Şirin Tekeli, figure emblématique du féminisme en Turquie, est décédée le 13 juin 2017 à Bodrum. Elle a offert son corps à la Faculté de médecine de Cerrahpaşa.
Les féministes ont fait leurs adieux Şirin à Bodrum, sous des applaudissements, avant le départ de sa dépouille vers la faculté de Médecine.
Şirin Tekeli tient une place importante pour les féministes de sa propre génération, mais est aussi une source d’inspiration et une référence pour les générations à venir. Certes, elle est une légende, mais pas sur un piédestal hors sol.
Si à l’évocation de son nom, défile tout ce qu’elle a fait durant sa vie consacrée à la lutte des femmes, la tendresse que les féministes de tous âges et milieux lui portent, vient de son existence menée dans le partage, la modestie, la sincérité et les relations d’égale à égalE qu’elle a toujours maintenues avec tout celles et ceux qu’elle a croiséEs de près et de loin.
Elle fut une lumière pour les féministes de Turquie. Ce visage souriant restera emblématique pour toujours.
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“L’entêtement de Şirin Tekeli” vidéo publié par FilmMor (Coopératif de cinéma féministe), extraite du film documentaire İsyan‑ı Nisvan (La révolte des femmes), réalisé par Melek Özman.
Şirin Tekeli inadı💜 pic.twitter.com/TXShXuM4Xm
— Filmmor (@Filmmor_) June 13, 2017
Traduction de la vidéo (Kedistan)
“En 1981 j’ai 37 ans. Je suis une des plus âgées du groupe. Mais bon, à l’époque j’étais jeune, 37 ans, c’est jeune n’est-ce pas ?
J’avais quitté l’université. C’était assez récent. Mais 4 ans plus tôt, j’avais fait une thèse concernant les femmes.J’ai commencé à travailler sur cette thèse en 1975. 1975 était “l’Année mondiale des femmes”, et c’est cela qui m’avait incitée. Mais derrière, il y a ceci ; quand je suis allée en France, j’ai découvert Simone de Beauvoir. Et elle est devenu mon auteure de chevet. Il y a donc une réflexion qui avait commencé par une approche intellectuelle sur les “problèmes des femmes”. Après 1975, en tant que scientifique de la politique, en me posant la question “les femmes ne sont pas dans la politique, cela est clair, pourquoi en sont ‑elles absentes ?”, j’ai décidé de préparer une thèse sur les femmes et la politique. Lorsque j’ai choisi ce sujet, j’ai essuyé des remarques autour de moi, en commençant par mes amiEs proches, “Une thèse de science politique, peut être sur des thèmes comme l’Etat, comme l’armée.. Peut-il exister un tel sujet pour une thèse de science politique !?” Ils étaient tous contre cette idée. Alors je me suis entêtée : “Je vais faire cette thèse !”
C’était une thèse qui se basait plutôt sur le marxisme, elle ne se basait pas sur le féminisme. Commençant par Engels, passant par Bebel (la femme et le socialisme), c’était une thèse qui se ressourçait du marxisme. Mais, je sentais bien que quelque part, ceux-là n’étaient pas suffisants. En réalité, le marxisme était une idéologie, était un rideau qui empêchait que nous puissions voir les problèmes de femmes. Cette thèse se termine par une phrase qui met les femmes face à face avec la société, mais qui évite de mettre les femmes face à face avec les hommes. Dans ce contexte elle n’est pas féministe. Certes il y a une curiosité sur le féminisme, mais il n’apporte pas d’explication féministe.”
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Filiz Kerestecioğlu députée HDP, amie et compagne de lutte de Şirin, lui a rendu hommage à l’Assemblée Nationale.
Traduction de la vidéo (Kedistan)
Si vous avez votre entêtement, nous l’avons le nôtre. Et je voudrais vous faire rencontrer une de ces femmes entêtées. Şirin Tekeli est l’initiatrice de la campagne contre la violence conjugale à l’encontre des femmes, qui a été lancée en 1987, depuis le parc Yoğurtçu (Kadıköy, Istanbul), et dont le temps fort fut la première manifestation légale qui s’est organisée après le coup d’état militaire [1980]. Cette photo la représente lors de son discours qu’elle prononcé à la marche.
Qu’a-t-elle fait Şirin Tekeli en Turquie ?
A vrai dire, la vie de Şirin est un message entier à la Turquie. Particulièrement dans l’environnement politique délétère, dans cette atmosphère de corruption où tout est lié à l’argent, Şirin Tekeli a légué tout son bien aux enfants de familles démunies pour qu’ils puissent étudier. Şirin Tekeli est membre fondatrice de l’IHD (Association des droits des Hommes), elles est membre fondatrice de la Fondation de la bibliothèque des oeuvres de femmes et du centre d’information d’Istanbul, elle est membre fondatrice des refuges de femmes Mor Çatı (Toit Mauve) d’Istanbul, elle est membre fondatrice de l’Association des citoyenNEs de Turquie à Helsinki, elle est fondatrice de l’Association de soutien des élues femmes, et dernièrement elle fut fondatrice de la Fondation de soutien aux juristes femmes et cette fondation donne actuellement, des bourses à des centaines d’étudiantes. CherEs amiES, peut être que cela ne vous intéresse pas beaucoup, mais, l’argent est fait pour être partagé…
Şirin Tekeli, a défendu durant toute sa vie l’égalité, avant tout en personne, en devenant l’exemple même de l’égalité. Elle a vécu en construisant des relations égales avec tout le monde. Avec des enfants, des adultes, elle a lié des relations à égalité. L’égalité a pris corps avec son existence même. C’est pour cela qu’elle est une personne unique, et elle ne peut être remplacée.
Şirin Tekeli, n’avait pas de garde du corps, mais elle avait des centaines de milliers de personnes qui l’aimaient. Les féministes n’ont pas de garde du corps, les amiEs. Ils/elles circulent seules, se déplacent accompagnées de la lutte pour les femmes, et non dans des voitures étincelantes entourées de milliers de gardes du corps et luttent pour changer ce système dominant mâle. Et en Turquie, Şirin Tekeli est la première femme qui a porté tout cela à travers ses paroles. Elle fut la première femme qui a dit ‘je suis féministe’ et ouvert le chemin. Ce n’est pas seulement sa vie. La mort de Şirin Tekeli est aussi un message à la Turquie. Car Şirin est celle qui a démissionné de l’université, après le coup d’Etat de 1980, en disant, “Il n’y a plus d’université et d’enseignement libres”, et qui est une des personnes qui ont montré le plus d’empathie avec les milliers d’universitaires liquidés par des décrets, comme elle a tout autant consacré toute sa vie à l’humanité et au féminisme. Elle a légué son corps à la science, à la Faculté de médecine de l’Université d’Istanbul. Demain, à 19h, nous allons dire au revoir à Şirin Tekeli, à la Faculté de médecine de l’Université d’Istanbul. Ensuite, le corps de Şirin Tekeli, continuera à vivre à travers des recherches scientifiques. Ceci est sans doute, un autre message qu’elle nous a donné, en mourant.
Il était peut être difficile qu’autant de bonté puisse survivre dans autant de saletés. En tant que femmes de Turquie, en tant que ses amiEs de combat féministe, nous allons la faire vivre dans notre lutte et nos plus beaux souvenirs.
Je voudrais aussi saluer depuis ici, le mouvement des femmes, la lutte féministe, qui est bien plus réelle et bien plus sincère, de tous les instants, qui se déroulent ici. Je voudrais également exprimer ceci : si dans ce pays, s’il y avait unE présidentE de république éluE par le peuple, cela devait être Şirin Tekeli. Avec tout ce qu’elle a fait, la façon dont elle a vécu, avec sa mort, avec tous les messages qu’elle a donnés, c’est elle qui était digne de ce titre. J’espère qu’un monde comme cela sera construit, je suis sûre que nous allons construire ce monde en Turquie et dans le monde.
Şirin Tekeli
(1944–13 juin 2017) défenseure des droits de femmes, féministe, auteure. Née à Ankara, des parents professeurs de philosophie. Şirin, au lycée, tout en choisissant la science, s’intéresse intensivement à la littérature et la philosophie.
Etudes
Après le lycée, en 1961, elle part à Paris, apprend le français et commence à étudier le Droit. Ensuite, elle change d’orientation et étudie en Sciences politiques à l’Université de Lausanne. A la fin de ses études, en 1967, elle rentre à Istanbul et intègre la chaire de Sciences Politique à l’Université d’Istanbul. Elle se marie avec Ahmet Tekeli, rencontré lors des études. Elle termine son doctorat en 1973, sur la théorie de système de David Easton (The Political System). En 1978 elle prépare une thèse sur la participation des femmes aux élections. Elle poursuit ses travaux sur les élections. Elle vient en France avec une bourse et étudie la cartographie au CNRS. Dans cette période, elle constitue une banque de données informatique, avec toutes les données concernant les élections en Turquie, et étudie avec Jean Ranger et son équipe, la sociologie des élections dans l’espace urbain. En 1980–81 elle organise une séminaire sur la sociologie de la politique.
Après le coup d’Etat de 1980
A la création de YÖK, “Conseil de l’enseignement supérieur”, une administration centrale issue de la réforme de l’enseignement supérieur de 1981 en Turquie, elle dénonce que celui-ci viole la liberté de recherche et de pensée, et qu’il constitue une structure verticale semblable à l’armée, qu’il prend comme objectif non pas la science mais l’enseignement de l’idéologie officielle, qu’il dépolitise aussi bien les étudiantEs que les enseignantEs, et pour protester, elle démissionne de l’université.
Après son départ de l’université, elle travaille comme auteure, rédactrice et traductrice. Elle réalise un travail de recherche sur les politiques d’égalité concernant les femmes. En 1981, elle est invitée à intégrer la coopérative des auteurEs YAZKO et elle travaille au sein d’un groupe de traduction des oeuvres féministes. Ce groupe permet également une expérience de prise de conscience et joue un rôle important pour constituer la terminologie féministe en Turquie. Şirin publie son premier livre en turc, en 1982. Il s’agit se sa thèse “Les femmes et la vie politique et sociale “(Kadınlar ve Siyasal-Toplumsal Hayat)
Activiste
En 1985, elle mène la campagne pour la signature de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et débute la lutte pour la réforme du code civil.
En 1987, elle participe intensivement à des actions, qui commencent par la fête de Kariye et la marche contre la violence inter familiale, qui continuent par la campagne “Mor İğne” (Aiguille mauve) et qui se transforment, avec la participation des jeunes femmes, des femmes rurales, des femmes kurdes, à un vrai mouvement social.
En 1989 elle débute les travaux pour la Fondation de la bibliothèque des oeuvres de femmes et centre d’information. En 1990 elle prépare un recueil des travaux de jeunes chercheures féministes “Les femmes dans la Turquie de 1980″. Ce livre parait en allemand et en anglais.
En 1997 elle prend sa place comme membre fondatrice dans KA-DER (L’association de soutien des élues femmes), Anakültür Kooperatifi et Winpeace, l’initiative de Paix des femmes turques et grecques.
Après sa départ de l’université, elle continue la traduction et jusqu’en 2011, elle fait gagner à la langue turque 25 livres, concernant majoritairement les femmes et la démocratie.
En 1996, elle reçoit la Palme Académique.
Şirin Tekeli, est décédée suite à une tumeur au cerveau, à 73 ans, le 13 juin 2017 à Bodrum. Elle a offert son corps à la Faculté de médecine de Cerrahpaşa.