Le roman de Per­i­han Mağ­den,“Ali et Ramazan”, paru en turc en 2010, nous trans­porte dans l’u­nivers de deux très jeunes garçons homo­sex­uels, Ali et Ramazan, tous deux rejetés et discriminés.

Ce livre paraî­tra le 12 sep­tem­bre, chez publie.net, dans une nou­velle édi­tion revue et cor­rigée, post­facée par sa tra­duc­trice Canan Maraşlıgil. Il est pos­si­ble de le réserv­er, dès aujour­d’hui, en suiv­ant ce lien

Ali et Ramazan sont deux enfants. Ils sont orphe­lins. Leur ren­con­tre se fait dans la cour empier­rée d’un orphe­li­nat d’Istanbul. Ils tombent amoureux. De leur nais­sance jusqu’à leurs dix-huit ans, ils vivent à la rue. Du ser­vice mil­i­taire au chô­mage, Ali et Ramazan ten­tent de sur­vivre dans cette ville qui leur est cru­elle. Leur vie fut courte. Ils meurent trag­ique­ment. Tout ce qu’il nous reste de ces deux garçons, ce sont des coupures de jour­naux que Per­i­han Mağ­den ravive. À tra­vers les pages de ce court roman, à coups de phras­es brèves, de ponc­tu­a­tion décon­cer­tante et d’émotion, sans jamais tomber dans le sen­ti­men­tal­isme, Mağ­den redonne vie à ces enfants de “la page trois”.

Et le génie de Per­i­han Mağ­den est de racon­ter ces vies, par­fois trop cour­tes, comme c’est le cas pour Ali et Ramazan, sans pathos ni clichés. Per­i­han Mağ­den nous mon­tre l’humain, et non la vic­time. Elle ne veut pas que l’on pleure sur le sort de ses per­son­nages, elle nous pousse à nous sou­venir que nous sommes avant tout humains.

Ali et Ramazan se ren­con­trent dans un orphe­li­nat d’Is­tan­bul et tout sim­ple­ment, s’ai­ment. Leur his­toire de vie et d’amour pren­dra fin le 18 décem­bre 1992, comme décrit dans les colonnes de la troisième page du jour­nal Hür­riyet, sous le titre “Déra­page de nuit : deux morts”,  déra­page,  nuit de débauche, per­ver­sité, les mots abjects du fait divers et de l’homophobie…

L’au­teure a pris donc con­nais­sance de l’his­toire trag­ique d’Ali et Ramazan, en 1992, à tra­vers des arti­cles parus dans les médias et, frap­pée par la façon homo­phobe, dis­crim­i­na­toire et méprisante dont cette “infor­ma­tion” a été traitée, elle s’est don­née le devoir d’écrire le roman “Ali et Ramazan” inspiré de leur véri­ta­ble histoire.

Le livre s’ou­vre, dès la pre­mière page, sur les arti­cles annonçant la mort de Ramazan et d’Ali. Ramazan, fuit la mai­son d’un homme qu’il a tué, en s’ac­crochant à des câbles, tombe du six­ième étage, et meurt… Quant à Ali, il se pend dans un chantier de construction.

Per­i­han Mağ­den, s’ex­prime dans un reportage de 2010 :

ali et ramazan

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J’avais vu ces “nou­velles” dans les jour­naux en 1992. J’avais été très affec­tée et depuis, je les avais en tête. Je ne pos­sé­dais pas les coupures en ques­tion. Trois, qua­tre ans plus tard, j’en ai par­lé à un ami, je lui ai pro­posé d’en faire un film. Nous sommes donc allés fouiller les archives de Hür­riyet, et nous avons trou­vé les arti­cles. J’ai d’abord écrit, en me bas­ant sur des pho­to­copies, un texte de syn­op­sis de trois pages. Ensuite, le pro­jet de film fut annulé et des années se sont écoulées. J’ai aban­don­né mes chroniques en me dis­ant “Je vais écrire un livre !”. Je voulais écrire quelque chose qui réu­nit les Meurtres d’en­fants mes­sagers, mon livre précé­dent, avec la thé­ma­tique gay, mais quelque chose de joyeux, drôle, quelque chose qui ne vom­isse pas le sang.

Mon ami Bar­baros Altuğ m’a empêchée de le faire. Je lui avait par­lé d’Ali et de Ramazan. Il me dis­ait, “tu dois l’écrire !” Je n’ar­rivais pas sor­tir cette his­toire de ma tête. C’é­tait comme une dette. Ramazan et Ali me pour­suiv­aient depuis 1992.

Une grande par­tie du roman est de la fic­tion, car les jour­naux ne par­laient que de la mort des deux jeunes, en 30, 40 lignes à peine… Nous ne con­nais­sions pas leur passé. Nous savions juste que Ali était né à Saman­dağ à Hatay. Sur Ramazan, il n’y avait rien… Zéro ! Il était seule­ment noté “depuis leur enfance, dans l’or­phe­li­nat, ils ont subi des vio­ls”. Mais par qui ? J’ai donc crée le per­son­nage du Directeur. Qui peut vio­l­er un enfant, dans un orphe­li­nat ? Le jour­nal rap­por­tait que Ramazan avait tué “un com­pos­i­teur de musique turque”, mais nous ne con­nais­sions pas les détails sur cette per­son­ne. Nous ne con­nais­sions pas l’homme, mais nous savions qu’il avait une femme et un enfant. J’ai imag­iné donc, son car­ac­tère, sa maison…

A pro­pos d’Ali, je me suis demandée, pourquoi un enfant de Hatay, fini­rait à l’or­phe­li­nat ? J’ai imag­iné une grande souf­france familiale…

Sur la cou­ver­ture du livre (en turc), la pho­to est celle de Ramazan. Per­i­han nous apprend qu’il s’ag­it d’une pho­to prise par la police pour les reg­istres. “La mar­que de mégot éteint sur sa nuque était entourée de rouge”, souligne-t-elle et elle ajoute, “Ramazan avait subi des tor­tures, lors d’une garde-à-vue aléa­toire ciblant les enfants de rues. Com­ment peut-on être si beau sur une pho­to de police ?”

 

Notons que le TEDA, “pro­gramme de dif­fu­sion et de pro­mo­tion de la lit­téra­ture turque à l’étranger”, mis en place par le Min­istère de la Cul­ture et du Tourisme de Turquie, et des­tiné aux maisons d’éditions instal­lées à l’étranger souhai­tant pub­li­er des oeu­vres cul­turelles, lit­téraires, artis­tiques Turques en langue étrangère, qui a soutenu la pub­li­ca­tion de 17 précé­dents livres de Mer­i­han Mağ­den à l’é­tranger, a refusé cette fois son aide aux édi­tions alle­man­des Suhrkamp, pour Ali et Ramazan. Ce sujet a été égale­ment porté à l’Assem­blée Nationale turque.

Bien qu’en Turquie l’ho­mo­sex­u­al­ité ne soit pas “crim­i­nal­isée”, l’évo­lu­tion big­ote du régime et l’is­lamisme poli­tique ten­tent de reléguer les LGBTI aux marges. En témoigne l’in­ter­dic­tion depuis plusieurs années de la Marche des Fiertés d’Is­tan­bul, tout comme les traite­ments dégradants infligés aux LGBTI en prison. Les vio­ls et assas­si­nats de trans, agres­sions et meurtres des homo­sex­uels, sont aus­si en con­stante aug­men­ta­tion, au même rythme que les vio­lences faites aux femmes suiv­ies de meurtres.

Le mou­ve­ment LGBTI turc tente de résis­ter à l’or­dre moral du régime et de faire val­oir ses droits. Il se retrou­ve de fait aux côtés de l’op­po­si­tion démoc­ra­tique, et en tant que minorité par­le lui-même d’être par­tie prenante de lutte des classes.

Ce n’est pas par hasard que dans le roman de Per­i­han, cette cita­tion de Raoul Vaneigem appa­raît à la pre­mière page :

Ceux qui par­lent de la révo­lu­tion et de lutte de class­es sans se référ­er explicite­ment à la vie quo­ti­di­enne, sans com­pren­dre ce qu’il y a de sub­ver­sif dans l’amour et de posi­tif dans le refus des con­traintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre.


Perihan MağdenPerihan Mağden

Née le 24 août 1960 à Istan­bul, Per­i­han Mağ­den est auteure, chroniqueuse, et objec­trice de con­science. Elle est mère d’un enfant.

Elle a fait sa sco­lar­ité au col­lège anglais et au Lycée Robert, et a étudié la psy­cholo­gie à l’U­ni­ver­sité du Bospho­re. Après ses études, Per­i­han, a sil­lon­né l’Asie pen­dant deux ans, et à son retour à Istan­bul, elle a tra­vail­lé pen­dant une péri­ode, dans la pub­lic­ité. Entre 1997 et 2005, elle a pub­lié des chroniques dans le jour­nal Radikal, en 2006 dans la revue Yeni Aktüel. Cette année, un arti­cle inti­t­ulé “L’ob­jec­tion de con­science est un droit humain” pub­lié dans Yeni Aktüel, à valu à l’au­teure, un procès, pour “avoir dis­suadé le peu­ple du devoir mil­i­taire, par voix de presse”, avec une deman­de­pour elle de 3 ans de prison. Per­i­han a été acquit­tée. Ensuite, en 2007, elle est retournée à ses chroniques dans Radikal, jusqu’en févri­er 2009.

Elle a aus­si rédigé des chroniques, dans le jour­nal Taraf  pen­dant trois mois, de novem­bre 2011 à fin jan­vi­er 2012, et, suite à l’ou­ver­ture d’un procès à son encon­tre, pour deux de ses arti­cles, pour “insulte” à Tayyip Erdoğan, alors Pre­mier Min­istre, elle a cessé ses activ­ités de chroniqueuse.
Elle écrit depuis août 2015 dans le mag­a­zine Nok­ta.

Per­i­han Mağ­den a écrit plusieurs livres, dont des romans, poèmes et essais. Tous ces romans on été traduits dans de nom­breuses langues et ont été pub­liés dans les pays européens, au Brésil, en Russie…

Son livre İki Genç Kızın Romanı (Le roman de deux jeunes filles) a été le sujet d’un film, et celui-ci a reçu en 2005, de nom­breux prix au Fes­ti­val du film “Altın Por­takal Film Fes­ti­vali” à Antalya.

En 2008, le prix de la “Lib­erté d’opin­ion et d’ex­pres­sion” de Türkiye Yayıncılar Bir­liği (Union des édi­teurs de Turquie) lui a été décerné.

En 2014, Ali et Ramazan a été adap­té au théâtre par Onur Karaoğlu, İbrahim Halaçoğlu, et joué au Stu­dio 4 Istan­bul, dirigé par Onur Karaoğlu.

| ROMANS | Haberci Çocuk Cinayetleri (Meurtres d’enfants messagers), Refakatçi (L’accompagnateur), İki Genç Kızın Romanı (Le roman de deux jeunes filles), Biz Kimden Kaçıyorduk Anne (A qui échappons nous, maman ?), Ali ile Ramazan (Ali et Ramazan), Yıldız Yaralanması (Blessure de Star). | POESIE | Mutfak Kazaları (Accidents de cuisine) | ESSAIS | Politik Yazılar (Textes politiques ), Hiç Bunları Kendine Dert Etmeye Değer mi ? (Cela vaut-il de t’en faire ?), Kapı Açık Arkanı Dön ve Çık! (La porte est ouverte, tourne le dos et sors), Fakat Ne Yazık ki Sokak Boştu (Mais malheureusement la rue était déserte), Herkes Seni Söylüyor Sahi Mutsuz musun? (Tout le monde parle de toi. Es-tu vraiment malheureux-se ?), Dünya İşleri (Les affaires du monde), Topladım Dağılan Kalbimin Herrr Köşesini (J’ai récupéré touuutes les pièces de mon coeur), Korkma Bu Akşam Gelip Çalmam Kapını (N’ai pas peur, je ne sonnerai pas à ta porte ce soir), Best of Perihan Mağden (Best of de Perihan Mağden), Aktüel Yazıları ya da Hangimiz Uğramadık ki Haksızlıklara? (Les articles d’Aktüel, ou Qui d’entre nous n’a pas subi des injustices ?), Son Yazılar (Derniers articles), Yaz Kitabı (Le livre d’été), Kış Kitabı (Le livre d’hiver)

Canan MarasligilAli et Ramazan a été traduit par Canan Maraşlıgil. Elle est auteure, tra­duc­trice lit­téraires éditrice et scé­nar­iste. Elle vit à Ams­ter­dam et explore les langues et tra­duc­tions à tra­vers des pro­jets et activ­ités cul­turels et créatifs.

Canan est la respon­s­able de la col­lec­tion “Mey­dan”, “La Place”, dans la langue turque, qui au sein des édi­tions publie.net, pro­pose une antholo­gie des auteurEs con­tem­po­rainEs de Turquie

Quant à publie.net, il s’ag­it d’une mai­son d’édi­tion de lit­téra­ture con­tem­po­raine, qui se décrit comme “ancrée dans la créa­tion qui s’écrit et se partage sur le Web, ouverte aux œuvres qui lui font écho dans tout l’e­space lit­téraire et trans­mé­dias.” Crée en 2008, publie.net pro­pose des livres en papi­er et en ver­sion numérique et des réal­i­sa­tions sur le Web.


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