L’ap­pel­la­tion “prison de type F” revient sou­vent dans nos arti­cles. Il s’ag­it de pris­ons bien spé­ci­fiques, organ­isées d’une cer­taine façon, per­me­t­tant l’isole­ment. Beau­coup de pris­on­niers et pris­on­nières, otages poli­tiques, sont détenuEs dans ces geôles. Nous souhaitons donc, apporter des précisions.

Les para­graphes qui suiv­ent sont extraits du blog Pris­ons en Turquie.

Le texte fut pub­lié dans les années 2000, pen­dant la vague de grèves de la faim qui sont déroulées dans les pris­ons, afin de con­tester les con­di­tions car­cérales. Près de 20 ans plus tard, la descrip­tion est tou­jours d’ac­tu­al­ité, les con­di­tions ont très peu changé, voire se sont “per­fec­tion­nées”. Il existe actuelle­ment 13 pris­ons de “type F”, situées dans les villes de Adana, Edirne, Bur­sa, Bolu, Kırıkkale, et deux dans les villes de Tekir­dağ, Kocaeli, Ankara et Izmir.

Cet extrait sera suivi d’un his­torique des pris­ons turques.

Les prisons de ” type F ”

La prison de “type F ” est basée sur le con­cept car­céral d’isole­ment du pris­on­nier poli­tique, c’est-à-dire que la déten­tion de ce dernier est repen­sée de manière indi­vidu­elle. Ce pro­jet, d’in­spi­ra­tion occi­den­tale, et issu du mod­èle de type cel­lu­laire améri­cain, fut pour la pre­mière fois évo­qué en 1982, et est donc l’aboutisse­ment d’une réflex­ion par­faite­ment cal­culée des autorités turques. 
Les pre­miers pro­grammes de recherche sur le sujet furent lancés par l’É­tat améri­cain à la suite d’é­tudes sur le com­porte­ment de pris­on­niers revenant de la guerre de Corée. En effet, ces sol­dats, qui durant leur déten­tion n’avaient pas été mal­traités dans le sens tra­di­tion­nel, c’est-à-dire en ter­mes de tor­ture physique, ni n’avaient été privés de nour­ri­t­ure ou de som­meil, en étaient mal­gré tout arrivés à col­la­bor­er entière­ment durant leurs inter­roga­toires. Pour en arriv­er là, il avait sim­ple­ment suf­fit de les enfer­mer dans des cel­lules semi-éclairées, aban­don­nés à eux-mêmes pen­dant des jours, des semaines, des mois, jusqu’à ce que les pris­on­niers eux-mêmes deman­dent à avoir des con­tacts avec ceux qui devaient les inter­roger et ils sig­naient alors tout ce qui leur était demandé. A la fin des années 60, c’est en Alle­magne Fédérale que les recherch­es sur l’isole­ment repren­nent, plus spé­ciale­ment à la clin­ique uni­ver­si­taire de Ham­bourg-Eppen­dorf où l’on expéri­mente la “cham­bre silen­cieuse “. Les résul­tats d’une telle expéri­ence mon­trent que le cobaye le plus déter­miné n’a pas pu résis­ter plus de deux jours et une nuit !

C’est donc en con­nais­sance de cause et con­science que les autorités turques adop­tèrent leur pro­pre sys­tème d’isole­ment car­céral. Elles jus­ti­fient cette mesure au moyen d’une série d’ar­gu­ments d’or­dre poli­tique, juridique, san­i­taire ou sécu­ri­taire qui ne sont en réal­ité que des pré­textes pour jus­ti­fi­er et impos­er, autant vers l’opin­ion publique intérieure que vers les pays occi­den­taux (Europe notam­ment), leur refonte car­cérale. On alla même jusqu’à présen­ter le “mérite” de la cel­lule indi­vidu­elle. Ces argu­ments furent savam­ment présen­tés et orchestrés par des cam­pagnes médi­a­tiques insis­tant spé­ciale­ment sur la néces­sité d’une telle réforme afin de répon­dre aux mul­ti­ples besoins apparus au fil du temps et dus essen­tielle­ment à la sur­pop­u­la­tion car­cérale. Mais la réal­ité est toute autre et les pris­on­niers poli­tiques comme les forces d’op­po­si­tion démoc­ra­tiques de Turquie ne s’y sont pas trompés : les pris­ons de “type F ” sont dans les faits des cen­tres de “réha­bil­i­ta­tion” et de destruc­tion psy­chique extrême­ment sub­tils et per­vers.
 Tout est fait pour que le pris­on­nier n’ait pas à sor­tir : des toi­lettes, un lit, une table et une chaise con­stituent la seule présence matérielle. Pas de livres, pas de musique ; rien. L’ensem­ble est insonorisé et le monde du pris­on­nier se réduit à une dis­tance de trois pas envi­ron­né d’un silence oppres­sant. A cela s’a­joute le port d’un uni­forme, des fouilles à corps humiliantes, une cen­sure accrue, la sup­pres­sion ou la lim­i­ta­tion des vis­ites des par­ents et amis, l’im­pos­si­bil­ité de par­ler à d’autres détenus. Il existe un terme pour qual­i­fi­er une telle cel­lule, celui de tombeau. 
Soumet­tre un être humain à une déten­tion de cet ordre c’est le soumet­tre à une forme per­verse de tor­ture aus­si appelée tor­ture blanche ou mort blanche.

Historique des prisons en Turquie

Il existe sché­ma­tique­ment trois types de pris­ons en Turquie: “fer­mée”, “semi-ouverte” et “ouverte”. Mais il faut aus­si dis­tinguer les pris­ons fer­mées ordi­naires et les pris­ons de haute sécu­rité. Et tenir compte du fait que si de nom­breuses pris­ons ont des ailes séparées pour les femmes, voire pour les enfants, il existe aus­si des pris­ons qui ne sont réservées qu’aux femmes ou aux enfants. Enfin, il faut savoir que l’on trou­ve der­rière les bar­reaux de Turquie comme dans de nom­breux pays des pris­on­niers con­damnés et d’autres enfer­més de manière préven­tive avant leur procès.

Après le coup d’é­tat du 12 sep­tem­bre 1980, et l’an­nonce d’une loi mar­tiale dans les 67 provinces alors exis­tantes, les opposants étaient jugés dans des tri­bunaux mil­i­taires et en cer­tains lieux, envoyés dans des pris­ons mil­i­taires : la prison mil­i­taire Mamak à Ankara, la prison de Metris (à Istan­bul) et la prison de Diyarbakır (sou­vent appelée “geôle”) .

En rai­son du grand nom­bre de pris­on­niers, de nou­velles pris­ons ont alors été con­stru­ites. En novem­bre 1988, Amnesty Inter­na­tion­al déclarait que le nom­bre de pris­ons avait atteint le chiffre de 644 et que leur capac­ité avait été portée de 55 000 à plus de 80 000 pris­on­niers. Trois ans plus tard, en avril 1991, la loi 3713 sur la lutte con­tre le ter­ror­isme (appelée Anti-Ter­ror-Law, ATL) a été adop­tée. Son arti­cle 16 prévoy­ait que tous les détenus accusés en ver­tu de cette loi devaient être détenus dans des pris­ons de haute sécu­rité. Il y aurait à ce jour une quin­zaine de pris­ons de ce genre – dont 13 dites de “type F”, et 2 dites de “type D”.

La pre­mière prison de haute sécu­rité a été créée en remod­e­lant une prison exis­tante qui avait été con­stru­ite en 1987 à Eskişe­hir et rem­plaçant les dor­toirs par des cel­lules. La prison a été rou­verte en févri­er 1991. Elle ne por­tait pas le titre de “type F”, mais de “prison spé­ciale”, et a été immé­di­ate­ment perçue par les pris­on­niers comme l’équiv­a­lent d’un cer­cueil (tabut­luk). En novem­bre 1991, 206 pris­on­niers poli­tiques y étaient trans­férés. Le min­istre de la Jus­tice, Sey­fi Oktay, et le min­istre respon­s­able des droits de l’homme, Mehmet Kahra­man, y ont alors fait une vis­ite accom­pa­g­nés de représen­tants de l’As­so­ci­a­tion des droits de l’homme (HRA), de la Fon­da­tion des droits de l’homme de Turquie (HRFT) et de l’U­nion des Médecins de Turquie (TTB). Des réc­its de tor­ture et de mau­vais traite­ments ont alors abouti à la fer­me­ture de la prison. Mais elle a réou­vert ses portes en octo­bre 1995. Un an plus tard, le autorités ten­taient d’y trans­fér­er tous les pris­on­niers jugés à Istan­bul sous l’ATL. Un échec, suite au mou­ve­ment de résis­tance des pris­on­niers, dont 12 sont alors morts d’une grève de la faim. Reste que le Comité européen pour la préven­tion de la tor­ture, invité à vis­iter la prison, ne pre­nait pas franche­ment le par­ti des prisonniers…

Dans les années 2000, la con­tro­verse sur les pris­ons de “type F” reprend. Le 26 octo­bre 2000, quelque 800 pris­on­niers se lan­cent dans des grèves de la faim à Bayra­m­paşa, Bartın, Çankırı, Çanakkale, Aydın, Bur­sa, Uşak, Malatya, Niğde, Buca, Ankara, Konya-Ermenek, Nevşe­hir, Gebze et Cey­han. D’émi­nentes per­son­nal­ités, à l’in­star d’Orhan Pamuk, lau­réat du prix Nobel de lit­téra­ture, cherchent à infléchir la poli­tique voulue par le min­istre de la jus­tice Hik­met Sami Türk. Sans suc­cès. Le 19 décem­bre 2000, les forces de sécu­rité turques pren­nent d’as­saut 20 pris­ons dans une opéra­tion bap­tisée “Retour à la vie”, qui con­duira au décès de 30 pris­on­niers et deux sol­dats. Et les trans­ferts dans les pris­ons de “type F” vont aus­sitôt démar­rer. Ain­si le 21 décem­bre 2000, 524 pris­on­niers sont offi­cielle­ment trans­férés dans les pris­ons de “type F” à Edirne, Kocaeli et Sin­can. Sans tenir compte des protes­ta­tions : le 3 jan­vi­er 2001, 1 118 détenus issus de 41 pris­ons sont en grève de la faim…

Nom­breux sont ceux qui vont en mourir. Fin 2001, les prési­dents des bar­reaux dIs­tan­bul, Izmir et Ankara pro­posent la solu­tion de “trois portes, trois ser­rures” (üç kapı, üç kilit), qui per­met aux pris­on­niers de pass­er du temps ensem­ble (trois par cham­bre). Les détenus annon­cent alors qu’ils cesseront leur jeûne si la propo­si­tion est accep­tée. Mais le min­istre de la Jus­tice, Hik­met Sami Türk, déclare la propo­si­tion inac­cept­able. Il fait sa pro­pre propo­si­tion : 10 pris­on­niers peu­vent être ensem­ble pen­dant cinq heures par semaine. En mai 2002, Hüs­nü Öndül, prési­dent de l’HRA, appelle le min­istre de la Jus­tice à entamer un dia­logue, et demande aux pris­on­niers de cess­er leur grève pour qu’il n’y ait plus de morts. Mes­sage reçu de presque tous les pris­on­niers le 28 mai, excep­tion faite de ceux qui suiv­ent le DHKP‑C, Par­ti-Front révo­lu­tion­naire de libéra­tion du peu­ple, organ­i­sa­tion d’ex­trême gauche, marx­iste léniniste.

Behiç Aşçı, un avo­cat d’Is­tan­bul, se joint à l’ac­tion en 2006. Il attire l’at­ten­tion du pub­lic lorsque sa san­té se détéri­ore. Fin 2006, Bülent Arınç, alors prési­dent de la Grande Assem­blée nationale de Turquie, ren­con­tre les proches d’Aşçı et des représen­tants d’or­gan­i­sa­tions non gou­verne­men­tales. Il déclare que la nation ne peut pas rester insen­si­ble à un sujet pour lequel un avo­cat est prêt à ris­quer sa vie, et affirme que le min­istère de la Jus­tice et le gou­verne­ment doivent agir.

Quelques jours plus tard, après avoir lu le décret 45/1 du min­istère de la Jus­tice, daté du 22 jan­vi­er 2007, Behiç Aşçı et deux pris­on­niers déclar­ent met­tre un terme à leur grève de la faim. Ce décret, qui com­prend plusieurs dis­po­si­tions, per­met que 10 pris­on­niers dans les pris­ons de “type F” puis­sent pass­er 10 heures par semaine ensem­ble, plutôt que cinq.

À l’in­térieur et à l’ex­térieur de la prison, 122 per­son­nes sont mortes dans le cadre d’ac­tions de protes­ta­tion con­tre l’isole­ment dans les pris­ons de “type F”. Beau­coup souf­fraient de mal­adies graves telles que le syn­drome de Wernicke-Korsakoff.

En décem­bre 2007 et en jan­vi­er 2008, l’As­so­ci­a­tion des juristes con­tem­po­rain (Çağ­daş Hukukçu­lar Derneği ou ÇHD) a mené des recherch­es sur la mise en œuvre du décret 45/1. 25 avo­cats sont allés vis­iter six pris­ons et ont par­lé avec 120 pris­on­niers. Ils déclar­ent alors que la pos­si­bil­ité de 10 heures de con­ver­sa­tion par semaine dans des groupes de 10 pris­on­niers n’a pas été observée dans les pris­ons de “type F” à Tekir­dağ, Kocaeli et Bolu. Dans la prison de “type F” de Tekir­dağ, ce droit avait été révo­qué trois mois avant. Dans la prison de Kandıra de “type F”, le temps était lim­ité à deux heures et demi, comme dans la prison de Kocaeli de “type F” et celle d’Edirne, où ce droit avait été accordé il y a un mois.

L’As­so­ci­a­tion des droits de l’homme (HRA) et la Fon­da­tion des droits de l’homme de Turquie (HRFT) ont égale­ment cri­tiqué l’isole­ment dans les pris­ons de type F. On trou­vera des détails dans le rap­port HRA sur les pris­ons dans la région de Mar­mara ou le rap­port annuel 2007 (rap­ports en turc). Il est égale­ment pos­si­ble d’en savoir plus via le site du Forum de la Turquie démoc­ra­tique (DTF, le groupe de sol­i­dar­ité alle­mande de la HRFT), où il existe un sys­tème de sauve­g­arde pour les rap­ports depuis 2008.

Amnesty Inter­na­tion­al a pub­lié plusieurs rap­ports sur les préoc­cu­pa­tions con­cer­nant l’isole­ment et les atroc­ités dans les pris­ons de “type F”. Dans le mémoran­dum adressé au gou­verne­ment turc en jan­vi­er 2008, il est notam­ment écrit :

Amnesty Inter­na­tion­al s’in­quiète depuis longtemps du régime péni­ten­ti­aire “type F”, et en par­ti­c­uli­er des puni­tions dis­ci­plinaires sévères et arbi­traires et de l’isole­ment des pris­on­niers. Amnesty Inter­na­tion­al appelle le gou­verne­ment à met­tre fin à l’u­til­i­sa­tion de cel­lule d’isole­ment (…) et à aug­menter les heures de rassem­ble­ment con­for­mé­ment aux normes internationales.

Le 19 juil­let 2007, la prison de Kırıkkale est la 13ème prison de “type F” qui a été ouverte. La prison de l’île İmr­alı où est détenu Abdul­lah Öcalan, chef du PKK, n’est pas exacte­ment une prison de “type F” (elle ne peut recevoir que 9 pris­on­niers), mais c’est aus­si une prison de haute sécu­rité. Répon­dant à la demande d’un par­lemen­taire, le min­istre de la Jus­tice, Sadul­lah Ergin, a déclaré en août 2009 que la recon­struc­tion de la prison avait été achevée, et que huit autres pris­on­niers y seraient trans­férés, sans les nommer.


Español: Turquia y su sis­tema carce­lario: “Carce­les de tipo F”: ¿Qué son?” haga clic para leer Roja­va Azadî 

Traductions & rédaction par Kedistan. | Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
Kedistan’ın tüm yayınlarını, yazar ve çevirmenlerin emeğine saygı göstererek, kaynak ve link vererek paylaşabilirisiniz. Teşekkürler.
Kerema xwe dema hun nivîsên Kedistanê parve dikin, ji bo rêzgirtina maf û keda nivîskar û wergêr, lînk û navê malperê wek çavkanî diyar bikin. Spas.
Translation & writing by Kedistan. You may use and share Kedistan’s articles and translations, specifying the source and adding a link in order to respect the writer(s) and translator(s) work. Thank you.
KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.