Ce n’est pas la première fois que des grévistes de la faim s’opposent à l’Etat turc en risquant leur vie et bien souvent en gardant des séquelles physiques à l’issue de leurs bras de fer.
Des prisonnierEs politiques y ont perdu la vie, déjà contre les dictatures militaires d’hier.
Et voilà qu’un membre de l’AKP, député de son état, et membre de la commission des droits de l’homme de l’Assemblée, nous dit que c’est quasi “haram”. Le grand barbu de l’univers verrait d’un mauvais œil la mise en danger de sa propre vie pour la défendre, selon lui.
Alors comment le prophète considère-t-il les massacres systématiques d’opposants au Kurdistan par les forces armées turques depuis des décennies ? Comment réagirait-il face aux vagues de licenciements, à la bascule dans la grande précarité qui suit, à la faim au bout du parcours, pour des familles entières ?
Les grévistes de la faim disent qu’il/elle le font pour “le pain”. Et il/elle s’interdisent d’en ingérer une miette, exposants leur corps en souffrance à la face du pouvoir.
Les torchons qui font office de médias d’information ici ont, comme dans toutes ces occasions où ce moyen de lutte est utilisé, suggéré grossièrement que cette grève était une supercherie, et qu’il y avait “rupture du jeûne, une fois que la police avait le dos tourné”… Ils l’ont déjà écrit à l’occasion des mouvements analogues dans les prisons, avant le référendum, et se sont moqué des responsables d’opposition emprisonnés qui feraient des “grèves de la faim intermittentes”.
Des intellectuels, de leur côté, ont questionné sur ce moyen de lutte, avant de s’entendre répondre que la “demande de cesser cette grève” devait être adressée au gouvernement, puisque c’est lui qui en détient l’issue…
Et comme nous savons bien que les grévistes, et le premier “noyau dur” qui les soutient sont des militants aguerris (la presse les dénonce comme des terroristes qui sont de toutes les occasions), nous pouvons deviner que les jours de grève vont succéder aux jours de grève, tant qu’il restera flamme de vie.
On se rappelle de la demande faite aux prisonniers politiques de cesser leur mouvement juste après les résultats du référendum, par le parti d’opposition démocratique. Ils avaient jugé qu’à la fois les manifestations de rue, (qui se sont presqu’éteintes) détournait le regard de leur combat, que ces mêmes mouvements ne prenaient pas en compte ce combat des prisonniers kurdes, mais qu’également le rapport de forces était “officiellement” pour le régime, les opinions internationales réagissant peu.
C’est donc avec des possibilités de soutiens plus larges, sous des auspices plus unitaires, que se sont enclenchées les grèves de la faim des enseignants licenciés. Une résistance a succédé à l’autre.
Et si je vous parle de cela, c’est parce que cette grève ne peut être cachée, et qu’elle trouve, comme lors de la signature des universitaires pour la paix, un écho, malgré la peur, le repli et la lassitude qui fait le quotidien du pays.
Mais que puis-je faire ? Comment ne pas me sentir impuissante, devant leur possible agonie ?
Le Tayyip voyage, et se permet encore aux Etats-Unis de faire taper sur les manifestants qui lui demandent des comptes là-bas. Et on pourrait croire que le nouveau président américain joue un double jeu avec lui, mais le conforte dans sa “lutte contre le terrorisme”. Et comme ceux qui ont faim sont des “terroristes”…
J’ai cru lire et constater que des soutiens se font jour dans des pays européens, et que des délégations viennent soutenir les grévistes à Ankara. Mais vos médias et vos politiques se regardent le nombril électoral un peu partout…
La police, m’a-t-on dit, harcèle le mouvement de grève, comme des mouches qui sentent la mort. Ils n’osent pas les violenter directement, et arrêtent leurs soutiens régulièrement… C’est un signe, dans notre dictature républicaine, que ces jeunes gens dérangent vraiment le pouvoir, dans ce moment d’après référendum, où il voudrait se dédiaboliser un peu, même s’il continue ses purges par décret.
Finalement, c’est toute une partie de la population turque, qui a faim de justice, de liberté et de paix, comme moi, et qu’on gave de violence, d’injustice et de haine.
Qui serais-je, moi l’aînée, pour juger de leur décision de poursuivre cette lente descente où leur vie ne leur appartient déjà plus ? Et pourtant, si les centaines de milliers de morts de Syrie, les enfants dont les corps noyés échouent sur les plages, les vies fauchées, ne font plus réagir que des personnes déjà “concernées”, comment deux corps décharnés vont-ils faire céder le nouveau Calife ?
Mais, pas davantage que je ne jugerais les jeunes gens qui prennent les armes, parce que leur frère, leur soeur, leurs parents ou grands parents ont été assassinés en ne réclamant que “vie et reconnaissance”, je ne ferais plus de commentaires sur celui et celle qui se sert de sa vie comme d’une arme, au service d’une lutte collective.
Mais ma colère cache mal mon angoisse de voir demain “cet attentat à la vie” balayé par d’autres meurtres, dont on n’entrevoit pas la fin.
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Ajout du 22 mai 2017 :
Hier, le vice premier ministre Canikli avait demandé les dossiers de Nuriye et Semih, pour enfin “étudier leur cas”. Cette nuit même il y a eu une descente de police à leur domicile. Portes défoncées, appartement fouillé et mis à sac. Tous deux ont été emmenés à la brigade anti-terroriste. Quelle est donc cette réponse?
English Does Hunger Justify the Means ?