Cette plaidoirie d’Ahmet Altan, dénonçant une “pornographie judiciaire”, n’aura été lue devant les juges qu’au 4e jour de la première audience du procès, soit le 22 juin 2017. En voici une traduction francophone.
Cette plaidoirie fut préparée depuis la prison de Silivri par Ahmet Altan, avant d’être publiée et imprimée en turc par Gazete Karınca et en anglais par la plateforme P24. La traduction en a été effectuée pour Kedistan par Renée Lucie Bourges.
Prenez le temps d’aller jusqu’au bout. Cette plaidoirie sans concessions est en elle-même un contre-acte d’accusation. Elle entre en résonance avec “l’injustice turque” dénoncée chaque jour, et dresse un portrait très politique de l’état de la Turquie.
Votre Honneur,
Cette piètre excuse qui sert d’acte d’accusation ne mérite pas une réponse sérieuse, tant elle est dénuée non seulement d’intelligence mais aussi d’un respect pour le droit si insuffisant pour entraîner le poids d’une condamnation à vie.
Cependant, la lecture dans cet acte d’accusation des mensonges me concernant m’a permis de mieux comprendre à quel massacre du droit ont été soumis les milliers de personnes emprisonnées depuis le 15 juillet. Puisque je ne saurais être la seule personne au sujet de laquelle on a menti, on peut supposer que de telles accusations mensongères se sont répandues à travers le système judiciaire et l’ont étranglé tel un sumac vénéneux.
La témérité du procureur qui a dressé cet acte d’accusation mensonger et dénué de sens commun démontre que cela est devenu coutumier dans le système judiciaire.
En lisant cet acte d’accusation, on voit aisément que dans des lieux comme cet immeuble que nous appelons un Palais de justice – les prévenus, les fauteuils, les membres armés de la gendarmerie, la tribune des juges et leurs capes – ont été transformés en abattoir de la loi.
Comme aime à le dire Mehmet Altan, « l’on peut voir toutes les maladies du corps à l’examen d’une seule goutte de sang ».
Alors, en examinant cet acte d’accusation, cette seule goutte de sang, nous verrons avec le reste du monde que le système judiciaire a été contaminé par la lèpre et défiguré par des plaies purulentes.
En procédant, pas à pas, à son examen, je montrerai la terrible maladie contractée par le système judiciaire.
Je ne le ferai pas en raison d’une croyance naïve selon laquelle il existerait aujourd’hui un système judiciaire indépendant et judicieux en Turquie.
Je suis bien conscient du fait que nous vivons une époque de honte et de tyrannie dans laquelle les personnes relâchées par le tribunal sont arrêtées à nouveau en quittant la salle d’audience, que je suis à la fois témoin et accusé de cette tyrannie qui a tenté de massacrer la loi aux mains des hommes de loi.
Mais je crois au proverbe latin selon lequel la loi dort parfois, mais ne meurt jamais. Je sais que l’Etat de droit qui a été fusillé, blessé et qui gît inconscient dans son sang, guérira éventuellement et reviendra à lui.
Les hommes politiques et les hommes de loi qui sont aux commandes de la Turquie en ce moment ne pensent peut-être qu’au temps présent et s’imaginent – tout comme les généraux du coup d’Etat du 28 février – que ce jour durera « mille ans ». Mais je sais que demain viendra ; il vient toujours.
C’est pourquoi je vais démonter ce soi-disant acte d’accusation, ce texte sans racines ni fondements afin de laisser un document pour les jours où l’oppression se terminera et le droit reviendra. Tout ce que je vais vous dire ici, je le dirai avec l’intention de vous présenter une contre-accusation.
Examinons maintenant ces feuillets d’anomalie légale – ce soi-disant acte d’accusation.
Que dit-il ?
Mis à part quelques-uns de mes articles et une seule apparition à la télévision, cet acte fonde notre « putschisme » sur l’affirmation suivante :
On prétend que nous connaissons les hommes, présumés connaître, les hommes présumés, avoir dirigé le coup d’Etat.
Je crois que ce résumé doit sembler ridicule, même pour vous, mais mis à part mes quelques articles et mes commentaires à la télévision, c’est là la base de toute l’histoire.
On dit qu’il y aurait des hommes qui ont dirigé ce coup d’Etat…On dit qu’il y aurait des hommes qui connaissaient ces hommes… Et on dit que nous connaîtrions ces hommes.
Je sais que c’est très difficile à croire mais voilà l’accusation que l’acte présente dans cette accumulation de pages.
Premièrement, laissez-moi vous demander ceci : comment le fait de « connaître » quelqu’un peut-il constituer la preuve d’un crime ?
Si vous connaissez un criminel, cela fait-il de vous un criminel aussi ?
Si votre voisin comparaît pour fraude, devrez-vous aussi comparaître pour fraude parce que vous le connaissez ? Et si votre voisin divorce avec sa femme, serez-vous considéré comme ayant divorcé avec la vôtre parce que vous connaissez votre voisin ?
Ne faut-il pas avoir commis le geste soi-même ou y avoir participé pour en être accusé et en être tenu responsable ?
N’est-il pas nécessaire qu’il existe une preuve de votre participation à cet acte ?
Bien sûr que oui.
Alors, y a‑t-il une telle preuve?
Non, évidemment.
Il n’y a que de la démagogie basée sur des mensonges.
Même l’allégation, qui n’établirait pas l’existence d’un crime si elle était vraie, est un mensonge.
Au début, l’acte d’accusation déclare que j’écrivais une chronique hebdomadaire dans un journal propriété de Said Sefa, « un leader de l’organisation terroriste ».
A notre connaissance, il n’existe aucune décision judiciaire définitve n’ayant encore été prise au sujet de Said Sefa. Malgré cela, le procureur ouvre son argumentation comme si une telle décision existait.
En règle générale, on appelle ce genre de comportement une opération de gestion des perceptions. On n’appelle pas ça du droit.
Mais supposons que Said Sefa soit coupable.
Et après ?
Si le propriétaire d’un journal commet une fraude ou tue sa femme, ou s’implique dans un coup d’Etat, est-ce que tous ceux qui écrivent des chroniques ou des articles pour ce journal sont automatiquement considérés comme ses partenaires dans ce crime ?
Il me semble avoir entendu parler d’un concept qui s’appelle « la responsabilité criminelle individuelle ».
Avez-vous tué ce concept aussi lorsque vous avez massacré la loi ?
Pour faire une telle déclaration en ouverture d’un acte d’accusation, il vous faut d’abord prouver que vous avez une décision confirmant le crime de Said Sefa, et ensuite prouver que j’ai participé à ce crime.
Une telle preuve existe-t-elle ?
Non, évidemment.
En fait, comme vous le constaterez tout au long de l’acte d’accusation , le procureur qui l’a dressé n’éprouve aucun besoin de se préoccuper de petits détails tels qu’une preuve.
Il accuse, n’est-ce pas ? Cela ne suffit-il pas ? Quelle preuve vous faut-il ?
Au lieu de preuves dans cet acte d’accusation, on ne trouve que les accusations du procureur, elles-mêmes mensongères.
Après ces quelques lignes, vient le témoignage de quelqu’un du nom de Ahmet Keleş. Ce témoignage est résumé de façon tellement confuse qu’il est difficile de comprendre ce que dit le témoin.
De ce que je peux comprendre, cet Ahmet Keleş prétend que les incidents de Gezi étaient un complot et que l’on peut mieux comprendre ce fait lorsqu’on a lu « les chroniques de l’éditorialiste Ahmet Altan du journal Taraf. »
Ici, il y a un petit problème.
Au moment des incidents de Gezi, j’avais démissionné de mon poste au journal Taraf. J’étais chez moi à écrire un roman.
Vous auriez un peu de difficulté à comprendre la progression des incidents de Gezi en lisant mes chroniques, parce que je n’écrivais pas de chroniques dans la période précédant Gezi.
Évidemment, ni le procureur ni son témoin mensonger ne se préoccupent de petits détails de ce genre.
J’ai démissionné de Taraf en 2012, et pourtant, ils parlent encore de mes chroniques dans Taraf, c’est-à-dire de mes chroniques inexistantes pendant Gezi en 2013, et l’écrivent sans vergogne dans l’acte d’accusation.
Je n’écrivais pas pour Taraf à l’époque mais, l’eussè-je fait, j’aurais certainement soutenu Gezi. Je crois que les incidents de Gezi s’adressaient à la conscience de l’Etat et du peuple. Gezi ne pouvait trouver d’écho dans la conscience de l’Etat – si tant est que cette conscience existe. Mais les incidents ont trouvé écho dans la conscience du peuple. C’était un mouvement sans organisation et sans leaders, un mouvement issu du peuple, un mouvement intelligent, courageux et pacifique. À ma connaissance, il était sans précédent dans notre histoire.
Si le procureur m’avait demandé ce que je pensais des incidents de Gezi au lieu d’écrire de tels mensonges, je lui aurais dit ce que je viens de dire. Il se serait épargné la disgrâce d’écrire des mensonges à durée de vie aussi limitée.
Le même témoin a dit aussi que durant les incidents d’Uludere j’avais titré le journal « L’Etat bombarde son peuple. »
Pour ceci, nul besoin de témoin. Ce titre demeure sur la page en couverture du journal ce jour-là. Je l’ai publié en 2011. On m’a traduit en cour et condamné pour cela. Je suis la seule personne condamnée pour les incidents de Roboski. Non pas ceux qui ont bombardé les villageois, ni ceux qui ont donné l’ordre de bombarder, moi seul.
Et oui, je pense exactement la même chose aujourd’hui. L’Etat a bombardé son peuple. Ils ont tué de pauvres gens.
Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le coup d’Etat du 15 juillet ? Comment cette affaire trouve-t-elle une place dans l’acte d’accusation ? Il faudra poser cette question au procureur dont le cerveau est bien confus.
Cet Ahmet Keleş a dit autre chose.
Selon Keleş, une personne est venue juste avant les incidents de Gezi et a dit de ne pas « emprunter d’argent en dollars. » Il s’agissait d’un message d’un leader de l’organisation, un dénommé “Hocaefendi.”
Comme le procureur écrit d’une façon terriblement confuse, je n’ai pas compris si ce message fut envoyé à Ahmet Keleş ou à moi-même.
Si le message fut envoyé à Keleş, qu’est-ce qu’il m’en chaut ?
Qu’est-ce que cela a à voir avoir une accusation à mon encontre ?
Par ailleurs, si le supposé message m’était destiné, le tout devient ridicule.
Pourquoi Fethullah Gülen enverrait-il un message à un homme écrivant un roman chez lui, lui disant de ne « pas emprunter d’argent en dollars » ?
De toutes façons, pourquoi est-ce que j’emprunterais de l’argent en dollars ? Suis-je un emprunteur ? Je n’ai jamais emprunté d’argent en dollars ou en toute autre devise. Je vis selon mes moyens. Je n’emprunte pas d’argent.
S’ils sont en train de suggérer que j’ai emprunté de l’argent pour le journal Taraf, à cette époque, j’avais démissionné de Taraf depuis longtemps.
De quelque façon que vous le tentiez, il est impossible d’y comprendre quelque chose. Mais le procureur ne se préoccupe pas d’être sensé. Il a écrit ce qui lui passait par la tête. L’acte d’accusation est devenu une soupe de mensonges absolument déroutante.
Tout de suite après, il y a des paroles d’un témoin secret, du nom de Monsieur Osman.
Monsieur Osman aurait déclaré que des gens de la “Cemaat” auraient diffusé des messages anti-gouvernementaux sur de faux comptes Twitter durant les protestations de Gezi.
Je ne comprends pas comment le fait d’envoyer des messages sur Twitter peut être considéré comme un crime de putschisme.
Je ne comprends pas en quoi cela peut bien me concerner.
Je n’ai jamais « tweeté » de ma vie ; ni sur un vrai, ni sur un faux compte.
Qu’est-ce que cela a à faire avec moi ou avec cet acte d’accusation ? Y a‑t-il quelqu’un pour le comprendre ?
À cause d’inepties pareilles nous languissons en prison depuis des mois. Pire encore, ils veulent aussi nous emprisonner à vie.
Et voilà ; voilà ce qu’ils appellent « la loi » ces jours-ci.
Je vous guide au travers de ces choses de façon aussi détaillée parce que je veux que tout le monde voit avec quelle témérité ce procureur et ses semblables assombrissent la vie des gens, comment ils ont abusé de leur pouvoir. Je veux que tout ceci soit documenté pour le jour où le droit se réveillera.
Suite à celui d’Osman Bey vient le témoignage d’un homme du nom de Nurettin Veren. C’est le premier témoignage en lien avec l’allégation que nous connaissons, des hommes qui sont supposés connaître les hommes, qui ont prétendument dirigé le coup d’Etat.
Ce Nurettin Veren dit que Alaattin Kaya a établi le contact entre Fethullah Gülen, Mehmet Altan, Nazlı Ilıcak et moi-même, et qu’il sait que nous nous sommes tous rencontrés fréquemment. Faites bien attention, il dit qu’il « sait » cela.
Et bien, je ne connais pas ce Nurettin Veren personnellement mais je sais que c’est un escroc.
Après le 15 juillet, j’ai regardé cet homme en direct à la télé.
À cette occasion, il a dit que je produisais une émission de télévision diffusée deux fois pas semaine sur l’une des stations de la Cemaat – je ne me souviens pas de quelle station il a parlé, soit Mehtap ou Samanyolu – et que j’étais payé 3 000 dollars par émission.
Il a dit cela sans sourciller, avec une telle confiance qu’on aurait pu croire qu’il m’avait versé cet argent lui-même. Puis, j’ai vu qu’il avait répété ce mensonge dans son témoignage inclus dans l’acte d’accusation
Veuillez prêter attention à ce que je m’apprête à vous dire :
Je n’ai pas produit une seule émission de télévision en deux décennies.
Le procureur a inclus dans son acte d’accusation le témoignage d’un homme aussi à l’aise avec les mensonges.
Cet homme dit qu’il “sait” qu’Alaattin Kaya a établi le contact entre Fethullah Gülen et nous, et que nous contactions Kaya fréquemment.
Et notre procureur ne demande pas comment il sait cela.
Il ne lui demande pas s’il existe une preuve.
Non seulement il ne le demande pas, mais il n’inclut aucune preuve de cette allégation dans son acte d’accusation.
Le procureur est à ce point confus qu’il cite d’abord ce témoignage, pour ensuite démontrer qu’il s’agit d’un tissu de mensonges au moyen d’un autre document, qu’il inclut dans l’accusation.
Si le procureur avait lu l’acte d’accusation dont il est l’auteur il aurait retiré ces mots manifestement faux. Mais le procureur ne se donne même pas la peine de relire son propre travail.
Maintenant, je vous prie d’écouter ceci attentivement :
Ils ont examiné mes relevés téléphoniques et ceux de Mehmet Altan sur une période de dix ans. Ils ont dressé la liste de toutes les conversations téléphoniques que nous avons eues avec Alaattin Kaya et ont rajouté cette information à l’acte d’accusation.
En dix ans, savez-vous combien de fois nous avons parlé à Alaatin Kaya avec qui nous sommes supposés nous entretenir fréquemment ?
Mehmet Altan a conversé avec Kaya une seule fois en 2008.
Et je lui ai parlé seulement deux fois, l’une en 2010, l’autre en 2012.
Même si nous avions parlé à cet homme plus souvent, cela n’aurait pas constitué la preuve d’un crime.
Mais même ce qu’affirme cette accusation au sujet de cet acte non criminel est un mensonge.
Converser avec un homme, une ou deux fois en l’espace de dix ans, comment peut-on décrire cela comme un contact « fréquent » ?
J’abandonne dorénavant tout espoir dans la loi ; dorénavant, je recherche l’existence d’un sentiment de honte. En vain ! En effet, pour violer le droit, les hommes de loi doivent d’abord perdre le sentiment de la honte. Si les juristes ne l’avaient pas perdu, ils ne mentiraient pas aussi facilement et ils ne feraient pas bataille aussi facilement contre le droit et la justice.
Notre procureur est tellement surexcité qu’il a inclus le témoignage de Nurettin Veren deux fois dans l’acte d’accusation. Apparemment, il n’en a jamais assez de ces mensonges.
Parce que le procureur est aussi confus, son acte d’accusation saute d’une chose à l’autre et souffle le chaud et le froid. Évidemment, ça n’est pas si facile d’écrire autant de mensonges.
Je vais faire ce que le procureur n’a pas fait, et mettre un peu d’ordre dans cet acte d’accusation ; je vais d’abord aller sur le fond de la question des ” connaissances ” puis je m’occuperai des questions de ” l’opération Sledgehammer ” et d’Ergenekon.
Incapable de discipline narrative, même celle régissant l’ordre des paragraphes dans une dissertation scolaire, le procureur parle de mes chroniques journalistiques, de Sledgehammer, puis d’Ergenekon pour revenir ensuite à son sujet préféré : l’allégation selon laquelle nous connaissons les hommes qui sont supposés connaître les hommes qui auraient prétendument dirigé le coup d’Etat.
Et Alaattin Kaya semble être son favori dans ce contexte.
Là-dessus, il ne peut vraiment pas arrêter de mentir.
Ici, un témoin secret sort de l’ombre avec le nom de code Söğüt [Saule]. Quel beau et élégant nom de code ont-ils choisi là !
Ce Söğüt conduit Alaattin Kaya jusqu’à l’immeuble du journal Taraf et, selon son propre témoignage, il attend Kaya en bas de l’immeuble avant de le reconduire. Il dit qu’Alaattin Kaya rencontrait Başar Arslan, Mehmet Baransu et moi-même tous les quinze jours.
Ici se présente une question toute simple :
Comment l’homme qui attend en bas peut-il savoir qu’Alaattin Kaya rencontre Mehmet, Baransu et moi-même ?
Écoutez, il était d’usage de préparer chaque numéro du journal Taraf à un seul étage de l’immeuble. Başar Arslan occupait une pièce en haut, mais tous ceux qui travaillaient à la préparation des numéros, moi compris, nous nous trouvions un étage plus bas. J’avais mon propre bureau. Tous ceux qui travaillaient au journal pouvaient y entrer quand bon leur semblait. Tout le monde était logé à la même enseigne.
Nos réunions matinales se tenaient au centre d’un vaste hall afin que tous les membres de la rédaction puissent suivre les discussions. Tous ceux qui travaillaient au journal pouvaient donner leur opinion sur les sujets du jour.
Nous avions coutume de préparer la première page dans le bureau du rédacteur en chef où tous pouvaient entrer aisément.
Il est tout simplement impossible que quoi que ce soit concernant le contenu de Taraf ait pu être secret.
À ce sujet, le procureur aurait pu demander à quiconque a travaillé à Taraf ?
Pourquoi ne l’a‑t-il pas fait ?
Ou bien, a‑t-il demandé sans inclure les réponses qu’il a reçues ?
De toute ma vie, j’ai vu Alaattin Kaya deux ou trois fois.
Pour tout dire, j’ai écrit dans le journal que je l’avais rencontré.
Un jour, dans l’un de ses discours publics, mon père a dit ceci : « Je prononce mes mots les plus secrets sur la place Taksim. » C’est aussi ce qu’il nous a appris à faire. Nous n’avons pas d’affaires secrètes. Nous partageons tout avec nos lecteurs, sauf nos vies privées. C’est ce que nous avons toujours fait.
Depuis des années, Mehmet Altan et moi-même avons fait l’objet d’une filature officielle par l’Etat.
S’il existait des affaires secrètes dans nos vies, même de la taille d’un grain de poussière, ils nous auraient écrasé face première dedans.
C’est pour cela que le procureur ne peut trouver aucun motif concret d’accusation. Il passe son temps à se tortiller.
L’une des allégations dans le témoignage de ce Saule m’a mis en colère. En fait, je suis en colère à bien des sujets, mais je ne vous parlerai que de l’un d’entre eux.
On prétend que nous avons publié du contenu critique envers l’AKP [Parti de la justice et du développement] suite à chacune des visites d’Alaattin Kaya au journal.
Depuis quand est-ce un crime de publier du contenu critique envers l’AKP ? Comment mes critiques de l’AKP et mes avertissements à un parti politique concernant ses erreurs peuvent-ils être inclus dans cet acte d’accusation comme preuve de « putschisme » ?
Mais là n’est pas l’objet de ma colère.
Je suis en colère car le procureur dit que je critiquais l’AKP parce que « quelqu’un » m’aurait ordonné de le faire. Il devrait avoir honte de dire une chose pareille.
J’ai écrit des chroniques dans ce pays pendant trente-cinq ans. Ma ligne politique n’a pas bougé d’un millimètre. Je soutiens quiconque exige la démocratie et l’Etat de droit et je critique tous ceux qui s’y opposent.
Il aurait dû d’abord regarder ce que j’ai écrit il y a dix, vingt et trente ans avant d’écrire une chose pareille dans l’acte d’accusation. Il aurait dû lire ce qu’a écrit sa vie durant cet homme dont il réclame l’emprisonnement à vie.
Je ne suis pas poursuivi en justice pour la première fois. J’ai subi presque trois cent procès. On m’a poursuivi pour ce que j’ai écrivais.
Sous les ordres de qui suis-je supposé avoir écrit ces articles ?
Qui est supposé m’avoir fait écrire ces articles qui ont conduit à autant de procès ?
Sous les ordres de qui suis-je supposé avoir combattu contre la tutelle militaire ? Ai-je besoin que quelqu’un me dise de critiquer l’AKP ? Pourquoi faudrait-il des ordres de quelqu’un pour critiquer un parti politique qui a causé le déclin de tout le pays par ses politiques aberrantes ?
Vous pouvez me jeter en prison, vous pouvez ignorer la loi, mais vous ne pouvez pas agir avec autant d’impertinence et d’irrespect. Je ne le permettrai pas.
Les livres que j’ai écrits ont atteint des millions de lecteurs, ils ont été traduits en dix-sept langues et mon plus récent roman est sorti d’abord en Italie puis aux Etats-Unis pendant ma détention.
Je n’ai pas écrit tous ces livres afin d’être soumis à l’insolence d’un procureur qui n’a aucune considération pour autrui.
Un homme qui est incapable de dresser un acte d’accusation ordonné, qui n’est même pas capable d’écrire dans sa langue maternelle, qui se présente et qui dit à un écrivain qui pratique l’écriture depuis trente-cinq ans : “Vous avez écrit ces articles parce que quelqu’un vous a ordonné de le faire. »
On a oublié le droit, mais on devrait au moins se rappeler les bonnes manières.
Ce procureur a écrit un acte d’accusation qui est tel qu’il se dissout entre vos mains de quelque manière que vous tentiez de le tenir.
Selon le témoignage de Saule, ma relation avec Alaattin Kaya s’est poursuivie jusqu’en 17–25 décembre 2013. Et jusqu’à cette date, il est dit que Kaya m’aurait apporté des dossiers et des enveloppes scellées.
Mais entre les 17 et 25 décembre 2013, il y avait plus d’un an que j’avais démissionné du journal Taraf.
C’est aussi simple que ça.
Ce procureur, l’auteur de cet acte d’accusation, n’est-il pas un peu curieux de savoir « quand Ahmet Altan a démissionné de Taraf » ?
Comment peut-il écrire un mensonge aussi flagrant dans son acte d’accusation ?
Voilà la situation dans laquelle se retrouvent le droit et les juristes aujourd’hui : dans la témérité et l’impudence éhontées.
Le procureur n’est même pas inquiet de pouvoir être rappelé à l’ordre au sujet de ses mensonges bientôt, parce que ça n’a aucune importance pour lui que ces déclarations soient vraies ou pas. Ce qui lui importe, c’est de nous maintenir en prison. Il pense que ces mensonges suffiront à nous y garder. En effet, il a pu nous garder en prison avec ces mensonges.
Voilà où en est le droit en Turquie aujourd’hui.
Le procureur a aussi parlé de relations d’affaires entre Başar Arslan et Alaattin Kaya dans son acte d’accusation. Ils auraient acheté et vendu une presse d’imprimerie.
Başar Arslan fut l’éditeur de mes livres à une certaine époque. Il était aussi le propriétaire du journal Taraf dont je fus le rédacteur en chef jusqu’en 2012.
Başar était un homme intelligent, spirituel et travailleur dont j’appréciais l’amitié. Mais il n’est pas facile de travailler avec moi et, après cinq années de travail en commun, notre amitié s’est épuisée. En 2012, j’ai démissionné du journal ; nous ne nous sommes jamais revus depuis.
Je n’ai aucun moyen de savoir si Başar Arslan a quelque chose à voir avec le coup d’Etat ou avec les putschistes. Je ne le croirai pas à moins d’en avoir des preuves concrètes.
D’un autre côté, qu’est que j’ai à faire de transactions entre un homme d’affaires que je n’ai ni vu, ni croisé et à qui je n’ai pas parlé depuis 2012, et un autre homme d’affaires ?
S’il y a quelque chose d’illégal dans leur transaction, ça regarde le tribunal de commerce.
Que vient faire dans un acte d’accusation contre moi une transaction au sujet d’une presse d’imprimerie que je n’ai jamais vue et dont je ne connais pas l’emplacement ?
Le procureur prétend que Taraf « a constamment publié du contenu favorisant l’organisation terroriste. »
J’adore, lorsque des affirmations aussi vagues, vides et inutiles se pavanent devant nous, sous le vocable du droit.
Ce que le procureur appelle « l’organisation terroriste » est une organisation qui était connu sous le nom de “Cemaat” à l’époque où je travaillais comme journaliste.
Il prétend que je « publiais constamment du contenu en sa faveur. » Quelqu’un d’autre pourrait aussi bien se présenter et affirmer que je « publiais constamment du contenu qui critiquait la Cemaat. »
En fait, la Cemaat s’était plainte du contenu de notre publication et nous avait envoyé ses membres pour nous le dire. De mon côté, j’ai parlé de leur visite et de leur mécontentement dans le journal pour que nos lecteurs en soient informés.
Revenons maintenant au droit.
Quel est le crime allégué et à l’origine de cet acte d’accusation ?
Un coup d’Etat militaire.
Quand ce crime fut-il commis ?
Le 15 juillet 2016.
Quand ai-je quitté le journalisme ?
En 2012.
Des chroniques publiées au moins quatre ans avant ce crime peuvent-elles établir la preuve de ce crime ?
À aucun moment de son existence le journal Taraf a‑t-il « publié constamment du contenu favorable à la Cemaat » ?
Même l’eut-il fait que cela ne constituerait pas un crime.
Si le procureur souhaite examiner du contenu et une rhétorique « constamment favorable à l’organisation », il devrait tourner son regard vers l’AKP.
Il devra se tourner vers Tayyip Erdoğan qui exprima son « affection » pour Fethullah Gülen lors d’une réunion organisée par la Cemaat. Il devra regarder l’actuel ministre de la justice qui défendit Gülen depuis la tribune du parlement, déplaçant ciel et terre pour ce faire.
Ce sont eux qui ont toujours défendu la Cemaat.
S’il s’agit là d’un crime, pourquoi ne sont-ils pas en état d’arrestation ? S’il ne s’agit pas d’un crime, qu’est-ce que cela vient faire dans l’accusation ?
Y a‑t-il une réponse cohérente à cette question?
Il n’y en a pas.
La loi peut-elle être incohérente ?
Elle ne le peut pas.
Avancer des accusations sans aucune cohérence et qui ne reposent sur aucune preuve, c’est violer le droit.
Effectivement, ce procureur a fait du viol du droit une telle habitude que notre acte d’accusation s’est transformé en pornographie judiciaire.
Deux autres noms sont mentionnés comme faisant partie de l’allégation que « nous connaissons les hommes qui sont supposés connaître les hommes qui auraient prétendument dirigé le coup d’Etat ».
L’un d’eux est Önder Aytaç.
Lorsque j’ai rencontré Önder Aytaç il était conseiller du gouvernement AKP et conférencier en titre à l’école de la police.
Il m’a dit qu’il souhaitait écrire pour Taraf. Comme je souhaitais avoir la plus grande diversité possible de chroniqueurs, je lui ai dit « d’accord ».
Önder Aytaç, dont le nom apparaît dans l’acte d’accusation de ce procureur afin de me lier au coup d’Etat d’une façon ou d’une autre, est le seul chroniqueur que j’aie congédié.
J’ai interrompu ses chroniques dans le journal parce qu’il a dit, “Apo [Abdullah Öcalan] devrait être exécuté. » À Taraf il y avait place pour toutes les opinions sauf celles qui réclamaient la mort d’un être humain, ou qui demandaient à l’Etat de commettre un meurtre.
Le procureur a écrit que j’ai parlé à Önder Aytaç au téléphone, mais il ne précise pas en quelle année, ni combien de fois je lui ai parlé.
Pourquoi ne l’a‑t-il pas écrit ?
S’il avait mentionné la période et le nombre total de mes conversations avec Aytaç, le non-sens de cette accusation aurait été encore plus évident. Je suppose que c’est pour cela qu’il ne l’a pas mentionné.
Le troisième nom est celui d’Ekrem Dumanlı.
Bien que je ne sois pas ami avec Alaattin Kaya et Önder Aytaç, j’ai une relation amicale avec Ekrem Dumanlı.
Ekrem est un journaliste qui apprécie la littérature, le cinéma, la boxe et le foot – choses que j’aime aussi.
J’ai toujours aimé converser avec lui. Nous avons mangé ensemble à une ou deux reprises. Et même, une fois, nous sommes allés à un match de foot du Beşiktaş ensemble.
Si je mérite trois condamnations à vie pour avoir parlé à Ekrem Dumanlı au téléphone, je dois en mériter quelque cinquante pour avoir assister à un match du Beşiktaş avec lui.
À l’époque où j’avais coutume de parler avec Ekrem, j’étais le rédacteur en chef de Taraf et Ekrem était le rédacteur en chef du journal Zaman.
À l’époque, je ne parlais pas seulement aux cadres chez Zaman, mais aussi à ceux d’autres journaux tel que Sabah et Star. Taraf éprouvait des difficultés. Nous cherchions du papier à des prix abordables, des presses d’imprimerie et des points de distribution. À dire vrai, personne ne nous a vraiment aidés ; peut-être ne le pouvaient-ils pas. Nos problèmes étaient sans fin.
Maintenant je vais dire deux choses au sujet de ces « connaissances ».
Tout d’abord, ces hommes qui sont cités dans l’acte d’accusation – comme si de les « connaître » constituait un crime de premier ordre – ne sont ni des muletiers, ni des intermédiaires ni des entrepreneurs.
Ce sont des gens qui font partie des médias d’information. Dans le monde des médias d’information, tout le monde connaît un peu tout le monde, et les gens se rencontrent et se parlent.
Il n’y a rien d’étrange, d’anormal ou de criminel à ce que des gens d’un même milieu professionnel se parlent entre eux.
Cela fait partie de l’ordre naturel des choses.
Mon deuxième point est le suivant :
Regardez le nombre de fois où j’ai parlé à Ekrem Dumanlı et si ce nombre est plus élevé que le nombre de fois où Ekrem a voyagé à bord de l’avion de Tayyip Erdoğan, nous pourrons discuter de savoir si le fait de parler à Dumanli est un crime, ou non.
Mais si Dumanlı a parlé à Erdoğan dix fois plus qu’il ne m’a parlé, ne venez plus m’embêter avec des stupidités pareilles.
Ça n’est pas un crime si Erdoğan parle à quelqu’un, mais c’est un crime si je parle à cette même personne ; cela se peut-il ?
Est-ce le droit ici, la logique, l’intelligence ?
Qu’est-ce d’autre qu’un non-sens complet ?
Je dirai une dernière chose à ce sujet avant de passer à des questions plus sérieuses.
De nos jours, bien des procureurs – y compris le nôtre – estiment que de parler à « l’accusé » est un acte criminel.
Ils ne présentent pas la preuve d’une « association criminelle ». En lieu et place, ils estiment qu’une « conversation » est un acte criminel en soi.
Ça n’est pas un crime de parler à quelqu’un qui est accusé ou même condamné. Si ça l’était, quiconque visiterait un prisonnier devrait subir un procès.
Il n’existe aucune loi établissant que le fait de parler à un accusé constitue un crime en soi.
Nous ne trouvons aucune trace juridique de cette nouvelle pratique dans le droit.
Nous ne pouvons en trouver que dans l’acte institutionnel de “l’excommunication” pratiqué par l’église catholique.
Votre Honneur, nous sommes en 2017. Notre système de droit suivrait-il l’exemple d’une pratique moyen-âgeuse de l’église catholique ?
Des gens sont-ils excommuniés sur simple accusation du procureur ?
Est-ce à cette situation que l’Etat de droit se trouve réduit de nos jours ?
Abordons maintenant des sujets légèrement plus graves.
Commençons par l’opération “Sledgehammer”.
Examinons ce qu’était Sledgehammer. La publication de cet article constituait-il une « conspiration » comme les gens ne se lassent pas de l’affirmer ?
Examinons qui a nommé, et comment, les généraux qui ont fomenté le coup d’Etat du 15 juillet 2016.
Qui a commis le « crime » de les nommer à ces postes ?
En fait, contre qui cette accusation a‑t-elle été écrite en faisant semblant d’être une accusation à mon endroit ?
Qui le procureur accuse-t-il vraiment lorsqu’il dit qu’il m’accuser ?
Examinons ce qui se passe ici.
Le procureur ouvre la discussion sur Sledgehammer avec des remarques stratégiques en préambule suggérant une préparation « attentive » de sa part, bien différente du manque général de perspicacité et d’organisation caractérisant le reste de l’acte d’accusation.
Il y introduit une description très intéressante du crime qui n’a rien à voir avec moi, comme vous serez à même de le constater aussi dans un instant.
Ici, les principaux membres de l’AKP et du conseil militaire suprême et surtout, Tayyip Erdoğan lui-même devraient écouter très attentivement.
Parce que cette partie les concerne plus qu’elle ne me concerne, moi.
Lisons ensemble cette très intéressante description du crime sur lequel disserte le procureur tout de suite après avoir fait la liste des titres de la couverture du coup d’Etat par le journal Taraf :
“…Que l’enquête sur Sledgehammer fut ainsi ouverte et qu’en conséquence les officiers des forces armées turques qui n’étaient pas membres de l’organisation terroriste furent éliminés afin d’être remplacés par des membres de cette organisation, et que dans le processus qui s’ensuivit, au moyen de ces soi-disant enquêtes, ses membres furent introduits dans des postes clés au sein des forces armées turques, établissant la base pour la tentative de coup d’Etat du 15/7/2016.” [Accent à rajouter]
Quel est le crime que décrit le procureur ?
La purge des officiers qui n’étaient pas membres de « l’organisation terroriste » et leur remplacement par des membres qui l’étaient…Et, au cours de ce processus, l’organisation établit la base pour le coup d’Etat du 15 juillet par l’introduction de ses propres membres à des postes clés.
Voilà le crime.
La purge des officiers qui n’étaient pas membres de l’organisation, et leur remplacement par des membres de l’organisation, établissant la base pour le coup d’Etat.
Le procureur utilise un mot très intéressant dans cette description du crime.
“Au cours de ce processus, » dit-il.
De quel processus s’agit-il ?
Parle-t-il du « processus » d’une durée de six ans entre 2010 et 2016?
Le crime a été commis durant ce « processus » de six ans.
Durant ce processus de six ans, les « coupables » ont purgé certains soldats et nommé certains autres soldats, établissant ainsi la base pour le coup d’Etat du 15 juillet.
Le procureur pose une question devant nous qui exige une réponse :
Qui a commis le crime au cours de ce processus de six ans ?
Avec une naïveté qui défie la compréhension, le procureur dit que j’ai commis ce crime.
Il donne une réponse stupide à une question intelligente, mais l’absurdité de la réponse n’efface pas le caractère brûlant de la question.
J’ai publié des articles d’information concernant le coup Sledgehammer. J’assume la pleine responsabilité pour la publication de ces articles. J’étais le rédacteur en chef de ce journal et personne d’autre que moi n’aurait pu décider de publier ces articles.
Je répondrai plus tard à la question, à savoir si la publication de ces articles constituait ou non un crime.
Tout d’abord, cherchons qui est le « coupable » de ces purges et de ces promotions dont le procureur dit qu’elles se sont déroulées durant « une période de six ans ».
Permettez-moi d’abord de poser une question.
Un article de presse publié en 2010 donne-t-il à un journal la capacité d’opérer les purges militaires, les nominations et les promotions qui se sont déroulées durant ce processus de six ans ?
Puis-je décider de toutes les nominations et promotions qui ont eu lieu jusqu’en 2016 en raison d’une histoire que j’ai publiée en 2010?
Mieux encore, puis-je faire cela en démissionnant du journal en 2012?
Personne, quel que soit son esprit diabolique, son génie de la stratégie ou le caractère pernicieux de sa volonté ne peut déterminer seul le déroulement d’un processus d’une durée de six ans.
Un journaliste encore moins que tout autre.
Pour qu’une telle quantité de nominations, de promotions et de purges se déroule dans un processus de six ans, il faut que des personnes aux larges pouvoirs décisionnels au sein de l’Etat travaillent ensemble d’une façon organisée.
Alors, qui travailla ainsi durant ce processus de six ans ?
La réponse n’est pas difficile à trouver. Elle est limpide.
Quiconque a signé ces nominations et ces promotions a fait le travail.
Ma signature apparaît-elle sur l’une ou l’autre de ces décisions de nomination ou de promotion ?
Non, elle n’y apparaît pas.
Alors, de quelles signatures s’agit-il ?
Il y a les signatures des chefs d’Etat major, des membres du conseil militaire suprême, de membres du gouvernement, de premiers ministres et des présidents qui ont été au pouvoir durant ce « processus ».
Et il n’y a qu’une signature qui n’a pas changé durant ce processus de six ans.
La signature de Tayyip Erdoğan, tout d’abord au titre de premier ministre, puis de président.
Le procureur décrit le crime, nous dit qu’un crime fut commis durant ce « processus », pointe du doigt ceux qui sont les coupables, puis il se retourne et demande que je sois puni.
Je demande à nouveau : quel est le crime décrit par le procureur ?
La purge de certains officiers, et la promotion de généraux qui devaient faire le coup d’Etat en 2016.
Suis-je en mesure de voir quels généraux vont être purgés ou promus ? Ai-je un tel pouvoir ou une telle autorité ?
Non, je ne les ai pas.
Quand ce “crime” fut-il commis ?
Entre 2010 and 2016.
Ai-je joué un rôle quelconque durant cette période ?
Non.
Ajoutons que la « loi de purge militaire » fut approuvée en 2015. Le député CHP Muammer Erkek nous l’a rappelé lorsqu’il a parlé sur CNN Turk le 6 juin 2017.
De plus, le bureau du Procureur en chef d’Ankara a dressé un acte d’accusation établissant que les deux nouvelles lois votées après les incidents des 17–25 décembre ont non seulement facilité les purges militaires mais qu’elles ont aussi ouvert la voie à la promotion des généraux putschistes. Une chronique de Mehmet Tezkan me le rappela le 7 juin 2017.
Notre procureur ne sait-il rien de tout ça ?
Serais-je responsable de la loi qui fut approuvée par le parlement en 2015?
Je ne suis pas celui qui a commis le crime ; je ne suis pas là quand ce crime a lieu. Alors, pourquoi ce procureur inclut-il une accusation qui ne me concerne en rien dans l’acte d’accusation dressé contre moi ?
Quelqu’un peut-il fournir une réponse sensée à cette question ?
Je suppose que non.
On dirait que cette accusation s’est échappée d’un autre acte et a pris refuge dans le mien.
Et bien, il pourrait y avoir une chose qui expliquerait pourquoi cette accusation se retrouve dans le mien.
Le procureur pourrait alléguer que je suis le chef occulte d’une organisation qui consisterait d’Erdoğan lui-même, ainsi que de ministres de l’AKP et de généraux des forces armées.
Ça serait la seule explication de la présence de cette accusation dans un acte d’accusation me concernant.
Je dois avouer qu’il s’agirait là d’une allégation assez intéressante, et qui retiendrait l’attention du monde entier.
Mais je ne pense pas que le procureur soit en train de dire quelque chose s’en approchant.
Alors que vient faire cette accusation dans cet acte ?
Maintenant que nous avons vu l’absurdité d’inclure cette accusation dans l’acte me concernant, examinons la partie du coup Sledgehammer me concernant vraiment : l’article que j’ai publié sur Sledgehammer et que certains qualifient de « conspiration ».
Le procureur aussi appelle Sledgehammer une “conspiration” et prétend que j’ai commis le crime de “putschisme” en publiant cette histoire.
Je ne mentionnerai même pas la décision de la Cour constitutionnelle selon laquelle la publication de telles informations ne constitue pas un acte criminel. Mon avocat se chargera d’en parler.
Au lieu de cela, je réglerai mon compte une fois pour toutes avec tous, y compris ce procureur, qui qualifie les papiers sur Sledgehammer de “conspiration”.
Tout d’abord, examinons ce qu’était l’affaire “Sledgehammer”, quand, et dans quelles circonstances, elle eut lieu.
Sledgehammer est un séminaire sur “la préparation de la loi martiale » tenu en 2003 à un moment où Şenkal Atasagun, qui était alors le chef du MIT [Organisation nationale du renseignement turc], dit à Mustafa Balbay que “la Première Armée était prête pour un coup d’Etat » et que le chef de l’Etat major major a demandé au commandant de la Première Armée : « Préparez-vous un coup d’Etat ? »
Comme les membres de l’Etat major avaient connaissance des préparatifs de la Première Armée, ils donnèrent l’ordre à son commandant « de se tenir loin de toutes discussions sur les préparatifs d’une loi martiale et de toutes dispositions concernant des problèmes de politique intérieure. »
Non satisfaits d’un premier ordre, ils en envoyèrent aussi un second.
Que firent les généraux de la Première Armée ?
Ils désobéirent aux deux ordres.
Ils agirent en désaccord avec leurs ordres.
L’affaire commence avec la désobéissance des généraux.
Alors quels sont les types de préparatifs que font les généraux lorsqu’ils se rencontrent ?
Des plans et des préparatifs pour l’arrestation des chefs de partis politiques, pour la purge et le remplacement des maires dont ils notent les noms les uns après les autres, pour décider quels sont les stades qui serviront à retenir les 200,000 personnes qu’ils comptent arrêter, et « afin de mettre le public de leur côté », pour provoquer une escarmouche avec la Grèce.
Ils préparent bien d’autres choses mais je pense que cette liste partielle devrait suffire.
Les discussions de ces préparatifs sont enregistrées par les officiers sous les ordres de leurs commandants.
Ma preuve selon laquelle les généraux ont effectivement réalisé ces préparatifs n’est pas dans des CD dont l’authenticité est contestée. Ma preuve est dans les enregistrements réalisés par ces officiers eux-mêmes.
Quiconque écoute ces enregistrements découvrira ces préparatifs avec horreur.
En 2010, Mehmet Baransu est venu me voir et m’a dit : « Il se prépare un coup d’Etat. »
J’ai demandé, « Est-ce documenté ? »
« Oui, » a‑t-il dit.
« S’il existe des documents, apporte-les moi et nous les examinerons, » lui ai-je dit.
Quelques jours plus tard, il m’apporta des CDs incluant des images de documents écrits.
Nous avons écouté les enregistrements de cette conférence et examiné les documents reproduits sur les CDs.
Convaincus de leur authenticité, nous les avons publiés.
C’est tout.
Alors il y a une question à laquelle doivent répondre ceux qui qualifient de « conspiration » les papiers concernant Sledgehammer.
Une question toute simple.
C’est une question à laquelle doit répondre le procureur qui est l’auteur de cet acte d’accusation ainsi que les personnes dans ce tribunal, les journalistes, les présentateurs d’actualités à la télévision, et les politiciens qui ont qualifié les papiers sur Sledgehammer de « conspiration » :
Serait-il légal et normal aujourd’hui que les généraux de la Première Armée se réunissent et fassent des préparatifs pour l’arrestation de « tous les chefs de partis politiques » – en désobéissance ouverte aux ordres de l’Etat major leur intimant « vous ne devez jamais faire de préparatifs concernant des questions de politique intérieure » ?
Diriez-vous que « les généraux de la Première Armée peuvent se réunir aujourd’hui afin de planifier l’arrestation des politiciens, chasser les maires, arrêter 200,000 personnes pour les entasser dans les stades, provoquer des escarmouches avec la Grèce, et que personne ne puisse rien en dire ? »
Répondez-moi à voix haute et claire.
Diriez-vous aujourd’hui, « les généraux de la Première Armée ont le droit de se réunir et de planifier l’arrestation des politiciens » ?
Si vous dites, « Oui, bien sûr, ils peuvent faire de tels plans ; bien sûr, ils peuvent désobéir aux ordres de l’Etat major, » alors dites-le clairement.
Dites-le pour que je puisse l’entendre et le monde entier aussi.
Mais si vous ne pouvez pas dire cela et qu’au contraire vous dites, « Pas question ! Comment des généraux peuvent-ils préparer l’arrestations des politiciens », alors, vous ne pouvez pas qualifier les papiers sur Sledgehammer de “conspiration.”
Aucun de vous ne peut le qualifier ainsi.
Le procureur ne le peut pas non plus.
Si vous convenez que c’est un crime aujourd’hui que des généraux fassent de tels préparatifs, vous serez aussi d’accord qu’il s’agissait d’un crime lorsque ce fut fait en 2003.
Et que ça n’est pas seulement le droit mais le devoir d’un journaliste de publier les documents établissant la preuve d’un crime, une fois qu’ils sont en sa possession.
Laissez-moi vous poser une autre question:
Un journaliste ayant des preuves documentaires de tels préparatifs par des généraux aujourd’hui, doit-il les publier ?
Ou doit-il se taire ?
Répondez à ces question à voix haute et claire.
Il n’appartient à personne de qualifier les articles au sujet de Sledgehammer de “conspiration” avant d’avoir répondu à ces questions. Ça n’appartient pas au procureur non plus.
Au-delà de cela, le premier ministre actuel, le ministre de la justice et le juge en chef de la cour de cassation partagent mon avis que ces articles ne constituaient pas une « conspiration ». Ils l’ont affirmé clairement.
C’est l’une des rares questions sur laquelle je suis d’accord avec eux.
Le procureur qui tente de m’accuser de putschisme parce que j’ai affirmé que le séminaire Sledgehammer constituait la “préparation à un coup d’Etat” ne formule pas une plainte pénale contre le premier ministre, le ministre de la justice ou le juge en chef de la cour de cassation.
Pourquoi ne le fait-il pas ?
Si ce que j’ai dit est un crime, ce qu’ils disent l’est aussi. Si ce qu’ils disent n’est pas un crime, ce que j’ai dit ne l’est pas non plus.
Clair comme de l’eau de roche.
Il n’y a rien de bien complexe dans cette question.
Malgré ces évidences, comment pouvez-vous tenter de m’accuser pour avoir publier les plans de Sledgehammer et pour avoir qualifier le séminaire de Sledgehammer de préparation pour un coup d’Etat?
Expliquez-moi les raisons juridiques et logiques derrière ce conflit.
Vous ne le pourrez pas.
Parce qu’il n’y a pas d’explication juridique ou logique derrière ce non-sens.
Ni ce procureur, ni les journalistes, ni les présentateurs à la télévision ni les politiciens ne peuvent échapper à ces questions.
Me jeter en prison ne suffit pas à les dédouaner d’y répondre.
Je devrais aussi rappeler au procureur et à tous les autres ce qu’a dit Tayyip Erdoğan en se référant aux discussions enregistrées à la conférence Sledgehammer: “J’ai été choqué lorsque j’ai écouté ces discussions.” Allez lui demander pourquoi il était choqué.
Vous ne vous préoccupez pas de la désobéissance des généraux aux ordres de l’Etat major, vous n’écoutez pas les discours horribles qu’ils ont prononcés, vous ne regardez pas les papiers avec leurs listes détaillées pour les arrestations. Non, vous haussez les épaules, vous qualifiez le tout de « conspiration » et, en plus, vous tentez de m’accuser de tout ce non-sens.
Qui peut me juger, et de quel droit, avant de répondre aux questions que j’ai posées ?
Y a‑t-il quelqu’un qui aimerait répondre à ces questions?
Je ne veux pas dire dans cette chambre d’audience. Dans tout le pays, y a‑t-il quelqu’un qui aimerait répondre à mes questions?
Je doute que quelqu’un s’avancera pour répondre à ces questions de façon claire et distincte.
Votre Honneur,
Au moment où j’ai publié les histoires concernant Sledgehammer, le régime de tutelle militaire était encore en place.
Tout comme l’AKP a maintenant ses propres médias, la tutelle militaire avait ses propres médias à cette époque.
Semblables aux journalistes lâches et calculateurs qui tentent de s’insinuer dans les bonnes grâces de l’AKP, les journalistes lâches et calculateurs tentaient d’en faire autant auprès des généraux.
Si ces journalistes avaient eu le courage de publier des histoires comme celles que j’ai publiées au sujet de Sledgehammer, ce pays ne se serait pas transformé en ce terrain vague de coups d’Etat, tel qu’il est devenu aujourd’hui.
Ils n’ont jamais fait preuve de ce courage.
Ils tournèrent le dos aux souffrances des gauchistes, des kurdes, des intellectuels, des écrivains et des gens sincèrement dévots qui ont tous été écrasés par le système oppressif de la tutelle militaire.
Maintenant, la majorité des médias agit de la même façon éhontée à l’ère de l’AKP.
C’est l’une des tâches les plus significatives d’un journaliste que de publier des histoires comme celles de Sledgehammer.
Un journaliste qui choisit de ne pas publier cette histoire se trahit lui-même, sa profession et son peuple.
Parce que je n’ai trahi ni moi-même, ni ma profession ni mon peuple, j’ai été traduit en justice durant l’ère de la tutelle militaire, et je suis à nouveau traduit en justice aujourd’hui.
Malheureusement, c’est là le prix à payer lorsqu’on exige la démocratie dans ce pays.
Dans l’acte qu’il dresse contre moi, le procureur parle aussi des cas d’Ergenekon et d’espionnage militaire. Parce qu’il ne sait pas bien écrire le turc, il est difficile de comprendre de quoi il parle.
Mais je suppose qu’il m’accuse de ces choses aussi, puisqu’il les mentionne dans l’acte d’accusation, alors j’y réponds brièvement.
Les nouvelles concernant l’affaire de l’espionnage militaire n’étaient pas exclusivement publiées par le journal Taraf. En fait, comme nous n’avions pas une très bonne prise sur cette affaire, nous nous sommes abstenus de les traiter longuement.
Ceci n’était pas quelque chose impliquant notre journal. Je ne comprends pas pourquoi le procureur en parle ici.
Quant aux procès d’Ergenekon…
Les enquêtes sur Ergenekon ont débuté bien avant le lancement de Taraf.
Plus tard, nous avons publié des reportages sur ces procès comme l’ont fait d’autres journaux.
Je suis convaincu de l’existence d’Ergenekon. Ce que nous appelons Ergenekon, ce sont des gangs criminels profondément infiltrés dans l’Etat – des groupes tel que le gang Susurluk, comme ceux qui ont massacré 17,000 personnes au cours de meurtres non résolus, comme le pouvoir qui organisa l’attaque sur le conseil d’Etat, comme ceux qui ont provoqué le massacre de Malatya Zirve et ceux qui avaient pour habitude de jeter dans « le triangle de mort de Sapanca » les corps de ceux qu’ils avaient tués, comme le meurtre de Hrant Dink… Je pourrais continuer à citer bien d’autres crimes comme ceux-là.
J’ai appuyé sans réserve le dévoilement de ces gangs. Je l’appuie toujours aujourd’hui.
Malheureusement, à l’image du procureur qui a édulcoré et dévoyé l’enquête sur le 15 juillet en dressant cet acte d’accusation, certains ont aussi édulcoré et dévoyé l’enquête Ergenekon.
L’occasion de décontaminer l’Etat par l’excision des ces organisations criminelles a été perdue.
C’est bien dommage!
Comme nous avons déjà répondu aux allégations absurdes que « nous connaissons les hommes qui sont supposés connaître les hommes qui auraient prétendument dirigé le coup d’Etat », ainsi que les distorsions autour de l’affaire Sledgehammer, il reste à examiner trois de mes chroniques et un discours sur Can-Erzincan TV.
Maintenant, imaginez un procureur qui examine trois chroniques et une seule apparition à la télé et y décèle le crime de putschisme entraînant une peine de prison à vie. Imaginez-le faisant cela malgré la règle universelle qui dicte que la parole et l’écrit ne doivent pas être criminalisés.
Dans les fait, l’allégation selon laquelle mes écrits et mes paroles ont un lien quelconque avec le putschisme ne mérite même pas d’être prise au sérieux, mais je répondrai à ces allégations, l’une après l’autre, afin de démontrer la frivolité du système judiciaire et à quel point il est facile ici de jeter les gens en prison.
Hélas! Ça n’est pas que je n’aie pas aussi pitié du procureur ! On lui a dit de jeter des écrivains en prison et de les y maintenir. Pour ce faire, il est chargé de la tâche impossible de nous associer au coup d’Etat du 15 juillet.
Il commence avec cette absurdité : « Vous connaissez les hommes dont on dit qu’ils connaissent les hommes qu’on prétend être des putschistes. »
Comme je l’ai démontré, cette affirmation ne tient pas debout.
Puis, il se tourne vers moi et il dit : “Vous avez nommé à des postes clés les cadres derrière la tentative de coup d’Etat de 2016 au moyen d’informations que vous avez publiées en 2010.”
Ma foi, cela ne fait pas beaucoup de sens non plus.
Enfin, il s’appuie sur cette affirmation : « Vous saviez qu’il y aurait un coup d’Etat. »
Autant que j’y comprenne quelque chose, son raisonnement procède ainsi :
“Vous saviez qu’il y aurait un coup, cela veut dire que les putschistes vous l’avaient dit ; puisque les putschistes vous l’avaient dit, cela veut dire que vous étiez en lien direct avec les putschistes ; puisque vous avez un lien direct avec les putschistes, cela signifie que vous êtes un soutien et un participant au coup d’Etat. »
Ceci a l’apparence d’une séquence logique.
Très bien, y a‑t-il des preuves pour étayer cette séquence logique ?
Non, il n’y a pas la moindre trace de preuve.
Qu’avons-nous donc alors ?
Nous avons « l’opinion » du procureur ; il semble dire : « Voici ce que je ressens. »
Dans notre procès, le « sentiment » du procureur remplace la preuve.
Puisque c’est ce que le procureur a « ressenti », jetons les écrivains en prison.
Voilà où nous en sommes, voilà où en est arrivé le droit.
Maintenant, voyons ce qui cause ce sentiment chez notre procureur sentimental.
En l’absence d’éléments de preuve, nous devrons examiner le discours sur lequel le procureur fonde ses sentiments.
Nous allons démontrer que notre procureur qui n’a rien à faire de preuves se trompe aussi dans son “sentiment”.
Pouvez-vous l’imaginer ? On nous juge et on pourrait nous condamner à la prison à vie sur la foi d’un “sentiment”.
Ce qui a provoqué le “sentiment” du procureur, ce sont les choses que j’ai dites sur Can-Erzincan TV pendant un ‘talk show’ animé par Nazlı Ilıcak et Mehmet Altan.
Comme vous le savez, le procureur, dans ses manœuvres pour nous jeter en prison, a commencé par envoyer la police nous arrêter parce que nous diffusions des « messages subliminaux » dans cette émission.
Lorsque l’allégation de « message subliminal » a été tournée en ridicule non seulement en Turquie mais à travers le monde. Le mot « subliminal » a disparu aussi soudainement que la balle d’un illusionniste.
Comme si le procureur n’avait jamais fait pareille allégation, comme si nous n’avions pas été enfermés au département anti-terroriste sur la base même de cette allégation, le mot « subliminal » est oublié.
À sa place, émerge une nouvelle allégation : « Vous étiez au courant du coup d’Etat. » Cette affirmation devient le nouvel acteur dans le théâtre de l’absurde écrit par le procureur.
Un procureur peut-il dresser un acte d’accusation sur la foi de son opinion et de son sentiment ?
Des gens peuvent-ils se languir en prison parce qu’un procureur a pressenti quelque chose ?
Peut-on réclamer une « peine à vie aggravée » pour des gens sur la foi du sentiment d’un procureur ?
Sur la base du droit, la réponse à toutes ces questions est « Non. »
Sur la base de la loi, il ne peut y avoir un procès en l’absence de preuves d’un crime et purement sur la base du « sentiment » d’un procureur.
Mais c’est ce qui se passe ici.
Et nous nous retrouvons à devoir répondre à cette absurdité.
Demandons seulement le pardon du Dieu du Droit pour avoir fourni des réponses sérieuses à des questions aussi frivoles, et tournons-nous vers cette apparition à la télé.
Votre Honneur,
Comme vous le savez, l’agenda de ces talk shows se base habituellement sur les qualités de l’invité.
J’ai été invité à ce programme de télé pour deux raisons.
La première était la publication de mon dernier roman dont le titre anglais est Dying is Easier than Loving.
Sur fond des aventures personnelles des personnages, ce roman raconte l’histoire des guerres des Balkans et de l’incompétence des leaders de l’ İttihatçı qui ont pris le pouvoir, ainsi que des brutalités qu’ils ont instaurées pour masquer leur échec à gouverner le pays correctement.
Voilà pourquoi il fut discuté des leaders İttihatçı de l’époque et du présent gouvernement AKP dont les politiques sont très semblables.
L’autre raison d’actualité pour ma présence à cette émission concernait le procès Sledgehammer qui devait débuter environ un mois et demi plus tard, et dans lequel j’étais menacé de 52 ans de prison.
C’est la raison pour laquelle nous avons discuté de Sledgehammer.
Et c’est pourquoi la conversation a progressé sur ces deux sujets et sur leurs liens avec les politiques du jour.
Ce que j’ai dit ce jour-là, c’est précisément ce que je pense encore aujourd’hui. Il n’y a pas eu un iota de changement dans ma pensée. De plus, je constate que tous ces développements démontrent que ma prospective était fondée.
Dans ce discours à la télé, je disais que le gouvernement AKP est très semblable à celui des leaders du İttihatçı [Le comité de l’union et du progrès/CUP] en ce qu’ils ont pu s’installer au pouvoir mais sont incapables de gouverner le pays eux aussi.
C’est précisément la situation aujourd’hui.
Les dirigeants de l’AKP se sont transformés en une version pieuse des leaders de İttihatçı. Ils ont accru l’oppression mais ils sont incapables de gouverner le pays.
Sous le règne de l’ AKP, la Turquie décline graduellement de jour en jour.
J’affirme ici qu’Enver Pasha et Erdoğan sont identiques. Ils se ressemblent vraiment beaucoup. Enver a provoqué la chute des Ottomans par son délire de devenir le dirigeant de tous les turcs du monde. Erdoğan conduit la Turquie vers une véritable dépression en raison de son illusion de devenir le dirigeant de tous les musulmans du monde.
Aujourd’hui, Erdoğan lui-même ne soutient plus les politiques d’Erdoğan en Syrie et au Moyen-Orient. Même les dirigeants de l’AKP disent qu’ils se sont trompés.
Nous sommes à vivre un désastre de politique extérieure d’une étendue sans commune mesure avec tout autre dans l’ère républicaine.
Dans ce discours télévisé, je critique la déclaration d’Erdoğan dans laquelle il dit, « tout le système judiciaire m’est soumis. »
D’ailleurs, quiconque tient au droit s’opposerait à cette déclaration.
Maintenant je porte mon attention sur les deux phrases de mon discours que le procureur a citées en majuscules.
Je dis: “C’est un crime pour Erdoğan de dire qu’il est devenu le président [avec les pouvoirs conférés à un président dans un système présidentiel] et quelqu’un s’en souviendra à l’avenir. »
Je n’ai pas du tout compris pourquoi le procureur a écrit cette phrase en majuscules.
Erdoğan a dit qu’il était devenu le “président de facto ” [avec les pouvoirs conférés à un président dans un système présidentiel] et cette déclaration prouve qu’il a outrepassé les limites constitutionnelles.
Outrepasser la constitution, ou ne pas tenir compte de la constitution et de l’ordre constitutionnel est un crime. Erdoğan a avoué clairement avoir commis ce crime.
Assurément, un Etat, s’il est bien un Etat, n’oubliera pas qu’un crime a été commis. Il ne peut pas l’oublier.
Quoi de plus naturel que d’affirmer ceci, et de rappeler ce fait à tout le monde ?
Rappeler le droit et la justice aux gens, en ré-affirmant leur existence – comment peut-on considérer cela comme un crime ?
Erdoğan est celui qui a commis le crime ici. On me fait un procès pour avoir dit qu’il a commis un crime.
Voilà ce que d’aucuns appellent la « justice ».
Se déclarer “président de facto” [avec les pouvoirs conférés à un président dans un système présidentiel ] constitue un coup d’Etat contre la constitution.
En fait, n’ont-ils pas aussi admis avoir fait ces amendements récents à la constitution afin que le crime commis par Erdoğan devienne légal ?
Devlet Bahçeli n’a‑t-il pas souligné la nécessité de réconcilier la « situation de facto » avec la constitution?
Si l’acte initial était en conformité avec la constitution, pourquoi y aurait-il besoin d’apporter des amendements à la constitution afin de réconcilier cet acte même avec la constitution?
Dans un Etat correct “les situations de facto” ne sont pas permises ; tout le monde est tenu de respecter la loi.
Alors qu’ici, lorsqu’un politicien viole la loi, ils modifient la loi pour accommoder le politicien.
Le procureur a cité une autre phrase en majuscules.
Je dis: « Si une société et un Etat n’opposent pas de résistance à un acte illégal et illégitime, le résultat n’est jamais bon. »
Cette phrase ne constitue pas un crime.
Affirmer le contraire de cette phrase serait un non-sens.
Pourquoi cela constituerait-il un crime de dire qu’une société et un Etat doivent opposer leur résistance à un acte criminel ?
Si vous pensez que ceci est un crime, allez‑y et affirmez le contraire de cette phrase à voix haute.
Dites ceci: « La société et l’Etat ne devraient pas opposer de résistance, mais devraient se plier à des actes criminels illégaux. »
Pouvez-vous dire cela ?
Si vous le pouvez, comment pouvez-vous défendre la résistance contre un coup militaire – qui est aussi un acte criminel illégal ?
Vous ne pourriez pas le défendre.
Voici une autre phrase de mon discours qui est citée en lettres majuscules :
« Je pense qu’ils travaillent main dans la main avec la tutelle militaire. Erdoğan et ses hommes sont à réaliser toutes sortes de fantasmes que le système de tutelle militaire a rêvé de réaliser durant tout son règne sans jamais parvenir à le faire. »
Oui, c’est précisément la situation aujourd’hui.
Les généraux de la tutelle militaire ont tenté d’arracher la Turquie au monde développé. Aujourd’hui, Erdoğan et l’AKP s’emploient à réaliser ce programme.
Les pachas cherchaient à se débarrasser du judiciaire et du droit. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui.
Les pachas cherchèrent à emprisonner tous les dissidents et tous les démocrates. C’est ce qui se fait aujourd’hui.
Les pachas cherchèrent à contrôler tous les médias. C’est ce qui se passe aujourd’hui.
Devrais-je continuer ?
En quoi affirmer ces faits et parler de leurs similarités ont-ils un rapport avec des actes criminels et un coup d’Etat ?
Comment le fait de s’élever contre le retour des jours de la tutelle militaire peut-il être considéré comme un soutien à un coup d’Etat militaire ?
Soit dit en passant, le procureur a aussi recopié en majuscule le mot “Erdoğan” chaque fois que je l’ai prononcé dans mon discours.
Pourquoi?
Parce qu’il veut vous dire que j’ai critiqué Erdoğan et, qu’en conséquence, je dois être en prison.
Voilà le droit dans la nouvelle ère :
« Vous ne pouvez pas critiquer Erdoğan. Si vous le critiquez, vous irez en prison. »
Je critique Erdoğan et vous me jetez en prison.
Ça n’est pas le règne du droit.
C’est quoi ?
C’est le règne de facto d’un droit qui s’accorde avec un présidentialisme de facto.
C’est commettre un crime au nom de la loi.
Je ne suis pas en prison parce que je suis un criminel. Je suis en prison parce que le règne du droit des criminels est au pouvoir.
De telles choses se produisent. On vous jette en prison parce que vous défendez le droit et que vous avez raison. Et le coupable peut se déguiser en procureur.
Mais personne ne devrait avoir peur ou s’en alarmer. Ceci ne durera pas très longtemps. Le droit se réveillera un jour.
Maintenant je vous lis une phrase de mon discours que le procureur n’a pas citée en majuscules :
« Ils parlent comme si Erdoğan devait durer toute sa vie. Erdoğan partira dans deux ans. Les élections approchent, personne ne peut savoir ce qui se passera dans deux ans au moment des élections. »
Vous comprenez sans doute pourquoi le procureur n’a pas cité cette phrase en majuscules.
L’homme dont il allègue « qu’il savait qu’il y aurait un coup d’Etat le lendemain » parle d’Erdoğan quittant le pouvoir après avoir été battu aux élections dans deux ans.
Comment un homme qui sait qu’il y aura un coup d’Etat le lendemain peut-il envoyer un message « subliminal » au sujet du coup en disant « Erdoğan sera battu deux ans plus tard » ?
Est-ce un crime de dire qu’un politicien sera battu aux élections ?
De quelle sorte de crime s’agit-il ?
En outre, je pense exactement la même chose aujourd’hui.
Erdoğan sera battu aux élections.
Il n’y a aucun besoin d’un coup d’Etat pour évincer Erdoğan. Les politiques d’Erdoğan préparent son départ.
C’est comme une blague de Nasreddin Hodja.
On le voit coupant la branche sur laquelle il est assis avec ses politiques actuelles. Vous le dites. Le procureur dit : « Comment le saviez-vous ? Vous êtes un putschiste! »
Erdoğan sera renvoyé du pouvoir non pas par un coup d’Etat mais par l’économie. Je vous dirai un peu plus tard comment cela va se produire.
Poursuivons maintenant la lecture de notre conversation telle que citée dans l’acte d’accusation.
Le procureur cite une phrase de Mehmet Altan en majuscules.
Mehmet Altan dit: « Même ce qui se produira dans ce pays dans deux ans n’est pas clair. »
Je réponds:
« Ça n’est pas clair. Si cinquante députés de l’AKP décidaient de former un nouveau parti avec Akşener, le système en entier serait ébranlé. Cet homme n’a pas une base solide. »
Évidemment, le nom de Meral Akşener n’a pas été mentionné comme tombant du ciel.
À cette époque, Akşener et ses amis se préparaient à réunir la convention de leur parti afin de voter le remplacement de l’exécutif du MHP [Parti d’action nationaliste].
On pouvait constater qu’ils bénéficiaient d’un fort soutien au niveau de la base du parti.
Moins d’un an s’est écoulé depuis, et il est évident aujourd’hui que nos affirmations ce jour-là portaient sur une possibilité réelle.
Erdoğan et les leaders de l’AKP se berçaient de l’illusion qu’ils auraient le soutien de 65% des électeurs suite à leur union avec le MHP.
Que s’est-il passé lors du référendum du 16 avril?
Malgré toutes les ruses, les irrégularités, les pressions et les interdits qu’ils ont mis en place, l’AKP et le MHP n’ont pu obtenir que 51% du vote.
Meral Akşener et ses amis se sont emparés de la base du MHP et l’ont conquise.
Certains électeurs du MHP, pourtant sous le leadership d’Akşener, certains électeurs AKP, des électeurs du Parti Saadet, les kurdes qui ont voté pour le HDP, les électeurs du parti Vatan, et plusieurs électeurs de petits partis sous la direction du leadership du CHP se sont rassemblés pour dire « Non » à la fois à Erdoğan et à son régime répressif.
Erdoğan avait-il une base solide ?
La moitié de la société ne s’est pas effondrée et ne s’est pas cachée mais s’est tenue debout. Et il s’est créé une « plateforme démocratique » dont les leaders de l’AKP n’avaient pas anticipé l’émergence.
Entretemps, un changement de rôles s’est opéré sous nos yeux.
Le CHP, de parti politique appuyant habituellement la tutelle militaire et l’oppression, est devenu un représentant de la démocratie sous la direction de Kılıçdaroğlu et a déclaré que son projet était « le couronnement de la république avec la démocratie ». De son côté, l’AKP est devenu le représentant de l’oppression, du despotisme et de la tutelle.
En conséquence de tout cela, l’AKP a perdu la majorité des voix dans les villes d’Ankara, d’Izmir, d’Istanbul, d’Antalya, d’Adana et de Mersin pour la première fois au cours d’une seule élection.
Il a perdu le vote des jeunes.
Il a perdu le vote des femmes.
Aucun parti politique ne peut rester au pouvoir une fois qu’il a perdu les principales villes, les jeunes et les femmes.
Dans une société courageuse où cinquante pour cent des électeurs ont dit « Non » à l’oppression, la tyrannie ne peut pas durer trop longtemps.
Ce que nous avons dit alors s’est réalisé avant que l’année ne soit terminée.
De quoi le procureur nous accuse-t-il ?
De comprendre les faits et de prévoir ce qui allait se passer ?
D’affirmer les faits?
Effectivement, les élections du 7 juin 2015 nous avaient déjà signalé tous ces développements. Les élections du 1er novembre 2015 étaient artificielles. Leur résultat l’était aussi.
C’était un résultat qui reflétait l’horreur de la société devant la mort de plus de 600 personnes du 7 juin au 1er novembre.
Mais au-delà d’un certain point, la mort et la violence cessent d’aider les politiciens à obtenir le pouvoir qu’ils recherchent.
Les gens se fatiguent de la mort, ils en ont assez de voir mourir, et ils prennent leur distance avec les partis politiques qu’ils associent à la mort et au fait de mourir.
C’est exactement ainsi que le système de tutelle militaire s’est effondré.
Les gens l’associaient à la mort plutôt qu’à la vie. Il faisait l’éloge de la mort. Il la sanctifiait.
Cela a épuisé et écoeuré la société et le système s’est effondré.
Maintenant l’AKP fait la même chose.
Il sanctifie la mort, la glorifie en menant des campagnes continuelles en faveur du martyr et promet aux jeunes plus de mort plutôt que plus de vie.
Il pousse le pays entier dans les ténèbres effrayantes de la mort.
Il épuise et il écoeure la société.
C’est pourquoi il quittera le pouvoir.
C’est ce que je pensais alors et c’est ce que je pense aujourd’hui.
Est-ce un crime de penser ainsi ?
Est-ce du putschisme?
Bien sûr que non!
Seulement, ceux qui détiennent le pouvoir et leurs procureurs ne veulent pas que la vérité se sache. C’est pourquoi ils emprisonnent des gens comme nous.
Qu’ils nous jettent en prison.
Ils ne peuvent pas modifier la vérité ou changer l’avenir.
Voici une autre de mes phrases citées en majuscules dans l’acte d’accusation :
« Les soi-disant camions du MIT… Ils ont fait condamner Can Dündar dans leurs tribunaux. Mais il y a quand même quelque chose d’étrange ici…Quelque chose qui pourrait être considéré comme un crime international. Il y a collaboration avec tous les putschistes, avec les gens d’ Ergenekon. Il s’agit de cas de corruption. »
Can Dündar a été condamné.
Que s’est–il passé ensuite ?
Avons-nous pu apprendre de quoi il en retournait avec les camions du MIT ? La question a‑t-elle été clarifiée ? Avons-nous compris ce que contenaient ces camions ?
Savons-nous qui a envoyé ces camions et à qui ils furent envoyés ?
S’agit-il là de choses que fait un gouvernement transparent ?
C’est exactement le genre de choses que ferait un « Etat profond » que nous appelons “Ergenekon”.
Ils ont rafraîchi notre mémoire au sujet de « l’Etat profond ».
S’il y en a pour affirmer que tel n’était pas le cas, ils devraient dire la vérité à la nation à ce sujet, ils devraient nous dire ce que contenaient ces camions.
Dans cette phrase, je dis qu’il y a des cas de corruption.
Ces poursuites ont été abandonnées mais elles continuent aux Etats-Unis. Des responsables américains ont révélé qu’ils avaient négocié avec le gouvernement Erdoğan à ce sujet.
Que négociaient-ils ?
Que donnaient-ils et qu’exigeaient-ils en échange ?
Le savons-nous ?
Non.
Avons-nous le droit de le savoir ?
Oui.
Pourquoi ne le savons-nous pas ? Pourquoi devons-nous apprendre la vérité des Américains ?
Pourquoi le fait de dire ces choses est-il considéré comme constituant le crime de putschisme ?
Est-ce du putschisme de demander de la transparence à l’Etat ?
Voici une autre phrase de mon discours cité dans l’acte d’accusation – encore une fois, en majuscules :
« Quel que ce soit ce qui a ouvert la voie aux précédents coups militaires en Turquie, Erdoğan prend les mêmes décisions aujourd’hui, leur ouvrant à nouveau la voie. Par exemple, il a passé une loi accordant la priorité aux militaires sur les civils dans l’administration des villes. Un général pourra gouverner une ville s’il le désire. Erdoğan a redonné vie au soi-disant projet EMASYA. Pis encore, si vous exigez une autorisation préalable pour que ces militaires soient mis en examen, ils prépareront un coup beaucoup plus facilement. »
Même la stupidité ne suffira pas pour extraire une dose de putschisme de ces phrases, il faut aussi être animé d’une rancune meurtrière.
Ce sont les opinions que je défends depuis trente ans. Ce sont des phrases qui insistent sur l’importance d’un Etat de droit et sur le danger d’accorder des privilèges spéciaux à l’armée.
Dans le passé, l’AKP a annulé la soi-disant pratique EMASYA qui avait pour coutume d’accorder la priorité aux militaires sur les civils pour l’administration des villes, et se disait très fier de cette annulation.
S’il s’agissait d’une bonne pratique, pourquoi l’ont-ils annulée ? Si elle était mauvaise, pourquoi l’ont-ils ré-instaurée ?
Voilà ce que nous voulions dire lorsque nous affirmions que cette période nous rappelle les jours de la tutelle militaire.
Et nous en voyons les conséquences.
La Turquie se dirige rapidement vers un effondrement total.
Nous considère-t-on comme des putschistes parce que nous disons ; « Ne faites pas cela ? »
Pour traiter ces déclarations de putschisme l’on doit dire « nous nous sommes déconnectés de toutes formes de logique, de raison et de droit, » et, en effet, c’est ce que le procureur suggère.
Nazlı Ilıcak me dit: « Je vois que les circonstances actuelles changeront et vous l’avez décrit de façon fort éloquente. »
Dans l’acte d’accusation, le procureur a cité cette phrase d Ilıcak en majuscules..
Il doit penser que les mots « les circonstances changeront » sont dangereux et criminels.
Je suppose que s’il rencontrait la phrase d’Héraclite qui a dit un jour « l’on ne peut pas se baigner deux fois dans la même rivière », il le pendrait.
Mehmet Altan dit: « il est impossible que ça continue ainsi. » Le procureur a mis ses mots en majuscules aussi.
Est-il possible que ça continue ainsi ?
Est-ce que tout se déroule en douceur ?
Regardez les données économiques, regardez les résultats du référendum, vous verrez s’il est possible ou non « que ça continue ainsi ».
Je prononce une autre phrase dans cette conversation télévisée, l’une que le procureur ne cite pas en lettres majuscules :
« Vous pouvez agir de manière despotique, mais si ce que vous faites est contraire au droit, et finalement, vous perdrez. »
Je pense exactement la même chose aujourd’hui.
Le despotisme, c’est la faiblesse qui se trouve à avoir mis la main sur des armes. À mesure que le despotisme augmente, sa faiblesse augmente aussi.
À la fin, le despotisme perd, et l’état de droit gagne.
Dans presque chacune des lignes de ce discours que le procureur utilise comme prétexte à notre arrestation, nous défendons le règne du droit. Presque toute la conversation est une défense ouverte de l’Etat de droit, mais aux yeux du procureur, défendre le droit c’est du putschisme.
Et nous nous languissons en prison.
Pour éviter de languir en prison dans ce pays, faut-il être un ennemi du droit ?
Peut-être le procureur envoie-t-il un message pas si « subliminal » que ça à la Turquie, à savoir que quiconque défend le droit sera jeté en prison.
Encore une fois, une autre de mes phrases en majuscules dans l’acte d’accusation :
« Les hommes de droit peuvent remporter la bataille même lorsqu’ils sont en prison. Les fautifs perdront, même dans le palais. »
Puisqu’il l’a mise en majuscules, le procureur doit considérer que cette affirmation est criminelle elle aussi.
En quoi le procureur s’objecte-t-il à cette affirmation ?
Pense-t-il que ceux qui sont dans leurs droits ne peuvent pas gagner et que les fautifs ne peuvent pas perdre ?
Cherche-t-il à interdire aux gens de dire « les fautifs vont perdre » ?
Voulez-vous me regarder cette pagaille ? Nous sommes jugés à cause d’une conversation sur la défense des droits humains, la légitimité et la loi.
Sans la moindre trace de honte, ils disent que le putschisme, c’est défendre le respect du droit.
Effectivement, c’est bien ce que le procureur veut dire :
« Dorénavant, nous jetterons en prison quiconque défendra la primauté du droit. »
Bravo! Jetez-les en nombre !
Ces temps vous appartiennent.
Mais les temps changent, ils changent toujours.
Le problème des puissants et des despotes c’est qu’ils ne saisissent jamais ce fait.
Les généraux du 28 février ont cru aussi que le 28 février durerait pour mille ans. Les procureurs au service de ces généraux jetaient aussi les gens en prison.
Alors aussi, nous disions : « Cela ne peut pas continuer comme ça, ne violez pas la loi, revenez à l’Etat de droit. »
On m’a intenté des procès à de nombreuses reprises pour avoir dit cela.
Que s’est-il passé ?
Cela a‑t-il duré ?
Cela n’a pas duré. Cela ne pouvait pas durer.
Le despotisme, les mauvaises actions, l’illégalité d’aujourd’hui ne peuvent pas durer non plus.
Les régimes d’oppression sont comme des allumettes. En mettant tout en cendre, ils prennent feu aussi et sont consumés par lui.
Parce qu’il existe des liens importants entre l’économie et l’Etat de droit.
En accroissant l’oppression et en étranglant l’Etat de droit, le pays perd sa crédibilité. Dans les pays où n’existent pas l’Etat de droit et la crédibilité, les investissements nationaux et internationaux s’interrompent. L’économie se met à baisser. L’inflation et le chômage augmentent de façon incontrôlable.
Les gens ne peuvent plus donner une seule boulette de viande à leurs enfants, ils ne peuvent plus acheter de bananes.
Voir leurs enfants contempler en silence les restaurants, les pâtisseries, les marchands de fruits les fait souffrir et leur fait honte.
À la fin, ils ne peuvent plus supporter les regards affamés de leurs enfants et ils votent pour évincer les politiciens qui ont causé tout ça.
C’est exactement ce qui se passe dans ce pays en ce moment.
En continuant à jeter des gens comme nous en prison, ils détruisent l’Etat de droit et provoquent l’effondrement de l’économie.
Pour la première fois depuis 2004, le conseil européen a remis la Turquie sous surveillance. La Turquie d’aujourd’hui est regardée comme la Turquie au moment du coup militaire, parce que les dirigeants politiques actuels ont endossé le despotisme des officiers putschistes.
Pour ce pays, le coût de son éloignement des valeurs européennes sera un enfer économique.
Le chômage, la flambée des prix, l’impuissance et la faim s’accentueront.
Pensez-vous que le gouvernement peut tenir dans des conditions pareilles ?
Vous verrez qu’il ne durera pas, qu’il ne pourra pas durer.
Nous jeter en prison et dresser des actes d’accusation remplis de mensonges ne suffiront pas à sauver ce gouvernement.
En allumant le feu en Turquie, ce gouvernement s’est pris à ses propres flammes.
Jour après jour il se consume dans son propre feu.
Nous les avons alertés à de nombreuses reprises des risques de s’incendier eux-mêmes en même temps que le pays. Nous les alertons encore.
Leur réponse fut d’envoyer leurs procureurs et leurs policiers pour nous jeter en prison.
Est-ce que leur dire de revenir à l’Etat de droit et de cesser le despotisme constitue du putschisme?
Il s’agit simplement de l’impuissance pitoyable d’un gouvernement qui ne peut plus supporter la moindre critique. En incendiant si terriblement le pays, il s’est si grièvement brûlé lui-même qu’il est couvert de plaies suintantes.
Dès que la moindre critique touche leur peau, les gens au pouvoir ont tellement mal qu’ils ne peuvent répondre et envoient leurs policiers et leurs procureurs.
Notre aventure aujourd’hui se résume à cette impuissance.
Non pas l’impuissance de ceux qui sont en prison, mais l’impuissance de ceux qui les y ont jetés.
Poursuivons la lecture de l’acte d’accusation, qui constitue une solide démonstration de cette impuissance.
Voici une phrase de mon discours que le procureur a citée en lettres majuscules :
« Ce gouvernement voleur ne peut pas rester très longtemps, ce gouvernement voleur viole la loi, viole les droits, viole la morale. Il viole même la politique, il fait des choses en dehors du cadre politique… »
Le reste de cette déclaration se poursuit et elle est citée en caractère normal :
« Ceci ne peut pas continuer ; la magie se trouve dans ceux qui ont été trompés et qui se rassemblent, qui agissent de façon solidaire, qui prennent soin les uns des autres, qui s’épaulent et qui réclament l’Etat de droit. »
Autant que je puisse le comprendre, le procureur met de l’avant les mots « gouvernement voleur » comme preuve de putschisme. Ma suggestion que les gens se regroupent et réclament l’application du règne du droit doit être vue comme du putschisme par les procureurs de ce gouvernement.
Je pense que le gouvernement a commis un vol et je le dis. D’après nos lois, il n’est pas criminel de dire une chose pareille. Et il ne s’agit pas du tout de putschisme.
Même si le shayk-al Islam des temps modernes peut émettre des fatwas déclarant que « la corruption n’est pas du vol », de telles fatwas n’indiquent pas que la corruption n’est pas du vol, mais que l’auteur de cette fatwa n’a plus rien à voir avec la religion ou la morale.
La corruption, c’est du vol.
Ce gouvernement est corrompu. Les millions de dollars qu’il a tiré de l’Etat pour payer les constructeurs de ces grands ponts devraient suffire à les envoyer en correctionnelle pour corruption.
Le procureur ne veut pas que je dise ces choses.
Suis-je supposé demander au procureur ce que je dois dire ?
Qu’ils volent l’argent et qu’ils jettent en prison ceux qui leur disent de ne pas voler.
Et appelons ça l’Etat de droit.
Le procureur a aussi cité l’une des phrases de Ilıcak en majuscules dans l’acte d’accusation, signifiant ainsi qu’il s’agirait d’une phrase criminelle.
Ilıcak dit: « L’on devra certainement rendre des comptes sur cette situation de facto, ainsi que sur les violations constitutionnelles — parce qu’il n’y a pas seulement la corruption, il y a aussi les violations de la constitution. Un jour, l’on rendra très certainement des comptes pour cela. »
Cela a vexé le procureur.
La formulation qui paraît la plus insupportable pour le procureur est peut-être celle-ci : « L’on devra rendre des comptes pour l’illégalité. »
Il est un sorte de juriste, de cette sorte qui aspire à un régime dans lequel la loi ne pourra pas exiger des comptes aux auteurs de quelque corruption, illégalité, ou crime que ce soit.
Dans le régime auquel aspire ce procureur, ceux qui disent « les criminels devront rendre des comptes pour leurs crimes » sont punis, et non pas les criminels eux-mêmes.
L’AKP a trouvé le procureur qu’elle cherchait.
Je me demande combien il en existe de cette sorte ? Combien d’autres au sein du système judiciaire travaillent à démanteler l’Etat de droit et l’économie du pays ?
Puis, à nouveau, nous rencontrons mes phrases citées en majuscules.
Donnant l’exemple de Menderes et de son chef d’Etat major Rüştü Erdelhun, je dis ceci :
« Dans ces pays, une fois que les politiciens se mettent à jouer avec les militaires, ils ouvrent la voie à un coup d’Etat. »
Mehmet Altan donne l’exemple du président égyptien Morsi qui nomma le général Sisi afin d’assurer sa propre position seulement pour se retrouver évincé par ce dernier. « Morsi a joué avec Sisi, » dit-il.
Et je poursuis :
« Il a joué avec l’armée. Jouer avec l’armée, c’est ouvrir la voie à un coup d’Etat. Quelqu’un qui n’est pas un militaire ne peut pas utiliser l’armée pour se maintenir au pouvoir. »
Le procureur a cité ces lignes en majuscules dans l’acte d’accusation, pour signifier un contenu criminel.
Puisque notre procureur ne fait preuve d’aucune curiosité au sujet de ce que l’homme qu’il accuse de putschisme a pu écrire auparavant, il ne sait pas que j’écris sur ce sujet depuis trente ans et que j’ai averti des gouvernements avant celui de l’AKP de ne pas tenter d’obtenir le soutien de l’armée pour se maintenir au pouvoir.
Il prend pour acquis que nous avons parlé de ces sujets pour la première fois durant cette émission de télévision.
Un gouvernement politique détient sa légitimité du peuple et de la loi de son pays.
Mais lorsque les gouvernants sèment la pagaille et se tournent vers l’oppression pour masquer le désordre qu’ils créent, et qu’ils tentent d’utiliser les militaires pour maintenir les pratiques d’oppression, il se produit un coup d’Etat.
Il en a toujours été ainsi.
C’est ce qui s’est produit en 1960, 1970, et en 1980…
Lorsque vous outrepassez les limites de la loi et tentez d’accroître votre pouvoir à l’aide des armes des militaires, les généraux disent : « si le pouvoir réside dans nos armes, alors ceux qui détiennent les armes méritent ce pouvoir », et ils organisent un coup d’Etat.
Demirel nomma Kenan Evren à titre de chef de l’Etat major afin d’assurer sa propre position, et Morsi nomma Sisi pour la même raison.
Tous deux furent évincés par les généraux qu’ils avaient nommés.
En quoi est-ce un crime d’alerter un gouvernement civil contre un danger aussi apparent ?
En quoi est-ce du putschisme ?
Y a‑t-il quelqu’un qui puisse l’expliquer dans les limites de l’intellect, de la raison et de la loi ?
Ce sont les phrases que le procureur considère comme criminelles dans cette conversation télévisée.
Toutes sont des phrases à la défense de la droiture, de la loi, de la justice, de l’honnêteté et de la transparence.
Ce sont les valeurs dont la défense est la plus dangereuse dans la Turquie d’aujourd’hui. Ce sont les valeurs dont le pouvoir politique cherche à se débarrasser.
Tournons nous maintenant vers la conclusion écrite par le procureur pour mettre en cause cette conversation télévisée.
J’adore sa première phrase.
Ce procureur désespérément confus éveille en moi des sentiments de pitié et de sympathie.
Le procureur nous accuse « de menaces, et d’avoir une rhétorique à manière des insultes contre le président Erdoğan et les membres du gouvernement » au cours de cette émission.
Veuillez excuser la composition de cette phrase. Le procureur ne maîtrise pas bien sa langue maternelle.
N’est-ce pas vraiment très mignon de sa part d’estimer que nous avons le pouvoir de menacer Erdoğan et son gouvernement ?
Ces hommes nous ont jetés hors de nos maisons et enfermés en prison et le procureur dit : « ils menacent Erdoğan.”
Comment est-ce que je menace Erdoğan?
En disant, « il y a la loi » ?
En disant, « vous perdrez les élections si vous continuez ainsi » ?
Comment suis-je menaçant ?
S’ils pensent vraiment que je possède le genre de pouvoir qui me rend capable de les menacer, s’ils ont peur de moi, je dois dire que je trouverais ça plutôt divertissant.
Et je ne pense pas qu’il y aurait quelqu’un qui ne trouverait pas ça divertissant.
J’aime aussi cette expression de « rhétorique à la manière des insultes ».
Que signifie « à la manière des insultes », Votre Honneur ?
Où trouve-t-on ce concept dans la loi ?
Si j’ai insulté quelqu’un, il aurait dû employer le mot « insulte » et il existe un article dans le droit criminel qui régit cela. Cela n’a rien à voir avec le putschisme.
Il n’utilise pas le mot « insulte ». De toute évidence, il voit bien que je n’insulte personne.
Alors, « à la manière des insultes » signifie-t-il durement critique ?
La critique n’est pas un crime.
Alors que veut dire ce mot « à la manière des insultes » ?
L’esprit du procureur semble être devenu terriblement confus à tant s’efforcer d’inventer un crime.
Puis il dit : « ils disent que les actions et les affaires de ce gouvernement vont à l’encontre de la loi. »
Nous sommes signalés comme ayant dit que ce gouvernement agissait à l’encontre de la loi.
Oui, c’est exactement ce que je dis.
Est-ce un crime de critiquer un gouvernement parce qu’il fait des choses qui vont à l’encontre de la loi ? Est-ce un crime de l’avertir en disant : « Ne faites pas cela » ?
Est-ce du putschisme?
Ne devrions-nous pas avertir le gouvernement ?
Le procureur dit : « n’avertissez pas, ne critiquez pas, ne parlez pas. »
Le procureur n’a nullement le droit de dire cela.
Ma critique des affaires illégales du gouvernement n’est aucunement les affaires du procureur.
Son travail est de veiller aux affaires illégales du gouvernement, d’enquêter à leur sujet et d’intenter des poursuites s’il a des preuves. On aimerait qu’il ait un tel courage…
Il ne poursuit pas les actes illégaux, mais il poursuit ceux qui critiquent l’exécution de tels actes. Un procureur typique de l’ère AKP !
Il dit: « ils disent que le gouvernement perdra bientôt le pouvoir. »
Oui, c’est exactement ce que je dis.
Je pense aussi qu’ils perdront les premières élections présidentielles.
Ça n’est pas un crime quand le pouvoir politique change de mains. Il serait problématique, cependant, de dire que, quoiqu’il advienne, un gouvernement restera toujours en place.
Les gouvernements viennent et ils repartent.
C’est le jeu de la politique. C’est la démocratie.
Dès qu’un procureur dit : « c’est du putschisme de dire que le gouvernement va perdre le pouvoir, » il viole la loi, il rejette la règle de base selon laquelle le pouvoir politique change de mains en raison des élections, et il commet une infraction sérieuse. Ce procureur commet une infraction sérieuse.
Vous verrez que cet acte d’accusation servira à l’avenir de preuve criminelle contre le procureur qui l’a dressé.
Il dit, « ils disent qu’ils [les politiciens] seront traînés en justice. »
Je suis supposé avoir dit que ce gouvernement sera traîné en justice.
Oui, c’est ce que j’affirme.
Pourquoi ne serait-il pas traînés en justice s’il a commis des crimes ?
Le gouvernement AKP est-il au dessus de la loi ?
Le procureur les considère-t-ils au dessus de la loi et de la justice ?
Croit-il qu’ils ne seront jamais jugés dans un tribunal ?
Quel est le fondement juridique pour cette conviction?
Ni cette conviction ni les allégations du procureur n’ont une base juridique. Le procureur viole manifestement la loi en disant « vous ne pouvez pas critiquer le gouvernement et, si vous le faites, je vous jetterai en prison. »
Nous arrivons maintenant à la meilleure partie.
Nous sommes supposés avoir dit que le gouvernement AKP perdrait le pouvoir en Turquie et « de cette façon comme élément de cette rhétorique, avoir déclaré qu’il y aurait un coup d’Etat. »
Il est présumé qu’il nous était impossible d’être au courant de la tentative de coup d’Etat sans avoir été en accord mentalement et de façon opérationnelle avec l’organisation terroriste. Notre objectif aurait été de légitimer la tentative de coup d’Etat.
Et avec ceci, le procureur retire son masque et lâche le morceau.
Suite à des pages et des pages de mots vides et de charabia ce procureur dit enfin ce qu’il voulait dire dans le paragraphe que je viens de vous lire.
Mais laquelle de mes phrases invoque-t-il pour prouver l’allégation de notre connaissance préalable du coup d’Etat le 15 juillet et que « nous étions en unité de pensée et d’action » avec les putschistes ?
Le fait que je suis supposé avoir dit, « Le gouvernement AKP va perdre le pouvoir en Turquie. »
C’est exactement ce que je pense.
Comment est-ce que ça prouve que nous étions en « unité d’action » avec les putschistes que de dire qu’un parti politique serait évincé du pouvoir.
Je l’ai demandé avant, je le demande à nouveau :
Que pense le procureur ? Que l’AKP ne sera jamais évincé du pouvoir ?
Sur quoi fonde-t-il sa pensée ?
L’économie est devenue un enfer, le tourisme s’effondre, le manque de confiance dans l’Etat de droit atteint des niveaux records. Sur quoi se fonde-t-il pour penser que ce gouvernement politique ne sera jamais évincé du pouvoir dans ce pays ?
Selon ce procureur, l’AKP ne peut-il pas être évincé par le vote ? Pourquoi ne le serait-il pas ?
Avant de nous accuser de putschisme, le procureur devrait d’abord nous expliquer cela.
Sur quelle information s’appuie-t-il pour prétendre que l’AKP ne sera jamais évincé du pouvoir ?
Sur quelle information appuie-t-il son allégation selon laquelle quiconque dit que l’AKP sera évincé du pouvoir est un putschiste ?
Les leaders de l’AKP ont-ils dit, « qu’ils ne seraient jamais évincés du pouvoir par un vote » et ont-ils convaincu le procureur de cela ?
De quoi parle-t-on ?
Quelqu’un devrait m’expliquer les raisons derrière les allégations dénuées de sens et infondées du procureur ?
Écoutez, je le dis à nouveau, ça n’est pas un crime de dire qu’un gouvernement politique sera évincé du pouvoir. Il est criminel de dire qu’il ne le sera pas.
Votre Honneur,
Après pas mal de jonglage, ce que le procureur présente dans cet acte d’accusation se résume à deux de mes phrases.
« L’AKP quittera le pouvoir. Et il sera jugé au tribunal. » Voilà les deux phrases.
On indique que j’ai dit : « L’AKP quittera le pouvoir et il sera jugé. »
C’est bien ce que je dis !
Ce sont deux possibilités légitimes et qui sont extraordinairement probables dans un Etat régi par le droit.
Pourriez-vous dire que ces deux possibilités légitimes ne se réaliseront jamais dans un Etat régi par le droit ?
Pourriez-vous dire que l’AKP ne quittera jamais le pouvoir et ne sera jamais convoqué devant un tribunal ?
Comment le fait d’exprimer deux possibilités extraordinairement probables et légitimes dans un Etat régi par le droit peut-il servir de preuve d’une « unité d’action » avec les putschistes ?
Ce que le procureur présente comme preuve, ce sont ces deux phrases.
Parce que j’ai dit : « l’AKP quittera le pouvoir et sera jugé par un tribunal », nous nous languissons en prison depuis des mois et sommes ici en jugement pour nos vies.
Voyez-vous à quel point en est le pays, le droit et la justice ?
Dorénavant, affirmer qu’un parti politique perdra le pouvoir est considéré comme la preuve d’une « unité d’action » avec des putschistes.
Le procureur nous accuse d’une « unité d’action » avec les putschistes. “Action” signifie acte, mouvement.
Comment deux phrases seulement peuvent-elles procurer une « unité d’action » ?
N’y a‑t-il dorénavant plus de différence entre les mots et les actes?
Le non-respect des lois et la tyrannie ont-ils atteint ce point ? Le fait de dire que l’AKP perdra le pouvoir est maintenant considéré comme « un acte de coup d’Etat » ?
Si de dire « L’AKP perdra le pouvoir » revient à commettre « un acte de coup d’Etat », que dire du bombardement du parlement ?
En sommes-nous à éliminer complètement les différences entre la phrase « l’AKP perdra le pouvoir » et l’acte de bombarder le parlement ?
Est-ce que de dire: « L’AKP partira » est un crime aussi lourd dorénavant que celui de bombarder le parlement ?
Selon le procureur, ça l’est.
Regardez dans quelle situation ce gouvernement a mis le pays. Pour eux, les mots sont égaux aux bombes.
Afin de souligner l’horreur de la situation, les dimensions de ce désordre, le désastre auquel est soumis l’appareil judiciaire, je répète à nouveau :
Mes phrases selon lesquelles « l’AKP perdra le pouvoir et passera en jugement » sont présentées à la fin de l’acte d’accusation comme preuve que nous avons participé à la tentative de coup d’Etat du 15 juillet, que nous étions en « unité d’action » avec les putschistes et que nous avons agi de concert avec les putschistes le 15 juillet.
Mes quatre mots en turc constituent cette preuve.
Parce que j’ai dit que l’AKP perdra le pouvoir, le procureur demande que nous soyons condamnés à perpétuité fois trois.
Ces trois condamnations à vie ne me suffisent pas. Laissez-moi le dire à nouveau et augmenter cette condamnation à six peines à perpétuité :
L’AKP perdra le pouvoir. Et il passera en jugement.
Par-dessus le marché, cela se produira probablement lors des prochaines élections. Les résultats du référendum sont déjà un signal dans cette direction.
Dans ce procès, qui est dorénavant complètement ridicule, qui a perdu son importance et sa crédibilité, nous avons l’exemple limpide d’un système judiciaire qui a abandonné son poids, et j’aimerais souligner encore une autre absurdité.
L’émission de télévision dans laquelle je suis apparu était animée par Nazlı Ilıcak et Mehmet Altan.
Parce que Ilıcak et Altan en étaient les hôtes, ils ont agi avec la plus grande des courtoisies et m’ont accordé tout le temps nécessaire pour parler. En conséquence, je suis celui qui a parlé le plus, durant presque toute l’émission.
En fait, presque quatre-vingt-dix pour cent de ce que le procureur cite dans l’acte d’accusation provient de ce que j’ai dit.
Il cite plus de quatre-vingt-dix pour cent des phrases en majuscules pour suggérer le contenu criminel de mes phrases.
La phrase brève que le procureur met de l’avant à titre de « preuve » est aussi la mienne.
Alors, puisqu’il est clair que j’ai fait ce discours et que j’ai dit ces phrases qui servent d’allégation pour mon crime, pourquoi Mehmet Altan a‑t-il été arrêté avec moi et jeté en prison ?
L’arrestation de Mehmet Altan ne concerne pas que lui. Son arrestation nous démontre la vérité sous-jacente de ce procès.
Maintenant, dans ce procès, il n’y a pas la moindre trace de preuve contre nous. Il ne peut pas y en avoir.
Il existe une “excuse” pour mon arrestation. Une courte phrase constituée de seulement quatre mots en turc.
Il n’y a pas de preuve contre moi, mais il y a une excuse.
Pour Mehmet Altan, il n’existe même pas d’excuse.
J’ai aussi lu attentivement les deux pages et demi que cet acte d’accusation lui consacre. L’une de ces deux pages et demi est au sujet de l’une de ses chroniques qui se termine pas les mots : « il n’existe pas de moyens hors l’Etat de droit et la démocratie. »
Il n’y a pas même une « excuse » dans ces deux pages et demi.
Nous avons déjà déclaré forfait sur la preuve présentée par ce système judiciaire effondré, nous sommes prêts à noter même une simple excuse, mais pour Mehmet Altan on ne peut même pas en trouver une.
Alors pourquoi Mehmet Altan a‑t-il été arrêté ?
Et qu’est-ce que cela nous démontre qu’il soit arrêté sans même un prétexte et qu’il soit en comparution pour sa vie ?
Cela nous démontre que nos arrestations n’ont rien à voir avec la preuve et les prétextes. Elles n’ont rien à voir avec la tentative de coup d’Etat.
Nous avons été arrêtés parce que nous avons critiqué l’AKP et ses politiques. Voilà pourquoi nous sommes en jugement pour nos vies.
L’AKP et ses procureurs se servent de la tentative de coup d’Etat du 15 juillet, qu’Erdoğan a qualifié de bénédiction de Dieu, comme d’une opportunité.
Non seulement en ce qui nous concerne, mais aussi pour tous ceux qui se sont opposés au gouvernement et qui sont jetés en prison pour des raisons absurdes.
Le but n’est pas seulement de nous faire taire. De toutes façons, il n’y a aucun média par lequel nos voix pourraient être entendues et nos opinions politiques exprimées.
Le but est d’effrayer et d’impressionner l’ensemble de la société au moyen de cette violence illégale et déraisonnable à notre encontre et à l’encontre d’autres comme nous.
Mais ils ont échoué dans l’atteinte de cet objectif.
Les résultats du référendum ont démontré à tout le monde qu’ils n’étaient pas parvenus à intimider la société.
Ils ont couvert la Turquie de honte aux yeux du monde entier avec ces procès honteux. Ils ont transformé ce pays immense en bouc émissaire.
Voilà leur seul résultat.
Votre Honneur,
Le procureur fait deux autres allégations dénuées de sens, sur lesquelles je souhaite dire un mot avec votre indulgence.
Alléguer que je suis un “putschiste” ne satisfait pas le procureur. Il allègue aussi que j’ai « été impliqué dans la désinformation en lien avec les activités visant à créer le chaos favorisant l’organisation terroriste du PKK » en disant que « des gens ont été tués à Cizre. »
Cette phrase est trop confuse, mais ne vous en faites pas. Cet homme est incapable d’écrire en turc.
Je vais la simplifier et vous expliquer ce qu’il tente de dire.
On prétend que j’ai œuvré en faveur du PKK parce que j’ai dit : « des gens ont été tués à Cizre. » On prétend que j’ai tenté de créer du chaos. On prétend que je suis impliqué dans des activités de désinformation.
En entendant ceci, vous pourriez croire que personne ne fut tué à Cizre.
Des gens ne furent-ils pas tués à Cizre? De vieilles femmes et des bébés n’ont-ils pas été abattus par balles ?
N’est-ce pas là la vérité ?
Pourquoi dire la vérité créerait-il du chaos ?
Pourquoi dire la vérité serait de la désinformation ?
La demande du procureur à notre endroit ne change jamais :
« Ne dites pas la vérité. »
Sa menace ne change jamais :
« Si vous dites la vérité, je vous jetterai en prison. »
Et voici ma réponse au procureur :
Je me moque complètement de votre prison. Je continuerai à dire la vérité. Vous devriez vous garder de faire des choses que vous craignez que d’autres ne répètent. Ne tuez pas des innocents, ne soyez pas corrompu, ne volez pas, et cessez vos injustices.
Toute ma vie, j’ai dit la vérité. Je ne vais pas cesser de le faire maintenant.
S’il existe quelqu’un qui s’attend à ce que j’aie peur de l’emprisonnement ou que l’idée de passer les quelques années qui me restent à vivre dans une prison puisse me terrifier, voici ce que je leur réponds :
Même pas un million d’années. Je ne suis pas le type d’homme que vous pouvez effrayer.
Je ne suis pas le type d’homme qui agira avec lâcheté et qui gaspillera les décennies qui sont derrière moi par égard pour les quelques années qui sont devant moi.
Permettez-moi de répéter cette phrase de Hüseyin Cahit, en la modifiant un peu afin de l’adapter à la situation actuelle :
Pour moi, être poursuivi dans un procès comme celui-ci et passer le reste de ma vie en prison est plus honorable que d’être le procureur qui a dressé l’acte d’accusation pour ce procès.
Le procureur dit que la chaine de télé Can-Erzincan, où j’ai participé à une émission au soir du 14 juillet ; a été fermé suite au décret d’urgence et que cette station opérait « en lien avec l’organisation terroriste ».
Que font ces allégations dans un acte d’accusation dressé contre moi ?
La chaine n’était-elle pas légale et légitime au moment où j’y suis apparu ?
De quelle logique s’agit-il ici ?
Comment la fermeture éventuelle d’une chaine de télévision peut-elle servir d’indicateur de notre culpabilité ?
Même ce seul exemple suffit à montrer comment la loi a été molestée.
Le procureur a une autre allégation que j’aime assez et je vais ajouter aussi que j’approche de la fin de ma plaidoirie.
Le procureur dit que j’ai défendu Mehmet Baransu dans mon discours à la télévision et « qu’en lien avec les objectifs de l’organisation, j’ai tenté de discréditer les enquêtes en faisant des commentaires selon lesquelles il n’y a pas de liberté d’expression dans notre pays. »
Une fois que l’on traduit l’écrit du procureur en turc correct, voici ce qu’il dit :
En lien avec “un objectif organisationnel,” on prétend que j’ai tenté de discréditer les enquêtes en disant qu’il n’y a pas de liberté d’expression.
Comme vous voyez, l’impudence ne connaît pas de limites…
Dans l’esprit du procureur, une personne dénuée d’un « objectif organisationnel » ne pourrait pas dire « il n’y a pas de liberté d’expression. »
Je me demande vraiment s’il croit ce qu’il dit. S’il croit vraiment tout ceci, nous avons peut-être devant nous un cas médical, plutôt qu’un cas juridique.
On prétend que j’aurais discrédité l’enquête en disant qu’il n’y a « pas de liberté de pensée. »
Permettez-moi d’abord d’apprendre la mauvaise nouvelle au procureur.
Votre enquête ne bénéficie d’aucun crédit. Ni en Turquie ni ailleurs dans le monde.
Et vous n’avez pas besoin de quelqu’un d’autre pour discréditer vos enquêtes. Vous faites le travail vous-même en écrivant un paquet de mensonges déguisées en acte d’accusation.
Vous êtes sans honneur.
Vous prétendez que de dire « il n’y a pas de liberté de pensée », constitue un crime.
Vous jetez 160 journalistes en prison, congédiez des milliers d’universitaires avec un seul décret, et vous vous retournez et nous dites « qu’il y a la liberté de pensée ». Vraiment ?
Il n’y a pas même un brin de liberté de pensée dans ce pays.
Tout ce que nous avons c’est un régime d’oppression qui est encore pire, encore plus ignoble qu’aux jours de la tutelle militaire.
S’il y avait de la liberté de pensée, serais-je en procès pour ma vie à cause de discours que j’ai prononcés et de chroniques que j’ai écrites ?
Mehmet Altan serait-il arrêté sans même un « prétexte » contre lui ?
Quelle liberté de pensée ?
Laquelle ?
Il ne reste aucune liberté dans ce pays, sauf pour la liberté du procureur de raconter des mensonges.
Je ne suis pas supposé dire « il n’y a pas de liberté de pensée. »
Tant qu’à y être, notre Monsieur le procureur devrait aussi interdire la mention du fait que la Terre tourne sur elle-même.
Ce procureur a surpassé les procureurs de l’Inquisition. Il est hostile à toutes sortes de vérité.
Votre Honneur, il n’y a pas de liberté de pensée dans ce pays.
Même le fait que je sois poursuivi devant ce tribunal est une preuve suffisante qu’il n’y a pas de liberté de pensée.
Plus de160 journalistes de toutes tendances – gauchistes, kurdes, libéraux, kémalistes, nationalistes, conservateurs – sont en prison aujourd’hui.
Quel est le trait commun entre tous ces gens aux points de vue aussi différents ?
Ils s’opposent tous à l’AKP.
Ce simple fait démontre par lui-même dans quel Etat se trouve présentement la liberté d’expression et l’Etat de droit dans ce pays.
Le monde entier le constate.
Le procureur qui prétend qu’il y a liberté de pensée en Turquie a aussi inclus trois de mes chroniques dans l’acte m’accusant de putschisme.
Il y a liberté de pensée, mais des chroniques journalistiques équivalent à du putschisme.
Est-ce que vous n’adorez pas cette version de la liberté de pensée !
Dans une chronique intitulée « La peur absolue », j’ai dit qu’Erdoğan désobéissait à la constitution et violait toutes sortes de lois. Qu’il était un dictateur qui mettait sous son contrôle le législatif, l’exécutif et le judiciaire et qu’il approchait du terme de sa vie politique.
Voici ce que j’ai écrit: « Je pense que nous regardons l’acte final d’une mauvaise pièce de théâtre. Nous avons payé le prix fort mais il est quand même bon de savoir que cela se terminera bientôt. »
Je suis complètement d’accord avec moi-même.
Erdoğan a violé la constitution en se déclarant président de facto [avec les pouvoirs d’un système présidentiel] et en disant qu’il ne reconnaissait pas les décisions de la cour constitutionnelle.
Il est aussi celui qui a parlé de regrouper tous les pouvoirs dans une seule main. On appelle dictateur un politicien qui regroupe tous les pouvoirs en une seule main.
Oui, nous approchons de la fin d’une mauvaise pièce de théâtre. Oui, nous avons payé le prix fort. Oui, cela se terminera bientôt.
Aux premières élections, Erdoğan perdra probablement le pouvoir.
Le référendum le suggérait.
Pourquoi cela serait-il du “putschisme” de dire ces choses ?
Pourquoi un procureur voudrait-il mettre sur le même pied une critique d’Erdoğan – l’affirmation qu’il perdra le pouvoir – et le putschisme ?
De quelle autorité tente-t-il de nous empêcher de critiquer un politicien ?
Quelle est l’explication juridique derrière la mise sur le même pied de la critique d’un politicien et du putschisme ?
Il n’existe aucune explication juridique de la sorte.
Dans ma chronique intitulée : « Battre à plate couture», j’ai dit qu’Erdoğan voulait la guerre civile et j’ai poursuivi : « Lorsque les murs de son palais tomberont sous le feu de l’artillerie il comprendra ce qu’est la guerre civile, mais il sera trop tard. »
Un éditorialiste a rapporté qu’Erdoğan avait dit à un ancien bureaucrate : « Que la guerre civile éclate. Nous les battrons tous à plate couture. » Le bureaucrate lui-même avait rapporté cette conversation à l’auteur. Ces propos ne furent jamais niés. De toute évidence, Erdoğan l’avait bien dit.
Comment un président peut-il souhaiter la guerre civile dans son pays ? Comment peut-il dire : « que la guerre civile éclate » ?
La guerre civile est terrifiante.
Personne ne peut dire, « que la guerre civile éclate » dans ce pays.
La critique n’est pas un crime, mais une telle parole devrait l’être.
Bien sûr que je l’ai critiquée.
J’ai écrit au sujet de la terreur que cela représenterait.
Nous en avons eu un aperçu le 15 juillet.
Le palais d’Erdoğan ne fut pas bombardé mais le parlement le fut.
N’avez-vous pas vu quelle chose terrifiante c’était ?
Comment dire : « Je ne souhaite pas une guerre civile » serait un crime ?
Quelqu’un dit: « que la guerre civile éclate ». Et je réponds : « ne dites pas une chose pareille, la guerre civile est une chose terrifiante. »
Et d’après le procureur, je suis celui qui commet un crime.
Devrais-je dire aussi, « Que la guerre civile éclate » afin de faire plaisir au procureur ?
Quelle sorte d’accusation est-ce là ?
Ce procureur a‑t-il perdu la raison ?
On dit que ma chronique a coïncidé avec les menaces d’un certain Osman Özsoy contre Erdoğan. Je n’ai pas très bien compris ce qu’il racontait dans son turc confus, mais je suppose que c’est ce qu’il tentait de dire.
Je ne sais pas qui est Osman Özsoy.
Je n’ai aucune idée s’il a menacé ou pas Erdoğan.
Mais comment puis-je être accusé pour les mots de quelqu’un d’autre ?
Notre procureur s’envole comme un cerf-volant échappé. Il allègue que quelqu’un a dit quelque chose et il l’inclut dans un acte d’accusation contre moi.
Utilisant des mots prétendument prononcés par quelqu’un dont je n’ai jamais entendu parler, il tente de prouver que je suis coupable.
Je ne menace pas Erdoğan, je l’avertis. Je lui dis de ne pas souhaiter une guerre civile.
Je dis la même chose aujourd’hui.
La guerre civile est terrifiante ?
Est-ce un crime de le dire ?
Ma troisième chronique s’intitule “Montezuma”.
Je suis supposé avoir dit qu’Erdoğan était l’otage des nationalistes qui veulent ré-instaurer la tutelle militaire.
Oui, je l’ai dit.
Je le dis aussi aujourd’hui.
Les nationalistes eux-mêmes ont dit qu’ils façonnaient la politique d’Erdoğan envers la Russie et la Syrie et qu’ils servaient d’intermédiaires.
En quoi le fait de le signaler a‑t-il quelque chose à voir avec le putschisme ?
Le procureur aboutit toujours à la même conclusion.
Il dit: « critiquer Erdoğan c’est du putschisme »
Et je dis: « Non ».
Critiquer un politicien n’est pas du putschisme. Erdoğan est un politicien – un politicien qui a commis beaucoup trop d’erreurs dans ces cinq dernières années.
Évidemment qu’il sera critiqué.
En raison de ces mauvaises politiques, le pays s’effondre devant nos yeux.
Que pourrions-nous critiquer si nous ne critiquons pas cela ?
Le procureur n’agit pas comme un procureur.
Il agit comme un porte-parole pour la censure. Il outrepasse son autorité en endossant le rôle de l’applicateur de la loi d’un politicien et en menaçant tout le monde.
Voilà le résumé de cet acte d’accusation et de tous les mensonges qu’il contient.
Voilà les réponses que je donne aux accusations mensongères dans cet acte.
Le seul but de cet acte mensonger, qui échoue à nous présenter la moindre trace de preuve, c’est d’effrayer le peuple et de le faire taire.
Dans aucune démocratie parvenue à maturité on ne peut jeter des gens en prison et leur faire un procès sur de telles accusations.
C’est la honte de ce pays et de son système judiciaire que nous ayons été jetés en prison et soumis à un procès pour nos pensées et nos critiques.
Je n’ai pas confiance dans le système judiciaire actuel – un système qui arrête les gens sans motif et les juge sur des actes d’accusation mensongers.
Conséquemment, je n’ai aucune requête à formuler.
Votre décision n’aura rien à voir avec moi.
Dans l’un de ses romans, John Fowles dit que tous les juges au monde sont jugés par leurs propres décisions.
C’est vrai.
Tous les juges sont jugés par leurs propres décisions.
Vous aussi, vous serez jugé par vos propres décisions.
Quelle que soit la manière dont vous souhaiteriez être jugé, quel que soit le verdict que vous voudriez pour vous-même, de quelque manière dont vous souhaiteriez qu’on se souvienne de vous, jugez en conséquence.
Parce que vous êtes celui qui sera jugé.
Merci pour votre temps et votre patience.
Ahmet Altan, 19 juin 2017
Traduction par Renée Lucie Bourges
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Plaidoirie préparée depuis la prison de Silivri par Ahmet Altan, avant d’être imprimée en turc et en anglais pas l’organisation P24. La plaidoirie n’aura été lue devant les juges qu’au 4e jour de la première audience du procès, soit le 22 juin 2017.
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