avoir un procès en l’absence de preuves d’un crime et pure­ment sur la base du « sen­ti­ment » d’un procureur.

Mais c’est ce qui se passe ici.

Et nous nous retrou­vons à devoir répon­dre à cette absurdité.

Deman­dons seule­ment le par­don du Dieu du Droit pour avoir fourni des répons­es sérieuses à des ques­tions aus­si friv­o­les, et tournons-nous vers cette appari­tion à la télé.

Votre Hon­neur,

Comme vous le savez, l’agenda de ces talk shows se base habituelle­ment sur les qual­ités de l’invité.

J’ai été invité à ce pro­gramme de télé pour deux raisons.

La pre­mière était la pub­li­ca­tion de mon dernier roman dont le titre anglais est Dying is Eas­i­er than Loving.

Sur fond des aven­tures per­son­nelles des per­son­nages, ce roman racon­te l’histoire des guer­res des Balka­ns et de l’incompétence des lead­ers de l’ İtt­ih­atçı qui ont pris le pou­voir, ain­si que des bru­tal­ités qu’ils ont instau­rées pour mas­quer leur échec à gou­vern­er le pays correctement.

Voilà pourquoi il fut dis­cuté des lead­ers İtt­ih­atçı de l’époque et du présent gou­verne­ment AKP dont les poli­tiques sont très semblables.

L’autre rai­son d’actualité pour ma présence à cette émis­sion con­cer­nait le procès Sledge­ham­mer qui devait débuter env­i­ron un mois et demi plus tard, et dans lequel j’étais men­acé de 52 ans de prison.

C’est la rai­son pour laque­lle nous avons dis­cuté de Sledgehammer.

Et c’est pourquoi la con­ver­sa­tion a pro­gressé sur ces deux sujets et sur leurs liens avec les poli­tiques du jour.

Ce que j’ai dit ce jour-là, c’est pré­cisé­ment ce que je pense encore aujourd’hui. Il n’y a pas eu un iota de change­ment dans ma pen­sée. De plus, je con­state que tous ces développe­ments démon­trent que ma prospec­tive était fondée.

Dans ce dis­cours à la télé, je dis­ais que le gou­verne­ment AKP est très sem­blable à celui des lead­ers du İtt­ih­atçı [Le comité de l’union et du progrès/CUP] en ce qu’ils ont pu s’installer au pou­voir mais sont inca­pables de gou­vern­er le pays eux aussi.

C’est pré­cisé­ment la sit­u­a­tion aujourd’hui.

Les dirigeants de l’AKP se sont trans­for­més en une ver­sion pieuse des lead­ers de İtt­ih­atçı. Ils ont accru l’oppression mais ils sont inca­pables de gou­vern­er le pays.

Sous le règne de l’ AKP, la Turquie décline gradu­elle­ment de jour en jour.

J’affirme ici qu’Enver Pasha et Erdoğan sont iden­tiques. Ils se ressem­blent vrai­ment beau­coup. Enver a provo­qué la chute des Ottomans par son délire de devenir le dirigeant de tous les turcs du monde. Erdoğan con­duit la Turquie vers une véri­ta­ble dépres­sion en rai­son de son illu­sion de devenir le dirigeant de tous les musul­mans du monde.

Aujourd’hui, Erdoğan lui-même ne sou­tient plus les poli­tiques d’Erdoğan en Syrie et au Moyen-Ori­ent. Même les dirigeants de l’AKP dis­ent qu’ils se sont trompés.

Nous sommes à vivre un désas­tre de poli­tique extérieure d’une éten­due sans com­mune mesure avec tout autre dans l’ère républicaine.

Dans ce dis­cours télévisé, je cri­tique la déc­la­ra­tion d’Erdoğan dans laque­lle il dit, « tout le sys­tème judi­ci­aire m’est soumis. »

D’ailleurs, quiconque tient au droit s’opposerait à cette déclaration.

Main­tenant je porte mon atten­tion sur les deux phras­es de mon dis­cours que le pro­cureur a citées en majuscules.

Je dis: “C’est un crime pour Erdoğan de dire qu’il est devenu le prési­dent [avec les pou­voirs con­férés à un prési­dent dans un sys­tème prési­den­tiel] et quelqu’un s’en sou­vien­dra à l’avenir. »

Je n’ai pas du tout com­pris pourquoi le pro­cureur a écrit cette phrase en majuscules.

Erdoğan a dit qu’il était devenu le “prési­dent de fac­to ” [avec les pou­voirs con­férés à un prési­dent dans un sys­tème prési­den­tiel] et cette déc­la­ra­tion prou­ve qu’il a out­repassé les lim­ites constitutionnelles.

Out­repass­er la con­sti­tu­tion, ou ne pas tenir compte de la con­sti­tu­tion et de l’ordre con­sti­tu­tion­nel est un crime. Erdoğan a avoué claire­ment avoir com­mis ce crime.

Assuré­ment, un Etat, s’il est bien un Etat, n’oubliera pas qu’un crime a été com­mis. Il ne peut pas l’oublier.

Quoi de plus naturel que d’affirmer ceci, et de rap­pel­er ce fait à tout le monde ?

Rap­pel­er le droit et la jus­tice aux gens, en ré-affir­mant leur exis­tence – com­ment peut-on con­sid­ér­er cela comme un crime ?
Erdoğan est celui qui a com­mis le crime ici. On me fait un procès pour avoir dit qu’il a com­mis un crime.

Voilà ce que d’aucuns appel­lent la « justice ».

Se déclar­er “prési­dent de fac­to” [avec les pou­voirs con­férés à un prési­dent dans un sys­tème prési­den­tiel ] con­stitue un coup d’Etat con­tre la constitution.

En fait, n’ont-ils pas aus­si admis avoir fait ces amende­ments récents à la con­sti­tu­tion afin que le crime com­mis par Erdoğan devi­enne légal ?

Devlet Bahçeli n’a‑t-il pas souligné la néces­sité de réc­on­cili­er la « sit­u­a­tion de fac­to »  avec la constitution?

Si l’acte ini­tial était en con­for­mité avec la con­sti­tu­tion, pourquoi y aurait-il besoin d’apporter des amende­ments à la con­sti­tu­tion afin de réc­on­cili­er cet acte même avec la constitution?

Dans un Etat cor­rect “les sit­u­a­tions de fac­to” ne sont pas per­mis­es ; tout le monde est tenu de respecter la loi.

Alors qu’ici, lorsqu’un politi­cien vio­le la loi, ils mod­i­fient la loi pour accom­mod­er le politicien.

Le pro­cureur a cité une autre phrase en majuscules.

Je dis: « Si une société et un Etat n’opposent pas de résis­tance à un acte illé­gal et illégitime, le résul­tat n’est jamais bon. »

Cette phrase ne con­stitue pas un crime.

Affirmer le con­traire de cette phrase serait un non-sens.

Pourquoi cela con­stituerait-il un crime de dire qu’une société et un Etat doivent oppos­er leur résis­tance à un acte criminel ?

Si vous pensez que ceci est un crime, allez‑y et affirmez le con­traire de cette phrase à voix haute.

Dites ceci: « La société et l’Etat ne devraient pas oppos­er de résis­tance, mais devraient se pli­er à des actes crim­inels illégaux. »

Pou­vez-vous dire cela ?

Si vous le pou­vez, com­ment pou­vez-vous défendre la résis­tance con­tre un coup mil­i­taire – qui est aus­si un acte crim­inel illégal ?

Vous ne pour­riez pas le défendre.

Voici une autre phrase de mon dis­cours qui est citée en let­tres majuscules :

« Je pense qu’ils tra­vail­lent main dans la main avec la tutelle mil­i­taire. Erdoğan et ses hommes sont à réalis­er toutes sortes de fan­tasmes que le sys­tème de tutelle mil­i­taire a rêvé de réalis­er durant tout son règne sans jamais par­venir à le faire. »

Oui, c’est pré­cisé­ment la sit­u­a­tion aujourd’hui.

Les généraux de la tutelle mil­i­taire ont ten­té d’arracher la Turquie au monde dévelop­pé. Aujourd’hui, Erdoğan et l’AKP s’emploient à réalis­er ce programme.

Les pachas cher­chaient à se débar­rass­er du judi­ci­aire et du droit. C’est exacte­ment ce qui se passe aujourd’hui.

Les pachas cher­chèrent à empris­on­ner tous les dis­si­dents et tous les démoc­rates. C’est ce qui se fait aujourd’hui.

Les pachas cher­chèrent à con­trôler tous les médias. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

Devrais-je con­tin­uer ?

En quoi affirmer ces faits et par­ler de leurs sim­i­lar­ités ont-ils un rap­port avec des actes crim­inels et un coup d’Etat ?

Com­ment le fait de s’élever con­tre le retour des jours de la tutelle mil­i­taire peut-il être con­sid­éré comme un sou­tien à un coup d’Etat militaire ?

Soit dit en pas­sant, le pro­cureur a aus­si recopié en majus­cule le mot “Erdoğan” chaque fois que je l’ai pronon­cé dans mon discours.

Pourquoi?

Parce qu’il veut vous dire que j’ai cri­tiqué Erdoğan et, qu’en con­séquence, je dois être en prison.

Voilà le droit dans la nou­velle ère :

« Vous ne pou­vez pas cri­ti­quer Erdoğan. Si vous le cri­tiquez, vous irez en prison. »

Je cri­tique Erdoğan et vous me jetez en prison.

Ça n’est pas le règne du droit.

C’est quoi ?

C’est le règne de fac­to d’un droit qui s’accorde avec un prési­den­tial­isme de facto.

C’est com­met­tre un crime au nom de la loi.

Je ne suis pas en prison parce que je suis un crim­inel. Je suis en prison parce que le règne du droit des crim­inels est au pouvoir.

De telles choses se pro­duisent. On vous jette en prison parce que vous défend­ez le droit et que vous avez rai­son. Et le coupable peut se déguis­er en procureur.

Mais per­son­ne ne devrait avoir peur ou s’en alarmer. Ceci ne dur­era pas très longtemps. Le droit se réveillera un jour.

Main­tenant je vous lis une phrase de mon dis­cours que le pro­cureur n’a pas citée en majuscules :

« Ils par­lent comme si Erdoğan devait dur­er toute sa vie. Erdoğan par­ti­ra dans deux ans. Les élec­tions approchent, per­son­ne ne peut savoir ce qui se passera dans deux ans au moment des élections. »

Vous com­prenez sans doute pourquoi le pro­cureur n’a pas cité cette phrase en majuscules.

L’homme dont il allègue « qu’il savait qu’il y aurait un coup d’Etat le lende­main » par­le d’Erdoğan quit­tant le pou­voir après avoir été bat­tu aux élec­tions dans deux ans.

Com­ment un homme qui sait qu’il y aura un coup d’Etat le lende­main peut-il envoy­er un mes­sage « sub­lim­i­nal » au sujet du coup en dis­ant « Erdoğan sera bat­tu deux ans plus tard » ?

Est-ce un crime de dire qu’un politi­cien sera bat­tu aux élections ?

De quelle sorte de crime s’agit-il ?

En out­re, je pense exacte­ment la même chose aujourd’hui.

Erdoğan sera bat­tu aux élections.

Il n’y a aucun besoin d’un coup d’Etat pour évin­cer Erdoğan. Les poli­tiques d’Erdoğan pré­par­ent son départ.

C’est comme une blague de Nasred­din Hodja.

On le voit coupant la branche sur laque­lle il est assis avec ses poli­tiques actuelles. Vous le dites. Le pro­cureur dit : « Com­ment le saviez-vous ? Vous êtes un putschiste! »

Erdoğan sera ren­voyé du pou­voir non pas par un coup d’Etat mais par l’économie. Je vous dirai un peu plus tard com­ment cela va se produire.

Pour­suiv­ons main­tenant la lec­ture de notre con­ver­sa­tion telle que citée dans l’acte d’accusation.

Le pro­cureur cite une phrase de Mehmet Altan en majuscules.

Mehmet Altan dit: « Même ce qui se pro­duira dans ce pays dans deux ans n’est pas clair. »

Je réponds:

« Ça n’est pas clair. Si cinquante députés de l’AKP décidaient de for­mer un nou­veau par­ti avec Akşen­er, le sys­tème en entier serait ébran­lé. Cet homme n’a pas une base solide. »

Évidem­ment, le nom de Mer­al Akşen­er n’a pas été men­tion­né comme tombant du ciel.

À cette époque, Akşen­er et ses amis se pré­paraient à réu­nir la con­ven­tion de leur par­ti afin de vot­er le rem­place­ment de l’exécutif du MHP [Par­ti d’action nationaliste].

On pou­vait con­stater qu’ils béné­fi­ci­aient d’un fort sou­tien au niveau de la base du parti.

Moins d’un an s’est écoulé depuis, et il est évi­dent aujourd’hui que nos affir­ma­tions ce jour-là por­taient sur une pos­si­bil­ité réelle.

Erdoğan et les lead­ers de l’AKP se berçaient de l’illusion qu’ils auraient le sou­tien de 65% des électeurs suite à leur union avec le MHP.

Que s’est-il passé lors du référen­dum du 16 avril?

Mal­gré toutes les rus­es, les irrégu­lar­ités, les pres­sions et les inter­dits qu’ils ont mis en place, l’AKP et le MHP n’ont pu obtenir que 51% du vote.

Mer­al Akşen­er et ses amis se sont emparés de la base du MHP et l’ont conquise.

Cer­tains électeurs du MHP,  pour­tant sous le lead­er­ship d’Akşener, cer­tains électeurs AKP, des électeurs du Par­ti Saadet, les kur­des qui ont voté pour le HDP, les électeurs du par­ti Vatan, et plusieurs électeurs de petits par­tis sous la direc­tion du lead­er­ship du CHP se sont rassem­blés pour dire « Non » à la fois à Erdoğan et à son régime répressif.

Erdoğan avait-il une base solide ?

La moitié de la société ne s’est pas effon­drée et ne s’est pas cachée mais s’est tenue debout. Et il s’est créé une « plate­forme démoc­ra­tique » dont les lead­ers de l’AKP n’avaient pas anticipé l’émergence.

Entretemps, un change­ment de rôles s’est opéré sous nos yeux.

Le CHP, de par­ti poli­tique appuyant habituelle­ment la tutelle mil­i­taire et l’oppression, est devenu un représen­tant de la démoc­ra­tie sous la direc­tion de Kılıç­daroğlu et a déclaré  que son pro­jet était « le couron­nement de la république avec la démoc­ra­tie ». De son côté, l’AKP est devenu le représen­tant de l’oppression, du despo­tisme et de la tutelle.

En con­séquence de tout cela, l’AKP a per­du la majorité des voix dans les villes d’Ankara, d’Izmir, d’Istanbul, d’Antalya, d’Adana et de Mersin pour la pre­mière fois au cours d’une seule élection.

Il a per­du le vote des jeunes.

Il a per­du le vote des femmes.

Aucun par­ti poli­tique ne peut rester au pou­voir une fois qu’il a per­du les prin­ci­pales villes, les jeunes et les femmes.

Dans une société courageuse où cinquante pour cent des électeurs ont dit « Non » à l’oppression, la tyran­nie ne peut pas dur­er trop longtemps.

Ce que nous avons dit alors s’est réal­isé avant que l’année ne soit terminée.

De quoi le pro­cureur nous accuse-t-il ?

De com­pren­dre les faits et de prévoir ce qui allait se passer ?

D’affirmer les faits?

Effec­tive­ment, les élec­tions du 7 juin 2015 nous avaient déjà sig­nalé tous ces développe­ments. Les élec­tions du 1er novem­bre 2015 étaient arti­fi­cielles. Leur résul­tat l’était aussi.

C’était un résul­tat qui reflé­tait l’horreur de la société devant la mort de plus de 600 per­son­nes du 7 juin au 1er novembre.

Mais au-delà d’un cer­tain point, la mort et la vio­lence cessent d’aider les politi­ciens à obtenir le pou­voir qu’ils recherchent.

Les gens se fatiguent de la mort, ils en ont assez de voir mourir, et ils pren­nent leur dis­tance avec les par­tis poli­tiques qu’ils asso­cient à la mort et au fait de mourir.

C’est exacte­ment ain­si que le sys­tème de tutelle mil­i­taire s’est effondré.

Les gens l’associaient à la mort plutôt qu’à la vie. Il fai­sait l’éloge de la mort. Il la sanctifiait.

Cela a épuisé et écoeuré la société et le sys­tème s’est effondré.

Main­tenant l’AKP fait la même chose.

Il sanc­ti­fie la mort, la glo­ri­fie en menant des cam­pagnes con­tin­uelles en faveur du mar­tyr et promet aux jeunes plus de mort plutôt que plus de vie.

Il pousse le pays entier dans les ténèbres effrayantes de la mort.

Il épuise et il écoeure la société.

C’est pourquoi il quit­tera le pouvoir.

C’est ce que je pen­sais alors et c’est ce que je pense aujourd’hui.

Est-ce un crime de penser ainsi ?

Est-ce du putschisme?

Bien sûr que non!

Seule­ment, ceux qui déti­en­nent le pou­voir et leurs pro­cureurs ne veu­lent pas que la vérité se sache. C’est pourquoi ils empris­on­nent des gens comme nous.

Qu’ils nous jet­tent en prison.

Ils ne peu­vent pas mod­i­fi­er la vérité ou chang­er l’avenir.

Voici une autre de mes phras­es citées en majus­cules dans l’acte d’accusation :

« Les soi-dis­ant camions du MIT… Ils ont fait con­damn­er Can Dün­dar dans leurs tri­bunaux. Mais il y a quand même quelque chose d’étrange ici…Quelque chose qui pour­rait être con­sid­éré comme un crime inter­na­tion­al. Il y a col­lab­o­ra­tion avec tous les putschistes, avec les gens d’ Ergenekon. Il s’agit de cas de corruption. »

Can Dün­dar a été condamné.

Que s’est–il passé ensuite ?

Avons-nous pu appren­dre de quoi il en retour­nait avec les camions du MIT ?  La ques­tion a‑t-elle été clar­i­fiée ? Avons-nous com­pris ce que con­te­naient ces camions ?

Savons-nous qui a envoyé ces camions et à qui ils furent envoyés ?

S’agit-il là de choses que fait un gou­verne­ment transparent ?

C’est exacte­ment le genre de choses que ferait un « Etat pro­fond » que nous appelons “Ergenekon”.

Ils ont rafraîchi notre mémoire au sujet de « l’Etat profond ».

S’il y en a pour affirmer que tel n’était pas le cas, ils devraient dire la vérité à la nation à ce sujet, ils devraient nous dire ce que con­te­naient ces camions.

Dans cette phrase, je dis qu’il y a des cas de corruption.

Ces pour­suites ont été aban­don­nées mais elles con­tin­u­ent aux Etats-Unis. Des respon­s­ables améri­cains ont révélé qu’ils avaient négo­cié avec le gou­verne­ment Erdoğan à ce sujet.

Que négo­ci­aient-ils ?

Que don­naient-ils et qu’exigeaient-ils en échange ?

Le savons-nous ?

Non.

Avons-nous le droit de le savoir ?

Oui.

Pourquoi ne le savons-nous pas ? Pourquoi devons-nous appren­dre la vérité des Américains ?

Pourquoi le fait de dire ces choses est-il con­sid­éré comme con­sti­tu­ant le crime de putschisme ?

Est-ce du putschisme de deman­der de la trans­parence à l’Etat ?

Voici une autre phrase de mon dis­cours cité dans l’acte d’accusation – encore une fois, en majuscules :

« Quel que ce soit ce qui a ouvert la voie aux précé­dents coups mil­i­taires en Turquie, Erdoğan prend les mêmes déci­sions aujourd’hui, leur ouvrant à nou­veau la voie. Par exem­ple, il a passé une loi accor­dant la pri­or­ité aux mil­i­taires sur les civils dans l’administration des villes. Un général pour­ra gou­vern­er une ville s’il le désire. Erdoğan a redonné vie au soi-dis­ant pro­jet EMASYA. Pis encore, si vous exigez une autori­sa­tion préal­able pour que ces mil­i­taires soient mis en exa­m­en, ils pré­pareront un coup beau­coup plus facilement. »

Même la stu­pid­ité ne suf­fi­ra pas pour extraire une dose de putschisme de ces phras­es, il faut aus­si être ani­mé d’une ran­cune meurtrière.

Ce sont les opin­ions que je défends depuis trente ans. Ce sont des phras­es qui insis­tent sur l’importance d’un Etat de droit et sur le dan­ger d’accorder des priv­ilèges spé­ci­aux à l’armée.

Dans le passé, l’AKP a annulé la soi-dis­ant pra­tique EMASYA qui avait pour cou­tume d’accorder la pri­or­ité aux mil­i­taires sur les civils pour l’administration des villes, et se dis­ait très fier de cette annulation.

S’il s’agissait d’une bonne pra­tique, pourquoi l’ont-ils annulée ? Si elle était mau­vaise, pourquoi l’ont-ils ré-instaurée ?

Voilà ce que nous voulions dire lorsque nous affirmions que cette péri­ode nous rap­pelle les jours de la tutelle militaire.

Et nous en voyons les conséquences.

La Turquie se dirige rapi­de­ment vers un effon­drement total.

Nous con­sid­ère-t-on comme des putschistes parce que nous dis­ons ; « Ne faites pas cela ? »

Pour traiter ces déc­la­ra­tions de putschisme l’on doit dire « nous nous sommes décon­nec­tés de toutes formes de logique, de rai­son et de droit, » et, en effet, c’est ce que le pro­cureur suggère.

Nazlı Ilı­cak me dit: « Je vois que les cir­con­stances actuelles chang­eront et vous l’avez décrit de façon fort éloquente. »

Dans l’acte d’accusation, le pro­cureur a cité cette phrase d Ilı­cak en majuscules..

Il doit penser que les mots « les cir­con­stances chang­eront » sont dan­gereux et criminels.

Je sup­pose que s’il ren­con­trait la phrase d’Héraclite qui a dit un jour « l’on ne peut pas se baign­er deux fois dans la même riv­ière », il le pendrait.

Mehmet Altan dit: « il est impos­si­ble que ça con­tin­ue ain­si. » Le pro­cureur a mis ses mots en majus­cules aussi.

Est-il pos­si­ble que ça con­tin­ue ainsi ?

Est-ce que tout se déroule en douceur ?

Regardez les don­nées économiques, regardez les résul­tats du référen­dum, vous ver­rez s’il est pos­si­ble ou non « que ça con­tin­ue ainsi ».

Je prononce une autre phrase dans cette con­ver­sa­tion télévisée, l’une que le pro­cureur ne cite pas en let­tres majuscules :

« Vous pou­vez agir de manière despo­tique, mais si ce que vous faites est con­traire au droit, et finale­ment, vous perdrez. »

Je pense exacte­ment la même chose aujourd’hui.

Le despo­tisme, c’est la faib­lesse qui se trou­ve à avoir mis la main sur des armes. À mesure que le despo­tisme aug­mente, sa faib­lesse aug­mente aussi.

À la fin, le despo­tisme perd, et l’état de droit gagne.

Dans presque cha­cune des lignes de ce dis­cours que le pro­cureur utilise comme pré­texte à notre arresta­tion, nous défendons le règne du droit. Presque toute la con­ver­sa­tion est une défense ouverte de l’E­tat de droit, mais aux yeux du pro­cureur, défendre le droit c’est du putschisme.

Et nous nous lan­guis­sons en prison.

Pour éviter de lan­guir en prison dans ce pays, faut-il être un enne­mi du droit ?

Peut-être le pro­cureur envoie-t-il un mes­sage pas si « sub­lim­i­nal » que ça à la Turquie, à savoir que quiconque défend le droit sera jeté en prison.

Encore une fois, une autre de mes phras­es en majus­cules dans l’acte d’accusation :

« Les hommes de droit peu­vent rem­porter la bataille même lorsqu’ils sont en prison. Les fau­tifs per­dront, même dans le palais. »

Puisqu’il l’a mise en majus­cules, le pro­cureur doit con­sid­ér­er que cette affir­ma­tion est crim­inelle elle aussi.

En quoi le pro­cureur s’objecte-t-il à cette affirmation ?

Pense-t-il que ceux qui sont dans leurs droits ne peu­vent pas gag­n­er et que les fau­tifs ne peu­vent pas perdre ?

Cherche-t-il à inter­dire aux gens de dire « les fau­tifs vont perdre » ?

Voulez-vous me regarder cette pagaille ? Nous sommes jugés à cause d’une con­ver­sa­tion sur la défense des droits humains, la légitim­ité et la loi.

Sans la moin­dre trace de honte, ils dis­ent que le putschisme, c’est défendre le respect du droit.

Effec­tive­ment, c’est bien ce que le pro­cureur veut dire :

« Doré­na­vant, nous jet­terons en prison quiconque défendra la pri­mauté du droit. »

Bra­vo! Jetez-les en nombre !

Ces temps vous appartiennent.

Mais les temps changent, ils changent toujours.

Le prob­lème des puis­sants et des despotes c’est qu’ils ne sai­sis­sent jamais ce fait.

Les généraux du 28 févri­er ont cru aus­si que le 28 févri­er dur­erait pour mille ans. Les pro­cureurs au ser­vice de ces généraux jetaient aus­si les gens en prison.

Alors aus­si, nous disions : « Cela ne peut pas con­tin­uer comme ça, ne vio­lez pas la loi, revenez à l’Etat de droit. »

On m’a inten­té des procès à de nom­breuses repris­es pour avoir dit cela.

Que s’est-il passé ?

Cela a‑t-il duré ?

Cela n’a pas duré. Cela ne pou­vait pas durer.

Le despo­tisme, les mau­vais­es actions, l’illégalité d’aujourd’hui ne peu­vent pas dur­er non plus.

Les régimes d’oppression sont comme des allumettes. En met­tant tout en cen­dre, ils pren­nent feu aus­si et sont con­sumés par lui.

Parce qu’il existe des liens impor­tants entre l’économie et l’Etat de droit.

En accrois­sant l’oppression et en étranglant l’Etat de droit, le pays perd sa crédi­bil­ité. Dans les pays où n’existent pas l’Etat de droit et la crédi­bil­ité, les investisse­ments nationaux et inter­na­tionaux s’interrompent. L’économie se met à baiss­er. L’inflation et le chô­mage aug­mentent de façon incontrôlable.

Les gens ne peu­vent plus don­ner une seule boulette de viande à leurs enfants, ils ne peu­vent plus acheter de bananes.

Voir leurs enfants con­tem­pler en silence les restau­rants, les pâtis­series, les marchands de fruits les fait souf­frir et leur fait honte.

À la fin, ils ne peu­vent plus sup­port­er les regards affamés de leurs enfants et ils votent pour évin­cer les politi­ciens qui ont causé tout ça.

C’est exacte­ment ce qui se passe dans ce pays en ce moment.

En con­tin­u­ant à jeter des gens comme nous en prison, ils détru­isent l’Etat de droit et provo­quent l’effondrement de l’économie.

Pour la pre­mière fois depuis 2004, le con­seil européen a remis la Turquie sous sur­veil­lance. La Turquie d’au­jour­d’hui est regardée comme la Turquie au moment du coup mil­i­taire, parce que les dirigeants poli­tiques actuels ont endossé le despo­tisme des officiers putschistes.

Pour ce pays, le coût de son éloigne­ment des valeurs européennes sera un enfer économique.

Le chô­mage, la flam­bée des prix, l’impuissance et la faim s’accentueront.

Pensez-vous que le gou­verne­ment peut tenir dans des con­di­tions pareilles ?

Vous ver­rez qu’il ne dur­era pas, qu’il ne pour­ra pas durer.

Nous jeter en prison et dress­er des actes d’accusation rem­plis de men­songes ne suf­firont pas à sauver ce gouvernement.

En allumant le feu en Turquie, ce gou­verne­ment s’est pris à ses pro­pres flammes.

Jour après jour il se con­sume dans son pro­pre feu.

Nous les avons alertés à de nom­breuses repris­es des risques de s’incendier eux-mêmes en même temps que le pays. Nous les aler­tons encore.

Leur réponse fut d’envoyer leurs pro­cureurs et leurs policiers pour nous jeter en prison.

Est-ce que leur dire de revenir à l’Etat de droit et de cess­er le despo­tisme con­stitue du putschisme?

Il s’agit sim­ple­ment de l’impuissance pitoy­able d’un gou­verne­ment qui ne peut plus sup­port­er la moin­dre cri­tique. En incen­di­ant si ter­ri­ble­ment le pays, il s’est si griève­ment brûlé lui-même qu’il est cou­vert de plaies suintantes.

Dès que la moin­dre cri­tique touche leur peau, les gens au pou­voir ont telle­ment mal qu’ils ne peu­vent répon­dre et envoient leurs policiers et leurs procureurs.

Notre aven­ture aujourd’hui se résume à cette impuissance.

Non pas l’impuissance de ceux qui sont en prison, mais l’impuissance de ceux qui les y ont jetés.

Pour­suiv­ons la lec­ture de l’acte d’accusation, qui con­stitue une solide démon­stra­tion de cette impuissance.

Voici une phrase de mon dis­cours que le pro­cureur a citée en let­tres majuscules :

« Ce gou­verne­ment voleur ne peut pas rester très longtemps, ce gou­verne­ment voleur vio­le la loi, vio­le les droits, vio­le la morale. Il vio­le même la poli­tique, il fait des choses en dehors du cadre politique… »

Le reste de cette déc­la­ra­tion se pour­suit et elle est citée en car­ac­tère normal :

« Ceci ne peut pas con­tin­uer ; la magie se trou­ve dans ceux qui ont été trompés et qui se rassem­blent, qui agis­sent de façon sol­idaire, qui pren­nent soin les uns des autres, qui s’épaulent et qui récla­ment l’Etat de droit. »

Autant que je puisse le com­pren­dre, le pro­cureur met de l’avant les mots « gou­verne­ment voleur » comme preuve de putschisme. Ma sug­ges­tion que les gens se regroupent et récla­ment l’application du règne du droit doit être vue comme du putschisme par les pro­cureurs de ce gouvernement.

Je pense que le gou­verne­ment a com­mis un vol et je le dis. D’après nos lois, il n’est pas crim­inel de dire une chose pareille. Et il ne s’agit pas du tout de putschisme.

Même si le shayk-al Islam des temps mod­ernes peut émet­tre des fat­was déclarant que « la cor­rup­tion n’est pas du vol », de telles fat­was n’indiquent pas que la cor­rup­tion n’est pas du vol, mais que l’auteur de cette fat­wa n’a plus rien à voir avec la reli­gion ou la morale.

La cor­rup­tion, c’est du vol.

Ce gou­verne­ment est cor­rompu. Les mil­lions de dol­lars qu’il a tiré de l’Etat pour pay­er les con­struc­teurs de ces grands ponts devraient suf­fire à les envoy­er en cor­rec­tion­nelle pour corruption.

Le pro­cureur ne veut pas que je dise ces choses.

Suis-je sup­posé deman­der au pro­cureur ce que je dois dire ?

Qu’ils volent l’argent et qu’ils jet­tent en prison ceux qui leur dis­ent de ne pas voler.

Et appelons ça l’E­tat de droit.

Le pro­cureur a aus­si cité l’une des phras­es de Ilı­cak en majus­cules dans l’acte d’accusation, sig­nifi­ant ain­si qu’il s’agirait d’une phrase criminelle.

Ilı­cak dit: « L’on devra cer­taine­ment ren­dre des comptes sur cette sit­u­a­tion de fac­to, ain­si que sur les vio­la­tions con­sti­tu­tion­nelles — parce qu’il n’y a pas seule­ment la cor­rup­tion, il y a aus­si les vio­la­tions de la con­sti­tu­tion. Un jour, l’on ren­dra très cer­taine­ment des comptes pour cela. »

Cela a vexé le procureur.

La for­mu­la­tion qui paraît la plus insup­port­able pour le pro­cureur est peut-être celle-ci : « L’on devra ren­dre des comptes pour l’illégalité. »

Il est un sorte de juriste, de cette sorte qui aspire à un régime dans lequel la loi ne pour­ra pas exiger des comptes aux auteurs de quelque cor­rup­tion, illé­gal­ité, ou crime que ce soit.

Dans le régime auquel aspire ce pro­cureur, ceux qui dis­ent « les crim­inels devront ren­dre des comptes pour leurs crimes » sont punis, et non pas les crim­inels eux-mêmes.

L’AKP a trou­vé le pro­cureur qu’elle cherchait.

Je me demande com­bi­en il en existe de cette sorte ? Com­bi­en d’autres au sein du sys­tème judi­ci­aire tra­vail­lent à déman­tel­er l’Etat de droit et l’économie du pays ?

Puis, à nou­veau, nous ren­con­trons mes phras­es citées en majuscules.

Don­nant l’exemple de Menderes et de son chef d’Etat major Rüştü Erdel­hun, je dis ceci :

« Dans ces pays, une fois que les politi­ciens se met­tent à jouer avec les mil­i­taires, ils ouvrent la voie à un coup d’Etat. »

Mehmet Altan donne l’exemple du prési­dent égyp­tien Mor­si qui nom­ma le général Sisi afin d’assurer sa pro­pre posi­tion seule­ment pour se retrou­ver évincé par ce dernier. « Mor­si a joué avec Sisi, » dit-il.

Et je poursuis :

« Il a joué avec l’armée. Jouer avec l’armée, c’est ouvrir la voie à un coup d’Etat. Quelqu’un qui n’est pas un mil­i­taire ne peut pas utilis­er l’armée pour se main­tenir au pouvoir. »

Le pro­cureur a cité ces lignes en majus­cules dans l’acte d’accusation, pour sig­ni­fi­er un con­tenu criminel.

Puisque notre pro­cureur ne fait preuve d’aucune curiosité au sujet de ce que l’homme qu’il accuse de putschisme a pu écrire aupar­a­vant, il ne sait pas que j’écris sur ce sujet depuis trente ans et que j’ai aver­ti des gou­verne­ments avant celui de l’AKP de ne pas ten­ter d’obtenir le sou­tien de l’armée pour se main­tenir au pouvoir.

Il prend pour acquis que nous avons par­lé de ces sujets pour la pre­mière fois durant cette émis­sion de télévision.

Un gou­verne­ment poli­tique détient sa légitim­ité du peu­ple et de la loi de son pays.

Mais lorsque les gou­ver­nants sèment la pagaille et se tour­nent vers l’oppression pour mas­quer le désor­dre qu’ils créent, et qu’ils ten­tent d’utiliser les mil­i­taires pour main­tenir les pra­tiques d’oppression, il se pro­duit un coup d’Etat.

Il en a tou­jours été ainsi.

C’est ce qui s’est pro­duit en 1960, 1970, et en 1980…

Lorsque vous out­repassez les lim­ites de la loi et ten­tez d’accroître votre pou­voir à l’aide des armes des mil­i­taires, les généraux dis­ent : « si le pou­voir réside dans nos armes, alors ceux qui déti­en­nent les armes méri­tent ce pou­voir », et ils organ­isent un coup d’Etat.

Demirel nom­ma Kenan Evren à titre de chef de l’Etat major afin d’assurer sa pro­pre posi­tion, et Mor­si nom­ma Sisi pour la même raison.

Tous deux furent évincés par les généraux qu’ils avaient nommés.

En quoi est-ce un crime d’alerter un gou­verne­ment civ­il con­tre un dan­ger aus­si apparent ?

En quoi est-ce du putschisme ?

Y a‑t-il quelqu’un qui puisse l’expliquer dans les lim­ites de l’intellect, de la rai­son et de la loi ?

Ce sont les phras­es que le pro­cureur con­sid­ère comme crim­inelles dans cette con­ver­sa­tion télévisée.

Toutes sont des phras­es à la défense de la droi­ture, de la loi, de la jus­tice, de l’honnêteté et de la transparence.

Ce sont les valeurs dont la défense est la plus dan­gereuse dans la Turquie d’aujourd’hui. Ce sont les valeurs dont le pou­voir poli­tique cherche à se débarrasser.

Tournons nous main­tenant vers la con­clu­sion écrite par le pro­cureur pour met­tre en cause cette con­ver­sa­tion télévisée.

J’adore sa pre­mière phrase.

Ce pro­cureur dés­espéré­ment con­fus éveille en moi des sen­ti­ments de pitié et de sympathie.

Le pro­cureur nous accuse « de men­aces, et d’avoir une rhé­torique à manière des insultes con­tre le prési­dent Erdoğan et les mem­bres du gou­verne­ment » au cours de cette émission.

Veuillez excuser la com­po­si­tion de cette phrase. Le pro­cureur ne maîtrise pas bien sa langue maternelle.

N’est-ce pas vrai­ment très mignon de sa part d’estimer que nous avons le pou­voir de men­ac­er Erdoğan et son gouvernement ?

Ces hommes nous ont jetés hors de nos maisons et enfer­més en prison et le pro­cureur dit : « ils men­a­cent Erdoğan.”

Com­ment est-ce que je men­ace Erdoğan?

En dis­ant, « il y a la loi » ?

En dis­ant, « vous per­drez les élec­tions si vous con­tin­uez ainsi » ?

Com­ment suis-je menaçant ?

S’ils pensent vrai­ment que je pos­sède le genre de pou­voir qui me rend capa­ble de les men­ac­er, s’ils ont peur de moi, je dois dire que je trou­verais ça plutôt divertissant.

Et je ne pense pas qu’il y aurait quelqu’un qui ne trou­verait pas ça divertissant.

J’aime aus­si cette expres­sion de « rhé­torique à la manière des insultes ».

Que sig­ni­fie « à la manière des insultes », Votre Honneur ?

Où trou­ve-t-on ce con­cept dans la loi ?

Si j’ai insulté quelqu’un, il aurait dû employ­er le mot « insulte » et il existe un arti­cle dans le droit crim­inel qui régit cela. Cela n’a rien à voir avec le putschisme.

Il n’utilise pas le mot « insulte ». De toute évi­dence, il voit bien que je n’insulte personne.

Alors, « à la manière des insultes » sig­ni­fie-t-il dure­ment critique ?

La cri­tique n’est pas un crime.

Alors que veut dire ce mot « à la manière des insultes » ?

L’esprit du pro­cureur sem­ble être devenu ter­ri­ble­ment con­fus à tant s’efforcer d’inventer un crime.

Puis il dit : « ils dis­ent que les actions et les affaires de ce gou­verne­ment vont à l’encontre de la loi. »

Nous sommes sig­nalés comme ayant dit que ce gou­verne­ment agis­sait à l’encontre de la loi.

Oui, c’est exacte­ment ce que je dis.

Est-ce un crime de cri­ti­quer un gou­verne­ment parce qu’il fait des choses qui vont à l’encontre de la loi ? Est-ce un crime de l’avertir en dis­ant : « Ne faites pas cela » ?

Est-ce du putschisme?

Ne devri­ons-nous pas aver­tir le gouvernement ?

Le pro­cureur dit : « n’avertissez pas, ne cri­tiquez pas, ne par­lez pas. »

Le pro­cureur n’a nulle­ment le droit de dire cela.

Ma cri­tique des affaires illé­gales du gou­verne­ment n’est aucune­ment les affaires du procureur.

Son tra­vail est de veiller aux affaires illé­gales du gou­verne­ment, d’enquêter à leur sujet et d’intenter des pour­suites s’il a des preuves. On aimerait qu’il ait un tel courage…

Il ne pour­suit pas les actes illé­gaux, mais il pour­suit ceux qui cri­tiquent l’exé­cu­tion de tels actes. Un pro­cureur typ­ique de l’ère AKP !

Il dit: « ils dis­ent que le gou­verne­ment per­dra bien­tôt le pouvoir. »

Oui, c’est exacte­ment ce que je dis.

Je pense aus­si qu’ils per­dront les pre­mières élec­tions présidentielles.

Ça n’est pas un crime quand le pou­voir poli­tique change de mains. Il serait prob­lé­ma­tique, cepen­dant, de dire que, quoiqu’il advi­enne, un gou­verne­ment restera tou­jours en place.

Les gou­verne­ments vien­nent et ils repartent.

C’est le jeu de la poli­tique. C’est la démocratie.

Dès qu’un pro­cureur dit : « c’est du putschisme de dire que le gou­verne­ment va per­dre le pou­voir, » il vio­le la loi, il rejette la règle de base selon laque­lle le pou­voir poli­tique change de mains en rai­son des élec­tions, et il com­met une infrac­tion sérieuse. Ce pro­cureur com­met une infrac­tion sérieuse.

Vous ver­rez que cet acte d’accusation servi­ra à l’avenir de preuve crim­inelle con­tre le pro­cureur qui l’a dressé.

Il dit, « ils dis­ent qu’ils [les politi­ciens] seront traînés en justice. »

Je suis sup­posé avoir dit que ce gou­verne­ment sera traîné en justice.

Oui, c’est ce que j’affirme.

Pourquoi ne serait-il pas traînés en jus­tice s’il a com­mis des crimes ?

Le gou­verne­ment AKP est-il au dessus de la loi ?

Le pro­cureur les con­sid­ère-t-ils au dessus de la loi et de la justice ?

Croit-il qu’ils ne seront jamais jugés dans un tribunal ?

Quel est le fonde­ment juridique pour cette conviction?

Ni cette con­vic­tion ni les allé­ga­tions du pro­cureur n’ont une base juridique. Le pro­cureur vio­le man­i­feste­ment la loi en dis­ant « vous ne pou­vez pas cri­ti­quer le gou­verne­ment et, si vous le faites, je vous jet­terai en prison. »

Nous arrivons main­tenant à la meilleure partie.

Nous sommes sup­posés avoir dit que le gou­verne­ment AKP perdrait le pou­voir en Turquie et «  de cette façon comme élé­ment de cette rhé­torique, avoir déclaré qu’il y aurait un coup d’Etat. »

Il est pré­sumé qu’il nous était impos­si­ble d’être au courant de la ten­ta­tive de coup d’Etat sans avoir été en accord men­tale­ment et de façon opéra­tionnelle avec l’organisation ter­ror­iste. Notre objec­tif aurait été de légitimer la ten­ta­tive de coup d’Etat.

Et avec ceci, le pro­cureur retire son masque et lâche le morceau.

Suite à des pages et des pages de mots vides et de chara­bia ce pro­cureur dit enfin ce qu’il voulait dire dans le para­graphe que je viens de vous lire.

Mais laque­lle de mes phras­es invoque-t-il pour prou­ver l’allégation de notre con­nais­sance préal­able du coup d’Etat le 15 juil­let et que « nous étions en unité de pen­sée et d’action » avec les putschistes ?

Le fait que je suis sup­posé avoir dit, « Le gou­verne­ment AKP va per­dre le pou­voir en Turquie. »

C’est exacte­ment ce que je pense.

Com­ment est-ce que ça prou­ve que nous étions en « unité d’action » avec les putschistes que de dire qu’un par­ti poli­tique serait évincé du pouvoir.

Je l’ai demandé avant, je le demande à nouveau :

Que pense le pro­cureur ? Que l’AKP ne sera jamais évincé du pouvoir ?

Sur quoi fonde-t-il sa pensée ?

L’économie est dev­enue un enfer, le tourisme s’effondre, le manque de con­fi­ance dans l’Etat de droit atteint des niveaux records. Sur quoi se fonde-t-il pour penser que ce gou­verne­ment poli­tique ne sera jamais évincé du pou­voir dans ce pays ?

Selon ce pro­cureur, l’AKP ne peut-il pas être évincé par le vote ? Pourquoi ne le serait-il pas ?

Avant de nous accuser de putschisme, le pro­cureur devrait d’abord nous expli­quer cela.

Sur quelle infor­ma­tion s’appuie-t-il pour pré­ten­dre que l’AKP ne sera jamais évincé du pouvoir ?

Sur quelle infor­ma­tion appuie-t-il son allé­ga­tion selon laque­lle quiconque dit que l’AKP sera évincé du pou­voir est un putschiste ?

Les lead­ers de l’AKP ont-ils dit, « qu’ils ne seraient jamais évincés du pou­voir par un vote » et ont-ils con­va­in­cu le pro­cureur de cela ?

De quoi parle-t-on ?

Quelqu’un devrait m’expliquer les raisons der­rière les allé­ga­tions dénuées de sens et infondées du procureur ?

Écoutez, je le dis à nou­veau, ça n’est pas un crime de dire qu’un gou­verne­ment poli­tique sera évincé du pou­voir. Il est crim­inel de dire qu’il ne le sera pas.

Votre Hon­neur,

Après pas mal de jonglage, ce que le pro­cureur présente dans cet acte d’accusation se résume à deux de mes phrases.

« L’AKP quit­tera le pou­voir. Et il sera jugé au tri­bunal. » Voilà les deux phrases.

On indique que j’ai dit : « L’AKP quit­tera le pou­voir et il sera jugé. »

C’est bien ce que je dis !

Ce sont deux pos­si­bil­ités légitimes et qui sont extra­or­di­naire­ment prob­a­bles dans un Etat régi par le droit.

Pour­riez-vous dire que ces deux pos­si­bil­ités légitimes ne se réalis­eront jamais dans un Etat régi par le droit ?

Pour­riez-vous dire que l’AKP ne quit­tera jamais le pou­voir et ne sera jamais con­vo­qué devant un tribunal ?

Com­ment le fait d’exprimer deux pos­si­bil­ités extra­or­di­naire­ment prob­a­bles et légitimes dans un Etat régi par le droit peut-il servir de preuve d’une « unité d’action » avec les putschistes ?

Ce que le pro­cureur présente comme preuve, ce sont ces deux phrases.

Parce que j’ai dit : « l’AKP quit­tera le pou­voir et sera jugé par un tri­bunal », nous nous lan­guis­sons en prison depuis des mois et sommes ici en juge­ment pour nos vies.

Voyez-vous à quel point en est le pays, le droit et la justice ?

Doré­na­vant, affirmer qu’un par­ti poli­tique per­dra le pou­voir est con­sid­éré comme la preuve d’une « unité d’action » avec des putschistes.

Le pro­cureur nous accuse d’une « unité d’action » avec les putschistes. “Action” sig­ni­fie acte, mouvement.

Com­ment deux phras­es seule­ment peu­vent-elles pro­cur­er une « unité d’action » ?

N’y a‑t-il doré­na­vant plus de dif­férence entre les mots et les actes?

Le non-respect des lois et la tyran­nie ont-ils atteint ce point ? Le fait de dire que l’AKP per­dra le pou­voir est main­tenant con­sid­éré comme « un acte de coup d’Etat » ?

Si de dire « L’AKP per­dra le pou­voir » revient à com­met­tre « un acte de coup d’Etat », que dire du bom­barde­ment du parlement ?

En sommes-nous à élim­in­er com­plète­ment les dif­férences entre la phrase « l’AKP per­dra le pou­voir » et l’acte de bom­barder le parlement ?

Est-ce que de dire: « L’AKP par­ti­ra » est un crime aus­si lourd doré­na­vant que celui de bom­barder le parlement ?

Selon le pro­cureur, ça l’est.

Regardez dans quelle sit­u­a­tion ce gou­verne­ment a mis le pays. Pour eux, les mots sont égaux aux bombes.

Afin de soulign­er l’horreur de la sit­u­a­tion, les dimen­sions de ce désor­dre, le désas­tre auquel est soumis l’appareil judi­ci­aire, je répète à nouveau :

Mes phras­es selon lesquelles « l’AKP per­dra le pou­voir et passera en juge­ment » sont présen­tées à la fin de l’acte d’accusation comme preuve que nous avons par­ticipé à la ten­ta­tive de coup d’Etat du 15 juil­let, que nous étions en « unité d’action » avec les putschistes et que nous avons agi de con­cert avec les putschistes le 15 juillet.

Mes qua­tre mots en turc con­stituent cette preuve.

Parce que j’ai dit que l’AKP per­dra le pou­voir, le pro­cureur demande que nous soyons con­damnés à per­pé­tu­ité fois trois.

Ces trois con­damna­tions à vie ne me suff­isent pas. Lais­sez-moi le dire à nou­veau et aug­menter cette con­damna­tion à six peines à perpétuité :

L’AKP per­dra le pou­voir. Et il passera en jugement.

Par-dessus le marché, cela se pro­duira prob­a­ble­ment lors des prochaines élec­tions. Les résul­tats du référen­dum sont déjà un sig­nal dans cette direction.

Dans ce procès, qui est doré­na­vant com­plète­ment ridicule, qui a per­du son impor­tance et sa crédi­bil­ité, nous avons l’exemple limpi­de d’un sys­tème judi­ci­aire qui a aban­don­né son poids, et j’aimerais soulign­er encore une autre absurdité.

L’émission de télévi­sion dans laque­lle je suis apparu était ani­mée par Nazlı Ilı­cak et Mehmet Altan.

Parce que Ilı­cak et Altan en étaient les hôtes, ils ont agi avec la plus grande des cour­toisies et m’ont accordé tout le temps néces­saire pour par­ler. En con­séquence, je suis celui qui a par­lé le plus, durant presque toute l’émission.

En fait, presque qua­tre-vingt-dix pour cent de ce que le pro­cureur cite dans l’acte d’accusation provient de ce que j’ai dit.

Il cite plus de qua­tre-vingt-dix pour cent des phras­es en majus­cules pour sug­gér­er le con­tenu crim­inel de mes phrases.

La phrase brève que le pro­cureur met de l’avant à titre de « preuve » est aus­si la mienne.

Alors, puisqu’il est clair que j’ai fait ce dis­cours et que j’ai dit ces phras­es qui ser­vent d’allégation pour mon crime, pourquoi Mehmet Altan a‑t-il été arrêté avec moi et jeté en prison ?

L’arrestation de Mehmet Altan ne con­cerne pas que lui. Son arresta­tion nous démon­tre la vérité sous-jacente de ce procès.

Main­tenant, dans ce procès, il n’y a pas la moin­dre trace de preuve con­tre nous. Il ne peut pas y en avoir.

Il existe une “excuse” pour mon arresta­tion. Une courte phrase con­sti­tuée de seule­ment qua­tre mots en turc.

Il n’y a pas de preuve con­tre moi, mais il y a une excuse.

Pour Mehmet Altan, il n’existe même pas d’excuse.

J’ai aus­si lu atten­tive­ment les deux pages et demi que cet acte d’accusation lui con­sacre. L’une de ces deux pages et demi est au sujet de l’une de ses chroniques qui se ter­mine pas les mots : « il n’existe pas de moyens hors l’Etat de droit et la démocratie. »

Il n’y a pas même une « excuse » dans ces deux pages et demi.

Nous avons déjà déclaré for­fait sur la preuve présen­tée par ce sys­tème judi­ci­aire effon­dré, nous sommes prêts à not­er même une sim­ple excuse, mais pour Mehmet Altan on ne peut même pas en trou­ver une.

Alors pourquoi Mehmet Altan a‑t-il été arrêté ?

Et qu’est-ce que cela nous démon­tre qu’il soit arrêté sans même un pré­texte et qu’il soit en com­paru­tion pour sa vie ?

Cela nous démon­tre que nos arresta­tions n’ont rien à voir avec la preuve et les pré­textes. Elles n’ont rien à voir avec la ten­ta­tive de coup d’Etat.

Nous avons été arrêtés parce que nous avons cri­tiqué l’AKP et ses poli­tiques. Voilà pourquoi nous sommes en juge­ment pour nos vies.

L’AKP et ses pro­cureurs se ser­vent de la ten­ta­tive de coup d’Etat du 15 juil­let, qu’Erdoğan a qual­i­fié de béné­dic­tion de Dieu, comme d’une opportunité.

Non seule­ment en ce qui nous con­cerne, mais aus­si pour tous ceux qui se sont opposés au gou­verne­ment et qui sont jetés en prison pour des raisons absurdes.

Le but n’est pas seule­ment de nous faire taire. De toutes façons, il n’y a aucun média par lequel nos voix pour­raient être enten­dues et nos opin­ions poli­tiques exprimées.

Le but est d’effrayer et d’impressionner l’ensemble de la société au moyen de cette vio­lence illé­gale et déraisonnable à notre encon­tre et à l’encontre d’autres comme nous.

Mais ils ont échoué dans l’atteinte de cet objectif.

Les résul­tats du référen­dum ont démon­tré à tout le monde qu’ils n’étaient pas par­venus à intimider la société.

Ils ont cou­vert la Turquie de honte aux yeux du monde entier avec ces procès hon­teux. Ils ont trans­for­mé ce pays immense en bouc émissaire.

Voilà leur seul résultat.

Votre Hon­neur,

Le pro­cureur fait deux autres allé­ga­tions dénuées de sens, sur lesquelles je souhaite dire un mot avec votre indulgence.

Alléguer que je suis un “putschiste” ne sat­is­fait pas le pro­cureur. Il allègue aus­si que j’ai « été impliqué dans la dés­in­for­ma­tion en lien avec les activ­ités visant à créer le chaos favorisant l’organisation ter­ror­iste du PKK » en dis­ant que « des gens ont été tués à Cizre. »

Cette phrase est trop con­fuse, mais ne vous en faites pas. Cet homme est inca­pable d’écrire en turc.

Je vais la sim­pli­fi­er et vous expli­quer ce qu’il tente de dire.

On pré­tend que j’ai œuvré en faveur du PKK parce que j’ai dit : « des gens ont été tués à Cizre. » On pré­tend que j’ai ten­té de créer du chaos. On pré­tend que je suis impliqué dans des activ­ités de désinformation.

En enten­dant ceci, vous pour­riez croire que per­son­ne ne fut tué à Cizre.

Des gens ne furent-ils pas tués à Cizre? De vieilles femmes et des bébés n’ont-ils pas été abat­tus par balles ?

N’est-ce pas là la vérité ?

Pourquoi dire la vérité créerait-il du chaos ?

Pourquoi dire la vérité serait de la désinformation ?

La demande du pro­cureur à notre endroit ne change jamais :

« Ne dites pas la vérité. »

Sa men­ace ne change jamais :

« Si vous dites la vérité, je vous jet­terai en prison. »

Et voici ma réponse au procureur :

Je me moque com­plète­ment de votre prison. Je con­tin­uerai à dire la vérité. Vous devriez vous garder de faire des choses que vous craignez que d’autres ne répè­tent. Ne tuez pas des inno­cents, ne soyez pas cor­rompu, ne volez pas, et cessez vos injustices.

Toute ma vie, j’ai dit la vérité. Je ne vais pas cess­er de le faire maintenant.

S’il existe quelqu’un qui s’attend à ce que j’aie peur de l’emprisonnement ou que l’idée de pass­er les quelques années qui me restent à vivre dans une prison puisse me ter­ri­fi­er, voici ce que je leur réponds :

Même pas un mil­lion d’années. Je ne suis pas le type d’homme que vous pou­vez effrayer.

Je ne suis pas le type d’homme qui agi­ra avec lâcheté et qui gaspillera les décen­nies qui sont der­rière moi par égard pour les quelques années qui sont devant moi.

Per­me­t­tez-moi de répéter cette phrase de Hüseyin Cahit, en la mod­i­fi­ant un peu afin de l’adapter à la sit­u­a­tion actuelle :

Pour moi, être pour­suivi dans un procès comme celui-ci et pass­er le reste de ma vie en prison est plus hon­or­able que d’être le pro­cureur qui a dressé l’acte d’accusation pour ce procès.

Le pro­cureur dit que la chaine de télé Can-Erz­in­can, où j’ai par­ticipé à une émis­sion au soir du 14 juil­let ; a été fer­mé suite au décret d’urgence et que cette sta­tion opérait « en lien avec l’organisation terroriste ».

Que font ces allé­ga­tions dans un acte d’accusation dressé con­tre moi ?

La chaine n’était-elle pas légale et légitime au moment où j’y suis apparu ?

De quelle logique s’agit-il ici ?

Com­ment la fer­me­ture éventuelle d’une chaine de télévi­sion peut-elle servir d’indicateur de notre culpabilité ?

Même ce seul exem­ple suf­fit à mon­tr­er com­ment la loi a été molestée.

Le pro­cureur a une autre allé­ga­tion que j’aime assez et je vais ajouter aus­si que j’approche de la fin de ma plaidoirie.

Le pro­cureur dit que j’ai défendu Mehmet Baran­su dans mon dis­cours à la télévi­sion et « qu’en lien avec les objec­tifs de l’organisation, j’ai ten­té de dis­créditer les enquêtes en faisant des com­men­taires selon lesquelles il n’y a pas de lib­erté d’expression dans notre pays. »

Une fois que l’on traduit l’écrit du pro­cureur en turc cor­rect, voici ce qu’il dit :

En lien avec “un objec­tif organ­i­sa­tion­nel,” on pré­tend que j’ai ten­té de dis­créditer les enquêtes en dis­ant qu’il n’y a pas de lib­erté d’expression.

Comme vous voyez, l’impudence ne con­naît pas de limites…

Dans l’esprit du pro­cureur, une per­son­ne dénuée d’un « objec­tif organ­i­sa­tion­nel » ne pour­rait pas dire « il n’y a pas de lib­erté d’expression. »

Je me demande vrai­ment s’il croit ce qu’il dit. S’il croit vrai­ment tout ceci, nous avons peut-être devant nous un cas médi­cal, plutôt qu’un cas juridique.

On pré­tend que j’aurais dis­crédité l’enquête en dis­ant qu’il n’y a « pas de lib­erté de pensée. »

Per­me­t­tez-moi d’abord d’apprendre la mau­vaise nou­velle au procureur.

Votre enquête ne béné­fi­cie d’aucun crédit. Ni en Turquie ni ailleurs dans le monde.

Et vous n’avez pas besoin de quelqu’un d’autre pour dis­créditer vos enquêtes. Vous faites le tra­vail vous-même en écrivant un paquet de men­songes déguisées en acte d’accusation.

Vous êtes sans honneur.

Vous pré­ten­dez que de dire « il n’y a pas de lib­erté de pen­sée », con­stitue un crime.

Vous jetez 160 jour­nal­istes en prison, con­gédiez des mil­liers d’universitaires avec un seul décret, et vous vous retournez et nous dites « qu’il y a la lib­erté de pen­sée ». Vraiment ?

Il n’y a pas même un brin de lib­erté de pen­sée dans ce pays.

Tout ce que nous avons c’est un régime d’oppression qui est encore pire, encore plus igno­ble qu’aux jours de la tutelle militaire.

S’il y avait de la lib­erté de pen­sée, serais-je en procès pour ma vie à cause de dis­cours que j’ai pronon­cés et de chroniques que j’ai écrites ?

Mehmet Altan serait-il arrêté sans même un « pré­texte » con­tre lui ?

Quelle lib­erté de pensée ?

Laque­lle ?

Il ne reste aucune lib­erté dans ce pays, sauf pour la lib­erté du pro­cureur de racon­ter des mensonges.

Je ne suis pas sup­posé dire « il n’y a pas de lib­erté de pensée. »

Tant qu’à y être, notre Mon­sieur le pro­cureur devrait aus­si inter­dire la men­tion du fait que la Terre tourne sur elle-même.

Ce pro­cureur a sur­passé les pro­cureurs de l’Inquisition. Il est hos­tile à toutes sortes de vérité.

Votre Hon­neur, il n’y a pas de lib­erté de pen­sée dans ce pays.

Même le fait que je sois pour­suivi devant ce tri­bunal est une preuve suff­isante qu’il n’y a pas de lib­erté de pensée.

Plus de160 jour­nal­istes de toutes ten­dances – gauchistes, kur­des, libéraux, kémal­istes, nation­al­istes, con­ser­va­teurs – sont en prison aujourd’hui.

Quel est le trait com­mun entre tous ces gens aux points de vue aus­si différents ?

Ils s’opposent tous à l’AKP.

Ce sim­ple fait démon­tre par lui-même dans quel Etat se trou­ve présen­te­ment la lib­erté d’expression et l’Etat de droit dans ce pays.

Le monde entier le constate.

Le pro­cureur qui pré­tend qu’il y a lib­erté de pen­sée en Turquie a aus­si inclus trois de mes chroniques dans l’acte m’accusant de putschisme.

Il y a lib­erté de pen­sée, mais des chroniques jour­nal­is­tiques équiv­a­lent à du putschisme.

Est-ce que vous n’adorez pas cette ver­sion de la lib­erté de pensée !

Dans une chronique inti­t­ulée « La peur absolue », j’ai dit qu’Erdoğan désobéis­sait à la con­sti­tu­tion et vio­lait toutes sortes de lois. Qu’il était un dic­ta­teur qui met­tait sous son con­trôle le lég­is­latif, l’exécutif et le judi­ci­aire et qu’il approchait du terme de sa vie politique.

Voici ce que j’ai écrit: « Je pense que nous regar­dons l’acte final d’une mau­vaise pièce de théâtre. Nous avons payé le prix fort mais il est quand même bon de savoir que cela se ter­min­era bientôt. »

Je suis com­plète­ment d’accord avec moi-même.

Erdoğan a vio­lé la con­sti­tu­tion en se déclarant prési­dent de fac­to [avec les pou­voirs d’un sys­tème prési­den­tiel] et en dis­ant qu’il ne recon­nais­sait pas les déci­sions de la cour constitutionnelle.

Il est aus­si celui qui a par­lé de regrouper tous les pou­voirs dans une seule main. On appelle dic­ta­teur un politi­cien qui regroupe tous les pou­voirs en une seule main.

Oui, nous appro­chons de la fin d’une mau­vaise pièce de théâtre. Oui, nous avons payé le prix fort. Oui, cela se ter­min­era bientôt.

Aux pre­mières élec­tions, Erdoğan per­dra prob­a­ble­ment le pouvoir.

Le référen­dum le suggérait.

Pourquoi cela serait-il du “putschisme” de dire ces choses ?

Pourquoi un pro­cureur voudrait-il met­tre sur le même pied une cri­tique d’Erdoğan – l’affirmation qu’il per­dra le pou­voir – et le putschisme ?

De quelle autorité tente-t-il de nous empêch­er de cri­ti­quer un politicien ?

Quelle est l’explication juridique der­rière la mise sur le même pied de la cri­tique d’un politi­cien et du putschisme ?

Il n’existe aucune expli­ca­tion juridique de la sorte.

Dans ma chronique inti­t­ulée : « Bat­tre à plate cou­ture», j’ai dit qu’Erdoğan voulait la guerre civile et j’ai pour­suivi : « Lorsque les murs de son palais tomberont sous le feu de l’artillerie il com­pren­dra ce qu’est la guerre civile, mais il sera trop tard. »

Un édi­to­ri­al­iste a rap­porté qu’Erdoğan avait dit à un ancien bureau­crate : « Que la guerre civile éclate. Nous les bat­trons tous à plate cou­ture. » Le bureau­crate lui-même avait rap­porté cette con­ver­sa­tion à l’auteur. Ces pro­pos ne furent jamais niés. De toute évi­dence, Erdoğan l’avait bien dit.

Com­ment un prési­dent peut-il souhaiter la guerre civile dans son pays ? Com­ment peut-il dire : « que la guerre civile éclate » ?

La guerre civile est terrifiante.

Per­son­ne ne peut dire, « que la guerre civile éclate » dans ce pays.

La cri­tique n’est pas un crime, mais une telle parole devrait l’être.

Bien sûr que je l’ai critiquée.

J’ai écrit au sujet de la ter­reur que cela représenterait.

Nous en avons eu un aperçu le 15 juillet.

Le palais d’Erdoğan ne fut pas bom­bardé mais le par­lement le fut.

N’avez-vous pas vu quelle chose ter­ri­fi­ante c’était ?

Com­ment dire : « Je ne souhaite pas une guerre civile » serait un crime ?

Quelqu’un dit: « que la guerre civile éclate ». Et je réponds : « ne dites pas une chose pareille, la guerre civile est une chose terrifiante. »

Et d’après le pro­cureur, je suis celui qui com­met un crime.

Devrais-je dire aus­si, « Que la guerre civile éclate » afin de faire plaisir au procureur ?

Quelle sorte d’accusation est-ce là ?

Ce pro­cureur a‑t-il per­du la raison ?

On dit que ma chronique a coïn­cidé avec les men­aces d’un cer­tain Osman Özsoy con­tre Erdoğan. Je n’ai pas très bien com­pris ce qu’il racon­tait dans son turc con­fus, mais je sup­pose que c’est ce qu’il ten­tait de dire.

Je ne sais pas qui est Osman Özsoy.

Je n’ai aucune idée s’il a men­acé ou pas Erdoğan.

Mais com­ment puis-je être accusé pour les mots de quelqu’un d’autre ?

Notre pro­cureur s’envole comme un cerf-volant échap­pé. Il allègue que quelqu’un a dit quelque chose et il l’inclut dans un acte d’accusation con­tre moi.

Util­isant des mots pré­ten­du­ment pronon­cés par quelqu’un dont je n’ai jamais enten­du par­ler, il tente de prou­ver que je suis coupable.

Je ne men­ace pas Erdoğan, je l’avertis. Je lui dis de ne pas souhaiter une guerre civile.

Je dis la même chose aujourd’hui.

La guerre civile est terrifiante ?

Est-ce un crime de le dire ?

Ma troisième chronique s’intitule “Mon­tezu­ma”.

Je suis sup­posé avoir dit qu’Erdoğan était l’otage des nation­al­istes qui veu­lent ré-instau­r­er la tutelle militaire.

Oui, je l’ai dit.

Je le dis aus­si aujourd’hui.

Les nation­al­istes eux-mêmes ont dit qu’ils façon­naient la poli­tique d’Erdoğan envers la Russie et la Syrie et qu’ils ser­vaient d’intermédiaires.

En quoi le fait de le sig­naler a‑t-il quelque chose à voir avec le putschisme ?

Le pro­cureur aboutit tou­jours à la même conclusion.

Il dit: « cri­ti­quer Erdoğan c’est du putschisme »

Et je dis: « Non ».

Cri­ti­quer un politi­cien n’est pas du putschisme. Erdoğan est un politi­cien – un politi­cien qui a com­mis beau­coup trop d’erreurs dans ces cinq dernières années.

Évidem­ment qu’il sera critiqué.

En rai­son de ces mau­vais­es poli­tiques, le pays s’effondre devant nos yeux.

Que pour­rions-nous cri­ti­quer si nous ne cri­tiquons pas cela ?

Le pro­cureur n’agit pas comme un procureur.

Il agit comme un porte-parole pour la cen­sure. Il out­repasse son autorité en endos­sant le rôle de l’applicateur de la loi d’un politi­cien et en menaçant tout le monde.

Voilà le résumé de cet acte d’accusation et de tous les men­songes qu’il contient.

Voilà les répons­es que je donne aux accu­sa­tions men­songères dans cet acte.

Le seul but de cet acte men­songer, qui échoue à nous présen­ter la moin­dre trace de preuve, c’est d’effrayer le peu­ple et de le faire taire.

Dans aucune démoc­ra­tie par­v­enue à matu­rité on ne peut jeter des gens en prison et leur faire un procès sur de telles accusations.

C’est la honte de ce pays et de son sys­tème judi­ci­aire que nous ayons été jetés en prison et soumis à un procès pour nos pen­sées et nos critiques.

Je n’ai pas con­fi­ance dans le sys­tème judi­ci­aire actuel – un sys­tème qui arrête les gens sans motif et les juge sur des actes d’accusation mensongers.

Con­séquem­ment, je n’ai aucune requête à formuler.

Votre déci­sion n’aura rien à voir avec moi.

Dans l’un de ses romans, John Fowles dit que tous les juges au monde sont jugés par leurs pro­pres décisions.

C’est vrai.

Tous les juges sont jugés par leurs pro­pres décisions.

Vous aus­si, vous serez jugé par vos pro­pres décisions.

Quelle que soit la manière dont vous souhai­teriez être jugé, quel que soit le ver­dict que vous voudriez pour vous-même, de quelque manière dont vous souhai­teriez qu’on se sou­vi­enne de vous, jugez en conséquence.

Parce que vous êtes celui qui sera jugé.

Mer­ci pour votre temps et votre patience.

Ahmet Altan, 19 juin 2017

Tra­duc­tion par Renée Lucie Bourges

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Plaidoirie pré­parée depuis la prison de Silivri par Ahmet Altan, avant d’être imprimée en turc et en anglais pas l’or­gan­i­sa­tion P24. La plaidoirie n’au­ra été lue devant les juges qu’au 4e jour de la pre­mière audi­ence du procès, soit le 22 juin 2017.

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