Le livre des réfugiéEs LGBTI, ou en turc, Mülteci LGBTİ’ler kitabı, qui est un livre de témoignages et de constats sur les réfugiés LGBTI en Turquie, est paru au moment de la “Semaine des fiertés” de 2016.
Nous publions cet article aujourd’hui, car les interdictions et interventions menées contre les marches qui ponctuent la Semaine des fiertés en Turquie occupent encore une fois l’actualité. Et comme nous l’écrivions dans un article qui présentait le livre de Perihan Mağden, Ali et Ramazan : Bien qu’en Turquie l’homosexualité ne soit pas “criminalisée”, l’évolution bigote du régime et l’islamisme politique tentent de reléguer les LGBTI aux marges. En témoigne l’interdiction depuis plusieurs années de la Marche des Fiertés d’Istanbul, tout comme les traitements dégradants infligés aux LGBTI en prison. Les viols et assassinats de trans, agressions et meurtres des homosexuels, sont aussi en constante augmentation, au même rythme que les violences faites aux femmes suivies de meurtres.”
Dans cette escalade de violence et face aux discriminations, les réfugiéEs LGBTI prennent largement leur part. Ce livre, témoignant de la réalité sur le terrain, est paru en 2016 en trois langues, Turc, Arabe et Kurde. Le livre sera traduit également en anglais et en perse. Nous pensons que sa traduction vers le français serait également intéressante et nécessaire…
Kedistan prend donc l’initiative de faire appel aux traductrices et traducteurs qui serait partantEs pour contribuer à ce projet qui s’est concrétisé déjà en trois langues, et qui est le fruit d’un travail collectif de l’association Hêvî LGBT. Si vous êtes interesséE, contactez-nous, nous vous mettrons en liaison avec l’association.
Le livre débute par une citation de Mourid Barghouti, poète et écrivain palestinien : “Pour être arraché de ses racines sans cesse, il suffit d’en avoir été arraché une fois”. Il définit juridiquement les termes de réfugié, migrant et hôte, expose les problèmes que les réfugiéEs de toutes provenances, vivent en Turquie. Des personnes LGBTI, venues de Syrie, d’Iran, d’Egypte, de l’Arabie Saoudite racontent leur parcours et expériences. Les témoignages sont multiples, ceux des LGBTI qui ont côtoyé pour une période, Daesh, celles et ceux qui ont quitté leur pays avant même le début de la guerre pour fuir l’oppression de leur propre famille, ou encore l’histoire des avocates trans, qui ont été arrêtées et torturées en Egypte, pour avoir participé à des manifestations…
Hêvî LGBTI, multi-cultures et multi-couleurs
Hêvî LGBTI est une jeune association, elle fut fondée courant septembre 2015. Au moment de la parution du livre, une des fondatrices et bénévoles Müzeyyen Araç, et Can Kaya militant et personne LGBTI, ainsi que Ramtin Zigorat, un membre réfugié LGBTI et activiste, parlaient de l’association, du livre et des conditions des réfugiéEs LGBTI. Voici leurs propos.
Müzeyyen : L’association fut fondée en septembre 2015. Hêvî LGBTI adopte une politique pro-kurde. Depuis le début, nous travaillons sur et avec les réfugiéEs. Mais aussi, nous avons des travaux sur les détenues, handicapéEs LGBTI. Nous avons mené et poursuivons plusieurs projets, dont un dictionnaire en Kurde des termes concernant la sexualité. Mais notre activité prend place majoritairement dans la rue.
Can : Dans les lignes générales, nous avons une activité sur les droits des LGBTI. Mais nous travaillons particulièrement sur les populations LGBTI discriminées, du fait d’être considérées comme minorités, dont les réfugiéEs, handicapéEs, et divers groupes ethniques et culturels. En effet nous donnons beaucoup d’importance à la rue et nous essayons de rendre plus visible, l’activisme de rue.
Les réfugiéEs ne sont pas des problèmes, mais des conséquences.
Müzeyyen : Nous avons établi des rapports. Ce livre est né d’un besoin, celui de rendre visibles nos constats. Nous avons travaillé neuf mois et transformé nos observations en format livre. Un des aspects parmi les plus importants de ce livre, est le fait qu’il soit édité en trois langues, et peut être d’autres.
Can : Nous ne considérons pas les réfugiéEs comme un problème mais comme une conséquence. Le monde traverse une période très sauvage. Le Moyen-Orient est particulièrement frappé. Pour celles et ceux qui quittent leurs terres natales, depuis des années, à cause de l’homophobie, de la transphobie, de la discrimination, des assassinat de haine, la guerre a accéléré les choses. Comme les réfugiéEs sont des conséquences de la guerre, les personnes LGBTI ont aussi pris place dans les populations affectées, hélas, peut être dans les plus affectées. Au début, nous n’avions pas ce projet de livre. Mais nous avons entendu, nos amiEs qui venaient nous voir, s’exprimer “Je travaille mais cela fait des mois que je ne suis pas payéE”, “je ne trouve pas de travail”, “j’ai été violéE”, “je suis venuE ici, mais je ne veux pas travailler comme travailleur/se de sexe, mais je n’ai pas où dormir”… Nous nous sommes trouvéEs face à des centaines de problèmes différents. C’est comme ça que le Livre des RefugiéEs LBGTI a commencé à voir le jour.
Les réfugiéEs LGBTI ne veulent pas rester en Turquie
Can : La plupart des réfugiéEs qui viennent en Turquie, ne veulent pas rester ici. La seule raison qui les amène en Turquie, c’est qu’ils/elles considèrent le pays, comme un lieu de transit, sur le parcours.
Müzeyyen : La Turquie apparait comme un pays plus tranquille pour les LGBTI. Ils/elles expriment être venuEs pour cette raison. Dans leur pays, ils/elles sont obligéEs de vivre dans le secret. Mais ici, non seulement ils/elles doivent également vivre dans la discrétion, ils/elles sont victimes de viols, exploitation, et persécutéEs. AucunE des LGBTI que nous avons rencontréEs, ne veut s’installer définitivement en Turquie. CertainEs disent “Je préférerais aller à la guerre en Syrie, que de rester ici.”
Can : De loin, la Turquie parait comme un pays séculaire. Peut être avant, c’était un peu le cas, mais aujourd’hui, cela n’a plus de sens. Je dis cela en tant que musulman. On parle d’une religion de paix, mais aucunE réfugiéE ne veut rester dans les pays musulmans, y compris la Turquie. La Turquie est juste le premier pays où ils/elles se jettent pour fuir.
En tant que militantEs LGBTI, nous ne nous sentons pas en sécurité, nous ne savons pas comment aider nos amiEs réfugiées, qui ne parlent pas la langue, qui traversent des complications juridiques… Nous nous sentons désemparéEs. Je pense que cela va s’accroître.
Personne ne se préoccupe d’eux/elles, ne comprend ce qu’ils/elles endurent, ni ils/elles ne tiennent pas spécialement à un pays précis. L’être humain, par sa nature, désire vivre dans un endroit où il se sent en sécurité. Que peut-ils avoir de plus naturel, que celles et ceux qui fuient la guerre, désirent également cela ?
Nous fuyons l’enfer, mais ici c’est pareil
Müzeyyen : Il y a aussi une question de repères. Les réfugiéEs LGBTI, ici, ne connaissant pas les risques, selon les différents lieux, espaces, milieux. Dans leur propre pays, même si la vie doit rester secrète, ils/elles connaissent les repères. Ici, ils/elles ne savent pas, ce qu’il faut dire, comment se comporter, dans quel endroit… C’est compliqué.
Ramtin : En effet quand on regarde de loin, on a l’impression de quitter l’enfer, et d’arriver au paradis. Mais en arrivant ici, nous voyons qu’il n’y a rien qui change. Là-bas, tu es au moins dans ton pays, ici, en plus tu est unE etrangerE. Ici, quasi toujours, quand une personne attaque, menace, viole, vole unE réfugiées LGBTI, c’est c’est la victime qui est accuséE et non l’agresseur. Si unE réfugiéE travaille dans le secteur du sexe, par survie, si il/elle est assassinéE, c’est sa faute…
Müzeyyen : Pour qu’une personne LGBTI subisse ce genre de choses, elle n’est pas obligée d’être réfugiée. Pour les réfugiéEs c’est un cran au dessus, c’est tout. Par exemple, si unE réfugiée qui a été victime d’un vol se rend au commissariat, il/elle sera accueilliE avec la pensée “C’est unE refugiéE, donc il/elle ne pourra pas chercher son droit” et aucun résultat n’est obtenu…
Ramtin : Nous avions une amie trans, menacée de mort. On lui disait “On va te tuer, tu n’est pas syrien, si tu l’étais tu ne serais pas pédé !” Nous avons enregistré ces propos et nous nous sommes présentés au commissariat. Cela n’a rien donné. Moi-même, je me suis fait voler mon porte-feuilles et mon téléphone portable et quand je suis allé au commissariat, le policier m’a dit “Pourquoi donc tu es venu ici ? tu n’avais qu’à vivre dans ton pays !”. Ce n’est pas facile.
Les LGBTI peuvent solliciter le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
Müzeyyen : Si une personne LGBTI est sous statut de réfugié, elle peut faire une requête auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), pour passer à un troisième pays. Mais en général, les syrienNEs ont le statut de “protection provisoire”, et ne peuvent pas solliciter le HCR. Nous souhaitons plus que tout, communiquer cette information. Pour cela, nous avons réservé beaucoup de place dans le livre. Les LGBTI syrienNEs sont considérés comme “public fragile” et peuvent aller au HCR. Mais l’article de loi qui stipule ce droit est très flou et non détaillé. Comme les détails ne sont pas connus, certaines personnes que nous informons, sont toutes étonnées de découvrir qu’elles ont ce droit. La différence entre le statut de “RéfugiéE” et le statut de “protection provisoire” est important et les personnes doivent être informées.
Can : Les personnes âgées, les enfants, les malades et les femmes victime de violences, sont dans ce groupe “sensible”. Les LGBTI aussi. Mais les LGBTI ne le savent pas. Dans la loi concernant “la protection provisoire”, les LGBTI ne sont pas citéEs. Mais nous prenons base ce que les Nations Unies disent, car cette loi turque qui légifère sur la “protection provisoire”, y prend ses bases également. Alors nous informons les intéresséEs.
(Pour lire la “Note d’orientation du HCR sur les demandes de reconnaissance du statut de réfugié relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre” suivez ce lien.)
Les SyrienNEs sont vu comme des otages, pour faire peur à l’UE. “Ne nous fâchez-pas, on vous les larguera !”. C’est la politique menée sur le dos des réfugiéEs. Tout cela est lié aux politiques des pays. Et pas seulement celles de la Turquie, car tous les pays européens, obtiennent du profit sur le dos des RéfugiéEs.
Ramtin : Pour les LGBTI iranienNEs, le délai de demande de passage à un troisième pays, a été prolongé. Pourquoi les Nations Unies rallongent-elles ce délai, de 1,5 an à 3,5 ans ? C’est un grand problème. Ils/elles viennent ici, pour fuir l’oppression de l’Etat et familiale. Ils/elles viennent pour ne pas mourir, et se retrouvent devant beaucoup de difficultés.
Et le psychisme dans tout cela ?
La plupart des associations LGBTI font des travaux sur le soutien psychologique. La santé physique des réfugiEs est assurée par l’Etat turc, mais la suffisance est discutable. Autrement dit, ils/elles entrent dans le cadre de la Sécurité Sociale, mais quand ils/elles se rendent à l’hôpital, personne ne parlant leur langue, ils/elles ne peuvent pas s’exprimer. C’est déjà une discrimination, mais ils/elles sont discriminéEs par d’autres façons.
Ramtin : Si tu es à Istanbul, on t’oriente vers un psy, mais le problème de langue perdure. Pour les arabes, on peut trouver des traducteurs plus facilement, mais pour les iranienNEs, c’est impossible. Et cette possibilité n’est valable qu’à Istanbul et Ankara.
CertainEs amiEs sont obligéEs d’aller à Ankara, à partir d’autres villes. Mais cela nécessite de l’argent. Les maladies les plus lourdes ne sont pas prises en charge par la sécurité sociale.
Can : Au Hêvî LGBTI, nous pouvons apporter de l’aide juridique et pour la santé, mais pour des cas qui nécessitent du soutien psychologique, nous communiquons avec l’association Lambda. Entre nous, nous avons des amiEs médecins, qui se sont organiséEs, grâce à leur présence et solidarité, nous pouvons faire en sorte que les réfugiéEs LGBTI puissent au moins, atteindre des médecins qui ne sont pas homophobes, transphobes…
Un toit, un travail, les plus importants
Müzeyyen : Les réfugiéEs primo arrivantEs, sont la plupart de temps, obligéEs de vivre à 10 dans un logement. La présence d’une personne LGBTI, dans ce grand groupe, crée souvent d’autres problèmes. Ensuite, s’ils/elles trouvent du travail, ils/elles peuvent louer un logement, à deux, ou à trois.
Mais la difficulté ne se termine pas, en trouvant un travail. Ils/elles ne peuvent pas toujours recevoir le prix de leur travail fourni. Encore une fois, pour les personnes LGBTI, c’est encore plus compliqué.
S’il n’existe pas d’accueil dans les grandes villes comme Istanbul, Izmir, Ankara, ils/elles sont envoyéEs alors, à la province. Dans les villes de province, la discrimination, l’homophobie, la transphobie sont encore plus forts que dans les grand villes.
Can : Pour les candidatures de travail, il faut d’abord attendre 6 mois. Ils/elles peuvent commencer les démarches pour un permis de travail seulement après, et l’attente est longue. Ils/elles peuvent travailler “officiellement” au bout de deux ans, voire trois ans. Et comme ils/elles ne peuvent pas vivre grâce à la “photosynthèse”, ils/elles sont obligéEs de travailler au noir. Pour faire court, toutEs les réfugiéEs qui travaillent au noir, sont exploitéEs et leurs droits bafoués, parce qu’ils/elles ne peuvent pas se plaindre.
Par exemple moi, je suis un homosexuel du Kurdistan, je suis de Van, mais j’ai fui ma ville et je me suis réfugié ici, à Istanbul. En vérité moi aussi, je suis un réfugié. Vous pouvez me considérer tel quel. Moi aussi, je suis ici, car je pensais avoir des conditions de vie plus correctes. Quand il y a des problèmes dans ton propre pays, quand tu observes que les autres refugiéEs dans des villes dortoirs de campagne, tu as l’impression que tu les abandonnes. Dans ces endroits, l’homophobie est extrêmement forte. Il n’y a pas de sens, à fuir la pluie pour se retrouver sous la grêle.
Ramtin : Le “propriétaire” du logement d’un de nos amis, après avoir appris qu’il est LGBTI, a sonné à la porte à 23h. “Ma maison n’est pas une maison de pédé. Dans deux heures, vous quitterez cette maison”. Les locataires ont été jetés à la rue avec leurs valises. Nous avons une amie lesbienne, maman d’un enfant, elle vient d’Iran. En arrivant, elle avait trouvé un travail. Mais quand son patron a appris qu’elle est lesbienne, il l’a virée sur le champs. Elle a eu une crise cardiaque, elle est restée deux jours à l’hôpital. De toutes façons les réfugiées LGBTI, vivent dans les logements qu’ils/elles ont trouvés, continuellement dans la peur. A Denizli, 13 hommes ont violé un LGBTI. Ils l’ont battu et volé ses affaires… mais ils n’ont pris aucune peine de justice.
Alors, si nous n’ignorons pas que le “discours d’humanité” tenu par les instances européennes a toujours en permanence son versant sécuritaire, (lorsqu’il ne devient pas purement et simplement un discours xénophobe pour certains états), nous pensons toutefois que dans ce grand marchandage qui sert de politique européenne en “matière de migrants”, des traités internationaux signés par les uns et les autres, doivent s’appliquer, concernant les LGBTI. Traduire ce livre/rapport dans des langues supplémentaires serait une façon de faire progresser ce combat là, et d’y donner une visibilité francophone, entre autres…
Pour commander le livre contactez Hêvi LGBT : www.hevilgbti.org | Facebook | Twitter @HeviLgbt Kamer Hatun Mahallesi, Hamalbaşı caddesi No:14/5 - 34435 Istanbul Tél. 00 (90) 212 293 50 85