Un chat qui enver­rait des bouteilles à la mer, ça ne se ver­rait que dans un poème à la Prévert.

Et pour­tant, c’est ce que nous faisons en per­ma­nence au Kedistan.

Lancer une bouteille à la mer peut s’avér­er sans util­ité, si une vague ou un courant ne l’emporte. Elle revient alors vers le rivage et s’en­fouit dans le sable à jamais. Il peut donc y avoir par­fois une cer­taine van­ité à insis­ter, voire un cer­tain égo­tisme à répéter une telle opéra­tion sans suites.
Mais comme à Kedis­tan, on ne se décourage pas pour un vent con­traire, on continue.

Une des dernières bouteilles, sans éti­quette aucune, date du mois de jan­vi­er. On s’y promet­tait de venir, tant que faire se peut, en aide aux otages poli­tiques en Turquie. On y croy­ait encore, d’au­tant que la petite “fil­lette” lancée en novem­bre pour Aslı Erdoğan s’é­tait trans­for­mée en “jer­oboam”. Toutes celles et tous ceux qui avaient souf­flé sur la vague, sur trois con­ti­nents, qui avaient repris le mes­sage, lancé leurs pro­pres bouteilles à leur tour, avaient eu la sat­is­fac­tion en décem­bre, d’avoir fait pass­er un mes­sage, de l’avoir lu, fait lire, fait com­pren­dre en par­tie, et ain­si avoir con­tribué à une déci­sion de lib­erté pro­vi­soire, là où aupar­a­vant une per­pé­tu­ité incom­press­ible était demandée par l’in­jus­tice turque.
C’est donc à la suite de ce qui fut bien davan­tage que des clapo­tis sur le Bospho­re, que nous avions entre­pris, kedi et asso­ciéEs, avec l’aide bien sûr des réseaux soci­aux, d’élargir notre sou­tien, et si pos­si­ble lui don­ner une épais­seur con­crète, qu’elle soit finan­cière, auprès de pris­on­niers en grande pré­car­ité et leurs familles, qu’elle soit “logis­tique” , auprès de résis­tances qui perdurent.

Rap­pelons que le procès d’Aslı va se tenir ces jours prochains de juin, tout comme celui d’Ah­met Altan en ce moment même, toutes et tous des “noms” plus ou moins mis en avant, jugés au milieu d’autres, qu’on voudrait tant ne plus laiss­er anonymes. Tous et toutes sont les otages poli­tiques du régime.

Il est une dimension dans ce soutien dont on ne parle pas souvent.

D’une part, nom­bre de celles et ceux qui en Turquie lut­tent encore dans cette prison à ciel ouvert, ne veu­lent pas quit­ter leur com­bat, d’autre part pour­tant, il en est qui, risquant l’en­fer­me­ment cette fois der­rière les murs de pierre, ont besoin en urgence de trou­ver assis­tance et refuge.

Et c’est bien sûr ici qu’in­ter­vi­en­nent les “gou­verne­ments” européens, leurs “valeurs human­istes”, et qu’ils s’empressent de mon­tr­er, en ouvrant les portes des ambas­sades et con­sulats, leur générosité et sol­i­dar­ité… Ils accor­dent des “visas”…du moins pour celles et ceux qui n’ont pas d’in­ter­dic­tion de sor­tie ou ne se sont pas encore vu con­fis­quer leur passe­port. Non, je me trompe ???

Tout le monde sait qu’il y a à peine un an, l’UE elle-même, dans le cadre du grand troc “human­iste” sur les réfugiés, avait qua­si promis, en sus des euros trébuchants, une sup­pres­sion des visas pour les ressor­tis­sants turcs. Attar­dons-nous d’ailleurs un peu sur cette promesse non tenue.
Dois-je com­pren­dre que l’UE était prête à accepter que ce soit le régime lui-même qui décide de qui peut voy­ager libre­ment, alors que devait se lever les bar­rières ? Ou bien cette même UE igno­rait-elle les inter­dic­tions qui pesaient déjà à l’époque sur beau­coup d’op­posants turcs ? Bon, c’est une réal­ité, les gou­verne­ments européens ne pou­vaient là, pas faire “ingérence”, mais de fait auraient accordé un passe-droit aux affidés du régime…récompense d’ailleurs promise par le Reis.

Mais, puisque cette clause n’a pas été accep­tée, nous voilà donc, dans cette Turquie des grandes purges, dans cette nuit de chas­se aux sor­cières, après le grand vent de “défense de la démoc­ra­tie” post 15 juil­let 2015, dans la sit­u­a­tion d’a­vant, pour les ambas­sades et consulats.

Le régime des visas n’a donc pas changé, et les procé­dures de visas Schen­gen non plus. Le régime turc peut aus­si à sa dis­cré­tion refuser une sor­tie, même avec un visa en bonne et due forme.

Revenons à nos bouteilles

Non, pas à des sig­na­tures de péti­tions, où bien sou­vent des noms s’alig­nent plus pour se voir mis en lumière que pour se décider à se bouger le c… Les bouteilles de “j’ai dit c’est fait” se per­dent tou­jours dans le sable. Revenons aux vrais engage­ments à être sol­idaires et act­ifs. Pour Aslı Erdoğan, par exem­ple, la forme prise fut la mul­ti­pli­ca­tion de lec­tures, de ren­con­tres, de réu­nions têtues, pop­u­lar­isées par les réseaux soci­aux, avec l’ob­jec­tif d’obtenir une “libéra­tion” et de faire con­naître la pro­fondeur de la nuit turque. L’ob­sti­na­tion à faire “con­naître”, “dénon­cer”, appel­er à réa­gir, se mobil­isa con­tre l’in­dif­férence et la lâcheté politique.

Et toutes les bouteilles qui se lan­cent sur ces mêmes objec­tifs ne peu­vent qu’être bien­v­enues. Mais quelle forme peu­vent pren­dre les courants sus­cep­ti­bles de les porter ? En France surtout, dans le tam tam élec­toral­iste, toute bouteille peut vite devenir fictive.

Les milieux uni­ver­si­taires com­men­cent à se mobilis­er à leur tour… Et il aura fal­lu pour­tant que les uni­ver­si­taires en Turquie mon­trent leur résis­tance en prenant d’énormes risques pour qu’i­ci s’or­gan­isent et se tis­sent des sol­i­dar­ités. Enfin ! diront celles et ceux qui depuis deux ans se sen­taient bien seulEs à le faire en Europe…

Mais pouvons-nous compter sur nos gouvernements pour recevoir nos bouteilles ?

Pour ce qui est de la France, on a bien sou­vent l’im­pres­sion qu’elle se se con­tente sim­ple­ment de boire le cham­pagne aux récep­tions chez l’am­bas­sadeur avec le régime AKP, pour fêter des contrats.

Mais y aurait-il une ver­sion cachée de la diplo­matie, celle d’un gou­verne­ment français aus­si remon­té con­tre Erdoğan qu’il l’est con­tre le bour­reau syrien ?

Com­ment avoir une meilleure réponse à cette ques­tion qu’en essayant tout sim­ple­ment de deman­der son aide, dans un domaine où il a sou­veraineté, celui des visas…

Et là, le constat est plutôt édifiant

Une can­di­date nauséabonde aux prési­den­tielles français­es avait remis sur le tapis une polémique révi­sion­niste faisant un sub­til dis­tin­go entre la respon­s­abil­ité de l’E­tat français et celle des “gou­ver­nants” de l’époque, dans l’ar­resta­tion, la dépor­ta­tion, et la non assis­tance aux peu­ples per­sé­cutés, les Juifs en l’oc­curence, mais aus­si bien d’autres minorités. Dois-je donc à mon tour et sur ce mod­èle accuser pour hier un gou­verne­ment qui s’af­fu­ble d’une éti­quette social­iste, et non la France et ses ser­vices d’E­tat dans la volon­té de refuser de porter assis­tance à des opposantEs en dan­ger en Turquie ? Ou bien devri­ons-nous atten­dre le rétab­lisse­ment de la peine de mort là-bas, pour voir la France chang­er d’attitude ?
Car, vis­i­ble­ment, celle-ci con­sid­ère tou­jours “légal” que des jour­nal­istes, des intel­lectuels, des uni­ver­si­taires, des fonc­tion­naires… des per­son­nes libres d’e­sprit, soient incar­cérées, mis­es sous sur­veil­lance, inter­dites de voy­ager, par l’en­trem­ise d’ac­cu­sa­tion de “pro­pa­gande ter­ror­iste”. Nous auri­ons donc nous aus­si, depuis un état d’ur­gence qui per­dure, les mêmes approches du “ter­ror­isme” que celles d’Erdoğan ?

Et ain­si, ordre serait don­né à nos “fonc­tion­naires”, “attachés” et “diplo­mates”, de devoir assumer une lâcheté poli­tique, (que par­fois ils parta­gent eux mêmes par con­vic­tion)… La longue chaîne de dilu­tion des respon­s­abil­ités ou cha­cun n’as­sume que la survie de son poste et de son rang, en appli­quant une poli­tique, ça rap­pelle bien des choses…

Oui, la France en ce moment refuse, sans devoir s’en expli­quer, les visas à celles et ceux qui cherchent à se met­tre à l’abri du pou­voir turc, nous en avons des preuves, tout autant qu’elle a une pra­tique du droit d’asile sur son pro­pre sol par­faite­ment inopérante et sou­vent igno­ble. Je ne cit­erai pas de noms, les faux culs ne méri­tent aucune pub­lic­ité. Faux culs de bouteille, cela va de soi. Et pour les “preuves”, ils savent eux-mêmes que les fournir ici met­trait en dan­ger celles et ceux qui ont sol­lic­ité de l’aide. Et la “nou­velle” diplo­matie sem­ble s’être faite très “négo­ci­atrice” lorsque M Depar­don s’est retrou­vé encagé.

Et qui va con­tin­uer à deman­der la libéra­tion d’E­bru Fırat, main­tenant qu’elle ne représente plus un enjeu élec­toral­iste local dans sa région ?

Alors, devant ces refus non motivés, sur demande de visas par­faite­ment légales, pour des per­son­nes désireuses de se met­tre à l’abri, et sans doute sus­pec­tées de ce fait par les autorités français­es, je rem­plis cette fois la bouteille d’essence et je la lance vers l’amer.

Et que tous les mit­ter­ran­di­ens d’opérette ne vien­nent plus me don­ner les exem­ples où même une femme de Prési­dent se rendait-elle même au sec­ours de pris­on­niers de dic­tatures d’Amérique latine. Ce temps est révolu, depuis que la finance libérale s’ac­corde à trou­ver les meilleurs ver­tus aux régimes total­i­taires, et que le social libéral­isme y trou­ve ses “postes”. Le gou­verne­ment français sor­tant n’avait pas d’é­tats d’âme sur la suite que pren­dront des vies en Turquie, par sa lâcheté poli­tique, par sa veu­lerie et désir de ne pas gên­er un “parte­naire”… utile pour con­tenir les réfugiés et enrichir les entre­pris­es du BTP. N’en déplaise à ceux qui croient encore que les ros­es ne poussent jamais sur le fumi­er. On a la démon­stra­tion du con­traire. Le nou­veau a l’ex­cuse de sa nou­veauté. Mais Soeur Anne…

Voilà, l’amer est franchi. La lie est vidée. Je sens que boire une prochaine bouteille pour la rem­plir à nou­veau d’un appel à faire réa­gir sur cette pra­tique de lâcheté quo­ti­di­enne de notre diplo­matie va être indispensable.

Et même si je sais que les holo­grammes pas­sion­naient en ce moment davan­tage que les bouteilles, je per­siste et je lance.


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Daniel Fleury
REDACTION | Auteur
Let­tres mod­ernes à l’Université de Tours. Gros mots poli­tiques… Coups d’oeil politiques…