Le samedi 10 juin à partir de 19h30 aura lieu au Clos Sauvage à Aubervilliers (12 rue du Clos Bénard) une grande soirée de soutien aux syndicalistes licenciéEs en Turquie et au Kurdistan, organisée par le syndicat Solidaires.
Infos : Turquie • Soirée de soutiens aux syndicalistes licenciés
Suite au coup d’état manqué du 15 juillet 2016, l’état turc a lancé une vaste opération de répression visant à étouffer toutes les voix dissidentes. Dans ce cadre, près de 100 000 fonctionnaires ont été licenciéEs, dont environ 1600 membres du syndicat enseignant progressiste Eğitim-Sen, opposé aux politiques de l’Etat.
Les régions kurdes, où la syndicalisation est importante chez les fonctionnaires, ont été particulièrement touchées par cette vague de licenciement. A Diyarbakır par exemple, 132 enseignants ont perdu définitivement leur emploi, et des milliers d’autres sont suspendus, en attente d’une décision de justice. Si le syndicat essaye de soutenir ses membres licenciéEs, le nombre démesuré de ceux-ci lui rend impossible d’assurer cette solidarité pendant un temps long. Mais les enseignantEs licenciéEs, loin de se laisser abattre, construisent des alternatives…
Les énormes bouquets de fleurs devant la baie vitrée de la librairie-papeterie Emek (travailleur en turc) n’ont pas encore eu le temps de faner depuis son inauguration le 13 mai. Leur nombre et leurs provenances diverses, du syndicat Eğitim-Sen au café Eyma, témoigne de l’étendue du soutien au projet. Une solidarité qui ne doit rien au hasard : tous les travailleurs sont d’anciens enseignants membres de Eğitim-Sen, licenciés au moment des purges, la plupart d’entre sous le prétexte d’avoir participé à des grèves ou des manifestations de soutien à la population de Sur pendant les combats qui s’y déroulèrent fin 2015 début 2016. En réalité, comme l’explique un travailleur de la librairie, “il y avait des listes préparées à l’avance. Mais ceux qui ont créé ces listes se sont eux-mêmes faits arrêter ensuite, pour appartenance à l’organisation FETÖ1. On ne sait pas qui espionne, qui donne des informations à la police, l’ambiance est très mauvaise. (…) notre seul crime est d’être humanistes et d’avoir une conscience.”
Après le début des purges en septembre, nombre d’enseignants ont été démis de leurs fonctions sans justifications juridiques, explique Sadrettin, un des membres à l’origine du projet. Les cours d’appel étant engorgées, notamment à cause du licenciement de nombreux juges, les procédures juridiques ne peuvent être enclenchées et les dossiers restent en suspens, sans savoir quand ils seront examinés. La commission spéciale décidée par le gouvernement pour accélérer l’examen des 130 000 cas de licenciement devait démarrer ses travaux le 31 janvier. Elle ne sera mise en place que le 16 mai. Aucun autre recours, y compris devant la cour européenne des droits de l’Homme, n’est possible avant que ces commissions n’aient rendu leur verdict. Autant dire donc que le processus risque de durer des années. Impossible pour les enseignants d’attendre jusque là sans rien faire, ni pour Eğitim-Sen d’assurer aussi longtemps une solidarité financière.
“C’était donc à nous de trouver une alternative”, explique Sadrettin. “Nous avons commencé à appeler toutes les personnes licenciées à se réunir pour réfléchir à des projets. Nous avons créé plusieurs groupes de travail. Finalement, la librairie papeterie est le premier projet à aboutir. La création officielle a eu lieu le 12 avril, et l’ouverture le 13 mai. Nos ressources étant limitées, nous avons fait le maximum de travaux nous mêmes ou avec des gens licenciés d’autres syndicats. Nous avons utilisé nos contacts pour trouver des sympathisants qui acceptent de nous laisser vendre des produits à crédit”. Sadrettin ajoute en riant : “une grosse partie de ce que nous vendons aujourd’hui n’a pas encore été payée”. L’équipe compte sur ses contacts dans le monde de l’éducation pour écouler ses produits, et sur les présentations qu’ils font à travers la ville du projet. A ces occasions, ils peuvent constater la solidarité des habitants. “Une femme nous a même proposé de venir faire le ménage et le rangement gratuitement si nous avions besoin.” Ces débuts encourageants motivent l’équipe à continuer, et, chose à ne pas négliger, renforce leur moral, souvent entamé par les procédures de licenciement. Sadrettin ajoute en souriant “nous ne sommes pas des vendeurs, tout ça est très nouveau pour nous. Nous en sommes encore à essayer de comprendre comment fonctionne le capitalisme.” Plus sérieusement il ajoute “nous voulons garder nos valeurs. Qui accepterait autrement de travailler sans savoir combien il va gagner ?”.
L’équipe autour du projet est composée de 32 personnes, 2 membres de SES et 30 de Eğitim-Sen. Chaque participant s’est engagé à y investir 5000TL [équivalent de …€]. Des groupes ont été fait pour déterminer à quel degré chaque membre devrait toucher une rémunération. Parmi ceux les plus en difficultés, 5 ont été choisis pour être employés à plein temps de la librairie à partir du moment de son ouverture. Les autres viennent y travailler sur leur temps libre. Afin qu’il n’y ait pas de conflits, il a été clairement dit que la participation au projet devait se faire sur des bases éthiques et pas simplement pour la recherche d’une source de revenu. Il a été convenu que tous les 3 mois, l’équipe se réunirait pour discuter des orientations à venir. Si il y a un responsable dans chacun des secteurs d’activité de la structure, les décisions sont prises collégialement. Pour le moment, ils vendent des fournitures de papeterie, des manuels scolaires, des livres (certains en kurde) et des jeux pour enfants et proposent un service de photocopie et de livraison des manuels directement dans les écoles. A l’avenir, la librairie aimerait aussi vendre des romans, des livres sur la culture…
Si le projet fonctionne, Eğitim-Sen pourra redistribuer les aides des 5 salariés à d’autres personnes. L’idée est également d’investir les bénéfices dans quatre autres projets en attente : un projet d’école privée, un de restauration, un de société de nettoyage et un d’entreprise de construction. “Si nous devenons capitalistes, nous ferons de l’immobilier, mais éthique”, ironise Sadrettin.
Loez
Mai 2017
Merci à Xezal pour la traduction des entretiens.
Emek Kırtasiye Eski stadyum karşısı Keleş ap. altı, Yenişehir/Diyarbakır 0505 008 52 11 Twitter : @emekkirtasiye21